Honnêtement, si j'avais assisté au théâtre à la représentation de quelques pièces signées d'Eric-Emmanuel Schmitt, je n'avais jusqu'à présent jamais parcouru son oeuvre romanesque, que je me figurais placée au rayon best-sellers faciles, un cran au-dessus de Marc Levy car me semblait-il, dotée d'une envie de vulgarisation à tendance culturelle.
"Les perroquets de la place d'Arezzo" est un pavé que les éditions Albin-Michel présentent comme "une encyclopédie des désirs, des sentiments et des plaisirs, le roman des comportements amoureux de notre temps." Rien que ça !
Ambitieux donc et pas trompeur sur la marchandise, le roman aborde bien la sexualité du 21ème siècle sous toutes ses formes.Il ne manque rien, tout y passe, de l'asexualité à la zoophilie. J'en vois déjà se frotter les mains et se pourlécher les babines, imaginant un bon gros bouquin érotique pour égayer quelques tristouilles soirées automnales... Ils ont tort ! Si tous les nombreux personnages de cette histoire sont fortement tenaillés par leur sexe, le texte lui, même avec ses allures coquines, n'est guère bandant. Il ressemble à un de ces téléfilms érotiques que diffusait jadis M6 le dimanche soir mais dont on aurait flouté les seins et les fesses (on ne voyait bien sûr aucun sexe ou poil pubien). Du coup la lecture se révèle être une expérience assez étrange, entre pudibonderie et partouze, comme une de ces scènes de film, où les parties dites intimes sont soigneusement camouflées derrière une orchidée, un candélabre ou un vase Lalique,... car tout est chic et de bon goût chez Eric-Emmanuel Schmitt (il faut faire rêver son lectorat).
Le lecteur lambda que je suis, au fil de ces 730 pages (!), est passé par différents états.
Tout d'abord, intéressé. Aguiché par le titre (Les perroquets de la place d'Arezzo) qui évoquait pour moi couleurs et sensualité italienne, j'ai vite déchanté. Arezzo n'est pas la ville de Toscane mais simplement une place bruxelloise sur laquelle vivent une collection de perroquets lâchés quelques dizaines d'années plus tôt par un ambassadeur brésilien. Bon, pas de soleil mais le clinquant d'un des quartiers les plus chics de la capitale belge. Le lecteur y croise une dizaine de personnages flirtant avec les clichés, du clone de DSK, en passant par l'écrivain célèbre, le banquier cul serré, le couple de gays libertins, une fleuriste acariâtre, une bourge SM, un galeriste moche et éjaculateur précoce, des ados amoureux, un agent d'entretien canon, une veuve qui se laisse aller, une handicapée lesbienne ne jouissant qu'avec des godem..., heu non, là je m'égare... Tous ceux-là (et d'autres) recevront la même lettre anonyme disant :
"Ce mot simplement pour te signaler que je t'aime. Signé : tu sais qui."
Après une mise en place un tantinet répétitive, la réception de ce courrier va faire l'effet du Viagra ou du Lybrido (acheté aux States sur internet) dans une boîte à partouzes. Tout le monde va s'agiter considérablement. Les timides oseront se déclarer et s'accoupler avec bonheur, les épouses prendront maîtresse ou amant mais avec volupté, les déjà libertins redoubleront d'inventivité dans des rapports toujours aussi enthousiasmants, les esseulés s'inventeront une libido intense ou trouveront le grand amour et donc l'extase. Tout cela prend une bonne moitié du roman. J'ai suivi ça poliment. C'est bien mené, les stéréotypes permettant de ne pas mélanger les personnages.
Mais dans cet inventaire des désirs, très ripoliné, très attendu, je suis devenu interrogatif. Où est l'auteur dans tout ça ? A-t-il un avis ou se pose-t-il en narrateur impartial ? Toute cette joliesse est-elle vraiment honnête ? Et puis, ça manque sérieusement de piment cette affaire. Bizarrement, alors que l'on baise partout et à tout va, je me suis demandé où était passée la chair, la vraie, celle qui sue, qui frémit, qui plisse ou qui pique.
Et puis, petit à petit, apparaissent quelques éléments qui donnent à penser qu'Eric-Emmanuel Schmitt va développer un point de vue sur toute cette excitation générale. Apparaît subrepticement une touche religieuse. Quelques personnages aux désirs trop tordus commencent à payer (la femme adultère lesbienne et sa compagne, le ménage à trois, ...). La bien-pensance pénètre doucement au fil des pages et l'irritation me gagne... puis s'éteint car, nouveau virage, la dernière partie se transforme en une sorte de happy-end où l'amour, le vrai, le partagé, triomphe. C'est plus gentillet, plus rafraîchissant. Un sentiment d'ouverture irrigue les derniers chapitres qui restent toutefois, pour ma part, peu bouleversants.
Je ne peux pas dire que j'ai été emballé par ce catalogue des désirs mais je suis allé jusqu'au bout (730 pages , je vous rappelle). Ca se lit facilement, c'est léger. Pas dérangeant finalement et c'est dommage, le sujet se prêtait à quelque chose de plus âpre, de plus réaliste, mais ce n'est vraisemblablement pas le créneau de l'auteur. Je reconnais volontiers à Eric-Emmanuel Schmitt une jolie ambition romanesque, quelques passages touchants ou bien vus et joliment troussés, mais cependant ce livre n'est pas pour moi qui attend d'un roman, qu'il me touche en profondeur, qu'il me bouscule un peu plus. Ici, il réussit la prouesse de nous raconter une libido débridée mais lumière éteinte et avec des draps de soie par dessus. Permettez-moi de préférer le coton, le plein jour et la frénésie hésitante des corps imparfaits.