vendredi 22 mars 2019

Il se pourrait qu'un jour je disparaisse sans trace de Thierry Beinstingel


Quand un auteur s'intéresse à des gens ordinaires et les place dans un univers réellement romanesque, sans fermer les yeux sur notre monde et son inhumanité, cela donne un récit passionnant qu'il est plus urgent de découvrir que celui mièvre et mercantile de certain(e)s auteur(e)s actuel(le)s porté(e)s aux nues dans le seul but d'enrichir quelques uns ( si vous ne voyez pas de quoi il s'agit, traînez dans une librairie, une pile de coquelicots devrait vous remettre à jour).  "Il se pourrait qu'un jour je disparaisse sans trace" ne bénéficie pas de l'écho médiatique que pourtant il mériterait, tant le regard réellement empathique et l'écriture fluide et imagée s'unissent pour nous offrir un vrai roman que l'on ne lâche pas, qui a vraiment des choses à nous dire et à nous faire ressentir. 
Trois personnages vont voir leur vie prendre une direction inattendue, trois personnes presque invisibles, tant leur vie ou leur statut social les conduit peu à peu à se fondre dans le paysage. Il y a d'abord une prof d'allemand, à l'image que l'on en a souvent( un cliché ?) : rigide, sèche, sans grâce. Séparée d'un mari volage, vivant à côté d'une ado mutique, déconsidérée par sa hiérarchie pour qui l'apprentissage de la langue de Goethe ( ou des Tokyo Hôtel) relève du passé, son quotidien va se trouver intrigué par la rencontre de l'équipe d'une association humanitaire venue vider la maison de son père récemment décédé. Ce sera la partie "roman psychologique et social" qui, dignement et élégamment, ne tombera jamais dans la facilité tout en maintenant un intérêt grandissant. 
Nous avons ensuite une jeune fille un peu désoeuvrée après son bac, vivant dans une cité en réaménagement dont la démolition de certaines barres d'immeubles laissera la place à une bretelle d'autoroute. Elle répond à une annonce punaisée dans le hall de son immeuble et va s'occuper, une heure par jour, d'un enfant attardé, abandonné dans un appartement. La situation, en plus d'être étrange et ignoble, donnera au roman son aspect apprentissage, la jeune fille découvrira petit à petit l'injustice du monde dans lequel elle vit. 
Le troisième personnage est un homme, sans plus beaucoup d'attaches et pointant à Pôle Emploi. Il se verra proposer un drôle de job bien rémunéré : garder une station de pompage totalement perdue au milieu d'un champ infini de maïs ( peut être en Ukraine ou dans quelques pays similaires de l'Est de l'Europe). Tel un Robin Crusoé sans vendredi, sa vie prendra un tournant qu'il n'avait sans doute jamais imaginé et donnera au roman sa partie grande aventure, réelle passionnante. 
Les trois récits alterneront avec bonheur, enrichis par des thèmes actuels ( la pauvreté, les migrants, les laisser-pour-compte) qui s'intègrent parfaitement et avec subtilité. Et si le lecteur se doute bien que ce procédé amènera ces trois personnes à se croiser, il ne voit pas bien comment avec ces trois intrigues si différentes. Mais, il faut faire confiance à Thierry Beinstingel et son talent de romancier, qui réussit ce tour de force avec finesse et arrive à donner un nouvel éclairage à son récit avec un final bien ficelé. 
Vous l'aurez compris, si vous voulez du roman, avec aussi un vrai regard qui vous passionne mais qui vous ouvre également l'esprit, "Il se pourrait que je disparaisse sans trace"  est l'ouvrage idéal, sincère et bien écrit, très très loin des fausses valeurs que l'on veut nous vendre par ailleurs. 



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