dimanche 28 mars 2021

Pour une heure oubliée de Frédéric Perrot


 Emile, après avoir absorbé une vodka Get 27, se réveille une heure après avec le cadavre d'une femme à ses pieds. Jamais il n'aurait dû ingurgiter ce verre ( alors qu'il n'aime que la Suze) car il contenait du GHB. Incapable de se rappeler de ce qu'il a bien pu faire durant cette heure, il sera jugé et emprisonné durant 13 ans. Il a une quarantaine d'années quand il sort de prison et se met en ménage avec Jeanne à qui il ne dit rien de son passé. Mais, une journaliste va venir fourrer son nez et sa curiosité dans la vie de notre Emile..

Evidemment, le sympathique Emile n'est pas coupable, sinon, il n'y aurait pas de roman. Le but sera que la vérité se révèle enfin. Et donc, derrière cette couverture au parfum nostalgique, se cache un polar... ou presque, parce que, visiblement,  l'auteur avait une deuxième intention, celle de dresser le portrait psychologique de son personnage sur une vingtaine d'années. Une construction en chapitres alternant entre passé, présent et futur ( futur qui sera en fait un présent dans le dernier chapitre du livre...) essaiera de donner une certaine profondeur à l'ensemble, jouant de psychologie ( assez banalement) dans la première moitié puis tâtant un peu plus du suspens par la suite. 

L'histoire a de quoi accrocher ( tout du moins au début), mais cette valse hésitation entre polar et psychologie a un peu de mal à s'amalgamer véritablement, surtout qu'elle se pare d'éléments un peu difficiles à avaler ( le passé tu, le manque de curiosité de l'épouse à l'heure d'internet, ...) qu'une écriture plus serrée et percutante aurait pu masquer. Les rebondissements vont dans un dernier quart s'accumuler, jusqu'à la dernière page... Ca frise le too much, surtout que dans un souci de bien faire, l'auteur apporte des détails qui accentuent le côté improbable ( on m'expliquera, entre autre, comment un livre récent couvert de poussière peut être lu sans que celle-ci ne s'enlève) et rendent le final, que l'on voyait un peu venir, pas réellement convaincant. 

L'avantage sans doute de se plonger dans "Pour une heure oubliée" sera de lire un polar soft, légèrement psychologique ( façon téléfilm) qui ne remuera pas les tripes. Pourquoi pas ?  Mais des lecteurs sagaces pourront être hérissés par le manque de crédibilité de cette affaire et par ce rythme un peu mollasson qui rend ce premier roman un peu trop confortable pour être totalement passionnant. Point original : on a envie, après lecture, de boire une Suze avec des glaçons !

vendredi 26 mars 2021

Les danseurs de l'aube de Marie Charrel


 Le risque pour un roman qui raconte deux histoires bien distinctes mais avec quelques résonances, est d'être déséquilibré si l'une d'elle s'avère moins passionnante que l'autre. Malgré le rythme des guitares et la maestria des personnages tous danseurs de flamenco, c'est ce qui arrive dans "Les danseurs de l'aube" . Difficile de donner du lustre aux personnages actuels du roman, même héros symboliques et involontaires d'un mouvement altermondialiste, face aux danseurs des années 30, ballotés dans la fureur de la montée du nazisme dans toute l'Europe de l'Est. Les premiers sont totalement fictionnels, les deux autres ayant réellement existé. Comme souvent, la réalité, même romancée, l'emporte sur la fiction. On ne peut rien contre les tourbillons d'une histoire terrible comme le ghetto de Varsovie, la Shoah et la montée et l'avénement du nazisme. 

Le roman alterne donc les deux histoires, qui se font écho malgré les époques. En plus de l'art de la danse gitano/espagnole, de la situation toujours délicate des roms, parias de populations racistes, un autre point relie ces histoires : le travestissement, voire la fluidité des genres dans laquelle les personnages se meuvent. Et là, sur ce sujet très ancré dans les débats d'aujourd'hui, le roman glisse de façon très, trop pudique. On pourrait penser que c'est une façon d'avoir intégré ces faits en les présentant de façon banale, mais on ressent plutôt une sorte de gêne de la part de l'auteure ( de peur de faire fuir les lecteurs ?), très hésitante à aborder de front ce pan de son récit ( surtout avec le personnage de Luka, dont les interrogations sur son son identité sexuelle, voire corporelle, sont balayées en deux pirouettes).

Si le roman se lit facilement et n'est pas désagréable, surtout qu'il rappelle avec vigueur et raison des faits que l'on a peut être oublié ( ce vent toujours persistant de racismes divers en Europe de l'Est envers certains groupes de populations mais aussi que pas mal d'Allemands avaient résisté durant la deuxième guerre mondiale), on peut le trouver un peu trop léger quant à la profondeur des personnages, plus symbolisés par quelques clichés narratifs ( ils dansent merveilleusement bien, ils sont beaux, ils font preuve d'un courage à toute épreuve) que par la réelle ambigüité qu'ils dégagent et qui ici n'est jamais exploitée. 

samedi 20 mars 2021

Mon frère, ce zéro de Colin Thibert


 Divertissant. Voilà le mot exact qui peut définir ce roman. Et de nos jours, dans ces temps troublés, ce n'est pas un vain mot. Comme il serait malvenu de trop en dire, disons que l'effet papillon est ici porté à une sorte de paroxysme ou comment Jean-Jacques, vague écolo et petit vendeur de miel sur les marchés locaux, parce que bêtement tombé amoureux d'une jeunesse dans un village gardois pittoresque mais perdu,  peut entraîner le passage d'importants capitaux suisses sur des comptes en banque. 

Avec une certaine jubilation, malgré un départ légèrement poussif parce que ressenti un peu banal, le roman va très vite, au fur et à mesure des pages,  s'emballer dans une succession endiablée d'événements. Et comme une boule de neige lancée du haut d'une montagne, l'histoire grossit, grossit pour notre plus grand plaisir avec ce délicieux suspens qui consiste à savoir comment l'auteur va bien pouvoir se tirer des situations totalement abracadabrantesques qui'l a créé. Et comme il retombe de façon tout à fait crédible sur ses pieds ( en seulement deux pages !), le lecteur n'est nullement déçu. 
Lecture facile mais bien écrite, piquante et drôle, vraiment bien menée, "Mon frère, ce zéro" procure une vraie détente et peut donc être qualifié, bien mieux qu'au début de cette chronique de roman TRES divertissant. Ce fait assez rare dans l'univers formaté et calculé actuel d'une littérature dite facile ( ou feelgood) mérite d'être amplement signalé .  

jeudi 18 mars 2021

Cherry de Joe et Anthony Russo


 Si vous êtes un fan absolu de Tom Holland ( Spiderman) et tenez absolument à le découvrir dans un vrai rôle dramatique ( pas de souci, il fait le job), si vous n'avez jamais vu un film américain traitant du retour d'un GI après de rudes combats ( seconde guerre mondiale, Viêt-Nam, Irak, Afghanistan et donc que vous n'avez jamais jeté un oeil sur Le retour, Voyage au bout de l'enfer, Né un 4 juillet, Brothers, ...) , alors Cherry ( traduction  puceau ) est pour vous ...à priori.... il faut vraiment être puceau de ce cinéma là pour être emballé par cette énième resucée d'une histoire vue et revue ( en mieux ) depuis des décennies. 

Le scénario ne brille pas par son originalité. Deux jeunes personnes ( un garçon et une fille) s'aiment. Suite à un malentendu, lui s'engage dans l'armée, combat en Irak, en revient traumatisé et sombre dans la drogue entraînant la fiancée en même temps. Difficile de faire plus basique et encore plus à réussir à sortir du lot de ce que l'on peut quasi appeler un genre à part entière dans le cinéma US. Le traitement opéré par les réalisateurs relève plus d'un alignement d'idées mollassonnes n'apportant pas grand chose à l'histoire. On a droit à un découpage en chapitres, c'est chic et ça fait littéraire, mais, en y ajoutant une voix off, on perçoit le manque de véritable point de vue, la mise en scène se contentant d'illustrer le propos. L'action avance sans surprise réelle et ce n'est que vers la fin, avec la plongée dans l'héroïne (celle avec seringue !) que l'on ressent un intérêt un peu plus soutenu, surtout que le film n'arrête pas de balancer entre drame, love story toxique et humour ( appliqué à quelques hold-up d'ailleurs plus qu'improbables). Ces hésitations narratives, pas convaincantes, arrivent malgré tout à sortir le film du banal sans creuser toutefois le réel potentiel psychologique des deux héros. 

Voilà encore un film qui ne va pas plaider pour prendre un abonnement sur un serveur VOD ( ici AppleTV ), ces productions "maison" n'offrent rien de vraiment emballant sinon à fournir du contenu. 




mardi 16 mars 2021

Journal sexuel d'un garçon d'aujourd'hui de Arthur Dreyfus ( 1ère partie)


 Et voilà, 10% de cet imposant pavé de lus, soit 232 pages ( sur 2304) et donc une première série d'impressions. 

Tout d'abord, première originalité, le journal n'est pas daté. Si on connaît un peu les différents travaux de l'auteur ( livres, mais aussi, radio, cinéma, photographie, chanson), tout se déroule à notre époque dans les années 2010 ( 2015 pour ce début puisqu'est évoqué le roman d'Alice Zeniter "Juste avant l'oubli"  ). 

Il s'agit bien d'un journal sexuel mais pas que...ou presque. Arthur Dreyfus, proche ou juste trentenaire, vit avec Bord Cadre, un garçon peut être musicien. Mais notre auteur aime rencontrer d'autres garçons plus jeunes que lui, majeurs (ou pas loin) et si possible fluets, minces. Pour cela, il utilise l'application Grindr ( le Tinder version gay) mais d'autres aussi. Il en rencontre beaucoup, enfin me semble-t-il, puisque parfois les plans culs se succèdent dans une journée. Niveau sexe, Arthur aime tout, les basiques ( branle, fellation, anulingus, sodomie) mais ne rechigne pas à de l'ondinologie, des plans à plusieurs voire au fist, seules les caresses sur ses tétons semblent ne lui procurer aucun plaisir. Il rêve aussi d'être dominé car se sent plus passif qu'actif. ( Si certains termes vous échappent, n'hésitez pas, soit à vous plonger dans le pavé d'Arthur qui est un véritable catalogue, précis, documenté de la vie gay, ou sinon allez sur le net). 

Le journal se présente toujours comme suit : un plan cul raconté de façon factuelle, réaliste,. Le lieu est décrit, en n'omettant jamais de tracer un portrait rapide et social du ( des) partenaire(s) toujours nommés par un surnom.  Puis suivent des remarques glanées ici ou là, venant le plus souvent de proches gays ( eux aussi apparaissant sous la forme d'un surnom) ou de sa mère, son analyste aussi,  également des phrases lues sur l'appli Grindr, mais aussi de grands noms ( souvent gay mais pas que ....Barthes, Foucault, Kafka, Cicéron, ...), de courtes pensées personnelles. Parfois apparaît un poème...

Après 230 pages de ce régime, disons, qu'une petite pause s'impose. Sans que ce soit réellement répétitif, la plume et le regard d'Arthur Dreyfus évitent les redites même si ces plans culs se déroulent quand même, souvent, de la même façon. Ce qui peut se révéler intéressant dans ces récits sexuel, c'est d'interpréter entre les lignes les désirs, le questionnement de l'auteur face à cette addiction. Oui, il aime multiplier les rencontres, parfois très rapides, mais au-delà du sexe, ce qui finalement l'intéresse le plus, ce sont les mots ( on n'est pas écrivain pour rien). Au delà du physique, de la taille d'un sexe ( important chez lui), on sent à la lecture que les meilleurs coups sont ceux où il y a eu un vrai dialogue entre les partenaires et surtout s'il est tombé sur quelqu'un de cultivé. Il a besoin de cette fraternité intellectuelle pour avoir plus de plaisir. Mais rares sont les moments qui le font grimper au plafond. Combien de mecs pas nets, imbus, timorés, simplets, crades, indifférents, absents, mécaniques avant de tomber sur une personne qui ne soit pas juste un sexe? Pour le moment deux tout au plus.... Que cherche-t-il finalement? Jusqu'où cette addiction le conduira-t-il ? Ce sont les éléments qui peuvent tenir en éveil un lecteur lambda, pour qui cette sexualité, narrée au plus précis ( bruit, merde sur les préservatifs, culs pas lavés, lavements, ...) , peut toutefois lasser, au pire révulser. 

Mais il s'agit d'un journal, d'une vie, exposée côté sexe, sans que finalement se soit réellement impudique. On ne sait pas grand chose ( pour le moment) de l'auteur, de ce qui fait sa personnalité ( le terreau de l'enfance, ses lectures, son travail, ...), même si ce qu'il écrit, il n'oserait pas le dire à son analyste (dixit). On sait comment il baise, mais reste quand même pudique sur plein d'autres choses. On a bien sûr l'impression du gay qui parle aux gays, certes un gay qui a une plume, du style, ce qui fait qu'un hétéro, un asexuel, un trans, peut tout à fait trouver de l'intérêt dans ce qui demeure un gros morceau qui risque d'avoir du mal à passer sur toute la longueur. D'où une lecture morcelée...

Peuvent venir des questions aussi ...Est-ce de l'exhibitionnisme? De l'autosatisfaction ? Du mercantilisme ? De la littérature ? Un peu trop tôt pour le dire. Je trouve l'initiative gonflée, documentaire, sociologiquement intéressante et sans doute honnête. Beaucoup seront ou choqués ou agacés par ce journal. L'époque redevient prude et si certains sont dérangés, c'est sans doute que cela atteint un point sensible. C'est bien d'être bousculé plutôt que de se vautrer dans de la feelgood littérature ( une pornographie cérébrale ). 

lundi 15 mars 2021

Vivons décomplexés de Germain Huby


 Depuis le succès des albums de Fabcaro, il semble que chaque éditeur se met en tête de publier des albums qui jouent avec l'absurde. Et c'est tant mieux, car en cette époque trouble, nous avons besoin de rire. 

Même si on pense à Fabcaro ou à Emmanuel Reuzé ( "Faut pas prendre les cons pour des gens"), Germain Huby, plasticien, vidéaste et dorénavant auteur BD, trace sa route de façon personnelle. Il met en scène, dans un univers que l'on sent très urbain, un éventail de personnages pour qui la vie de tous les jours ne connaît pas de problèmes matériels, juste quelques soucis existentiels passés ici comme il se doit, à un drôle de crible. On y retrouvera tout ce qui fait le sel de nos vies de tous les jours, les problèmes d'argent, de bricolage, de couple, d'allergies, d'enfants, de paroles sexistes ou de harcèlement. Je me demande si un seul des grands sujets actuels n'est pas présent dans ces 56 pages ( peut être la méditation... et c'est bien dommage). Avec un humour un peu grinçant, Germain Huby tord nos raisonnements, joue avec notre langage de bobos pour brosser une société assurément déboussolée. C'est très drôle, décapant à souhait et redoutablement intelligent. Les illustrations, entre ligne claire et réalisme, accompagnent parfaitement cet univers dans lequel il fait très bon prendre un bon bol d'humour caustique. "Vivons décomplexés" est un nouveau petit régal humoristique et d'un auteur humoristique que l'on aura plaisir à suivre. 





dimanche 14 mars 2021

Humeur noire de Anne -Marie Garat




 Il est des livres qui vous procurent grand moment de lecture parce qu’ils vous éclairent par leur force, leur intelligence, leur saine colère, par leur pouvoir de mettre en perspective notre vie personnelle ou celle de nos sociétés dont nous sommes les porteurs quasi inconscients de tout un passé rarement reluisant. «  Humeur noire » est un de ceux-là. 

Tout part d’une visite d’Anne-Marie Garat au musée d’Aquitaine de Bordeaux, sa ville natale dont elle garde des souvenirs que l’on peut qualifier de mitigés. Dans la partie que consacre le musée  à la traite négrière, elle tombe en arrêt devant un cartel aux termes pour le moins équivoques, totalement édulcorés quant au passé négrier de la ville. Elle entre donc dans une colère noire ( on peut y voir un jeu de mot évoquant des combats anciens mais également actuels) et tente de faire changer la formulation de cet écriteau. Lettre au directeur du musée d’Aquitaine, tribune avec des amis écrivains dans «  Le Monde », rien n’y fait. Difficile de secouer un édile de cette ville qualifiée longtemps de « belle endormie » et dont le livre nous démontrera qu’elle n’est toujours pas réveillée malgré l’image véhiculée par l’ancien maire Alain Juppé. 

Partant de ce petit fait qui peut paraître anecdotique, Anne-Marie Garat va en profiter pour revenir sur le passé négrier de la ville mais élargira son point de vue à tout ce secteur économique des 17ème, 18 ème, commerce  humain d’esclaves, véritable génocide orchestré au profit de quelques états et dont le colonialisme qui en découla courut jusqu’à il y a peu. Elle rappelle les cages à nègres dans les bateaux contenant ceux que l’on avait chassé comme un quelconque gibier sur leur terre natale, réduits au rang de bête à dresser. Elle raconte surtout, grâce à des faits précis et nombreux, l’amnésie collective, générale qui a été soigneusement orchestrée,  lissée dans tous les  livres d’histoire et dans toute la muséographie. Elle démontre que nous sommes tous issus aussi de cette histoire là, que nos esprits ont été formés à cet oubli mais aussi à une image déformée de nos frères humains aux peaux plus sombres. 

De fil en aiguille, elle va aussi nous parler de son enfance bordelaise, modeste, dans une impasse ouvrière éloignée du riche centre ville et de ces premières années où l’on découvre la vie, les lieux qui nous entourent, qui imprègnent profondément et à jamais notre intimité et notre rapport au monde. Parce que c’est une écrivaine, Anne-Marie Garat évoquera aussi les mots, le vocabulaire,  qui continuent à maintenir enfoncée une partie de l’humanité tout comme elle abordera des problématiques plus actuelles jusqu’à la mort de George Floyd. 

Elle parlera bien entendu beaucoup, beaucoup, de Bordeaux, trop peut être pour ceux qui ne connaissent pas la ville et qui pourront être un peu noyés dans cette avalanche de noms de rues, de quartiers et de personnalités locales, mais rien de rédhibitoire tant nous sommes emportés par le texte aussi vivifiant que passionné de cet essai original et salutaire. On referme le livre avec le bonheur d’avoir rencontrer une pensée lucide, forte, une pensée qui nous éclaire, qui nous enrichit. 

Merci à BABELIO pour cette découverte. 

samedi 13 mars 2021

Cérémonie des César 2021

 


On nous promettait une cérémonie exceptionnelle, celle du renouveau. On nous vantait une soirée des César d'anthologie, écrite par Blanche Gardin et Laurent Lafitte. On allait voir ce que l'on allait voir, surtout après " l'épouvantable soirée de l'an passé". ( Ceci dit, l'an dernier, il y avait de l'orage dans l'air et la fougue de Florence Foresti, donc ce fut une soirée plus intéressante qu'à l'accoutumée). Ben, on a vu et ce fut quand même pathétique. 

Marina Foïs a fait ce qu'elle a pu ( avec ce qu'on lui avait écrit) avec énergie. Elle a eu droit à quelques tirades bien senties ( surtout au début) mais sur la longueur, l'humour pipi/caca/prout peut franchement lasser, surtout sur presque 4 heures de spectacle. On retiendra de ces intermèdes ou petits sketches entre acteurs distribuant la breloque, l'habituelle ambiance surjouée ( mal jouée? ) et pour le meilleur, juste une Jeanne Balibar impériale et la nudité revendicatrice de Corine Masiero ( et ce jeu de mot inscrit dans son dos "Rend nous l'art, Jean"). On préférera oublier la bande du Splendid, totalement ringarde de vanité et de platitude, l'ahurissant dialogue dont a hérité Nathalie Baye ou la blague de Vincent Dedienne ( que j'aime beaucoup au demeurant) sur Hitler. On pourra toutefois trouver qu'un effort avait été fait quant à l'habillage de l'ensemble ( un orchestre jouant des musiques de film, des clips d'hommage ou de présentation plutôt réussis).  Cependant, on n'a pas réussi à gommer, ce long enchaînement de remises de prix ( difficile à éviter j'en conviens) ni cette suffisance du monde du cinéma, habillé de grands couturiers, bijouté par des joaillers prestigieux qui s'embrassait, s'étreignait comme du bon pain, au mépris de tout geste barrière et qui a aucun moment ne sentait le possible ridicule de la situation même s'il réclamaient pour moins chanceux qu'eux et certes s'engageait contre la cynique politique actuelle et n'a eu aucune parole désobligeante envers Canal + et son patron Bolloré , grand argentier du cinéma mais aussi par ailleurs pourvoyeur de populisme et d'idées rances hautement critiquables. 

Quant aux récompenses, elles furent à l'image de la soirée : surjouées et décevantes. L'année cinématographique fut bien sûr sérieusement rognée par ce fichu Covid  mais "Adieu les cons" , malgré le peu de concurrence, ne méritait pas tous ces honneurs, le film n'étant pas, et de loin, le meilleur du réalisateur, juste une petite comédie agréable mais un peu bancale. Le film d'Emmanuel Mouret ( gentillet mais pas un chef d'oeuvre non plus) a au moins permis à Emilie Dequenne de remporter un César, mérité, car c'est elle a hérité du rôle le mieux écrit et le plus intéressant. Comme d'habitude, François Ozon est reparti bredouille ( mais là aussi, il n'était pas à son meilleur). Rien à dire pour les récompenses vraiment justifiées pour " Adolescentes" et "Antoinette dans les Cévennes". Quant à la relève, les choix se sont portées sur des jeunes pousses qui ont fait parler d'eux ( même si l'un d'eux a 40 ans, ce qui permet de donner beaucoup d'espoir). A noter, le César du premier film est allé au classique mais joli "Deux", ( défendu ici) qui a surgi étonnamment dans cette sélection ( et dans celle pour les Oscars) alors que sa sortie est passée quasiment inaperçue. Les nouveaux Césars ouvriraient-ils donc les yeux et verraient -ils ainsi autre chose que ce qui pétille dans la presse intello ou qui brille parce rapporte beaucoup d'argent? C'est plutôt une bonne nouvelle. Cependant, pour renouveler leur cérémonie, on repassera... 


vendredi 12 mars 2021

Les amants d'Hérouville de Yann Le Quellec et Romain Ronzeau


 

Michel Magne n'est sans doute pas le plus connu des musiciens français. Mais de la fin des années 50 jusqu'à la fin des années 70 se fut une personnalité qui compta beaucoup, autant pour ses talents de compositeur que comme génie d'une vie de fête et de musiques. 

Sa vie fut un roman et cet album est à la fois un magnifique hommage à cet homme au destin incroyable et un témoignage nostalgique et émouvant sur toute une époque. Durant cette lecture, vous y croiserez Elton John, les Bee Gees, Grateful Dead, David Bowie, Johnny Halliday ( entre autres) car Michel Magne possédait un studio d'enregistrement dans la campagne proche de Paris où furent enregistrés les albums phares de cette époque. Dans une ambiance aussi joyeuse que festive, accompagnés de repas gastronomiques et des meilleurs vins, les stars de la pop de l'époque s'y sont pressés car ce lieu fut unique au monde ...comme son propriétaire. 

Aussi extraordinaire et fantasque que fut Michel Magne, raconter son histoire n'est pas forcément simple. L'intelligence de ce roman graphique est prendre son parcours à partir du moment où il rencontre sa future deuxième épouse, qui correspond à la naissance de son studio d'enregistrement, sommet d'une carrière on ne peut plus éclectique. Dans d'habiles flash-backs, le dessin se mêle aux photos personnelles, articles de journaux rendant l'ensemble encore plus intense, vivant. La documentation est exceptionnelle, dense, mais jamais elle ne prend le pas sur l'histoire, qui nous montre avec brio ce que fut la folie d'après 68 (dans le milieu de la musique en particulier). Les dessins de Romain Ronzeau sont un joyeux mélange de style, quelque chose entre Cabu et Bastien Vivès et apportent une vraie fraîcheur à l'ensemble tout en suggérant brillamment la lente descente aux enfers de son personnage principal. 

On peut avoir un à priori négatif pour se plonger dans ce roman graphique, la vie d'un musicien barré n'attirant peut être que des passionnés. Mais la réelle performance des auteurs est justement de nous faire pénétrer dans la vie vraiment extraordinaire de cet artiste, dans son univers et de nous passionner, nous étonner et nous émouvoir ( oui, la fin est très émouvante). Le pari est grandement réussi !





lundi 8 mars 2021

Moxie de Amy Poehler


Ce mois-ci chez Netflix, c'est le mois de la femme, 8 mars oblige. Sortent à quelques jours d'intervalles deux productions sensées mettre le féminin à l'honneur : "La sentinelle" épouvantable navet au féminisme frelaté et "Moxie", un teen-movie américain réalisé par une star locale comique. 

Qui dit teen-movie, dit lycée, pom-pom girls, équipe de foot et sa cohorte d'ados démangés par le stupre et l'envie de danser jusqu'après minuit. Sur ce plan là, nous ne sommes pas volés sur la marchandise, le film coche toutes ces cases. Mais, et c'est sans doute la seule réelle originalité de "Moxie", il fait du féminisme le thème principal de son histoire. Là aussi, le film essaie de cocher la plupart des cases pour proposer le parfait petit vademecum féministe à son public ( que l'on devine dans la même tranche d'âge que ceux qui s'agitent à l'écran). A travers le combat contre la dictature masculine dans son école d'une jeune fille un peu renfermée, pas du tout dans les groupes de celles et ceux qui comptent dans un lycée ( donc faisant partie de celles qui ne couchent pas et ne draguent pas les joueurs de foot), "Moxie" essaie de déboulonner cette image bien ancrée du jeune mâle américain tout puissant face à des donzelles en attente de servir au repos du footballeur si prestigieux. 

Si le film coche là aussi toutes les bonnes cases : lutte contre le sexisme, le machisme, hégémonie du mâle parce que footballeur et donc permettant de faire briller le nom du lycée et sa proviseure ( il est bien connu que les femmes peuvent aussi être les pires ennemis de la cause défendue), violence verbale, viol même, le film reste toutefois bien sage dans sa façon de filmer tout comme de s'attaquer au us et coutumes très genrées des écoles américaines. Il amalgame malicieusement combat et éveil aussi bien sensuel que militant de sa jeune héroïne. Du coup, le public visé n'est pas trop dépaysé : il aura sa bluette mais mâtinée d'un soupçon de remise en question.

Pas désagréable à regarder, pédagogique mas pas trop lourdaud, même s'il ne déroge jamais aux règles habituelles du teen-movie, "Moxie" enchantera sans doute les ados qui sentent fourmiller des envies de changer un peu les codes. Les adultes y verront plus un film sympa mais assez convenu. 

PS : Dans le rôle du beau mec, capitaine de l'équipe de foot et qui fait sa loi dans le poulailler, nous découvrons Patrick Schwarzenegger, oui, le fils de...



dimanche 7 mars 2021

Kasso de Jacky Schwartzmann


 Petit coup de mou pour Jacky Schwartzmann avec son dernier polar. Habituellement on se régale de sa verve caustique et bien sentie qui accompagne à merveille une intrigue un peu dingo. Cette fois-ci, on reste un peu en dehors de l'histoire, qui démarre mollement. Le héros, Jacky Toudic,  vit de petites arnaques en utilisant son physique qui est une réplique exacte de Mathieu Kassovitz. Pourquoi pas ? A l'occasion d'un retour dans sa ville natale et à la faveur de la rencontre avec une avocate veuve et encore très appétissante, il va tenter de monter en gamme ( niveau arnaque) et s'attaquer à un producteur de cinéma... 

L'intrigue apparaît assez dingue comme d'habitude, mais cette fois-ci, le roman peine à convaincre. Peut être est-ce dû au retour du héros à Besançon qui est aussi la ville qui a entendu pousser les premiers cris de l'auteur. Du coup, nous avons droit à une sorte de guide touristique bisontin, sans doute particulièrement intéressant pour les habitants du lieu, mais qui, en plus de ralentir une intrigue qui lambine avant de se mettre en place, passionne autant qu'un mauvais téléfilm de France 3....l'humour en plus. C'est lui qui nous aide à patienter un peu avant que dans le dernier tiers cela s'emballe un chouya, mais avec des rebondissements un peu attendus toutefois. 

Polar mineur cette saison pour Jacky Schwartzmann.  La ville de Besançon et une certaine nostalgie d'une époque l'ont emporté sur ce qui est habituellement le sel de l'auteur: l'humour poil à gratter qui, ici, est lui aussi mis en sourdine. Pas déplaisant à lire mais sans beaucoup d'aspérités. 

samedi 6 mars 2021

I Care a Lot de J(onathan) Blakeson


 Sauf à chercher parmi les classiques du cinéma offerts en fond de catalogue, on sait que  Netflix ne vous proposera pas de chef d'oeuvre dans ses productions maison, ni dans ces films ne trouvant pas d'écrans en cette période de pandémie et dont la seule vie possible est de garnir l'offre de la plateforme. 

Toutefois, en cherchant bien, il existe des séries B qui peuvent faire passer un moment pas si désagréable. "I Care a Lot" en fait partie. Gonflé, le film place en héroïne, une tutrice auprès de la justice américaine particulièrement pourrie. Elle arnaque des personnages âgées seules qui lui sont confiées en les enfermant dans un EPHAD pendant qu'elle gère leur fortune sans oublier de se servir allègrement. Le procédé fonctionne très bien malgré quelques pics d'adrénaline causés par certains lointains héritiers en colère. 

Se fera-t-elle choper ? Lui clouera-t-on le bec ? On pense, au début que ce sera le ressort du film. Mais non, bien au contraire, le scénario enfonce le clou en lui faisant affronter un plus méchant qu'elle.  Les spectateurs qui aiment l'action mais en qui demeurent un côté bien pensant, commencent à prendre le film en grippe ( voir les nombreux commentaires négatifs en ligne, de l'action, de la violence, OK,  mais avec un bon et des méchants, pas deux affreux, parce que " on ne peut pas s'identifier"). 

Jamais le scénario n'essaiera de rendre la tutrice sympathique. Tout au plus, on compatira vaguement aux rebondissements d'un scénario, certes très improbable, mais qui permet de ne jamais décrocher. Il faut dire que l'actrice Rosamund Pike est absolument parfaite en odieuse manipulatrice. C'est grâce à son interprétation que le film tient la route. Sa réalisation, certes assez soignée, pâtit de quelques moments un peu clipesques qui essaient de faire genre mais qui tombent à plat.  

"I care a lot" , aux héros sans moralité et une Rosamond Pike en mode abattage intense, sort un peu du lot de tous ces films très stéréotypés. Ce n'est pas un futur film culte, mais juste une bonne série B dont le véritable enjeu, dans sa dernière partie, est de savoir s'il assumera jusqu'au bout son côté immoral...




 

vendredi 5 mars 2021

Les six fonctions du langage de Clémentine Mélois


 N'allez pas croire qu'il s'agit d'une adaptation à vocation pédagogique du schéma de Roman Jakobson ( qui a défini les 6 fonctions du langage en 1960). Non, Clémentine Mélois est à la fois une plasticienne, autrice ( il va falloir qu'elle s'habitue à cette dénomination) et humoriste ( même si le mot risque de ne pas trop lui plaire). Donc, son nouvel objet littéraire est une parfaite synthèse des talents énoncés plus haut. La plasticienne, à partir de romans-photos ( brésiliens à ce qu'il paraît) datant des années 70, qu'elle a découpés, remontés, colorisés a passé le relais à l'autrice qui a créé 15 petites histoires teintées de son humour oulipien. 

A l'arrivée, nous avons un joli album, un roman-photo aux teintes qui rappellent la photographe espagnole Oka Leele et dont les personnages discourent de façon décalée, usant et abusant de différents niveaux de langage. Pour donner une idée du genre de l'oeuvre, nous sommes entre les comics retournés de Gabriela Manzoni en moins mordant et l'absurdité d'un Fabcaro. C'est bourré de références (certaines doivent sans doute échapper au lecteur), mais jamais de façon pédante, toujours empreintes d'une certaine folie douce qui donne la main à une jolie poésie nostalgique pour ceux qui ont connu les grandes heures du roman-photo. Vu le genre proposé, on pourra être tenté par une première lecture rapide ( comme pour une BD simple ou donc un roman-photo...), qui sera de toute évidence un peu superficielle. Lors d'une relecture plus attentive, on découvrira tout le sel, toute la malice de cette création et tout l'amour que porte Clémentine Mélois à notre langue française, jouant avec tous ses niveaux de langage et la confrontant à des images pour le moins piquantes, ringardisées à l'extrême. 

Toutefois, les amateurs de grosses rigolades faciles seront à la peine, nous sommes ici dans le feutré d'amoureux de la syntaxe. On peut aimer, adorer ou peut être rester à la marge si on ne décrypte pas tous les codes employés. En tous les cas, une curiosité vivifiante et originale. 




jeudi 4 mars 2021

Journal sexuel d'un jeune garçon d'aujourd'hui de Arthur Dreyfus ( préambule)

 

Aujourd'hui sort le nouveau d'Arthur Dreyfus et, rassurez-vous, je n'ai pas encore lu les 2304 pages ( non il n'y a pas d'erreur, c'est bien 2304 pages!) de l'ouvrage. Il est simplement posé là, attendant que je prenne. Peut être avez-vous lu ou entendu ici ou là, quelques commentaires ou interviews de ou sur l'auteur, que son gros engin littéraire suscite. L'auteur, dans les médias qui bandent pour son livre, essaie de dynamiter les commentaires peut être moqueurs ( "Ouais, il fait toujours son intéressant !"), peut être haineux ( " Ces homos nous gonflent" ), en présentant ces quelques années de vie comme un voyage précis, littéraire, intime ( je résume bien sûr). Rien que dans son prologue, il donne le ton: 

"Pendant plusieurs années je me suis épuisé à écrire et à baiser. 

Chaque minute de plaisir entraînait des heures de travail. "

Et le prologue se termine par ceci : 

"Le journal qui suit raconte cette aventure née dans mon ventre, vécue contre mon sexe, observée par mon corps, et fixée avec mes doigts sur le clavier. "

On pourra dire que c'est narcissique, nombriliste... Peut être, ... La réponse ne pourra venir qu'après lecture. 

Justement, parlons-en de cette lecture, dont, vu la taille de la bête, grosse, trapue, lourde, le compte-rendu sera livré ici par épisodes....disons toutes les 300/330 pages ( c'est l'avantage du journal, il peut se prendre et ensuite être abandonné pour effeuiller d'autres ouvrages). 

Pour vous donner une petite idée de la taille du Arthur Dreyfus, je lui ai fait rencontrer un collègue de rayon ( qui plaît beaucoup). Ca donne ça : 



Avouez qu'il y a de quoi combler tout lecteur en recherche de gros calibres ( livresque bien sûr, ...). 

On me dira que le gros calibre ne fait pas le bon livre. C'est vrai...mais tant qu'on n'y a pas goûté comment savoir ? 

Si vous lisez cette (pré)chronique, vous devez vous demander pourquoi je m'inflige, m'oblige, me jette sur ce "Journal sexuel d'un garçon d'aujourd'hui". Ben, c'est simple, pour le sexe. Je veux du cul, de la bite, de ... Non, pas tout à fait... Si vous naviguez dans ce blog, vous verrez que depuis longtemps je lis Arthur Dreyfus, que j'apprécie en général ses romans, que je lui trouve un sacré talent et un sacré culot. Et ne venez pas me dire que c'est quelque part de la connivence, que je l'ai rencontré... et tout le toutim... D'abord, il ne drague et n'use que des jeunes gens et ensuite, surtout, c'est toujours un vrai plaisir de lire un écrivain jeune trentenaire qui ose et fait feu de tout bois. 

Et s'il fallait avoir une dernière justification, ce livre se veut une oeuvre de salubrité publique dont la dernière phrase à la page 2304 résume le but de tout ça : " Il faut en finir avec le malheur d'être gay". 

Rendez-vous dans quelques jours pour la suite de cette aventure littéraire ( on a les aventures qu'on peut). 

mercredi 3 mars 2021

Grand Platinum de Anthony van den Bossche

 


On pourrait penser que "Grand platinum" aborde un thème original : la carpe ! ...sauf pour les lecteurs de Didier Decoin qui dans "Le bureau des jardins et des étangs" en 2017 qui narrait la livraison du même poisson par une jeune femme dans le Japon du 12ème siècle. Ok, la carpe était un prétexte à un voyage poétique mais on abordait quand même la fascination qu'exerce cet animal au pays du soleil levant et les transactions que cela génère auprès des collectionneurs. 

Ici, nous sommes à Paris, l'année où Notre-Dame a brûlé. L'héroïne hérite de carpes Koï ( de collection donc) que son père avait disséminé dans diverses étendues d'eau de la capitale. Ce legs original, devra être, suite à quelques péripéties diverses, rassemblé pour.... oui ...pour quoi ?  Lecteur non féru de pisciculture ( même de haut vol....car ces carpes se vendent au prix d'une voiture !), le but final m'est resté flou, ne voyant pas en quoi les déplacer changerait le problème initial. 

Ce roman, malgré son nombre pas très important de pages ( 157), ne s'intéresse pas uniquement à une espèce de poissons admirables mais aime aussi nous balader dans le monde du design et dans la vie personnelle et intime de son héroïne. On croisera d'autres gros poissons, à Milan des créateurs de mobiliers stars ( beaucoup moins sots que les mêmes stars du monde du cinéma dixit l'auteur), à Paris un designer totalement allumé et dans l'appartement de l'héroïne  un gros gode ceinture. Et c'est peut être là que vient la relative indifférence avec laquelle on parcourt "Grand Platinum". Si le lecteur qui aime apprendre des choses, pourra briller dans un dîner en ville en parlant de senbatsu ( sélection d'alevins) ou de Tancho ( variété de carpe blanche avec un seul rond rouge ....comme le drapeau japonais ), celui plus épris de bonne histoire verra assez vite la faiblesse de personnages, nombreux et guère travaillés , et une intrigue assez disparate, mêlant des univers antinomiques que l'auteur se contente de juxtaposer. Quant au sort de ces carpes, malgré un final genre "Mission impossible " en version pisciculture, et leur poétique toute asiatique, on ne se sent guère concerné...


Carpe Koï ( "Tancho")

mardi 2 mars 2021

Coup de blues dans la chanson française

 

"Dilemme" You and The Yakusa

Ca avait débuté il y a un an avec l'arrivée du COVID. Lou and the Yakusa sortait son titre "Dilemne" et son refrain entêtant : 

Seule, seule, seule

Si je pouvais je vivrai seule 

Loin des problèmes et des dilemmes , na nananana

Il faut croire que cette arrivée triomphale sur la scène de la chanson française a inspiré, non pas un mouvement musical, mais une thématique plus souterraine qui, amplifié par les différents confinements, resurgit dans les nouveautés de ce début d'année. Le manque de lien social, le repli sur soi-même, les couples qui explosent, la dépression qui gagne du terrain figurent dans beaucoup de chansons  de ce début d'année. 

Commençons par la nouvelle la plus triste : Thérapie Taxi, c'est fini...ils se séparent ( le confinement ? ) et vont vraisemblablement entamer une carrière solo. Pour marquer cette rupture, un titre, en partance pour être un des tubes du moment ( générique de l'émission "Quotidien" depuis des semaines) : "Eté 90", moins trash que les précédentes compositions du groupe, annonce cependant clairement la couleur et figure dans un EP au titre tout aussi explicite : "Rupture 2 merde". Seuls...enfin séparés,  ils poursuivront leur route...



Autre victime du confinement, François-Henri, le chanteur en sous-pull et dont le style lorgne vers un revival de Michel Berger. Lui, être confiné lui a plu et nous propose ce titre "Parler à personne", ( clin d'oeil au premier tube Véronique Sanson Besoin de personne ? ). On ne peut que lui souhaiter la même entrée en fanfare dans le métier...


Le confinement a eu du bon pour la création ...en solitaire.... beaucoup de piano voix, d'accompagnements simples ...et des prises de conscience . Eddy de Pretto, nous offre un deuxième titre de son futur album sortant dans un mois. Ici aussi, il chante une séparation... avec Caroline ....qu'il faut prendre dans le sens "cocaïne". Titre inspiré et remarquablement écrit, comme d'hab. C'est donc seul,  sans substance, ( on espère pour lui)  qu'il se produira dorénavant. 


Dans un autre genre, la mélancolie, la solitude infusent dans le titre pourtant pop et sautillant de la toujours délicieuse Clio qui nous offre un "Elle voudrait" qui embrasse parfaitement l'air du temps. Oui, on voudrait tous un " un super trampoline , un taxi vitamine " histoire de rebondir un peu dans cette période pas drôle. 


Terminons avec un petit nouveau qui vient d'obtenir le prix "Fair" 2021 ( FAIR est le premier dispositif  en France qui aide au démarrage de carrières dans la chanson ) : Chien noir ( de son vrai nom Jean Grillet), auteur, compositeur et interprète, propose depuis quelques mois des titres accrocheurs. Cette semaine, paraît " Histoire vraie", titre piano/voix qui rentre dans la tête. Si le thème de la chanson n'évoque pas forcément la solitude ambiante, son ( très beau) clip lui, place le chanteur dans une immensité urbaine très parlante. Et nul doute que ses prochains concerts, il ne les fera seul, loin de là !








lundi 1 mars 2021

Un enterrement et quatre saisons de Nathalie Prince


 

Inutile de le cacher, il est ici question du travail de deuil après la mort d'un mari fort aimé. Mais ne fuyez pas tout de suite, ce témoignage ( non, ce n'est pas un roman) ne se vautre pas dans le pathos. La question du comment vivre après la disparition d'un grand amour, avance par des observations, des détails de la vie de tous les jours que beaucoup trouveraient un poil triviales mais qui, ici, forment un ensemble très vivant car Nathalie Prince ne manque pas d'humour. L'ouvrage est composé de chroniques variées, écrites au fil des quatre saisons suivant le décès de Christophe Prince. L'ensemble, assez disparate, fait passer le lecteur du chaud au froid, des larmes au rire voire à ... l'agacement. 

Le chaud est bien évidemment, l'amour que porte l'auteure à son défunt mari, amour qui vit toujours en elle mais qui ne l'empêche pas de continuer courageusement sa route, comme si c'était un carburant inépuisable. Les larmes, c'est surtout le premier chapitre, très joliment écrit, avec un côté mystérieux, qui se dévoile peu à peu pour dire en quelques phrases très justes l'amour et la mort mêlés une dernière fois. 

L'humour, c'est ce regard que porte Nathalie Prince notamment sur ses obligations de l'après. La préparation de la messe d'enterrement avec un couple de laïques nimbés d'évangiles est un régal, les courriers avec la mairie de son lieu d'habitation concernant la tombe un peu originale ( et son regard sur les cimetières) sont une friandise qu'on déguste. Cependant, plus loin, on sera assez gêné par la cruauté assez gratuite des portraits de fonctionnaires qu'elle croise et à qui elle invente des vies vraiment minables, alors qu'elle, en intello prof, elle a une vie pleine de culture ( qui s'étale un peu dans le livre) , d'enfants formidables et d'un parcours enviable. Je reconnais que toute personne ayant une fois dans sa vie surfé sur le portail ANTS pour vendre une voiture, peut éprouver de la haine pour ce système kafkaïen mis en place par les informaticiens de Bercy, mais pourquoi autant de haine envers les quelques fonctionnaires de préfecture ou des impôts ayant réchappé aux réductions d'effectifs qui, hélas, n'y peuvent rien ? Même mépris ( de classe ?) pour une psy, un greffier, une prof ( une collègue donc), voire une copine de longue date, le deuil aveugle parfois ou rend mauvais ( ou alors je n'ai pas saisi l'humour). 

On peut s'interroger si cet agacement n'est pas induit à la lecture à cause des prénoms des enfants ( de l'auteur ou de ceux qu'ils fréquentent). Je  ne sais si ce sont les vrais prénoms ou s'ils ont été choisis en hommage aux sketches de Sylvie Joly ( "La bourgeoise" avec ses enfants "détendus, intelligents et équilibrés" ) ou de Florence Foresti ( "La maman zen"), mais on sourit en croisant Ambroise, Armance, Adélie, Anselme et Marie-Capucine, très connotés "bobos" et qui, finalement, vont bien avec ce regard un peu hautain décrit plus haut. 

Le livre, composé donc de chroniques que l'on peut qualifier d'honnêtes, une qualité de nos jours, se lit finalement sans déplaisir (libre au lecteur d'apprécier ou pas certaines saillies, mais au moins Nathalie Prince ose.), car si"Un enterrement et quatre saisons", moins nombriliste qu'il n'y paraît et vraiment stimulant, est un témoignage vif sur le travail de deuil, il restera surtout comme le portrait en creux d'une certaine bourgeoisie intellectuelle, montrée ici sans fard et sans complexe.