lundi 30 septembre 2019

La clé USB de Jean-Philippe Toussaint



Roman chez Minuit, critiques éblouis !

Les éditions de Minuit, sans conteste, publient des textes de qualité et règnent sur un cheptel d'auteurs qui brillent au firmament des lettres françaises, hier Duras, Rouault, aujourd'hui encore et toujours Echenoz, Chevillard, ... et Jean-Philippe Toussaint fidèles parmi les fidèles. Autant dire que chaque fois qu'un poulain Minuit ( ou une jeune pouliche, Julia Deck cette rentrée) publie un roman, on est certain qu'il sera encadré par les éloges d'une critique au bord de la pâmoison. Esprit de corps ? Envie de faire partie de l'écurie? Reconnaissance connivente du bon goût supposé de cette vénérable maison ? Parfois, il faut le reconnaître, les critiques font preuve d'aveuglement,  comme la rentrée dernière pour le bien banal roman de Pauline Delabroy-Allard et cette année pour cette nouvelle parution de Jean-Philippe Toussaint qui, si on en croit ce que l'on lit et l'on entend, s'approche quand même du chef d'oeuvre de la décennie ! ( Mais, un chef d'oeuvre chassant l'autre, Modiano arriva...)

Les bitcoins sont sexys !

"Formidââââble ! Jean-Philippe T a réussi à rendre les bitcoins ( cette monnaie virtuelle) totalement romanesques". Ca, c'est que l'on a beaucoup entendu, mais qui à la lecture s'avère quand même plus aléatoire. Reconnaissons à l'auteur de placer son intrigue dans un milieu original, la CEE, ses prospectives ( le personnage principal s'y emploie), ses lobbyistes, ses opportunités à aller étaler son savoir-faire dans le monde ( et dans des endroits plutôt plaisants, le Japon plutôt que la Sibérie). Reconnaissons-lui aussi l'envie d'essayer de vulgariser des notions numériques aussi obscures que le bitcoin et les machines à miner qui, si j'ai bien compris, tournent à haute cadence jour et nuit pour les fabriquer. Je dis "essayer", car, malgré une écriture inspirée et ciselée, jamais on ne parvient à vraiment comprendre comment tout cela fonctionne . Mais tout cela n'est qu'une petite partie de ce roman, car le thème principal ressemble quand même à un roman d'espionnage à base de clé USB et de vente d'ordinateurs chinois vérolés passant par la Bulgarie. Là, encore, on peine à se passionner car en plus d'un héros fadasse comme une notice de scanner, les pseudos rebondissements laissent perplexes ( une main vole un ordinateur dans des toilettes ) et la partie aventure ( en hommage sans doute à Tintin, belge comme l'auteur et le narrateur) reste totalement improbable sauf si pénétrer de nuit dans une usine chinoise d'ordinateurs est aussi simple que d'entrer chez l'épicier asiatique du coin de sa rue parisienne. Mais le style enlevé arrive à retenir notre attention ...

Les bitcoins, c'est bien , mais j'en fais quoi ? 

Ben rien justement, car arrivé au dernier tiers du roman, sans prévenir, Jean-Philippe  laisse tomber clé USB, bitcoins et lobbyistes bulgares pour s'intéresser au père mourant puis trépassé du héros. A ce niveau, on se demande si l'auteur ne se fiche pas de son roman, son ordinateur ne devant surement pas être pourvu de quelque intelligence artificielle pour pallier à son manque d'inspiration.... Ou alors quelque symbolique m'a échappé. Qu'importe, entre un personnage principal grisâtre, un univers numérique aussi sexy qu'un article de "PC pour les pros", une intrigue aux ressorts peu crédibles et un déroutant virage final à 180 degrés, difficile de prendre cette clé USB pour un périphérique génial... 

vendredi 27 septembre 2019

Ici n'est plus ici de Tommy Orange

En lisant la quatrième de couverture du premier roman de Tommy Orange paru l'an passé aux Etats Unis, nous avons affaire à LA révélation de l'année. Les journalistes du coin l'ont élu meilleur livre de l'année, il a été finaliste de deux grand prix littéraires ( Pulitzer et National Book Award) et a reçu un prix ( paraît-il) prestigieux, le Hemingway Award ( mais les prix sont tellement nombreux aux states et ont des noms tellement ronflants que, chez nous, ils en jettent toujours dans une biographie). Donc à la lecture, on allait voir ce que l'on allait voir, un grand auteur était né !

Un regard politique et vraiment franc sur les amérindiens.

C'est indéniable, "Ici n'est plus ici" nous dresse un constant particulièrement glaçant des quelques indiens qui ont survécu au génocide ( terme employé dans le roman) dont ils ont été victimes lors de la conquête de l'Ouest. Si chez nous, nous en sommes conscients depuis quelques décennies, sans doute qu'aux Etats Unis, comme toujours dans ces cas là, le déni est bien plus grand, entretenu par plus d'un siècle de légendes, de westerns, où l'indien est forcément le méchant. En pointant les faits du doigt dès les premières pages par un prologue net, incisif, Tommy Orange démarre fort et irritera sans doute l'américain moyen du Texas adhérent à la NRA tombé par erreur sur le roman. Les choses ainsi posées, on peut découvrir ensuite les douze portraits des personnages principaux, parfois passés dans un de ces réserves, vitrines assez sordides d'un pseudo respect de leur peuple, mais tous uniformément cabossés par une vie de rejet. Drogués, alcoolos, abandonnés par leur parents, adoptés sous X, ils survivent plus qu'ils ne vivent et quand par bonheur ils ont réussi à faire de bonnes études, peuvent hélas sombrer dans geekitude et dans l'obésité. Le tableau brossé est impitoyable, doublé d'une impression d'enfermement de cette communauté même la partie vivant normalement dans une grande ville. Pour la prise de conscience, le roman atteint magnifiquement son but.

Un roman étrangement construit qui nuit au propos.

Les très bonnes intentions de l'auteur ne suffisent pas à nous offrir  un grand roman. Avouons-le, il a du mal à mener son roman choral et surtout à gérer ses douze personnages. Douze c'est beaucoup, surtout que leur présentation, longue, fouillée psychologiquement s'étend sur plus de la moitié du livre ! Quand ils réapparaissent, on ne sait plus qui est qui, on doit revenir en arrière pour les resituer. L'impression donnée est celle de douze portraits, douze nouvelles vraiment bien écrites, que l'on a d'abord accolé puis que l'on s'est ingénié à faire revivre en plaçant ces douze personnes dans une histoire mi thriller mi romanesque soudain peu convaincante. Le lecteur ne s'attache pas vraiment aux différents protagonistes, embarqués dans un pow wow ( en Bretagne on parlerai de fest noz) sanglant qui laisse froid. Reste tout de même un regard d'écrivain, sans doute excellent dans un format court mais dont ce premier opus manque sérieusement de souffle et de rythme. 

jeudi 26 septembre 2019

Bacurau de Kleber Mendoça Filho et Juliano Dornelles


"Bacurau" est la grosse claque cinématographique de la rentrée qu'il ne faut pas rater. Cependant, certains éléments de ce film pourraient faire fuir certains spectateurs, éléments distillés dans une critique en général très positive. En voici 3 qu'il ne faudra pas considérer.

1) C'est encore un film d'art et d'essai, qui plus est sur la politique brésilienne...

"Politique" et "art et essai" sont deux gros mots à faire fuir le grand public qui ne rêve que de se distraire. Je pourrai passer des heures à essayer de convaincre qu'un bon film doit déranger son spectateur, le sortir un tant soit peu de sa zone de confort et lui apporter autre chose qu'un plaisir immédiat et vite oublié. Un bon film imprime durablement la rétine et/ou le cerveau, vous fait réfléchir tout en vous scotchant sur votre siège. Peu y arrivent, c'est certain, mais assurément "Bacurau" en fait partie !
Evacuons le côté politique de l'oeuvre, qui n'est pas essentiel au plaisir que l'on prend. Il vient juste si l'on réfléchit un peu au spectacle auquel on vient d'assister, comme une évidence symbolique. Dans "Bacurau", même si écrit avant l'élection de Bolsonaro, elle apparaît évidente...pour qui s'intéresse un peu au monde tel qu'il va.
Rejetons aussi d'une pichenette le terme " art et essai" ( " Encore un film intello qui va me faire mourir d'ennui..." dit le spectateur des Tuche ou de Luc Besson), " Bacurau" est un vrai film de genre façon Peckinpah voire Tarantino, une sorte de western un peu gore mais au scénario infernal et à la mise en scène ultra léchée.


 2) Interdit aux moins de 12 ans et donc ultra violent. 

C'est vrai les âmes sensibles peuvent ( hélas) éviter le film car, c'est certain, y'a du flingue, du sang et des corps projetés par des balles qui en profitent pour en faire exploser certaines parties. Mais un peu comme chez Tarantino, ces scènes possèdent assez de dérision et d'humour pour prendre un côté baroque, un poil fantaisiste mais sans jamais perdre de vue une certaine intensité dramatique  grâce à une mise en scène au millimètre qui ressemble à un  réel travail de funambule.
Si le film charrie une certaine violence, on trouve en arrière-plan, une façon de filmer et de mettre en scène les personnages totalement bluffante qui, elle, présente une vie aux apparemment douce, libre, très libre, trop libre pour une frange conservatrice des spectateurs qui y verra évidemment une autre sorte de violence.

3) "Mais c'est quoi cette représentation de l'humanité !?" hurlent les âmes soi-disant bien pensantes ( ceux qui manifestent contre tous les progrès sociétaux comme la PMA ou le mariage pour tous). 

L'histoire, délestée de sa dose d'adrénaline et de complot, se déroulant dans une sorte de trou du cul du Brésil, nous présente une population exceptionnellement ouverte et tolérante. Des gros, des minces, des vieux, des jeunes, des avec chevelures aux couleurs étranges, d'autres plus banales, des gays, des prostitué(e)s, ... se côtoient avec harmonie et bienveillance. Ce village semble être un vrai éden où l'on peut faire l'amour fenêtre ouverte sans que ça ne dérange personne, parler en chantant et s'accompagnant à la guitare, vivre nu si l'on en a envie ( il fait 37 degrés !), respecter les humeurs d'une alcoolo ou le passé d'un tueur. Mais ce qui impressionne aussi, c'est le scénario et la caméra qui ne genrent quasiment pas les personnages, chacun, homme ou femme, sera aussi violent que gentil et traité de la même façon. C'est troublant parce que rare, mais bienheureux. Et quand on montre à l'écran, la liberté sexuelle, qu'on élimine le genre ( et la religion puisqu'ici l'église sert uniquement d'entrepôt) cela froisse bien sûr les culs bénis

Vous l'aurez compris, "Bacurau" sous ses airs de série B assumée, reste un grand film moderne, emballant et diablement efficace! Un vrai bijou à voir absolument !





vendredi 20 septembre 2019

Un jour de pluie à New-York de Woody Allen


La question cinéphile la plus obsédante de la semaine est : faut-il aller voir le nouveau Woody Allen ? Voici 3 éléments qui pourront orienter ( ou pas) votre réflexion. 

1) Woody Allen ce n'est pas compatible avec Meetoo. 

Evidemment les accusations d'agression sexuelle sur sa fille rendent soudain le réalisateur un peu moins fréquentable... surtout si l'on est très en empathie sur le combat pour que les femmes aient une vraie place dans nos sociétés. ( La même question se posera lors de la sortie du "J'accuse" de Roman Polanski dans quelques semaines). Les USA ont réglé le problème, le film ne sortira pas sur le sol américain bien connu pour sa pureté sans tache ! Chez on se tâte, on se questionne... Faut-il acheter un ticket pour un présumé violeur ? Faut-il privilégier l'oeuvre à l'artiste ? Eternelle question... qui peut aussi se poser  en musique ( peut-on encore se tortiller sur les tubes de Mickaël Jackson ?) ou en littérature ( Peut-on faire l'impasse sur "Mort à crédit"  de Céline ?). Pour le distributeur, le nombre de spectateurs potentiel peut apparaître réduit, mais si l'on compte les millions d'électeurs votant pour des crapules ( il y en tant...), les catholiques qui continuent de prier malgré l'Inquisition ( oui, c'est vieux) mais aussi les prêtres pédophiles ou violeurs de bonnes soeurs et les irréductibles fans du new-yorkais jazzy, un vivier faisant fi de la morale, du passé et des scrupules existe. Et puis, accordons au réalisateur, pas encore jugé, la présomption d'innocence.

2) La presse adore !

Au moins, la presse française, dans son ensemble ne s'est pas laissée polluée par quelques réticences d'ordre féministe, car elle a littéralement adoré ce nouvel opus !
Cependant, face à cette unanimité, prenons un peu de recul, et regardons en arrière. En France, on a de tout temps à jamais adoré Woody Allen, même ces vingt dernières années. Chaque saison, nous avons eu droit aux mêmes laïus dithyrambiques, qui disaient, en gros : "C'est le meilleur Woody Allen depuis longtemps, le(s) précédent(s) nous avait déçu, mais là, il a retrouvé la main". Et on allait voir le film...qui souvent nous décevait un peu... Et l'année suivante, rebelote, on nous resservait la même soupe ( là, reprendre ce qui est entre guillemets plus haut) et c'était reparti pour un tour.
Cette fois-ci, on ne déroge pas à la règle, on retrouve les mêmes papiers, les mêmes arguments, peut être un peu plus fort, Meetoo oblige. Alors ?

3) Que vaut le film ? 

"Un jour de pluie à New-York" n'est qu'une petite comédie boulevardière pas désagréable, mais finalement bien quelconque. Il y a bien, comme toujours, deux trois répliques piquantes, une certaine grâce à filmer un sujet très léger, mais c'est bien tout. Il faudra supporter une Elle Fanning jouant les cruches et un Timothée Chalamet mal habillé et mal coiffé. Les sourcilleux noteront que les jeunes filles ( en plus de la blonde Elle Channing, il y a la brune Selena Gomez) sont toujours en mini-jupes très courtes ... alors que Timothée Chalamet conserve sa moche veste ringarde pendant tout le film ( mais on a aucune envie qu'il enlève quelque chose). Les critiques qui y voient une introspection personnelle de l'artiste verraient la même chose si " Mon curé chez les nudistes"  était signé par le maître... Quant à savoir s'il faut y aller ou pas, vous déciderez par vous même, selon votre degré de fanitude ... ou votre envie de vous dérider un petit peu...


mercredi 18 septembre 2019

Par les routes de Sylvain Prudhomme


3 bonnes raisons pour vous laisser conduire sur les chemins de traverse de Sylvain Prudhomme.

1) Un auteur qui possède une petite musique personnelle. 

Dans cette course impitoyable que sont les prix littéraires de l'automne, l'heure n'en est qu'aux premières listes et il est heureux que certains jurys mettent en lumière ce "Par les routes" qui apparaît sur pas mal d'entre elles ( Renaudot, Fémina, ...). Au milieu d'auteurs aux dents longues, aux ouvrages pensés, formatés pour un éventuel Goncourt ( Karine Tuil, Monica Sabolo ),  réjouissons-nous que ce neuvième roman de Sylvain Prudhomme, tout en délicatesse, arrive à se glisser parmi des oeuvres jouant les gros bras avec des sujets à la mode (donc de société). 
Si vous empruntez les routes proposées par cet auteur résidant à Arles ( que l'on devine plus ou moins dans le roman même si la ville servant de décor est symbolisée par la lettre V.), attendez-vous à être surpris par une écriture caressant doucement la vie modeste d'un brave narrateur s'installant dans un lieu nouveau et retrouvant un ancien ami, marié et père d'un petit garçon. Cette situation de départ, pouvant passer pour banale, s'installe avec une poésie qui ne dit pas son nom, l'auteur portant une attention particulière à des petits détails du quotidien que d'autres ignoreraient, créant ainsi une bulle de douceur dans laquelle le lecteur se sent immédiatement bien. Puis, petit à petit, mine de rien, tout va se complexifier sans que jamais le roman ne verse dans quelque sensationnel, gardant toujours une grande délicatesse du regard. Et la tension monte, monte, avec finesse, passant d'un quotidien humble à quelque chose d'un peu plus décalé, pour arriver à un final aussi symbolique qu'émouvant. Sans cri ( alors que la situation aurait pu en générer), sans effet de manche, le roman parvient à nous emporter dans un univers bien contemporain mais par une route détournée qui nous offre des paysages rarement vus ( ici, entre autre, avec un jeu autour des noms des villages ou villes français). Il y a chez Sylvain Prudhomme un univers très personnel, assez unique, que beaucoup appelleront avec raison, musique et en littérature, rares sont ceux qui la possèdent vraiment. 

2) C'est un roman où l'on se sent bien.

Cela peut paraître curieux, mais dès les premières pages on se sent vraiment bien. On apprécie cette écriture simplement douce, sans doute issue d'une plume tenue par une main bienveillante ( et ici, le terme n'est pas galvaudé mais correspond bien à la réalité ), jamais mièvre car elle nomme sans fard le  réel ( on parle d'adultère comme de masturbation), et creusant petit à petit un sillon imaginatif teinté d'une certaine poésie. On déguste ces pages avec bonheur, comme le cadeau d'une personne qui veut autant faire plaisir que donner un petit supplément d'âme à nos vies. 4

3) C'est un roman qui s'adresse à notre part sensible ( et qui y réussit). 

Pour toucher un lecteur, un auteur possède un éventail de possibles, user, par exemple, de violence pour nous faire frémir, frissonner, ou de sexe cru ou plus soft pour nous faire bander, mouiller. Sylvain Prudhomme, lui, va utiliser ce qu'il y a de plus difficile à manier, la délicatesse ! Le pari est risqué, du niveau du funambule sur son fil. Un faux mouvement, une situation mal amenée, une phrase trop directe, un mot mal placé, et l'on peut tomber dans le chichiteux, la sensiblerie, le gnangnan. Mais "Par les routes" garde le cap, ne se trompe jamais de direction, vacille peut être parfois et finalement arrive à bon port en ayant donner au lecteur un grand moment de bonheur simple et sensible. 

mardi 17 septembre 2019

Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma


Voici 3 raisons ( mais il pourrait y en avoir cent de plus) pour que vous couriez voir le magnifique nouveau film de Céline Sciamma.

1) C'est une vraie histoire d'amour.
Parce que l'amour n'est pas uniquement une question de sexe, de désir animal, mais une vraie rencontre entre deux êtres, les deux héroïnes de "Portrait de la jeune fille en feu"  vont certes connaître la passion physique mais aussi l'approche sensuelle composée de regards, d'échanges intellectuels qui vont voir se confronter deux libertés bien différentes. Celle de Marianne, maîtresse de sa vie et de son corps comme nous le montre une première scène, où, malgré ses jupons elle n'hésite pas à se jeter à l'eau pour récupérer ses outils de peintre. Nous saurons désormais que dans cette femme aux allures frêles et peut être timide, se cache une forte personnalité. Héloïse, ne manque pas de caractère mais ne possède que la liberté de pouvoir s'opposer avec fermeté à l'exécution de son portrait pour qu'un homme, loin de sa Bretagne natale, décide de l'épouser ...ou pas. La rencontre fera des étincelles car coule dans les veines de ces deux là la même fureur de vivre. Sans l'ombre d'une fioriture, captant le plus petit frémissement, le film nous parle d'un amour total, fiévreux, entier, fait de mots, de gestes, de caresses qu'une mise en scène magnifique rend sublime.

2) Le film, en plus d'être constamment d'une beauté plastique étourdissante, contient au moins 3 scènes, 3 plans qui sont sans doute les plus beaux, les plus forts que l'on ait vu depuis des lustres dans le cinéma français. 

Le film parlant aussi de peinture, de regard aurait pu essayer de copier tel ou tel peintre de son époque. Que nenni ( comme on devait dire à l'époque), il préfère créer sa propre esthétique, absolument magnifique (bravo à Claire Mathon, la directrice de la photo!), utilisant admirablement les décors sauvages de la côte bretonne autant que la lumière pâle des intérieurs. Une beauté n'arrivant jamais seule, cette joliesse n'empêche jamais Céline Sciamma de rester infiniment cinéaste et politique, suscitant avec finesse émotion et réflexion. En plus de donner une vraie visibilité à des amours lesbiennes ( sujet pas si courant que cela au cinéma), elle peut également nous interroger sur la représentation de la sexualité à l'écran avec un plan, certes assez rapide mais pas du tout anodin d'une pénétration ( je n'en dis pas plus, il surprend et donc amène la réflexion) ou nous proposer en une seule scène, avec douceur mais fermeté, son regard sur l'avortement, où un plan fort et intense, mélange une avorteuse, une jeune fille enceinte et un bébé.  Et puis, il y a pour moi, ce moment absolument magnifique, inspiré, celui des premiers regards qu'échangent les deux jeunes femmes, où un jeu de profils et de têtes tournées d'une force, d'une intensité et d'une beauté sans pareille nous éblouit autant qu'il lance avec vigueur le récit.  ( On en aperçoit un petit bout dans la bande annonce).

3) Noémie Merlant et Adèle Haenel. 

Si l'on savait déjà Adèle Haenel magnifique comédienne et même si on avait déjà repéré Noémie Merlant excellente dans des films passés un peu inaperçus ( "Les drapeaux de papier" et "Curiosa"), force est de reconnaître qu'ici elles confinent au sublime. La première confirme son statut d'immense actrice, la seconde, Noémie Merlant ( répétition volontaire pour que l'on grave son nom dans sa mémoire) s'impose, car elle porte  quand même le film sur ses épaules ( elle est quasiment de tous les plans) prouvant ainsi que désormais nous allons devoir compter sur elle !
Et puis, et puis, comme "Portrait de la jeune fille en feu" est vraiment un grand film, chacun y trouvera mille raisons de l'aimer ( les dialogues au cordeau, les vagues sur les rochers, l'intelligence du propos, l'émotion constante, ...). Et si vous n'êtes pas encore tent(é, ée)és , sachez que grâce à une dernière scène très forte en émotion, vous n'entendrez plus jamais de la même façon "L'été" des "4 saisons" de Vivaldi...


dimanche 15 septembre 2019

Une bête au paradis de Cécile Coulon


"Une bête au paradis" ne laisse personne indifférent. Certains adorent ( comme Le Monde qui lui a décerné son prix ), d'autres détestent ( si vous avez écouté "Le masque et la plume"...). Voici 3 éléments qui pourront faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre.

1) Cécile Coulon n'aime pas le rose. 

Dans un flot de littérature "qui fait du bien", où les éditeurs considèrent le livre comme un doudou ( et comme on achète facilement un  doudou...), Cécile Coulon est vraiment l'auteure qui nage à contre-courant. Tout dans ses récits est noir, sombre, les hommes, les femmes, les lieux, les situations, les âmes. Si des lueurs d'espoir apparaissent, elles ne seront que fugaces, autant le savoir. Dans sa dernière livraison, le mot "paradis" du titre ne renvoie absolument pas à un lieu magnifique vendu par des siècles de prosélytisme religieux, mais plus prosaïquement à une ferme perdue au bout d'un chemin, entourée d'animaux nombreux jonchant le sol de leurs excréments et peuplée d'êtres tourmentés, que la mort ou la violence ont marqué à jamais. Et la vie, cette chienne, se chargera de ne pas leur sortir la tête hors de l'eau... Ca démarre noir et ça finira noir, autant le savoir. Les dépressifs, les fans de belles photos sur Instagram, les adorateurs de Virginie Grimaldi et, cette saison, de Sorj Chalandon, détourneront les yeux.

2) Cécile Coulon aime la tragédie. 

Logique, nous sommes dans le noir... le tragique se tient en embuscade. Ici, on peut dire qu'il se déroule en trois actes. Un premier, long, qui prend le temps de bien imposer les personnages, de les ancrer dans une réalité campagnarde qu'une enfance tourmentée rend encore plus pénible. Puis un deuxième qui verra une courte éclaircie dans la noirceur de la vie de l'héroïne ( ironiquement?) prénommée Blanche pour se terminer par un troisième où la bête du titre surgira, bête symbolique, puisque tapie dans les corps et les esprits de ces êtres ruminants rancoeur, jalousie, cupidité, folie et vengeance, comme dans les vraies tragédies. Ce sentiment se trouve renforcé par le flou voulu quant à l'époque, assez indéterminée malgré quelques éléments rappelant une certaine contemporanéité, donnant à l'ensemble un caractère finalement très intemporel, visant à l'universel.

3) Cécile Coulon n'a pas peur des clichés. 

On le sait, dans les romans, les paysans sont des taiseux. Ils mangent leur soupe en silence et gardent leurs sentiments. Chez Cécile Coulon aussi !
Quand un roman se déroule dans une ferme, on n'échappe rarement à la tuerie du cochon. Chez Cécile Coulon aussi ( ici parallèle à un dépucelage, bonjour le symbole!) !
Quand une héroïne ( vivant dans une ferme, mais très jolie) tombe amoureuse, c'est d'un bel homme au physique plus qu'avantageux. Chez Cécile Coulon aussi !
Mais malgré ces clichés, la plume habile, inspirée sans doute par la noirceur, se joue facilement de ces écueils, arrive à ce que le lecteur oublie cela, entraîné par l'atmosphère, l'ambiance créées. Les personnages romanesques, les situations proposées, le décor que l'on imagine sans problème, les odeurs que l'on perçoit, hissent ce roman vers une sorte de tourne-page noir sacrément efficace, mais pas vers le grand roman intemporel.




mercredi 11 septembre 2019

Deux Moi de Cédric Klapisch


2 questions ( titre oblige) que l'on peut se poser sur "Deux Moi".

Le jeu de mots du titre trouve-t-il quelconque résonance dans le scénario? 

"Deux Moi" , "De Moi", "Deux Mois", les trois peuvent trouver leur place dans le film. 
"Deux Mois" tout d'abord, pas parce que l'histoire se déroule dans ce laps de temps mais plus sur la longueur que ressent le spectateur durant la projection. Ce n'est pas que l'on s'ennuie vraiment, mais l'histoire traîne pas mal, surtout que l'on devine la fin dès les premières minutes. On sent le temps passer lentement, malgré quelques apparitions tonitruantes de comédiens ( Pierre Niney, Eye Haïdara) venus donner du peps à cette chronique assez pâlichonne, à l'image des deux interprètes principaux, François Civil et Ana Girardot, bien mignons, mais aussi un peu fades ( bon, ok, ils sont dépressifs ...)
"De Moi" , car il est beaucoup question de soi, enfin de moi si l'on se place du point de vue des personnages. Et que je me sens seul(e), nul(le), portant la poisse. Et que je consulte un psy pour me raconter et arriver à la source du problème : la famille ( qui, une fois son sort réglé, verra de nouveau s'épanouir nos deux jolis trentenaires). 
"Deux Moi" rejoint pas mal le titre précédent, puisque Rémy et Mélanie, les deux gentils parisiens, sont deux solitudes qui, comme beaucoup de contemporains, tournent pas mal autour de leur nombril. La plupart des gens qu'ils rencontrent seront sur le même créneau...

Cédric Klapisch, comme dans "Chacun Cherche Son Chat" et "L'auberge Espagnole" se pose-t-il toujours avec autant d'acuité comme un fin observateur de son époque ? 

Puisque l'histoire traîne un peu, on a grandement le temps d'appréhender les thèmes évoqués dans le film. Comme nous sommes en 2019, on trouvera donc un regard sur les réseaux sociaux, la solitude urbaine, les applis de rencontres et au-delà, la vie sous un régime capitaliste. On y trouvera une nouvelle fois Paris (bien) filmé comme un personnage essentiel mais aussi des clins d'oeil à ses précédents films...
Cédric Klapisch continue donc à infuser sa sociologie et son regard sur une France des villes, perdue, souvent seule et en quête d'un bonheur qu'il faut voler à un quotidien morose, coincé entre un monde de plus en plus robotisé, en perte de sens et de réel. Mais dans son scénario plutôt nonchalant ( même s'il s'est acoquiné avec Santiago Amigorena, que l'on aperçoit dans le film et qui connaît une rentrée littéraire bien partie pour lui accorder un prix), les quelques annotations sur l'époque restent esquissées, voire proches du cliché. On sent que son film lorgne vers le feel good movie qui fait tellement de bien et tellement tendance. On ne nous épargnera pas les préceptes actuels des vendeurs de développement personnel : aime toi toi-même tu aimeras mieux les autres, tu pourras vivre ( enfin) un vrai amour, le bonheur est près de chez toi ( dans le film vraiment tout près), ouvre les yeux, ton coeur ( le film ne parle pas de chakras), fuis les écrans rien ne vaut le réel. 
Tout cela, sans toutefois tomber dans le rose bonbon absolu, reste quand même trop gentiment mignon ( oui, on même droit à des scènes craquantes avec chaton, comme quoi Mr Klapisch connaît bien son sujet), pas désagréable mais un poil paresseux. 




samedi 7 septembre 2019

Fête de famille de Cédric Kahn


Vous êtes invité à cette "Fête de famille", mais vous hésitez à vous rendre dans cette demeure familiale cossue, connaissant un peu trop le piège que ça peut être. Voici 3 éléments qui peuvent vous aider à prendre votre décision.

1) C'est un film de réalisateurS. 

Regardez la distribution, les rôles principaux sont tous joués par des réalisateurs : Emmanuelle Bercot, Vincent Macaigne, Laëtitia Colombani et Cédric Kahn. Seule Catherine Deneuve n'a rien réalisé ... C'est sans doute pour cela qu'elle a le seul rôle qui n'éructe pas, puisque la mère qu'elle interprète reste stoïque et accrochée à un repas joyeux. Le reste de la troupe s'énerve, s'écharpe, se lance des méchancetés dans cette sorte de "Festen" à la française ( on peut aussi penser à "Rois et Reines" ). Cependant, cette réunion de réalisateurs ne transparaît pas vraiment dans le résultat qui se classe dans cette frange milieu de gamme de films français dont on  se demande à qui ils s'adressent. La famille et ses névroses ont déjà beaucoup été labourées depuis la naissance du cinéma et cette fois-ci, faut bien l'avouer, malgré tous ces yeux avertis, le résultat ne restera pas dans les annales. 

2) Le scénario doit être très bon...

... si l'on en croit les récentes déclarations de Catherine Deneuve lors de l'une de ses innombrables interviews de promotion, puisqu'elle se plaignait que le cinéma français ne peaufinait pas assez les scenarii ( oui, à l'italienne, ça me permet d'éviter la répétition). Cela sous entend qu'elle ne participe que lorsqu'elle repère la crème de la crème.  Donc, ou elle a besoin de beaucoup tourner ou elle ne lit que des sous sous merdes. Celui de "Fête de famille",  même s'il respecte cette habituelle progression dans les révélations et dans l'horreur ( et jusqu'à la fin sur le mode qui manipule qui), on reste pantois devant cet évident déjà vu ailleurs mais en mode mal fichu.
Si vous avez du mal à mettre un sens à ce mot à la mode qu'est " bipolaire", foncez voir le film qui en est la parfaite illustration. Sous les platanes d'une belle demeure du Sud-Ouest, les scènes s'alternent systématiquement : une acide où l'on se dit des horreurs ( qui normalement rendraient tout de suite le moindre repas de famille orageux pour la journée) à une suivante où tout baigne dans la franche bonne humeur parce que la patriarche ( oui, c'est Deneuve!) dit : " Allez, hop, buvons ! " ou " On est bien là, non ? ". Peut être un effet de style voulu, osé mais qui ne fonctionne pas vraiment pour créer de la tension et surtout de la véracité. 
Très vite, nous regardons s'agiter ( ou pas) ce joli monde...

3) Les acteurs sont excellents ( leitmotiv de la promotion). 

C'est vrai que très vite nous en sommes réduits à contempler nos réalisateurs jouer les acteurs face à une Deneuve voulue impériale et trouble à force de bienveillance mais qui n'est pas loin de jouer les utilités. Laëtitia Colombani hérite du rôle ingrat de la gentille de service ( ça lui va comme un gant à l'image de sa littérature) et ne briguera pas une nomination aux Césars. Cédric Kahn a le physique du vrai mâle qui bouillonne de l'intérieur et le fait bien. Macaigne "macaigne". Reste Emmanuelle Bercot. On peut vraiment être impressionné par sa prestation allant de l'hystérique, à la folle, en passant par la mélancolique ou la nymphomane, mais on pourra trouver aussi que son rôle vraiment too much rend cette histoire encore plus improbable. 
  








jeudi 5 septembre 2019

Pourquoi les hommes fuient ? de Erwan Larher


3 éléments qui pourront vous permettre de savoir s'il vous faut fuir le nouveau roman d'Erwan Larher. 

L'histoire : 
Accrochez-vous aux rayons de votre bibliothèque, car nous frisons la grande originalité : une fille veut retrouver son père ! Au moins, du repos pour les neurones, on se glisse dans cette trame les yeux fermés ...heu...pas trop....faut découvrir quand même ce que l'auteur en fait de cette intrigue. Si l'on considère la fin de l'ouvrage ( rassurez-vous, je ne divulgache rien), pas grand chose. Mais là, je pointe d'emblée les deux points faibles de ce roman qui par ailleurs possède quelques qualités propres à intéresser un lecteur qui aimera se plonger à la suite d'une certaine Jane ( prononcez djène SVP). Jane est jeune, sa mère vient de quitter notre monde de brute sans beaucoup attrister sa fille unique qui a d'autres chats à fouetter, surtout des mecs à baiser ou à entourlouper. Au moins une héroïne qui prend sa vie en main et qui n'a pas froid aux yeux ! Un peu nombriliste, elle caracole dans la vie sans trop se soucier du monde extérieur pourtant en grève et en quasi révolution. Elle fonce, portable greffé dans sa main .... même si celui-ci l'intrigue pas mal quand ce salaud de Google ne veut pas lui donner les renseignements demandés...

Le style :

Assurément le point fort du livre. Avec un vocabulaire en parfaite adéquation avec l'âge de son héroïne ( un petite vingtaine), les phrases percutent, groovent ( c'est pas démodé ce terme ? ) , fusent, comme un Queneau actuel le ferait pour  mettre en scène une jeune adulte d'aujourd'hui. La quête au paternel devient alors pas mal hilarante et se dévore comme une bonne sitcom ( très bien dialoguée). On ne fuit donc pas puisque l'on se régale du franc parler et des pensées sans filtre de Jane.

Les personnages : 

Vous l'aurez compris, Jane occupe un très grande place dans le livre, tellement énorme que les autres protagonistes n'ont guère de place pour exister. Malgré cette présence totale, elle n'arrive pourtant pas à être totalement sympathique. Erwan Larher, s'il manie avec maestria la vanne et le clash peine un peu plus à faire exister la partie sensible ( bien camouflée derrière une assurance bravache) de son héroïne. Les quelques paragraphes un peu émotionnels manquent de brio, finissant par faire passer Jane pour une cyborg programmée pour un stand-up permanent ( ceux qui liront le roman comprendront le clin d'oeil) et l'empêche donc d'accéder à ce statut envié de personnage empathique.

Je résume : une histoire peu originale et aux seconds plans intrigants mais pas exploités : 0 point
Un style alerte et franchement addictif : 1 point
Des personnages loin d'être inintéressants mais pas trop fouillés : 0,5 point.
Note : 1,5/3. la moyenne donc ... A vous de voir selon votre humeur... Pour de la détente , c'est quand même de la bonne ! Mais n'en demandez pas plus. 

mercredi 4 septembre 2019

Liberté de Albert Serra


Voici au moins 3 conseils pour arriver à ne pas prendre la sortie avant la fin du nouveau film d'Albert Serra " Liberté". 

1) Relire Sade 
Ah, évidemment, c'est un premier obstacle, on peut ne pas être un(e) amateur(trice) du divin marquis. La (re)lecture du Justine ou de tout autre écrit sulfureux de ce cher Donatien Alphonse François, vous mettra un peu dans l'ambiance, tout du moins au niveau langage, car, même s'il y a peu de dialogues dans le film, un style très XVIIIème s'échappe des bouches souvent cramoisies des quelques personnages qui errent durant cette nuit libertine que nous propose le réalisateur espagnol. Bien sûr il y  aura aussi quelques fantaisies sexuelles ( souvent seulement évoquées), libertinage oblige, qui surtout vers la fin,  verseront dans l'ondinisme, la coprophagie, le plaisir et la jouissance dans la souffrance, mais c'est le propos du film puisque ces marquis et autres membres de la cour de Louis XVI, chassés hors de France, espèrent révolutionner leur temps trop puritain via les moeurs. ( Clin d'oeil à notre époque ? Allez savoir...). 

2) Admirer le travail sur l'image et le son. 

Dans une narration très très lente, où l'histoire n'a pas une grande importance, où l'on ne sait trop qui est qui, on peut d'emblée se raccrocher au superbe travail du directeur de la photographie Arthur Tort. Sa forêt au clair de lune, véritable personnage,  où se croisent chaises à porteurs, hommes aussi bien jeunes que vieux, aussi minces que gros, femmes plutôt toutes bien faites et ayant fugué du couvent voisin, accroche l'oeil. Dans un mélange de branches, de souches, de feuilles, au milieu de bruissements, gémissements, cris, un ballet un peu mystérieux ( et lent) prend forme. Ce lieu a l'avantage de voiler pas mal de choses, plaçant le spectateur dans un rôle de voyeur ( un peu comme certains des personnages dans le film). On devine plus qu'on ne voit, et quand la caméra s'arrête sur un corps dénudé que lutine un  autre corps ( ou plusieurs), on ne perçoit pas toujours de quelle partie il peut s'agir. Une lumière nimbe gracieusement l'ensemble donnant au film un côté belle oeuvre un tantinet perverse. Chaque plan ( fixe) peut être vu comme la toile d'un peintre maniériste mais coquin qui aurait croisé Sarah Moon. 

3) Prendre des nouvelles d'Helmut Berger. 

Je ne sais si l'acteur, longtemps amant de Luchino Visconti qui avait mis sa plastique en valeur, a encore un fan club. Pas certain non plus que son nom fasse encore courir les foules ( si tant est qu'il les ait fait courir un jour) mais sa réapparition perruquée et posée dans une chaise à porteur montre bien les ravages du temps. Ce ne sont pas les quelques mots prononcés en français, en italien ou en allemand ( oui, madame, il est trilingue !) qui permettront de juger de ses talents de comédiens. Quant à son personnage, dans la profondeur de cette nuit, il échappe à notre attention et l'on ne sait s'il finit mort dans une brouette, sodomisé par un comparse ou recherchant  désespérément une érection.

4) Avoir fait un pari. 

Vous êtes joueur, et vous voulez changer un peu de vos soirées tarot, billard ou qui suis-je ? Proposez le "Qui restera le dernier" ? La règle est simple. Appâtez vos amis avec le film d'Albert Serra, mettez en avant son interdiction aux moins de 16 ans ( avec scènes pouvant choquer même un spectateur averti) et bien sûr son côté sexe. Prenez vos places et installez-vous. Le gagnant sera celui qui restera dans la salle ou qui ne s'endormira pas. Le film étant à la fois, lent, très lent, très très lent, difficilement compréhensible, débutant par une scène dialoguée très gore et obscur comme une oeuvre ultra contemporaine, le pari sera difficile à gagner sauf si vous avez pris 8 expressos ou que vous avez suivi les 3 précédents conseils. Dans la séance où j'étais, 8 spectateurs au départ, 1 à l'arrivée pour admirer ce long plan de forêt superbement éclairé et au son de la seule musique ( stridulante) du film. Le pari est donc véritablement ardu et le vainqueur prendra le statut de héros. 
Mais de cette manière,  vous aurez vu l'oeuvre cinématographique la plus radicale, mal aimable et dérangeante du moment. Difficile d'aimer, mais difficile de rester insensible devant cette performance qui défie le spectateur. 




dimanche 1 septembre 2019

Les grands cerfs de Claudie Hunzinger


3 bonnes raisons pour avoir la curiosité de découvrir le dernier roman Claudie Hunzinger

1) Vous adorez l'autofiction.

Marguerite Duras, Hervé Guibert, Sophie Calle, Christine Angot, Alain Robbe-Grillet entre autres ont tous pratiqué l'autofiction pour le grand bonheur de beaucoup de lecteurs ( ou la moquerie de certains autres, mais on ne peut pas plaire à tout le monde). Cette forme romanesque, portée sur l'introspection, peut constituer une oeuvre ( Annie Ernaux) mais aussi être un procédé dont ce sont emparés beaucoup d'écrivain(e)s pour aborder des sujets très personnels voire intimes qu'ils voulaient mettre au grand jour dans un but de généralisation. Claudie Hunzinger s'inscrit plus dans une veine militante, sa vie passée dans une métairie du 17 ème siècle perdue dans les Vosges au milieu de la nature et de deux grandes bibliothèques fait d'elle une intellectuelle observatrice attentive de notre terre et des ses habitants, humains comme animaux et des dangers qui guettent chacun.

2) Vous aimez les animaux et le spécisme vous parle. 

Avec un tel titre, " Les grands cerfs" , vous sentez bien que vous roderez plus dans des forêts touffues que dans des zones urbaines polluées. Sur les pas de la narratrice, vous troquerez vos atours colorés et fluos de vos séances de jogging matinal pour une tenue nettement moins voyante, proche du camouflage militaire, pour partir à l'affût des grands cervidés qui peuplent vaille que vaille les bois avoisinants. En compagnie d'un photographe naturaliste, vous observerez, approcherez, connaîtrez tout de la vie des cerfs ( les plus grands mammifères de France) et de sa femelle la biche. Avec la même patience que Claudie Hunzinger, vous pénétrerez petit à petit dans un monde insoupçonné, où la beauté de leur vie naturelle deviendra très vite source de fascination, d'admiration, d'attachement. Et lorsque viendra le temps d'un comptage nocturne sous la lumière crue et insensible de phares de 4x4 puis celle de l'abattage de quelques bêtes en vue de protéger la forêt ( et surtout les deniers des sylviliculteurs), la prose sensible terriblement humaine, humaniste de l'auteur nous broie le coeur. Subtilement pédagogique ( on saura tout, tout, tout sur le cerf et sur les moyens pour arriver à l'approcher), indéniablement militant pour la cause animale ( mais jamais de façon manichéenne, bien au contraire), le roman parvient à nous emporter au-delà de tout pronostic ( je l'avoue, je ne pensais pas que je serai touché à ce point par ce récit). 

3) Vous aimez les auteurs qui apportent du sens et de l'intelligence. 

Bien plus que le  simple descriptif d'une femme allant à la rencontre d'une espèce animale, " Les grands cerfs" agrège beaucoup d'autres éléments qui rendent ce texte formidablement vivant, intelligent, poétique, stimulant. En autofictionnant des événements de sa vie, Claudie Hunzinger réfléchit, questionne, fait appel à d'autres auteurs, enquête, ne se contente jamais des faits bruts, fouille autant les talus, les bosquets que l'âme humaine des plus sensibles ( elle, son mari), de plus ambiguës ( celle du photographe) ou apparemment taillée d'un seul bloc ( les agents de l'ONF, les chasseurs). Sans jamais quitter des yeux les majestueux cervidés qui semblent percevoir le péril grandissant de leur existence, le roman, en se focalisant sur un espace vosgien assez limité, crie un appel vibrant à la protection, non pas d'une seule espèce mais de toute la vie, aussi bien humaine qu'animale. Un vrai et grand sujet !