La Bourse du Commerce, nouveau lieu d'exposition du mécène et collectionneur François Pinault, est l'endroit à Paris qu'il faut avoir vu ! Quelques minutes avant l'ouverture du lieu ( 11h cela permet de bruncher et de s'apprêter sans se presser), la file s'allonge autour du bâtiment circulaire du 1er arrondissement de Paris, mélange hétéroclite de dames des beaux quartiers, teintées, lustrées avec juste ce qu'il faut de décontraction et de sophistication et de touristes harnachés de sacs à dos et chaussés de grosses pompes sportives colorées.
Nous sommes accueillis par la fresque colorée de Martial Raysse dont la contemplation en profondeur nous permet de saisir que cette humanité à l'apparence festive cache bien tous les maux de notre époque. Le peintre s'est représenté dans un coin du tableau, grimaçant, donnant son sentiment sur ce monde qui danse devant le vide (ou sur ce qui peut attendre le visiteur sur la suite de l'exposition ? ).
Martial Raysse , Ici Plage, comme ici-bas, ( détail) 2012
Nous nous dirigeons ensuite vers le coeur du bâtiment et pénétrons dans un couloir circulaire où d'anciennes vitrines à carcasse bois du lieu retrouvent vocation à présenter ... les oeuvres de Bertrand Lavier qui essaient d'interpeler le visiteur sur des objets communs présentés ou accolés de façon hybride ou décalée. Comme la perplexité fait partie de la visite de toute exposition d'art contemporain, il semble évident que cette série de 24 propositions suscite un intérêt où se mélangent ricanement, étonnement, indifférence et parfois questionnement...
Bertrand Lavier
Soyons franc, on ne s'attarde pas tout de suite sur ces oeuvres mais on se dirige d'un pas pressé vers le coeur du musée, le grand espace circulaire qui permet d'admirer la coupole de verre ( blanc), l'ancienne fresque très figurative dédiée au commerce, la rénovation de Tadao Ando toute de béton brut ( gare à celui qui ne perçoit pas la poésie du béton brut et son aspect ludique dans un tel lieu) et... l'oeuvre monumentale sensée s'imposer ou tout du moins créer un premier choc aux visiteurs. L'artiste Suisse Urs Fischer nous propose une installation de différents éléments en cire, programmés à se consumer au fil des jours. Au centre, se dresse une reproduction de lL'enlèvement des Sabines de Giambologna , et autour on trouve 7 sièges et un portrait en pied d'un monsieur bien habillé ( en fait un ami de l'artiste, Rudolf Stingel). C'est curieux, pas spécialement spectaculaire. Seuls les différents concepts évoqués, impermanence, fuite du temps, désastre destructif ou création réduite à l'anéantissement inévitable attisent la réflexion.
Urs Fischer( détail) Rudolf Stingel ...En fond les panneaux de béton avec petits trous de Tadao Ando
Mais le gros de l'exposition se trouve au premier étage ( et au sous-sol pour des installations plus...hermétiques mais qui font appel à nos sens ...Pierre Huyghe et ses brumes lumineuses et un polyptique acoustique de Tarek Atoui). Que dire des oeuvres qui nous sont présentées? Outre le fait qu'elles soit pour la très grande majorité figuratives, il se dégage d'elles un écho de notre monde actuel et de tous les mouvements sociaux ou politiques qui le traverse. On sent un parfait équilibre entre artistes, quel que soit le genre mais aussi la couleur. D'ailleurs, et ce n'est pas anodin, de nombreux tableaux représentent des hommes ou des femmes de couleur, donnant enfin le sentiment d'une humanité multiple et vibrante. Selon sa propre sensibilité, on sera plus ou moins impressionné ou ému par ce qui nous est proposé, entre autre par :
Les grandes toiles vraiment spectaculaires de Rudolf Stingel ( celui croisé en cire à l'étage du dessous)
Rudolf Stingel Untitled( Paula) 2012 ( oui c'est une peinture!)
les portraits faussement attendrissant de Claire Tabouret,
Claire Tabouret, Self-portrait at the Table, 2020
les toiles inquiétantes voire mystérieuses de Miriam Cahn,
Miriam Cahn, o.t. 2014ou les adolescents d'Antonio Obà, véritable ode au naturel et à la nature,
Antonio Obà,
Sesta, 2019
Le parcours vous fera bien sûr croiser d'autres artistes connus ou pas, des photographies de la célébrissime Cindy Sherman ou des oeuvres de Martin Kippenberger ou Marlène Dumas ainsi que de jeunes artistes ici mis en lumière.
Le bâtiment mérite bien évidemment le coup d'oeil mais au final, ce sont bien les oeuvres exposées, qui par leur diversité mais aussi par cette envie politique de décrire le monde d'aujourd'hui, rendent cette visite particulièrement intéressante et vivifiante. François Pinault milliardaire militant ? Oui, quelque part c'est un peu vrai, en tous les cas il en donne l'image, même si c'est dans un univers où l'argent l'emporte toujours au final...