mercredi 27 novembre 2013

The immigrant de James Gray


James Gray semble avoir le ticket avec la presse française, moins avec les festivals ou son pays natal qui le boudent ostensiblement. Jusqu'à présent, je n'avais pas été non plus été très emballé par ses précédentes oeuvres... J'ai pensé qu'en se dirigeant vers le mélo, il allait transcender le genre et du coup, armé d'un paquet de mouchoirs en papier, j'ai pris mon ticket pour New-York années 20....
A l'arrivée du bateau, au milieu d'une cohorte d'immigrants, la caméra s'arrête sur deux pauvres polonaises, la mine grave, la tenue austère, avançant la mine angoissée vers un ailleurs prometteur. Hélas, l'une se fera mettre en quarantaine pour cause de tuberculose et l'autre dirigée vers la file "expulsion immédiate". Elle, c'est Ewa, aux airs de mater dolorosa, qui suinte l'ennui, la tristesse et la droiture. Ewa, c'est Marion Cotillard, les yeux cernés de marron par une maquilleuse sadique, qui pense qu'ainsi elle fera harassée et au bord du suicide. Raté ! Elle est remarquée par un maquereau de bas étage (Joaquin Phoenix, pour le moment très bien parce que sobre) qui, sûrement par son oeil exercé à repérer les filles qui feront de bonnes gagneuses, la prend sous son aîle et la ramène chez elle. Pour le remercier, Ewa/Marion lui gratifie de sa nouvelle expression étudiée spécialement pour le mélo : je baisse les yeux, je grimace légérement des lèvres et je pleure.
Le proxénète travaille dans un cabaret où les filles dansent un peu dénudées, histoire de faire saliver le client avant de leur proposer des services plus personnels. Bien que toujours la mine sombre, peu souriante, Ewa/Marion, accepte de danser puis de se prostituer afin de réunir un max de fric pour libérer sa soeur. La première fois qu'elle monte sur scène en statue de la liberté, elle baisse les yeux, grimace des lèvres et pleure un peu. Visiblement, malgré son allure rigide et ses airs revêches, Ewa/Marion fait exploser le compteur grâce, sans doute, à ses talents multiples, ce qui est étonnant car elle ne desserre pas les lèvres du film et a un air de bigotte sortant de la messe et n'ayant qu'une envie, celle d'y retourner. 
Mais l'amour la surprend. Au détour d'un cabaret, elle rencontre un magicien, Orlando, beau et gentil, cousin du maquereau, qu'elle séduit en baissant les yeux, frémissant des lèvres et en versant....Stop Marion, pas là, c'est du bonheur !!! De toutes les façons tu ne vas y arriver, on a pas prévu le menthol pour cette scène !
Comme les deux hommes se détestent, il va y avoir un peu d'action, la jalousie étant un super rebondissement dans les mélos et l'occasion pour la vingtième fois de faire souffrir Ewa/Marion , de lui faire baisser les lèvres , grimacer légèrement du nez  et...non, ça Marion Cotillard ne sait pas le faire !
Donc, on plonge dans la violence et du coup Joaquin Phoenix qui en avait surement marre de se faire éclipser par notre star nationale, sort son grand jeu outrancier et roule des yeux, met sa bouche de travers et gueule.  
Je ne dis pas comment ça se finit, mais Ewa/Marion baisse les yeux, grimace légèrement....bon, on a compris !
Vous avez compris également que je n'ai pas été vraiment emballé par tout ça. Pourtant la photographie est magnifique, il y a des plans de toute beauté mais le scénario doublé d'un casting ou d'une direction d'acteur un peu étrange, font qu'on n'y croit pas une seconde. En plus rien n'est fait non plus pour susciter l'émotion. Marion Cotillard est tout en jeu intérieur, glaciale et baisse les yeux, grimace..., bref n'a qu'une expression (Il lui arrive ailleurs, d'en avoir plus...). On ne l'imagine pas une seconde vendre son corps car elle n'est vraiment pas attirante...Jeremy Renner en Orlando porte mal la moustache et semble se demander ce qu'il fait là. Et puis, tout cela est assez lent sans que cela apporte une once de profondeur, juste peut être ce léger sentiment d'ennui qui différencie le mélo d'auteur du vulgaire téléfilm. Et ce n'est pas cette imagerie sulpicienne du péché et de la rédemption, cette symbolique religieuse  qui m'ont rendu le film sympathique. 
Injustement oublié à Cannes ? Non, jugé pour sa valeur plutôt que par l'aura de son producteur, Vincent Maraval, faiseur de pluie et de beau temps du cinéma français (et ceci explique peut être cela).



mardi 26 novembre 2013

Romain et Augustin, un mariage pour tous de Thomas Cadène, Didier Garguilo et Joseph Falzon


Réactif à l'actualité et observateur du monde d'aujourd'hui (voir "Les autres gens" sa série fétiche), Thomas Cadène (au scénario) associé à Didier Garguilo et joseph Falzon ( au dessin), nous proposent une histoire de mariage entre hommes.
Ma première réaction fut de douter du projet. Auraient-ils le recul nécessaire pour nous trousser une histoire digne d'intérêt ? Le temps de fignoler un album à la hauteur du sujet sans tomber dans le déjà vu ou lu ailleurs ? Le doute était permis puisqu'il a déjà eu droit à une publication estivale sur le site web du Nouvel obs. "Romain et Augustin" bénéficie toutefois d'un à priori favorable car publié dans l'excellente collection Mirages de chez Delcourt. Après lecture, je dirai que c'est globalement réussi avec toutefois quelques bémols...
Romain a une trentaine d'années, beau gosse, gay donc et, après une rupture douloureuse d'avec Kader, rencontre Augustin, beau mâle plus jeune t un peu à la dérive. Tous les deux issus de parents maintenant séparés, ils vont s'aimer et retrouver goût à la vie. Les deux amants vivent dans un appartement situé juste au-dessus de celui de la mère d'Augustin, catholique pratiquante, acceptant très mal l'homosexualité de son fils. Romain lui, n'a guère de rapports avec ses parents mais est proche de sa soeur Mathilde. La vie est simple. Chacun a un boulot. Augustin est vendeur dans une boutique de fringues. Romain gagne très bien sa vie en tant que financier et vote UMP. Et puis, un jour, loi nouvelle aidant, autant par défi que par envie, ils décident de se marier...
A partir de cette base, on voit bien tout ce qu'un scénariste va tirer de cette situation. Les protagonistes sont en place pour une histoire où tous les points de vue vont pouvoir s'affronter. C'est ce qu'il se passe. Ca démarre mollement, scolairement même, presque au bord du cliché. Mais Thomas Cadène complexifie la narration et la lecture en intégrant une histoire parallèle à l'intrigue principale, illustrée par un autre dessinateur mais avec les mêmes personnages (c'est un peu sa spécialité) : un cousin va filmer tous les membres des deux familles des futurs époux en les faisant réagir sur cette union.
Cette partie, nommée intermède, au graphisme radicalement différent et en noir et blanc, déroute tout d'abord. On a du mal à retrouver qui est qui et les nombreux dialogues, dont une voix off, rendent tout cela un peu touffu. Puis, petit à petit, elle prend toute son ampleur, car c'est là qu'a lieu le débat et que toutes les idées et les points de vue sont développés. Alors que l'histoire principale ronronne un peu trop gentiment, on admire la clarté et la teneur des échanges de ces intermèdes.
Au final, on obtient un album assez pédagogique et somme toute intéressant, ayant le mérite de prendre à bras le corps ce sujet de socièté, hélas toujours d'actualité. Véritable plaidoyer pour le mariage pour tous et le droit à l'indifférence, "Romain et Augustin" a l'intelligence d ene pas juger les adversaires conservateurs et de leur donner la parole. On pourra regretter un manque de folie dans une trame un tantinet prévisible. Mais dans l'univers très macho et fortement hétéro de la BD, cet album est une bonne surprise qui mérite vraiment le détour.




Le même personnage (Augustin) vu par les deux dessinateurs.


lundi 25 novembre 2013

Les amants parallèles de Vincent Delerm


Je suis la personne la plus mal placée pour vous dire tout le bien que je pense du nouvel album de Vincent Delerm. Je ne pourrai pas être objectif, je suis un fan absolu du chanteur. J'ai tous ses disques (même celui enregistré en ouzbek et acheté une fortune à un mafieux russe), vu tous ses spectacles dans un état proche de l'extase et usé tous ces CD et DVD à force de passages intenses les soirs de déprime, Delerm étant pour moi un substitut au Prozac. 
Depuis dimanche soir (oui, I tunes l'avait déjà mis en vente quelques heures avant sa sortie officielle, le fan que je suis ayant passé sa soirée le nez collé sur l'écran de l'ordinateur à guetter le moment où le curseur "précommander" allait passer à "acheter".),casque collé aux oreilles , je m'imprègne de ces "amants parallèles". 
Que dire qui n'a pas été dit ailleurs  ( Vous aurez remarqué qu"après la semaine Daho, c'est maintenant la semaine Delerm dans les médias ) ? Oui, c'est très cinématographique, très littéraire aussi. Les chansons, parfois parlées, jouées même, (Ah la belle voix de Rosemary Standley du groupe Moriarty!) racontent une histoire d"amour de la rencontre jusqu'à la séparation. C'est intime mais pudique. Un sentiment d'universalité enveloppent ces paroles remarquablement écrites. Les mélodies sont très "Delerm" et rappellent les compositions douces ou nostalgiques de ces précédents albums. Nous sommes en terrain connu mais avec du nouveau. La voix, toujours bien reconnaissable, est maintenant plus posée, plus professionnelle, plus douce aussi. Les textes sont toujours tournés vers ces petits moments de vie, délicats et simples, mais ont été quasi expurgés de ce name dropping qui a fait sa renommée ainsi que de cet humour gentiment moqueur. Mais ce qui donne à l'ensemble un charme fou, c'est l'emballage musical. Les percussions, les cordes, les basses sont issues uniquement de pianos, certains étant ce qu'on appelle "préparés". Cela donne des sonorités à la fois planantes et mécaniques, comme un mix de Yann Tiersen et du Chapelier fou. 
Je suis tellement emballé par le disque, que cet après-midi, j'ai tenté une expérience extrême : le faire écouter à un ami qui a horreur de Vincent Delerm (oui, Delerm agace pas mal de monde), vous savez ce genre de personne qui n'écoute que du rock pointu, issu des bas fonds de Liverpool ou de Toronto. Bon, évidemment, il a fallu que je négocie et que je lui procure, en remerciement, un inédit tiré en 8 exemplaires du groupe " White Denim" (Ah bon, vous connaissez ?!) pour qu'il daigne garder plus de vingt minutes les écouteurs sur les oreilles. 
Quand il a fini par jeter le casque à terre, j'ai demandé plein d'entrain :
-Alors ? 
- Ben dis donc, je vais pas avoir la pêche après ça ! 
- C'est bien non , allez, avoue, c'est bien fichu !?
- Ouais, c'est mignon... ça doit pas être mal, en fond, pendant un rendez-vous câlin.!!
 Ce n'est pas gagné mais j'ai noté un tout petit intérêt, donc la réussite de cet album concept semble à portée d'oreille. 
C'est sûr que ce disque ne va pas ramener des foules de fans à Vincent Delerm mais il va peut être gagner en considération auprès de quelques uns pour peu qu'ils aient la curiosité de tendre un peu l'oreille. Pour les déjà convaincus du talent de l'artiste, ce n'est que bonheur. Pour moi, le printemps est déjà là !

dimanche 24 novembre 2013

Une vie de petits fours de Sébastien Marnier


Dans un monde où on lit de moins en moins, où tout doit aller aussi vite qu'une connexion internet, où un quotidien doit être lu dans lorsque l'on arrive à sa station de tram ou de métro, la tentation du tout petit livre est grande pour les éditeurs. Cette rentrée un roman (?!!) de 65 pages a obtenu le prix Décembre (La réforme de l'opéra de Pékin de Maël Renouard) et les éditions Lattès lancent une collection tout petit format alliant "littérature et politique" au prix modique de 4 euros !
Deux titres ont paru en octobre dont cette "vie de petits fours", formidable nouvelle de 70 pages. On sait bien qu'il faut pas mal de talent pour écrire court et efficace. Réussir cet exercice n'est pas donné à tout le monde. Sébastien Marnier, en peu de pages, arrive à nous accrocher avec une histoire d'élection municipale. Après une description décapante des militants du maire UMP actuel, le texte s'attache aux dernières heures d'un candidat sans étiquette qui espère bien que sa campagne mi écolo mi novatrice va le porter jusqu'à la mairie. Théophane Tolbiac (c'est le nom de ce drôle de candidat) possède un secret que lui a transmit sa grand-mère, femme solitaire et auteur à succès de romans policiers...
C'est un petit format que l'on lit d'une traite parce que l'on a envie de savoir la fin. C'est monté comme un suspens et en plus ça distille, au fil de phrases acérées ou intrigantes, une multitudes de détails d'une densité romanesque incroyable. En peu de mots, il brosse le portrait d'un personnage jusqu'à le rendre incroyablement complexe ou formidablement précis et présent.
Si vous avez un court trajet et que vous ne voulez pas vous encombrer d'un gros livre voire d'une liseuse ou tout simplement pour le plaisir de découvrir une bonne nouvelle (et pour pas cher), jetez-vous sur "Une vie de petits fours", squattez le buffet, il est excellent ! Et pour vous mettre l'eau à la bouche, voici quelques lignes : 
" Ce soir les femmes sont de sortie. Elles ont de l'esprit, une certaine éducation, une personnalité bien affirmée ;pourtant, lorsqu'elles sont au bras de leur époux, elles s'effacent. Elles sourient, elles gloussent et se glissent dans les habits d'une desperate houwife de circonstance comme des actrices en représentation. Sur scène, elles s'évaporent et deviennent de simples élégantes quand, dans la coulisse, elles font tourner le barnum... C'est un jeu de dupes  auquel elles s'adonnent avec une certaine jubilation mais, sous les bas couture, l'esprit d'entreprise  et de compétitivité se propage comme un poison vénéneux sur la première main baladeuse. Derrière les sourires, leur vie s'écrit comme un roman. "




vendredi 22 novembre 2013

Une année qui commence bien de Dominique Noguez


C'est par hasard que le fruit de mes recherches des rares nouveautés de ma médiathèque habituelle, m'a mis entre les mains un livre dont je ne savais quasiment rien et d'un auteur dont je n'avais lu aucun ouvrage, malgré un prix Fémina en 1997.
"Une année qui commence bien" de Dominique Noguez n'est pas un roman, mais le récit du début d'une passion pour un jeune homme. A l'époque, fin 1993, il n'était pas encore l'écrivain reconnu qu'il est aujourd'hui mais était bien introduit dans le milieu littéraire, passant d'un dîner avec Michel Houellebecq (lui aussi en voie de reconnaissance) à un colloque de la société des gens de Lettres avec Dominique Desanti. C'est lors d'une de ces conférences qu'il croise Cyril, jeune homme blond assorti d'une grande beauté, amateur de culture bien que banquier de son état (mais je ne doute pas  que la finance emploie aussi plein de gens cultivés, il faut bien se détendre entre deux transactions juteuses pour fonds de pension). Il sera immédiatement attiré, séduit par cet éphèbe  et va nouer avec lui une relation compliquée. Autant l'auteur est complètement amoureux de cet homme qu'il considère comme un cadeau inespéré de la vie, autant l'objet de son amour va jouer avec lui un jeu épuisant, se laissant approcher tout en se dérobant. Manipulateur, il jouera avec le coeur de Dominique Noguez, alternant le chaud et le froid (plus souvent le froid). Entre mensonges, perfidie, coups foireux et mauvaise foi, le beau Cyril obsédera l'auteur jusqu'à la souffrance. Obscur objet d'un désir rarement assouvi,  les contacts physiques seront rares, accordés avec parcimonie. Lorsque qu'enfin l'auteur touchera une épaule nue, puis caressera un torse, il en sera heureux et victorieux mais également extrêmement frustré.
"Une année qui commence bien " est le récit des premiers moments de cette passion cahotique et presque à sens unique. Consignée de façon précise, n'évitant aucun détail intime, aucune pensée, aucun désir,  ce n'est pourtant pas impudique, seulement touchant et passionnant. Ca ne ressemble en rien à un de ces romans autobiographiques secs et froids à la Christine Angot, ni à un déballage sexuel à la Catherine Millet , encore moins un texte âpre et hard à la Guillaume Dustan. C'est surtout un récit exigeant et aux multiples facettes. Pour moi, Dominique Noguez joue sur plusieurs tableaux :
Celui de la littérature tout d'abord. Son amour pour ce jeune homme rappelle bon nombre de romans classiques du 19ème. Malgré les voyages lointains, la modernité, l'homosexualité et des corps beaucoup plus libres, les affres et les tourments de la passion sont les mêmes que chez Stendhal ou Balzac.
Celui de l'introspection ensuite, car cette confession, vrai coming-out pour l'auteur, est l'occasion de s'interroger sur ce passage à l'acte pas si anodin pour quelqu'un d'assez secret jusque là quant à vie sexuelle. C'est courageux mais surtout touchant et sensible.
Celui, enfin, d'une description en creux du milieu littéraire parisien. Je ne suis pas certain que cela ait été une volonté de l'auteur, mais en tant que lecteur lambda, provincial et donc peu introduit dans ce microcosme, cette vie de dîners fins, voyages au bout du monde, nuits dans des hôtels de bon standing, de relations avec tout ce que la vie intellectuelle compte comme pointures, m'a semblé tout aussi précise et sans fards que le reste. Et vous verrez, ce n'est pas désagréable de se mouvoir à l'ombre des éditeurs et des lieux culturels....
Véritable plongée au coeur de l'intime, le récit de Dominique Noguez entraîne le lecteur à s'interroger sur la puissance de l'amour mais aussi sur la nécessité à exposer publiquement son intimité. Bien qu'il se décrive comme "pas immensément séduisant" physiquement, il n'a nul besoin de cet atout pour séduire le lecteur que j'ai été, sa culture, sa réflexion et sa grande sensibilité d'écrivain ont vraiment fait la différence ! 

jeudi 21 novembre 2013

Les garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne



Je sais, tout le monde adore "Les garçons et Guillaume, à table !", de la presse branchée à la presse populaire.  Le buzz est tel que le film a réalisé le meilleur démarrage en salle de l'année. L'énorme courant de sympathie dont bénéficie Guillaume Gallienne, relayé par de multiples articles et apparitions télévisées s'est donc révélé payant. Tant mieux, il est toujours bon qu'un film agglomère ainsi les spectateurs et c'est doublement réjouissant car son thème,  d'un garçon qui se prend pour une fille et dont tout le monde pense qu'il est homosexuel, ne partait pas pour attirer les foules (quoique les rieurs et les moqueurs, sont hélas fort nombreux). Malgré tout, je suis sorti un peu déçu de sa projection.
Entendons-nous bien, Guillaume Gallienne  est un formidable comédien, Frégoli irrésistible d'intelligence et d'humour. A l'écran, on oublie ses 40 ans et est totalement crédible en adolescent sans beaucoup d'autre artifice que son jeu impeccable. Evidemment, en mère bougonne et désagréable, il est irrésistible, et lance la vacherie comme personne. Effectivement, on rit souvent, les scènes cocasses se succèdent les unes aux autres, pas toujours réussies mais, il faut que je sois objectif, la drôlerie est au rendez-vous.
Le film aborde, de façon un peu légère, plusieurs thèmes intéressants comme la relation mère/fils, les problèmes d'image et de sa représentation archétypale dans l'esprit des gens et bien sûr d'homosexualité. Il ne manque pas non plus de références diverses comme des clins d'oeil à Almodovar (normal quand on parle de genre et de travestissement) ou de Jean Cocteau pour l'accentuation des défauts. Autant dire, l'ambition est bien plus énorme que la majeure partie des comédies que nous sert habituellement le cinéma hexagonal.
Cependant, là où pêche un peu le film, c'est qu'il a du mal à se démarquer du spectacle initial dont il est issu. Le mélange comédien sur scène racontant sa vie et cette suite de sketches, accompagnée parfois d'une voix off, donnent au film un rythme un peu ronronnant, soulignant un côté empesé, inutilement complexe.
Je chipoterai encore sur deux points : la fin lacrymale assez ratée et un peu surjouée, parce que peut être n'ai-je pas compris l'amour que le héros portait à cette mère pour moi épouvantable et le côté ambiguë de tout ça, flirtant par moment dans un comique bas de gamme, comme s'il voulait ratisser large, mettre les rieurs (ceux qui l'ont surement persécuté quand il était jeune) de son côté.
Mais dans le marasme actuel du cinéma français, sans être ni Billy Wilder, ni Blake Edwards, Guillaume Gallienne nous offre un premier film sympa et hilarant, sur un sujet que d'autres auraient porté vers le tragique mais dont le comédien a l'élégance de nous proposer dans sa vision légère et humoristique. La politesse des grands ?
PS du 23/12 : Voici un avis très pertinent sur ce film  à cette adresse : http://yannfrat.com/blog/?p=992. Le léger malaise que je n'arrivais pas à exprimer est là et bien là !


dimanche 17 novembre 2013

La tarte aux fées de Michaël Escoffier et Kris di Giacomo


C'est album est un régal et pas seulement parce que papa crapaud dragon a mitonné une superbe tarte aux limaces fées pour son fils adoré... Bon d'accord, le fiston crapaud dragon est à moitié dupe ou tout du moins à moitié convaincu par son plat et aussi par son existence de dragon. D'ailleurs, il va défier son père en lui demandant de voler comme le font tous les dragons. Celui-ci, futé, n'obtempérera que quand son rejeton aura terminé sa délicieuse tarte... qui sera engloutie en moins de deux... Et voilà papa crapaud dragon obligé de tenir sa promesse...
Non, ce n'est pas un livre culinaire, ni sur la gourmandise (encore que ...) mais une variation comique  et extraordinairement réussie sur le mensonge. A partir du moment où l'expression "tarte aux fées" est prononcée, cette histoire, qui partait comme une énième resucée des rapport enfant/père/nourriture, se transforme en un véritable festival de menteries, toute les pages devenant sujettes à caution, semant le  trouble chez le jeune lecteur et l'hilarité chez le parent qui lit ...jusqu'à l'ultime rebondissement qui n'est, lui aussi, que mystification.
Le texte, digne d'un grand dialoguiste de comédie, est accompagné par des illustrations hilarantes, quasi cartoonesques grâce à la gestuelle démonstrative des crapauds. Autant le dire tout de suite, il n'y a rien à jeter dans cette "tarte aux fées", c'est un plat de premier choix qui ne fera pas de reste ou plutôt si, qui restera longtemps au pied de lit de vos enfants car ceux-ci vous le réclameront un nombre incalculable de fois.
Ce petit bijou d'humour et d'invention est édité chez Frimousse, coûte 18 euros (un peu cher mais il y a ici ET qualité du texte et du dessin ET qualité de l'édition (beau papier et reliure cousue) et s'adresse à tous les enfants à partir de 4 ans.

samedi 16 novembre 2013

Gauguin, loin de la route de Maximilien Le Roy et Christophe Gaultier


Sous une couverture qui évoque d'emblée " le Douanier Rousseau" se cache un portrait des dernières années de la vie de Gauguin. Les auteurs parlent d'une variation. C'est bien vu car Gauguin a déjà inspiré en littérature moultes biographies ou évocations diverses et variées. Cette fois-ci notre guide se nomme Victor Segalen, médecin, ethnographe, grand curieux. Il débarque aux îles Marquises quelques mois après la mort du peintre dont la personnalité plutôt originale n'a eu aucun mal à de répandre d'îles en îles... Tout en suivant ses pérégrinations sur les traces de Gauguin, nous aurons, en flash-back, un aperçu des derniers mois de celui qui échangeait ses toiles pour quelques litres de vin. Anarchiste, refusant toute autorité, défendant les autochtones haut et fort, il est la cible de la justice qui cherche à clouer le bec à cet empêcheur de tourner en rond. Rongé par la maladie, entouré de vahinés dont il partage la couche, le peintre se dirige doucement vers la mort.
Avec des planches laissant la part belle au dessin, le portrait dressé est à la fois émouvant et réaliste. A vif à l'approche de la mort, Paul Gauguin y apparaît plus vrai, plus entier. Nous comprenons d'autant mieux son talent qui vient du rejet de quelconque influence artistique au profit d'une inspiration puisée dans son environnement immédiat, de ces îles et de ces femmes aux formes pleines. La beauté du dessin de Christophe Gaultier n'est pas sans rappeler parfois l'artiste mais, avec l'appui des couleurs de Marie Galopin, cet album reste une véritable création de très grande tenue. Et comme le scénario n'est pas en reste, vous obtenez un ouvrage extrêmement réussi qui montre, encore une fois, que la bande dessinée n'a rien à envier à la littérature générale et qu'elle mérite bien l'appellation de 9 ème art.



Livre lu dans le cadre de masse critique du site BABELIO


vendredi 15 novembre 2013

La Vénus à la fourrure de Roman Polanski


Est-ce une question de forme, de moment ou de film ? Je ne sais, mais "La Vénus à la fourrure" est ce genre de film que l'on regarde  placide sans que jamais on plonge dans quelconque enthousiasme ni énervement. C'est à la fois du cinéma un peu pèpère, pas trop mal fichu mais jamais emballant.
Pourtant Emmanuelle Seigner habillée en pute sado auraient dû activer mon oeil de spectateur. Malgré l'attrait de ses appâts débordant de sa tenue moulante en cuir, son jeu hésitant entre vulgarité et domination ne m'a guère électrisé, même si parfois, le trouble passe entre deux moments surjoués. De l'actrice de bas étage voulant à tout prix un rôle dans une pièce à la dominatrice exerçant son pouvoir et sa séduction sur un homme, l'épouse du réalisateur occupe l'écran sans jamais convaincre tout à fait. Face à elle, Mathieu Amalric, qui, tel un caméléon, prend presque l'apparence de Roman Polanski, passe très rapidement de l'auteur/metteur en scène bougon et intransigeant au pauvre mec prêt à toutes les humiliations devant cette poupée hystérique aux agissements mystérieux. Le mâle dominant qu'il est au  départ arrive à se féminiser avec aisance et même, dans un plan, à avoir plus de seins qu'Emmanuelle Seigner ! Ceci dit malgré tout le talent de l'acteur, je ne suis pas arrivé à y croire vraiment.
L'intérêt de ce film est à chercher dans la mise en scène de ce qui est en fait du théâtre filmé. Là, on peut dire que c'est plus réussi que dans "Carnage" voilà deux ans, le réalisateur faisant preuve d'un indéniable savoir-faire. Le savant mélange de la pièce inspirée du roman de Sader-Masoch et de l'intrigue contemporaine, que l'on peut sans doute considérer comme brillant, m'a par contre laissé un peu de marbre. Peut être ne suis-je pas assez sensible aux jeux masochistes, ne jubilant pas facilement devant une maîtresse femme mâchonnant son chewing-gum, ne craquant pas devant les harnachements en cuir et autres bottes noires. Evidemment, Roman Polanski, lui, joue pas mal avec son passé, ses films cultes dont on perçoit un clin d'oeil ici ou là, mais tout cela m'a paru un rien artificiel, l'arsenal déployé manquant singulièrement de légèreté. C'est certes filmé avec brio et énergie mais tout cela m'a paru un peu vain et sans grand intérêt.
Entre huis-clos de luxe avec pouffe et séance de thérapie sauvage, "La Vénus à la fourrure" est un peu trop sage pour réveiller le spectateur et pas assez sérieux pour que l'on puisse y croire. c'est en fait le masochisme de bon aloi, formaté pour le dimanche soir sur TF1.


mardi 12 novembre 2013

Chambre 2 de Julie Bonnie



Béatrice est auxiliaire puéricultrice dans une maternité. Au fil de ses visites dans le service, nous découvrons avec elle, derrière chacune des portes de chambre qu'elle ouvre, une femme, avec son histoire d'enfantement, ses doutes, ses douleurs, ses angoisses. On rencontre aussi les autres membres du personnel médical, pour la plupart très professionnels, trop sans doute. Une fois chaque porte refermée, Béatrice revient sur son passé, sa vie d'avant l'hôpital, celle du spectacle, de sa vie de liberté à l'époque où elle dansait nu au son du violon du père de ses enfants.
Ce premier roman qui obtenu le prix FNAC 2013 a le mérite de brasser de nombreux thèmes en rapport avec le féminin, le corps des femmes, la procréation, sans jamais tomber, bien au contraire, dans le consensus mou. Pas de discours béni oui oui, sur les beautés et les joies de l'accouchement. Ici, c'est vrai, violent, cru, sanguinolent, douloureux, jouissif parfois, pour ce qui est sans conteste un moment fort dans la vie d'une femme (d'un homme aussi bien sûr, mais pas sur le même niveau). Etre mère n'est pas évident, bien moins joli que veulent bien le montrer tous les guides des futures mamans, et surtout une épreuve semée d'embûches psychologiques. Julie Bonnie met le doigt où ça fait mal. Le regard courroucé des soignants sur les mères qui, malgré les diktats actuels, refusent l'allaitement maternel. Celles qui cèdent aux injonctions bien pensantes et qui, faute d'une réelle envie de nourriture au sein, ratent ces premiers moments avec leur bébé. Les autres qui ont peur de mal faire et que le syndrome de la mauvaise mère guette derrière chaque geste comme si la mère parfaite existait ! Et les enfants morts-nés, et les fausses couches... Mais il y a aussi, heureusement,  les moments merveilleux, doux et tendres même si parfois noyés dans une réalité qui a autre chose à faire que de poupougner des bébés. Le tableau ne serait pas complet s'il n'y avait pas, en plus, un portrait cinglant du travail en maternité, du stress quotidien à côtoyer la vie, la mort, la suffisance des médecins, de la solidarité de moins en moins présente dans des équipes surmenées à qui on demande d'en faire toujours plus !
Tous ces moments dans le livre sont formidablement bien rendus et touchent le lecteur grâce à une écriture simple et précise. Par contre, j'ai été moins convaincu par le récit du passé de l'héroïne, de sa vie assez marginale de stripteaseuse.  Le passage de la femme spectacle au corps nu qu'elle exhibait avec plaisir à cette puéricultrice qui s'enfonce de plus en plus dans la dépression, offre un contraste fortement symbolique. Mais, alors que l'écriture précise et sincère fonctionne bien dans la partie "maternité", ces mêmes phrases ont peiné à me restituer le sentiment de liberté et de relatif bonheur dans la partie " saltimbanque".
Cependant "Chambre 2" est un livre prenant, incisif, original qui ne laissera personne indifférent. Un premier roman que la Fnac a eu raison de mettre en avant parce qu'assez singulier dans sa démarche à contre courant. Un livre qui dérange un peu, qui bouscule les idées préconçues mais qui sait aussi rester très humain et dont la sensibilité à fleur de peau touche indéniablement le lecteur.

lundi 11 novembre 2013

Fanfulla d'Hugo Pratt et Milo Milani



Les éditions "Rue de Sèvres" rééditent une histoire peu connue du grand Hugo Pratt, élaborée avant qu'il ne devienne le créateur ultra reconnu de Corto Maltese. Travaillant à l'époque dans une revue de bande dessinée pour enfants ( Corriere dei piccoli ), il mit en scène ce "Fanfulla", héros belliqueux, amateur de vin, vivant dans une Italie du 16ème siècle ravagée par des guerres intestines. Nous le suivrons dans une sombre histoire de trahison au coeur de la ville de Florence.
Pas spécialiste d'Hugo Pratt, ni tout à fait  admirateur de son célèbre trait,  même pas fanatique de Corto Maltese dont j'ai pourtant suivi dans mes jeunes années les aventures quand il était publié dans Pif gadget, j'ai donc eu un oeil neutre en lisant cet album. Ma première impression est que j'ai trouvé cela très daté, vieillot. J'ai eu l'impression de retombé dans les Spirou des années 60, dans ces histoires où le contexte historique sert uniquement de toile de fond à des aventures toujours identiques, mettant en avant la force et la ruse d'un héros au caractère bien trempé. "Fanfulla" ne déroge pas à la règle. Ma deuxième impression, est la même que celle que j'ai eu il y a  plus de quarante ans quand j'ai découvert Hugo Pratt. Si l'originalité de son trait est évidente, j'ai beaucoup de mal à entrer dans son univers où le décors est quasiment absent, seulement symbolisé par deux ou trois détails ou objets. On me rétorquera, avec raison, que c'est cela qui donne sa force à l'oeuvre, cette facilité à la rendre universelle et si philosophique, mais je n'y peux rien, mon adhésion est difficile... Il y a des chef-d'oeuvres qui ne me parlent pas.
"Fanfulla" possède effectivement tous les prémices de l'oeuvre qui suivra : jeu de traits noirs plus ou moins appuyés, soulignés par de grands aplats sombres, fond à peine ébauchés, et cela ravira tous les fans d'Hugo Pratt. Nous sommes quand même loin de l'épure si attirante des aventures de Corto Maltese, car ici, le style hésite encore entre la bande dessinée traditionnelle de l'époque et celui si particulier qu'il sera plus tard. Je suis donc resté sur ma faim, trouvant même que cette présentation grand format mettait pas mal en avant les hésitations stylistiques de l'auteur. Cependant, j'ai admiré la qualité de l'édition, du papier, le format à l'italienne, la mise en couleurs avec des aquarelles pas trop envahissantes, sa présentation façon coffret.
Bel objet, bel hommage, belle édition, mais uniquement réservé aux aficionados du créateur de Corto Maltese, les autres trouveront qu'en cinquante ans, la bande dessinée a bien progressé tant au niveau de la narration que de l'ambition littéraire, voire même du dessin...


dimanche 10 novembre 2013

La réforme de l'opéra de Pékin de Maël Renouard



Les jurés du prix Décembre sont des gens plein d'humour. Pour contrebalancer le lauréat du prix Renaudot (Yann Moix pour "Naissance" et ses 1152 pages, le plus gros roman de cette rentrée littéraire), ils ont décidé d'attribuer les 30 000 euros de leur prix à "La réforme de l'opéra de pékin", le roman le plus court de cette saison, 65 pages, écrites caractère 28 et avec de grandes marges, soit approximativement un euro le caractère imprimé ! Joli rapport euro/écriture ! Pas sûr que Yann Moix atteigne avec le même niveau avec le total de ses ventes !
Si mathématiquement le compte est bon, qu'en est-il pour l'appréciation générale de ce texte qui suscite un tel enthousiasme de la part du Paris littéraire qui brille et qui pétille ?
Je dois avouer, que ce roman (heu, nouvelle peut être ?) ne m'a guère transporté. Un vieux chinois, ancien prof de littérature, s'était vu confier durant la révolution culturelle, la composition de nouveaux opéras dont les livrets excluraient, princesses, empereurs et damoiseaux pour laisser la place aux ouvriers, soldats et autres  paysans valeureux, piliers de cette société nouvelle. Une fois, cette période révolue, ces opéras furent relégués dans l'oubli jusqu'à ce que, vieillissant et au bord de la mort, l'ancien professeur découvre avec bonheur que l'effet conjugué de la nostalgie et de la mode les remette en avant.
Le sujet possède indéniablement une jolie portée symbolique. Cependant, l'écriture très froide et à la précision historique minutieuse gomme la majeure partie de l'émotion qui aurait pu s'en dégager, lui donnant un côté un peu raide.  Sûrement l'auteur a-t-il eu un peu de mal à se débarrasser de la raideur obligée de ses travaux universitaires mais surtout des discours qu'il écrivait pour François Fillon lorsqu'il était premier ministre. Cette nouvelle (ah, pardon, roman!) ne m'a donc pas totalement convaincu. Mais félicitons tout de même Maël Renouard qui a des chances d'entrer dans le livre Guinness des records avec ce prix.... Je n'en dirai pas plus, sinon je risque de faire plus long que le livre !

samedi 9 novembre 2013

Jeune fille en Dior d'Annie Goetzinger



En tant que lecteur inconditionnel de "Elle" (oui, il n'y a pas que des lectrices pour ce magazine léger) et passionné de mode, je ne pouvais qu'être attiré par cette "jeune fille en Dior".  Une couverture splendide, sobre et chic, une édition classieuse avec une reliure toilée, Annie Goetzinger, dont l'excellent "Demoiselle de la Légion d'Honneur" est toujours en mémoire, au dessin (mais aussi au scénario)... tout semble être réuni pour que cet album soit un délice ... 
A l'arrivée, hélas, les promesses de l'emballage ne sont pas tenues. C'est à la fois une évocation de la vie de Christian Dior que l'on retrouve au moment de l'ouverture de sa maison de couture en 1947 et de la présentation de sa fameuse collection qui allait lancer le "New look" mais aussi, l'histoire d'une jeune fille pauvre, mais jolie, qui deviendra l'un des mannequins vedettes du couturier. 
L'histoire n'est pas bien originale, gentillette, voire même un peu mièvre. C'est pour la énième fois  la bergère qui épouse un prince. La vie du couturier n'est qu'esquissée. Les coulisses d'une maison de couture sont gentiment évoquées mais de façon un peu pédagogique. Ne reste que le bonheur évident qu'a eu Annie Goetzinger à dessiner tous les somptueux modèles Dior, qu'elle prend plaisir à représenter souvent en pleines pages et qui est un régal pour les yeux. Comme tout est beau dans le plus joli des mondes, des couleurs pastels accompagnent ce qui devient une ode à la maison Dior, où tout est luxe, calme et... volupté ?  Non pas volupté ou alors toucher un organza, caresser un crêpe de Chine ou un taffetas, sont les uniques manifestations d'une sensualité assez absente de cet album. 
Il faut noter par ailleurs, ce qui m'a semblé le plus réussi dans cette "Jeune fille en Dior", la préface ! Signée Anna Gavalda, elle est à la fois très joliment troussée et, comme il se doit, dithyrambique envers l'auteur, son admiration lui venant de ses oeuvres passées...  Mais là où notre écrivaine à succès fait fort, c'est en dévoilant qu'elle n'a pas lu l'album en question, et se tire de ce mauvais pas par une pirouette dont elle a le secret.
Du coup, je me demande si elle aurait écrit cette préface si elle avait lu l'ouvrage. Mais aussi, si ce texte pétillant ne nuit pas à la découverte de l'album...car, le lecteur n'éprouvera-t-il pas un peu de déception après ces quelques lignes brillantes qui éclipsent en fait l'oeuvre elle même ? 
Alors, si d'aventure, vous venez à lire cette "Jeune fille en Dior ", sautez la préface et réservez-la pour la fin... vous serez peut être moins déçus que moi...







jeudi 7 novembre 2013

Quai d'Orsay de Bertrand Tavernier


Tiré d'une bande dessinée à  succès , "Quai d'Orsay", est aussi la première incursion de Bertrand Tavernier dans l'univers de la franche comédie. Pari gagné, l'adaptation, pas évidente, est bien réussie. On retrouve le rythme effréné et épuisant imposé par Alexandre Taillard de Worms, ministre des affaires étrangères, à son équipe. On caracole sur les parquets cirés de l'imposant ministère à la suite d'un homme totalement délirant, émettant toutes les minutes une idée incompréhensible, souvent tirées d'Héraclite, son auteur de  chevet. On n'a guère le temps de rêver sous les lambris dorés, tellement la tâche demandée à ses subordonnés est improbable et sujette à des jugements à l'emporte-pièce. Totalement hermétique aux remarques et idées de son entourage qui pourtant souque dur, le ministre, totalement imbu de lui même, brasse autant de vents que de concepts, se contredit sans cesse mais reste le maître incontestable du jeu. La vie d'un ministère clef de la République nous est présenté sous un jour guère favorable...
Brillamment dialogué, remarquablement interprété par un Thierry Lhermitte très convaincant et par un Niels Arestrup savoureux en directeur de cabinet doucereux et zen, "Quai d'Orsay" est sans aucun doute un bon film malgré la faiblesse des scènes extérieures au ministère (pourtant avec la délicieuse Anaïs Demoustier).
Il a été souligné longuement que c'était un portrait très ressemblant de Dominique de Villepin... cela laisse bien entendu songeur et fait frémir... Véritable pantin énervé, il déclame des discours qu'il n'a, bien sûr, pas écrits, ni lus avant, mais  élaborés à la va comme je te pousse tellement les consignes d'écriture étaient floues et contradictoires. Ce sentiment d'irresponsabilité était au coeur de l'album et reste également l 'essentiel du film. Comme le jeune Arthur, chargé du langage auprès du ministre, nous sommes noyés par ses paroles incompréhensibles mais avec la grande différence que nous ne sommes que de braves spectateurs qui ont la possibilité de rire (jaune parfois) devant ses situations hautement cocasses. Si vous voulez reprendre une tranche sur l'inutilité grandissante des hommes politiques, allez voir "Quai d'Orsay" !

mercredi 6 novembre 2013

La violence des riches de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot


Oui ce livre est violent ! Même si tout ce qui y est raconté à l'intérieur est dans nos esprits, le fait de le voir écrit aussi simplement et aussi crûment, nous déstabilise sacrément.
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot sont des sociologues peu ordinaires, au lieu de se consacrer à des recherches sur les pêcheurs bretons ou les harkis, ils ont opté pour les riches. Attention, les vrais riches, les grandes familles aux fortunes qui se multiplient au gré de leurs investissements boursiers ou aux grands patrons du CAC 40, ceux qui gagnent en une journée ce que vous gagnez en dix ans ! 
Une fois le livre terminé et refermé, j'ai été un peu sonné. J'avais beau savoir que les riches, les dominants, étaient sans vergogne, uniquement occupés à faire prospérer leurs acquis, considérant le bas peuple comme des bouts de chair sans cervelle et à leur merci, l'accumulations des observations des deux sociologues est absolument sans concession et m'a laissé sans illusion quant à un futur plus fraternel. 
En ces temps de crise financière, les riches n'ont jamais eu autant d'argent et les populations laborieuses, étrillées, vidées, dépossédées de leur travail, n'ont jamais été aussi stigmatisées sans que personne n'y trouve à redire... ou presque. Le livre après avoir fait un état des lieux du patronat en France ( les nombreuses aides de l'Etat qu'il truste, les impôts qu'il évite, la justice qui ferme à demi les yeux sur ses fraudes), de ses accointances avec le pouvoir qu'il soit de droite ou de gauche, s'intéresse à la violence insidieuse que cette domination exerce sur les masses les plus pauvres du pays et de leurs conséquences. Totalement bercées par un discours pro libéral par des médias inféodés à ce système depuis le tournant voulu en 1983 par François Mitterrand, toujours discréditées dès que pointe la moindre révolte, les classes populaires subissent de plein fouet cette violence insidieuse avançant, souriante mais masquée. En plus d'habiter dans des ghettos car la mixité sociale à l'intérieur des villes existe de moins en moins, les travailleurs (pour reprendre un vieux terme communiste) se voient également marqués dans leurs corps, saturés de bouffe bon marché, grasse et sucrée. L'histoire de leurs combats pour une société moins injuste, est laminée sous les effets conjugués de la disparition des lieux de souvenir (la Mutualité à Paris, transformée en Palais de la Mutualité grâce à sa rénovation fastueuse par un groupe international spécialisé dans l'événementiel ) et de la confiscation du langage par l'élite dominante. C'est ainsi qu'un parler édulcoré fait florès, paralysant d'autant mieux la pensée qu'il brouille les pistes, empêche la réflexion : un" plan de licenciement" devient ainsi un "plan de sauvegarde de l'emploi", bien plus vendeur et beaucoup moins dangereux (et les exemples abondent). 
Le constat fait frémir. On sait bien, que depuis toujours, les riches imposent leurs lois mais maintenant, ils ont réussi à éliminer le seule richesse qu'il restait aux masses laborieuses : la solidarité ! Grâce aux discours martelés depuis plus de 30 ans, l'individualisme, le chacun pour soi, est devenu la règle. 
Les sociologues devant tous ces faits, ces histoires, ces éléments déroulés les uns après les autres, ont du mal à garder leur objectivité... On sent bien que la colère les démange devant autant de morgue et d'injustice... Mais qui pourrait y être insensible ? " La violence des riches" est donc à la fois un essai sociologique, bien écrit, facile à lire mais également un tremplin pour réfléchir à un autre monde que libéral , qu'il est grand temps d'éradiquer si l'on ne veut pas que tout explose, car malgré tous les moyens déployés, tous les commentateurs et spécialistes qui glosent à longueur de journées, le système se fissure petit à petit... C'est la conclusion de cet essai, seule lumière d'espoir au milieu de propos désespérants. Et ceux qui comme moi, pensaient que les riches pouvaient peut être, quand même, avoir un léger remord, le soir, avant de s'endormir, devant toutes ses masses jetées à la rue et dans le désespoir et autres turpitudes pour satisfaire le pouvoir financier, les sociologues ont cette phrase définitive en parlant du riche : " ... l'entre-soi des beaux quartiers lui renverra toujours une image de respectabilité."

dimanche 3 novembre 2013

Come prima d'Alfred


Un petit voyage en Italie, au coeur de l'été, ça vous direz ? Et en Fiat 500 ? Flâner le long des routes, depuis la France jusqu'à un petit port des Pouilles et s'installer pour finir, boire un peu d'amaretto en terrasse en regardant la mer ? Et retrouver, l'espace d'un instant cette Italie de la fin des années 50, Luis Prima et tutti quanti ? 
Hélas pour vous, le voyage ne sera pas de tout repos, il va falloir se serrer dans le petit véhicule. Nous accompagnons deux frères, pas spécialement en bon terme. Ils viennent de se retrouver après plus d'une dizaine d'années de séparation. Le cadet, désire ramener les cendres de son père dans son village natal. L'aîné n'est pas du tout chaud, ayant rompu le lien avec toute sa famille suite à son engagement pour les chemises noires. La vie semble ne pas les avoir épargnés. L'un, les nerfs à fleur de peau toujours entre deux mauvais coups et vivotant de combats de boxe miteux et l'autre, plus tendre, essayant de recoller les morceaux épars d'une famille éclatée. Et si je rajoute qu'il va falloir prendre sur ses genoux un chien errant, soudain vous vous dites que ce sera pour une autre fois ...
Et vous aurez tort ! Quel bel album ! Cette histoire de frères, qui n'est pas sans rappeler un certain cinéma italien néo-réaliste auquel l'album rend un bel hommage discret (mais aussi, je pense, à Ettore Scola pour la très jolie scène au milieu des draps en train de sécher), sait nous emporter avec elle. Et même si on peut la trouver un peu conventionnelle, la beauté plastique de cet album qui prend le temps de regarder les paysages mais aussi sonder les pensées secrètes des deux frères, offre un formidable écrin à ces retrouvailles où les rancoeurs semblent être l'unique ciment entre ces deux êtres. Malgré la haine ambiante, la violence intérieure que l'on retient, Alfred dessine ses personnages avec une chaleur particulière qui nous les rend très attachants. La noirceur du propos s'apaise au fil des pages, au fur et à mesure que les mots arrivent enfin à donner un sens aux sentiments, comme si ce retour vers cette Italie nappée de soleil ne pouvait qu'être synonyme de réconciliation...
"Come prima" est un album irrigué de thèmes forts, alliant beauté plastique et richesse psychologique. Road-movie nostalgique et passionnant, il est un des romans graphiques les plus aboutis de ces derniers mois.






vendredi 1 novembre 2013

Kesengawa de Naoya Hatakeyama



Derrière ce titre bien japonais, se cache un livre très simple, rempli d"émotion. L"auteur, le photographe et plasticien Naoya Hatakeyama, raconte son périple pour rejoindre la zone du tsunami, lieu de son enfance, où habitent encore sa mère et ses deux soeurs. Parti de Tokyo, il avance vers un endroit dont on ne fait que soupçonner l'état de chaos, entre angoisse, espoir et désir de savoir si sa famille a réchappé au désastre. En cours de route, il apprendra que ses deux soeurs sont vivantes mais que sa mère gît au milieu d'autres cadavres dans un gymnase transformé en morgue de fortune. 
Texte court, simple, sans fioriture. Les photographies qui l'accompagnent, prises lors de précédents séjours du photographe dans la région qui l'a vu naître, n'étaient pas destinées à être publiées, exposées. Elles étaient bien rangées chez l'auteur, dans une boîte étiquetée " Un petit coin du monde". 
Au premier coup d'oeil, ces photos sont banales, elles ressemblent à beaucoup de clichés qu'un amateur aurait pris, désireux de conserver une image de lieux connus et appréciés par l'unique fait qu'ils sont le décor d'un moment de vie. On y voit des paysages urbains relativement ordinaires, certaines fois ressemblant à des milliers d'endroits de par le monde, n'ayant en fait un intérêt que pour la personne qui y est passée ou pour les gens qui y vivent. D"autres clichés  représentent des instantanés de la vie rurale, de coutumes locales. Un sentiment de quiétude se dégage de l'ensemble. Mais le texte qui les accompagne fait planer une ombre sur cette banalité, la rendant  plus intéressante. 
Et soudain, le texte s'arrête, comme si les mots étaient dans l'impossibilité de traduire l'horreur que découvre Naoya Hatakeyama. Apparaît alors, en pleines doubles pages, l'effroyable réalité. De ces lieux paisibles aperçus précédemment, il ne reste rien, que de la boue, des amas de débris, des carcasses disloquées, une plaine de désolation, "Un petit coin du monde" réduit au néant et irrémédiablement disparu. Pas besoin de mots, le lecteur, sidéré, tourne les pages une à une et comprend l'ampleur de la catastrophe, presque viscéralement. 
Classé dans le rayon "Beaux livres" de part son format, la qualité de sa fabrication mais aussi parce que l'oeuvre d'un artiste, "Kesengawa" est un livre choc, qui sans effet morbide (aucun mort n'apparaît dans les photos de l'après tsunami) rend palpable à n'importe quel lecteur l'éphémère de toute chose sur terre. Les photographies du début deviennent les témoins d'un monde effacé, uniques fragments pour ancrer les souvenirs des survivants. C'est tout simplement poignant et donc indispensable !

Kesengawa de Naoya Hatakeyama est édité chez Light Motiv (35 euros)

Lu dans le cadre " La voie des indés", opération à l'initiative du site LIBFLY que je remercie vivement pour cette lecture.