mardi 28 septembre 2021

La Voix d'Aida de Jasmila Zbanic


Donner envie d'aller voir un film sur le massacre de Srebenica reste une rude tâche tellement le public peut avoir envie de se changer les idées. Et pourtant, malgré ce thème guère réjouissant, on ressort de la salle un peu bousculé, ému et sans aucun doute bien plus vigilant sur ce qui se passe autour de nous, sentiments qui nous font sentir vivants et habitants d'un monde où le pire peut hélas arriver partout. "La voix d'Aida" nous rappelle qu'à 1800 km de Paris ( quasi rien de nos jours), en 1995, l'envie d'exterminer en masse un peuple a germé dans le cerveau d'un autre peuple. 
Sans revenir sur les causes multiples de ce conflit, le film nous plonge dans les quelques heures qui ont précédé ce massacre, en suivant une professeure d'anglais bosniaque, réquisitionnée par l'ONU pour servir de traductrice pour l'armée de casques bleus issue des Pays-Bas. C'est en choisissant l'histoire particulière de cette femme que Jasmila Zbanic nous fait pénétrer dans la grande Histoire tout en soulignant l'impuissance des forces de l'ONU, l'abandon de toutes les politiques internationales face à ce que tout le monde pressent voire sait. Et c'est bien parce que nous suivons tous les rebondissements qui jalonnent le parcours de cette femme à vouloir sauver son mari et ses deux fils d'une mort certaine, que le film fonctionne à plein. Il est en cela aidé par une mise en scène sèche, à l'os, nerveuse, intense qui, avec peu de moyens ( et pas de mal de pressions diverses car c'est une production en partie bosniaque) reconstitue ce camp où des milliers d'innocents attendent un sort qu'ils devinent funeste ( pour rappel plus de 8300 hommes et adolescents ont été abattus). La violence physique reste hors champ mais l'émotion nous cloue sur notre siège, la réalisatrice captant intensément ses multiples regards d'impuissance et de crainte autant que l'énergie du désespoir de son héroïne ( formidable Jasna Duricic).
Multi primé à juste titre dans de nombreux festivals ( et souvent prix du public, signe de qualité), "  La Voix d'Aida" est l'un des films qui vous retournera le plus cette rentrée, alliant histoire contemporaine et suspens avec un réel talent. Du cinéma fort, intelligent et indispensable. 





 

Tout s'est bien passé de François Ozon


Sans doute loin de rejoindre la liste des meilleurs films du réalisateur, "Tout s'est bien passé" peine à convaincre tant on sent les différents paramètres, souvent divergents, qui ont dû entrer sa fabrication.
Tout d'abord, c'est l'adaptation d'un roman éponyme absolument formidable d'Emmanuèle Bernheim par ailleurs amie et co scénariste de certains films de François Ozon. Entre amitié, envie de respecter le souvenir de l'auteure et complice aujourd'hui décédée et trahison obligatoire de l'adaptation, auxquels s'ajoutent cette envie de faire tourner toutes les grandes actrices du cinéma français ( cette fois-ci enfin Sophie Marceau avant Isabelle Adjani pour le prochain ...mais quand Virginie Efira ? ) et le désir de proposer un sujet de société fort ( choisir sa mort ) sans tomber dans un pathos absolu, force est de constater que le résultat donne un film hybride pas tout à fait convaincant. 
Evacuons tout de suite l'adaptation qui ne rend jamais ni la sécheresse et le rythme fou du roman, ni l'émotion qu'il suscitait pour regarder l'objet filmique. Nous avons tout d'abord le face à face  de deux comédiens, parfaits dans l'interprétation qu'on leur demande. On retrouve avec grand plaisir Sophie Marceau, quasiment de tous les plans et suivie amoureusement  par la caméra, magnifiquement belle qu'elle pleure, prenne des antidépresseurs ou fasse de la boxe et toujours au bord des larmes, ravalant ses émotions auprès de ce père aussi charmeur que sombrement égoïste qu'André Dussollier porte vers la comédie. Le décalage aurait pu jouer mais ici ne fonctionne pas très bien, le suicide assisté voulu par le père passe pour un caprice. Le comique et la tristesse finissent par annuler toute l'émotion du film qui finit par devenir un pseudo drame ( très) bourgeois consensuel, n'exploitant que peu les thèmes forts subrepticement évoqués. Les seconds rôles peinent à exister ( mais pourquoi avoir fait apparaître la mère, absente du roman, Charlotte Rampling avait besoin d'argent?), voire laissent perplexes ( Grégory Gadebois en gigolo ) ou repoussent un peu plus l'émotion ( Daniel Mesguisch en maître Kiejman...oui, on a l'avocat ad hoc à son milieu). 
S'il n'y avait pas Sophie Marceau ( et Géraldine Pailhas...notez au passage le petit hommage  à Claude Pinoteau qui a fait débuter ces deux comédiennes) pour illuminer ce film, "Tout s"est bien passé" ne mériterait qu'un intérêt discret. Le meilleur conseil que l'on puisse donner c'est de (re)lire le roman. 



jeudi 23 septembre 2021

La troisième guerre de Giovanni Aloi


 Faire un film sur ces hommes que nous voyons déambuler dans nos villes engoncés dans une tenue qui rappelle quelque cuirasse d'antiques guerriers ( revisitée du seyant motif camouflage ... étrange pour un environnement fait de béton et de boutiques bariolées) relève de la gageure, surtout pour un premier film. Giovanni Aloi a eu la bonne idée d'axer son film sur le point de vue de l'un de ces hommes des forces sentinelles, une jeune recrue ( Anthony Bajon) fraîchement débarquée de sa campagne natale puis du centre d'instruction. Cela aurait pu être intéressant, mais le scénario s'empêtre dans plusieurs directions jamais creusées, trop survolées ou clichés ( le final en film d'action peu inspiré). 

La démarche des trois acteurs principaux, lourdement habillés, déambulant tels des robots qui ne risquent pas de courser le moindre terroriste ( mais bon, ils ont des mitraillettes), donne le rythme du film. Assez lent, peu palpitant car visant surtout à nous montrer le peu d'intérêt dramatique que recèle ces longues marches sur les trottoirs, cette troisième guerre reste plus psychologique qu'aventureuse. Pour donner un peu de peps à tout cela, l'histoire s'intéresse aussi à la vie de caserne de ces hommes et n'évite hélas pas les personnages secondaires un peu clichés. Et à trop montrer ces jeunes adultes jonglant avec tous les travers de l'époque ( petit deal, inculture crasse, amateurs de fake news, ...), le film finit par être un poil ambigüe, ce qui pourrait lui donner un certain relief sauf que l'impression que tout cela reste plus maladroit que  volontaire s'insinue très vite. On essaie, en vain, de se passionner pour les acteurs ... qui font le job ...mais caparaçonnés dans leur tenue et dans un scénario et des dialogues réduits au minimum, ils n'ont guère de possibilités de jeu.  

Si pour un premier film, le thème choisi est original, le résultat reste quand même assez décevant et peu passionnant, comme sans doute de déambuler dans Paris toute une journée en slalomant en les papys promenant leur chien et les hommes au foyer traînant leur charrette de course. 







vendredi 17 septembre 2021

La fille qu'on appelle de Tanguy Viel


Si on le lit le nouveau roman de Tanguy Viel pour son histoire se déroulant dans un milieu provincial de bord de mer, on sera évidemment déçu. Laura, pour avoir un logement dans la ville où elle revient, rencontre le maire de la ville sur la recommandation de son père qui est par ailleurs le chauffeur personnel de l'édile. Le presque cinquantenaire, devant une belle jeune femme, n'hésite pas à jouer de son pouvoir pour obtenir quelques faveurs sexuelles. Que va-t-il se passer lorsque le père, ancien boxeur, l'apprendra ? On peut imaginer la conclusion sans trop de peine. 
Cependant, l'intérêt de ce roman est ailleurs, dans la narration qu'en fait Tanguy Viel. Tout d'abord il se met dans la tête et l'esprit de la jeune Laura, ce qui en période Meetoo est assez gonflé surtout dans une histoire de domination masculine.  Ce sera donc la voix de l'abusée qui nous entraînera dans les méandres d'une situation bien plus complexe qu'il n'y paraît, explorant cette zone grise qu'est le consentement. Dans un style impeccable, dense, le texte ausculte avec une précision chirurgicale comment l'emprise se met en place et tisse sa toile en se nourrissant bien sûr de la pression  ordinaire d'un homme de pouvoir mais aussi d'histoires plus anciennes dont les liens pas toujours visibles viennent s'insinuer silencieusement entre tous les protagonistes de cette histoire. 
Le texte, implacable, fait oublier les ressorts quelque peu ordinaires de l'intrigue, disséquant chaque fait et pensée avec une remarquable acuité. Et c'est donc pour cette remarquable analyse de l'emprise d'un mâle dominant sur une jeune femme qui emporte le lecteur.... à condition qu'il n'attende pas un récit façon thriller ou mélodrame. 

jeudi 16 septembre 2021

L'Affaire collective d'Alexander Nanau


 Il y a des films qui prennent le spectateur aux tripes pour lui faire ressentir ce qu'il peut avoir de meilleur en lui, lui ouvrir les yeux, le faire réfléchir en lui montrant et le pire et la lumière possible qui peut parfois vaincre l'abjection. L'Affaire collective est l'un de ceux-là. 

Ce documentaire roumain revient sur un fait divers local, l'incendie d'une boîte de nuit à Bucarest qui fit beaucoup de victimes. Ce qui retient toutefois l'attention d'une équipe de journaliste, c'est le nombreux de blessés morts à l'hôpital alors que leurs blessures auraient dû guérir sans problème. On suit l'enquête de terrain d'une équipe de presse ( pourtant spécialisée dans le sport) qui, en Roumanie, se révèle autrement plus dangereuse que chez nous. Si découvrir que le milieu hospitalier est totalement corrompu n'étonnera personne, le porter à la connaissance de tous, au grand jour, demeure un acte citoyen nettement plus courageux qui,  s'il entraîne quelques démissions, génère aussi des disparitions humaines plus inquiétantes. 

Le film serait au final un habituel plaidoyer pour une presse courageuse et nécessaire, s'il ne se doublait d'une deuxième partie plus politique avec l'arrivée au poste de ministère de la santé d'un jeune technocrate revenu d'Autriche et bien décidé à nettoyer le système roumain de la santé. Là aussi courage et détermination sont de mise. On peut s'étonner que les caméras soient autorisées à le suivre dans tous ses déplacements et réunions ministérielles, mais l'on retiendra au final que parfois, avec opiniâtreté ( et forcément hardiesse), un politique peut donner un bon coup de pied dans cette fourmilière. 

On ressort du film, à la fois terrifié par le degré de corruption qui gangrène ( entre autre) la Roumanie, inquiet que ce système, pur produit d'un capitalisme qui valorise surtout l'égoïsme, donc l'appât du gain, ne déboule complètement dans notre système hospitalier français, mais avec l'envie de résister puisque l'on sait que l'on peut encore compter sur quelques hommes de bonne volonté, parfois chez les journalistes et parfois chez les politiques. Tout n'est pas totalement perdu. 

L'Affaire collective aussi passionnant que véridique, semble être cette semaine le film à ne pas rater, surtout en ces temps de future élection où les discours les plus démagogiques et minables fleurissent partout ....comme en Roumanie. 




mercredi 15 septembre 2021

L'origine du monde de Laurent Lafitte



 

 Le point de départ du film frise l'absurde. Un homme dont le coeur s'est arrêté de battre continue de vivre. Seulement, selon une gourou, s'il ne prend pas en photo le sexe de sa mère d'ici 48 h, il meurt. Le petit bourgeois interprété par Laurent Lafitte, accompagné de son meilleur ami un peu benêt ( Vincent Macaigne) et de sa femme forcément un poil autoritaire ( Karin Viard) va donc déployer des trésors d'énergie pour arriver à ses fins auprès d'une mère ( Hélène Vincent) avec qui il entretient pourtant des rapports très distants. 

C'est une  évidence que le film va pas mal voler au dessous de la ceinture et va même s'y complaire jusqu'à l'absurde. Selon son humeur, on y verra une comédie française qui n'hésite pas à sombrer dans une vulgarité crasse ( et qui l'assume) ou bien un véritable dynamitage d'une petite bourgeoisie qui entre complexe d'Oedipe et mal être existentiel vole en éclat. 

La meilleure façon de recevoir ce film est de se laisser aller face à cette mécanique hyper bien huilée ( issue du théâtre dont c'est une adaptation ) car porté par quatre comédiens au sommet de leur art. Leur verve et leur culot sont remarquablement bien mis en valeur par le réalisateur Laurent Lafitte. Ce n'est pas léger léger, mais qu'est-ce que c'est drôle !  La mise en scène essaye de mettre un peu perfidie ici ou là, dans des détails du décor ou des dialogues évitant ainsi, en regardant bien dans les coins, à  "L'origine du monde" de n'être qu'un film (dé)culotté et salace mais bien une comédie vraiment drôle plus finaude qu'il n'y paraît. 



mardi 14 septembre 2021

Boîte Noire de Yann Goslan



Efficace est le mot qui peut qualifier ce nouveau thriller de Yann Goslan. Et il en faut de l'ingéniosité, du talent et de l'efficacité pour arriver à passionner durant presque deux heures avec, en gros, beaucoup de scènes devant un écran d'ordinateur qui affiche les bandes sonores qu'étudie le personnage principal, lecteur spécialisé dans le décryptage des boîtes noires après un crash d'avion. 
Le réalisateur est bien aidé par un scénario joliment ficelé qui va crescendo et par un acteur principal, Pierre Niney, parfait comme d'habitude, qui endosse avec brio le rôle d'un analyste un peu rigoureux au bord de la paranoïa. 
Sans rien révéler de l'histoire, on peut toutefois dire que l'on pourrait renâcler à grimper dans un avion lors d'un prochain voyage, tant le film met l'accent sur les possibles arrangements de l'industrie aéronautique pour mettre coûte que coûte un avion sur le marché avant les concurrents ( et donc se moquer un peu de la sécurité des passagers ). Mais restons calmes toutefois, cela relève plus d'un tricotage scénaristique que d'un discours vaguement politique ou dénonciateur façon cinéma US. "Boîte Noire" c'est avant tout taillé pour le divertissement et le suspens. En cela, il remplit parfaitement son office, mettant même de l'action dans les scènes où Niney avec des lunettes premier prix ausculte comme un forcené son écran. La caméra tournoie, se déplace pour donner du mouvement et parvient à instiller une énergie formidable. 

Bien mené, bien joué, bien écrit, vous pouvez embarquer pour cette "Boîte Noire" en toute sérénité, même si cette dernière ne résistera pas longtemps à cette histoire réellement efficace qui ne se crashe jamais. 



dimanche 12 septembre 2021

Serre moi fort de Mathieu Amalric


 "Ça semble être l'histoire d'une femme qui s'en va." nous raconte le pitch officiel du film. 

Ça semble être à l'écran un peu plus compliqué que cela et c'est sans doute ce qui fait tout l'intérêt de ce huitième film de Mathieu Amalric, se laisser porter par une narration éclatée, mélangeant allègrement passé, présent fantasmé ou réel, futur rêvé ou peut être réel, jusqu'à ce qu'à la fin on recolle les morceaux.
Ça semble être un film personnel porté autant par une interprète parfaite ( Vicky Krieps dont c'est vraiment  l'année de tous les rôles) que par un bande musicale intense dominée par le piano ( mais aussi par JJ Cale ). 
Ça semble être un film dont il ne faut pas dire grand chose pour en garder toute la surprise mais qui peut, c'est certain, décontenancer un public habitué aux histoires linéaires et bien prémâchées. 
Ça semble être un film où la marque Maïzena a enfin pu faire un placement de produit (im)pertinent puisque idéale pour colorer ses cheveux en gris afin d'imiter Martha Argerich. 
Ça semble être un film dont le maître mot est " déséquilibre" tant la narration, avec sa succession de scènes courtes et sèches qui ne trouvent leur point d'équilibre que très tard est en parfaite adéquation avec son héroïne dont la vie et l'esprit avancent de façon vacillante. 
Ça semble être un film franchement original qui risque d'emporter l'adhésion pour peu que l'on se prenne au jeu de sa poésie et de sa fantaisie mais qui peut vous plonger dans un profond ennui ( avec sommeil et possibles ronflements comme deux/trois spectateurs l'autre après-midi. 
Ça semble être après "Barbara", une nouvelle réussite de Mathieu Amalric qui sait mettre en valeur des comédiennes talentueuses et sensibles. 




vendredi 10 septembre 2021

Animal Social Club de Hervé Bourhis


 Se moquer du milieu du cinéma, cible facile mais ô combien propice à la satire, n'est pas un sujet original. En racontant la production d'un film, Hervé Bourhis aborde le sujet par une porte détournée. Nous suivons un couple mal assorti, tous deux scénariste,  forcément branchés mais dont on peut douter du talent. Mais la qualité importe pourvu que l'on trouve par n'importe quel moyen du flouze pour produire un film évidemment présenté comme bankable. Ils démarchent différents guichets provinciaux ( les conseils régionaux aiment à apparaître aux génériques des films), flattent du vieux réalisateur mythique, essaient de cajoler de la vieille actrice comme du youtubeur ou de la jeune chanteuse à succès. 

Rien de franchement original dans cette histoire que l'on suit toutefois sans déplaisir. Le trait sec et nerveux accentue la caricature et l'on se prend au jeu à essayer de trouver les sources d'inspiration ( Godard ? Deneuve ? Pomme ? ...). La dernière partie voit apparaître un élément scénaristique qui semble destiné à perdurer et que l'on commence à retrouver un peu partout : l'épidémie ( de Covid ou autre), ici, permettant un final plutôt cocasse, virant presque vers le fantastique. 

"Animal Social Club" permet de passer un agréable petit moment sans que jamais on se dise que l'on tient là le pamphlet ultime sur le cinéma. Mais tel qu'il est , il peut plaire...




jeudi 9 septembre 2021

Supernova de Harry Macqueen


 Que les amateurs d'astronomie ne s'agitent pas trop, il ne sera question d'étoiles dans ce film que d'un point de vue symbolique voire poétique ( lorsqu'elles meurent elles deviennent qui brillent encore plus avant de s'éteindre assez vite). Un plan de ciel étoilé ouvre et conclue le film... 

Entre ces deux images, une histoire de couple dont l'un des deux est atteint d'Alzheimer  ( jamais nommé dans le film). Tusker n'en est qu'au début mais refuse la déchéance et veut se donner la mort avant cette lente marche qui le conduira vers un néant qu'il refuse et qui verra sa moitié tant aimée se transformer en garde-malade. Le couple entreprend un petit road-movie dans une Grande-Bretagne automnale à bord, pépères, d'un camping-car. 

Avec un sujet pareil c'est certain, on ne rigole pas, mais on ne pleure pas non plus, tant le film reste sur une ligne narrative qui ne verse jamais dans le pathos, ce dont on lui est reconnaissant. Nous sommes dans l'émotion douce et un tantinet mièvre, une sorte de mélo qui n'accentue jamais les effets sensés nous émouvoir. Il est aidé ( ?) en cela par une mise en scène assez plate, sans grande inventivité, qui lisse pas mal le propos. Le couple n'échappe pas aux clichés, vit dans l'aisance ( lui est auteur reconnu et lui pianiste/concertiste) et s'aime d'un amour vrai et intense sans aucune ombre au tableau. Ils ont une famille formidable, des amis tout aussi sympathiques. Tout pour être heureux sauf donc cette satané maladie qui rompt cette harmonie.  

Le seul intérêt du film reste le duo d'acteurs, sobre, juste et capable d'émouvoir une colonie de militants du mariage pour tous ( si elle s'égare dans une salle de cinéma projetant le film ce qui peut apparaître comme plus qu'improbable). Sinon, pour amateur de mélo soft...



mercredi 8 septembre 2021

La définition du bonheur de Catherine Cusset


 Chez Catherine Cusset, il y a deux veines, la merveilleuse ("Vie et mort de Davis Hockney" pour ne citer que le dernier) et celle plus insipide ( "Indigo"). Manque de chance pour cette rentrée, sa nouvelle parution se range hélas dans la deuxième veine. 

Derrière ce titre très dans le vent ( du commerce), propre à attirer tout ce public en recherche de bien être, et de quelconque félicité, que se cache-t-il réellement ? Certainement pas une définition du bonheur. Dans ce récit entrecroisé de deux femmes, on a un peu l'impression que Catherine Cusset essaie de dresser une sorte d'état de la femme à travers le parcours de Clarisse et d'Eve, deux françaises qui n'ont ( à priori) rien en commun. Leur vie assez banale au demeurant ( même si l'une d'elle vivra aux USA) sera alternativement racontée de l'adolescence jusqu'à la soixantaine. Les deux tiers du livre nous offrent un condensé assez cliché de la condition de femme qui peut se résumer ainsi : à l'adolescence on vit dans la crainte de l'agression ou du viol. La vingtaine c'est l'âge des voyages, des rencontres. A la trentaine on se case, on fait des enfants, on bosse ( et pas qu'à la maison). A quarante ans on découvre l'adultère ( le conjoint  aussi ), à cinquante ans on attrape un cancer du sein et quand arrive la soixantaine, on dresse un bilan en se retournant ( déjà) sur le passé. Même si l'une des héroïnes sort parfois de ce chemin bien formaté, le récit reste somme toute banal. Le problème du livre, est que Catherine Cusset, pourtant souvent habile écrivaine, ne fait rien de cette banalité, n'arrive jamais à la transcender et à la tirer vers quelque chose de littérairement passionnant ( comme ce printemps Claire Lombardo avec l'excellent "Tout le bonheur du monde" chez Rivages). Et quand arrive enfin le rebondissement que l'on devine depuis le début, l'intérêt n'est guère plus titillé surtout que soudain l'histoire s'embringue dans un cocktail covid/femmes battues qui fleure franchement le concept marketing ( merci Karina Hocine, la nouvelle prêtresse littéraire de chez Gallimard ? ). 

On ferme la dernière page en ayant la désagréable impression d'avoir passé beaucoup de temps avec un livre qui ne vaut pas tripette tant la banalité, autant du style que de l'inspiration,  saute au yeux. Un roman que l'on oubliera vite... 

mardi 7 septembre 2021

Les fruits tombent des arbres de Florent Oiseau


Avec un titre qui pourrait le placer inconsidérément  auprès des oeuvrettes ( le mot pourtant est un peu trop fort)  d'une Virginie Grimaldi ou d'une Aurélie Valognes, "Les fruits tombent des arbres " se révèle autrement plus intéressant voire beaucoup plus littéraire ( ce n'est pas difficile me direz-vous) que beaucoup de romans paraissant cette rentrée ( et encensés par une critique qui a du faire ses classes dans une école de pub). 

Il n'y a pas que le titre qui lui donne un air de feel good littérature, il y a aussi le contenu. Mais là où d'autres vous consternent, la lecture du quatrième roman de Florent Oiseau vous laisse le sentiment d'avoir passé un moment extrêmement agréable en compagnie d'un jeune écrivain drôle, profond malgré des allures légères et surtout qui sait écrire. 

L'idéal est de ne pas raconter grand chose de ce roman qui suit les pas d'un quarantenaire divorcé, sans trop de libido, qui déambule dans un Paris d'aujourd'hui ( décrit très finement) à la recherche de ces hasards absurdes ou minuscules qui font le sel de la vie pour qui sait regarder et écouter. Et sous la plume aussi délicate qu'inspirée, ce petit périple aux allures d'inutile, devient une odyssée personnelle, véritable miroir de nos existences urbaines malmenées. On a tous quelque chose de ce Pierre, on admire la tendresse avec laquelle il aborde les choses toujours avec une grande philosophie teintée d'ironie, d'humour et de dérision. Sous la plume d'autres auteurs s'essayant à ce genre assez prisé en ce moment de cette littérature de l'ordinaire mais "qui fait du bien", cela s'enfonce dans le gnangan, le forcé, l'écoeurant à cause d'un trop plein de guimauve, de clichés. Chez Florent Oiseau, véritable funambule littéraire, nous sommes sur un fil, prêt à basculer à chaque seconde dans les travers décrits plus haut, mais jamais, il ne dévie de sa trajectoire, ne tombant jamais de son fil narratif, tenu jusqu'au bout avec un talent rare. Ca ressemble à un roman léger  mais très vite le goût diffère et ça devient un roman réussi, habile, quasi jubilatoire, qu'on l'a envie de partager, de faire déguster comme une friandise délicieuse qui ne pourra qu'ensoleiller nos vies parfois un peu moroses. 

Pas encore sous les radars des critiques harnachés ( acharnés ?)  à promouvoir  toujours les mêmes plumes répétitives et pas toujours talentueuses ou passionnantes, sortez des sentiers battus et cueillez ces "fruits qui tombent des arbres", véritable roman goûteux de cet automne. 


 

dimanche 5 septembre 2021

Mamers en mars 2021


 Alors que certains prennent un bol d'air iodé et franchement mondain tout en foulant un tapis rouge à la suite de Johnny Depp et avec l'espoir que la sélection annuelle de films américains soit meilleure que l'an passé, d'autres, en région ( comme on dit poliment dans notre capitale), jouissent des vraies joies du bon cinéma populaire et exigeant. Ils ont passé le week-end dans un de ces multiples festivals que des cinéphiles organisent avec passion et, notamment,  ces trois derniers jours à Mamers, petite sous-préfecture du nord de la Sarthe. Il s'agit de "Mamers en mars "( mais en septembre à cause du covid ) qui fête cette année sa 31ème édition. Cette longévité marque des signes de qualité autant que de confiance de la part des professionnels. 

Un temps estival, n'a empêché nullement les spectateurs de venir relativement nombreux découvrir une sélection attrayante et finement choisie. Mention toute particulière, à la sélection de courts métrages, aussi intéressante qu'éclectique, balayant beaucoup de genres et de thèmes actuels. Le jury a du avoir du mal à les départager. Leur prix est allé au plus cinématographique mais aussi le plus exigeant de cette sélection, "Noshtna Smyana" ( "Night Shift") du duo belgo bulgare  Yordan Petkov/ Eddy Schwartz avec une mention pour le très rafraîchissant "Candice à la fac" de François Labarthe, parodie très réussie des sitcoms AB productions des années 90. Le public, lui, a craqué pour le très réussi " Charon" de Yannick Karcher, film bluffant sur la fin de vie et sur le plus consensuel mais très maîtrisé "12h20" de Gabriel Kaluszynski. 

Dans la catégorie longs-métrages européens, le choix était évident ( prix du jury et du public), tant le nouveau film de Jasmila Zbanic ( après "Sarajevo, mon amour " il y a 15 ans) " La voix d'Aïda" survolait la compétition ou quand l'histoire d'une famille presque lambda côtoie la grande et permet à une réalisatrice inspirée de faire oeuvre de mémoire ( le génocide de Srebenica), le tout avec une actrice formidable ( Jasna Djuricic) et un sens de la mise en scène aussi spectaculaire que prenant. Ne le ratez pas, il sort en salle le 22 septembre prochain. 


L'autre sensation de ce festival, fut sans doute aussi, dans un genre vraiment différent, "Music Hole" de Gaëtan Liekens et David Mutzenmacher, comédie ultra déjantée au scénario bluffant et à la mise en scène délirante qui se plaît à nous faire découvrir une brochettes d'acteurs tous plus formidables les uns que les autres. Hélas, malgré un coup de main de Luc Besson pour la distribution ( il a été comme nous séduit par cet ovni ), le film n'a pas encore de date de sortie en France ( mais est visible en Belgique depuis 4 semaines). ( le jury lui a donné une mention spéciale). ( la bande annonce qui suit, ne reflète que très peu l'esprit fou et la mécanique de précision très maîtrisée du film)



On peut par contre être un peu plus sceptique quant au coup de coeur accordé au film finnois " Games People Play" de Jenni Toivoniemi, certes formidablement joué, mais ne dérogeant pas d'un certain cinéma scandinave, mélange de Lars Von Trier et de Thomas Vinterberg, caméra à l'épaule et réunion entre amis qui tourne mal, sans parvenir à être un tant soit peu original ou vraiment pertinent. On notera un prix d'interprétation pour l'acteur allemand Lars Eildinger ( vu chez Assayas ou chez Alice Winocour) , histoire de mentionner "Les Leçons Persanes"  qui a laissé tout le monde en larmes après plus deux heures de projection, même si l'autre premier rôle du film, Nahuel Perez Biscayart, le méritait tout autant. Cette coproduction européenne sortira début 2O22. 


Le reste de la sélection,  de bonne facture, n'arrivait pas à la hauteur de ces trois films là, aux sujets forts et ultra bien scénarisés. Et c'est là que l'on se rend compte, que les petits festivals, grâce à leurs équipes dynamiques et passionnés ( et jeunes pour l'équipe de Mamers) peuvent offrir aux spectateurs une programmation exigeante et cinéphile, et ainsi continuer à faire brûler le désir de découvertes dans leur région, donnant ainsi une  formidable image du cinéma en ayant qu'un seul objectif: travailler pour le public avant tout. Pour la formidable équipe de Mamers, qui allie accueil et professionnalisme, c'est mission doublement accomplie et c'est avec grand plaisir que l'on s'y rendra à nouveau l'an prochain ...et en Mars ( les 25/26/27 mars 2022).


jeudi 2 septembre 2021

Une histoire d'amour et de désir de Leyla Bouzid


 Dès les premières images du générique, l'oeil est attiré. Une caméra remonte doucement sur une surface vitrée avec quelque chose derrière que l'on ne devine pas au premier abord. Puis on comprend qu'il s'agit d'un corps nu prenant une douche. Fille ? Garçon ? Garçon, dont le corps sensualisé amoureusement par la caméra nous sera révélé s'essuyant... Puis, le film démarre par des scènes d'un jeune homme quittant son domicile vraisemblablement en banlieue populaire pour se rendre à la fac. C'est son premier jour et la fac est la Sorbonne. En quelques scènes quasi muettes, la réalisatrice plante le décor et dresse un portrait précis d'Ahmed, le désormais sorbonnard. C'est fluide, quasi magistral. On se dit qu'on tient là un sacré film ou tout du moins une sacrée réalisatrice. 

On ne sera pas déçu par la suite. Si le pitch du film est simple, basique  (Ahmed finira-t-il à faire l'amour avec Farah, jeune tunisienne fraîchement débarquée à Paris et qui suit les mêmes cours que lui ?), le développement de cette histoire simple, prendra, grâce à un scénario de dentellière et à un vrai parti-pris de réalisation, une tonalité d'une épatante intelligence. 

Loin, très loin, des films sur le dépucelage d'ados ou des clichés de maghrébins vivant en banlieue, le deuxième long-métrage de Leyla Bouzid, mêle avec brio et surtout une grande subtilité, tout un panel de thématiques actuelles ( la liberté des filles, la machisme des garçons, la vie dans les quartiers sensibles,  le fossé social au sein d'une université d'élite) sans que ce soit ni appuyé , ni démonstratif, ni démagogique. La caméra filme avec douceur et sensualité les visages, la peau, les regards de ses deux jeunes interprètes ( Sami Outalbali et Zbeida Belhajamor tous les deux formidables ) dont le désir s'affiche sans complexe chez la fille et avec une grande timidité chez le garçon qui se trouve bouleversé par ses sentiments, par la liberté inhabituelle des filles et par sa vie qui s'éloigne des codes habituels . Au passage, on y apprend beaucoup de choses sur la littérature érotique arabe ( et sur une culture beaucoup plus ouverte sur le désir et le plaisir dans les siècles passés), sujet de l'un des cours que suivent les deux jeunes gens sous la houlette d'une professeur aussi érudite que pragmatique ( formidable Aurélia Petit).  Bien sûr ces mots, cette poésie ouvertement sensuelle joueront un rôle sur les sentiments des deux protagonistes tout comme sur la réalisation qui viendra magnifier ces premiers émois. 

Sélectionné pour la clôture de la semaine de la critique à Cannes en juillet dernier, "Une histoire d'amour et de désir" confirme l'immense talent da réalisatrice Leyla Bouzid, révèle ses deux jeunes acteurs et offre aux spectateurs, une très beau film qui prend le temps de s'intéresser à ses personnages, à leur vie, à leurs sentiments, le tout nimbé dans une sensualité à fleur de peau. Magnifique !



mercredi 1 septembre 2021

Corto Maltese /Océan Noir de Martin Quenehen, Bastien Vives d'après l'oeuvre d'Hugo Pratt


 Son créateur, Hugo Pratt, n'était pas contre, son éditeur historique l'a fait ! Corto Maltese revient dans de nouvelles aventures, avec au crayon ( tablette graphique ?) le très talentueux Bastien Vivès. Ca sent la machine à cash espérant un flot d'acheteurs chez les nostalgiques du célèbre pirate.... et chez les fans du dessinateur. 

Si au niveau dessin, le choix s'avère judicieux tant le trait original, noir et blanc de Bastien Vivès paraît le parfait compromis entre respect et modernité ( sans compter qu'en plus d'être déjà dans l'écurie Casterman, l'auteur,  est, semble-t-il, un fan absolu du marin voyageur), on peut penser que le récit d'aventures s'éloigne énormément de son univers habituel, plus psychologique. C'est sans doute pour cela qu'un scénariste se soit chargé de cette histoire. 

Le résultat, pour moi pas vraiment fan de Corto Maltese découvert à 10 ans dans Pif Gadget en 1969 ( et alors plutôt décontenancé par ce style radicalement différent face à Pifou ou Placid et Muzo) mais admirateur des albums de Bastien Vivès, reste mitigé. Le récit d'aventures et d'actions, rapide, avec un héros qui se retrouve toutes les 10 pages en grand danger et qui s'en sort toujours avec des facilités de scénario inhérentes au genre, sans grande psychologie évidemment, ne m'emballe guère ( même en essayant de redevenir l'enfant que je ne suis plus). L'histoire mêlant quête d'un objet mythique inaccessible ( ici une tête en or péruvienne), services secrets divers ( Japonais et américains), retrouvailles avec quelques figures récurrentes de la série ( Raspoutine), voyage évidemment et cet humour froid distillé par le héros toujours un peu mystérieux plaira sans nul doute aux fans du héros qui ne seront bousculés que par l'époque puisque dorénavant, sans prendre une ride, Corto vit au début du 20 ème siècle. Le dessin de Bastien Vivès, plus détaillé que d'habitude, fait parfaitement le job et donne une jolie ambiance à l'ensemble. Cependant, 50 ans plus tard, on ne lit plus de la BD de la même façon ( surtout si l'on se réfère aux précédents albums solos du dessinateur). "Océan Noir" plonge plus dans l'action facile.... On peut aimer ou trouver cela un peu daté. Reste le dessin de maître Vivès... C'est toujours un plaisir visuel...