Un peu à l'affût des nouveautés, je me suis rendu à l'espace Bétonsalon situé dans le quartier Bercy à Paris pour admirer la dernière installation d'une jeune artiste française prometteuse ( primée lors de la biennale de Venise en 2013), Camille Henrot.
A l'entrée on vous fournit un descriptif/ mode d'emploi de la visite, utile pour s'orienter ainsi que la revue du lieu, spécialement consacrée à l'événement, sorte d'opuscule très fifty et guère attrayant. Arrêt technique donc avant d'entrer dans l'exposition, intimé gentiment par le regard imprégné de l'hôtesse d'accueil. Si le descriptif se borne à énumérer une liste d'oeuvres, l'opuscule, parcouru en diagonale (
parce que bon, 24 pages bilingues en petits caractères, ...) donne le vertige. Sont cités les Dogons et Bataille et mon oeil lit cette phrase : "Mise en scène d'une tentative impossible et fétichiste d'ordonner les idées et les objets, l'exposition n'offre pas moins un univers clos au potentiel libératoire d'un renard insatiable. " Tout de suite, je me suis senti concerné. JE suis le renard insatiable, assez tenté par les nouveautés ou les idées nouvelles (
certains voient en moi un fennec, mais je ne vois pas pourquoi et en plus cette parenthèse est un clin d'oeil totalement personnel ). Cependant, avant de poser le pied dans cet univers de Mme Henrot, l'expression de doute ou d'échec de " tentative impossible" m'assaille et me fait présumer le pire. Et comme, cette installation est sensée être libératoire, je ne vous ferai donc pas grâce de tout mon ressenti de visiteur amateur.
On pénètre donc dans une grande pièce toute peinte en bleu, pas un bleu Klein mais un bleu pas vraiment flamboyant, sûrement le bleu Henrot. Une musique atonale nous enveloppe.
( pauvres hôtesses qui ont ça dans les oreilles toute la journée !) Tout commence sur le mur Est avec un grand poster de bébé, quelques oeufs de manchot (
non je ne suis pas spécialiste en ornithologie, je sais simplement lire l'opuscule.... manchot? manchot...? y'a-t-il un signifiant jeunesse= manchot, maladresse...? humm je sens le concept entrer en moi) joliment disposés sur une sorte de présentoir en forme de vague, vague qu'on retrouve un peu partout sous forme dessinée, moulée, sculptée ou induite par la position des nombreux objets entassés ça et là.
D'autres moulages, une étagère en alu... Pas loin un store vénitien peint par l'artiste dont on se demande s'il fait partie de ce mur ou pas...(
Un visiteur se débattant avec les feuillets de l'endroit murmure entre ses dents : " S'il faut toute cette paperasse pour faire comprendre au public le concept, c'est que c'est raté, une oeuvre est évidente, parle au visiteur ou pas !" )
Ne me laissant nullement influencé par ces propos acides, j'avise le mur Sud, celui où tout est sensé "se développer". Encore une étagère en alu ondulant sur un mur,( E
lle l'a acheté chez Habitat ? me demandais-je. Et c'est alors que la douce voix de l'hôtesse qui doit savoir lire les pensées ou plus simplement habituée depuis deux mois à entendre les mêmes réflexions, me signifia que les présentoirs ont été conçus par l'artiste. Voilà une question évacuée rapidement. Si l'art ne marche pas pour Mme Henrot, la production d'objets designs chics et pas trop chers l'accueillera surement). Sur cette création murale des petites sculptures dogons ou pas, pointues ou ondulantes rappellent les salons chics d'appartements parisiens cossus. Honnêtement le développement m'a échappé et ce ne sont pas les feuilles blanches sur lesquelles étaient dessinées des formes asiatiques simples qui m'ont éclairé.
Il était donc temps de s'intéresser à cet amoncellement d'objets dans l'angle Sud/est. Au mur une photo de requin, une autre de tigre, un présentoir de posters comme à Auchan. Au sol, des tas d'objets divers, vaguement obsolètes, paraît-il achetés sur ebay, sont mélangés avec des petites sculptures ou moulages. Ce chaos semble vouloir être un signifiant zonant entre l'abus de biens inutiles accumulés par un humain consommateur et la dénonciation de cette méchante société de consommation qui nous abrutit tous. Ma réflexion fut troublée par l'arrivée insidieuse de la gardienne du lieu qui me précisa d'un air investi que si l'on ne pouvait rien toucher de l'oeuvre, les posters du présentoir étaient eux bel et bien consultables... ( P
our une meilleure compréhension de l'ensemble sans doute.... je pense que mon air de plus en plus dubitatif a du inspirer cette remarque dans le secret espoir de me remettre vite fait dans les rails de l'extase). C'est avec précaution que j'ai parcouru les photos de l'artiste présentées comme des posters pour chambre d'ados. Personnages sans tête, ils dévoilent un peu leur corps, car en tenue de sport ou maillot de bain. ???? Je me tourne alors vers le mur suivant, ayant déjà perdu tout sens de l'orientation, ne pouvant à la fois faire l'amateur d'art conceptuel et la boussole. (
Et non, je n'ai pas cette possibilité .... Je sens bien que c'est un handicap pour admirer de l'art contemporain)
Le mur suivant est celui qui est sur la photo là haut... Un peu d'ondulation, un genre de collection présentée sur un support d'alu, Ce doit être ce que l'artiste appelle : " là où sont les limites..." Je m'interroge, reste perplexe... Ok, je suis limité, ce doit être ça la limite...
( Le grincheux de tout à l'heure passe rapidement en crachant : que du concept ! Rien à dire !) Je le regarde, regarde l'oeuvre et poursuit ma route.
Le dernier mur est plus sobre. Une longue étagère toute droite (avec une petite torsion en son milieu) sert de présentoir à quelques objets et à des photos ou cartes postales. Et soudain on bute sur une espèce d'objet roulant sur pied, mix entre un séchoir à cheveux de coiffeur et un projecteur de dentiste. En fait, c'est une loupe. En visiteur joueur, je mets mon oeil qui se bute sur un gigantesque sexe masculin en érection, la loupe étant réglée pour se diriger sur ce détail d'une photo érotique posée au mur. (
Le visiteur grincheux passa derrière moi en faisant la moue et en se moquant du concept, genre " vous êtes tous des voyeurs, voyez, je vous ai bien eu !" . Eculé ! rajouta-t-il à haute voix. )
Mon oeil survole un peu ce dernier mur puis, je prends le temps de me positionner de façon à avoir une vue d'ensemble de l'oeuvre et m'en imprégner. Tout en ne perdant pas de vue le serpent mécanique qui ondule dans la salle, j'ai laissé entrer moi la couleur bleue, les vagues,... Pas d'extase, rien ne vint. Le monsieur grincheux avait surement raison : "du concept, rien que du concept". Pour ma part tout cela m'a paru, non pas vide de sens, mais ne répondant à aucune nécessité absolue, surfant dans une zone de faible turbulence. Aucune force ne se dégage de cette installation pédante et un peu prétentieuse, juste l'illustration banale de notre société de consommation... Et si c'était cela le concept, mettre en avant la vacuité de toute une partie de l'art d'aujourd'hui ? Dans ce cas là, je dis bravo, c'est bien réussi !
Pour vous rendre compte par vous même, cette installation est visible jusqu'au 20 décembre prochain et l'entrée est gratuite !