jeudi 18 février 2016

Randall de Jonathan Gibbs


Quand vous entrez dans le grand hall d'accueil de la société financière de Jan de Vries, sorte de multinationale tentaculaire anglaise, à côté de la photographie de cet homme au regard d'aigle se trouve un portrait signé Ian Randall Gibbs. C'est un grand carré sérigraphié à fond rose, avec en son centre une tache marron, un peu informe, genre test de Rorschach. C'est en fait son portrait, comment dire, anal ? puisque l'homme au lieu de poser devant l'artiste, est simplement allé aux toilettes déféquer un coup et s'essuyer méthodiquement après. Au lieu de jeter le papier souillé, il l'a confié au génial artiste, dont la côte monte de jour en jour, pour que celui-ci en fasse un agrandissement et qu'ainsi les résidus de son fondement soient exposés à tous les visiteurs. Comme à l"époque d'Andy Warhol,  tout ce que la planète compte de financiers et de stars possède son portrait de Randall. Nous sommes dans les années quatre-vingt-dix, la folie libérale est à plein régime et l'art profite de ces mouvements spéculatifs dans une danse incertaine et caricaturale.
Ian Randall Gibbs n'a pas existé ( même s'il peut faire penser à Damien Hirst). Jonathan Gibbs en fait la figure centrale de son premier roman, héros peu sympathique et manipulateur. A travers lui, il nous explique comment l'art contemporain, ligué avec la finance, créé des artistes où le talent n'est pas le principal atout pour réussir. D'installations morbides mais pourvoyeuses de scandales en happenings grotesques, Randall, judicieusement accompagné d'un conseiller financier, l'autre personnage principal de ce roman, rencontrera ceux qui possèdent les cordons de la bourse, achèteront son art et feront ainsi grimper les côtes. Cette partie du roman, précise, mordante, décortique avec un humour grinçant ce jeu de dupes que semble être devenu l'art contemporain. Mais le roman va au-delà. Alors que Randall est décédé depuis six ans, son ami et conseiller financier, Vincent, décide d'écrire sa biographie, histoire de mettre à plat leur supposée amitié. Au même moment, la veuve de l'artiste le contacte pour lui faire part d'une découverte hallucinante. Alors que Randall n'avait jamais exposé la moindre peinture ( on le pensait même incapable de représenter la moindre forme avec un pinceau), la découverte d'un atelier secret, rempli de toiles vient bousculer la donne. Le hic, c'est que ces tableaux sont tous des représentations de mécènes, de grands directeurs de galeries ainsi que de Randall et de ses proches, tous peints dans des situations pornographiques. Que faut-il faire de ces toiles, au demeurant excellentes mais somme toutes explosives ? Se dresse alors la question éternelle :Peut-on tout montrer en art ?
Tant qu'il est question d'art, le roman se révèle passionnant car Jonathan Gibbs semble connaître ce milieu comme sa poche. Seulement, il y a une autre intrigue, plus sentimentale, entre la veuve de l'artiste et son ami Vincent, qui elle, est nettement moins convaincante. Autant Jonathan Gibbs est passionnant dans sa plongée dans le monde artistique et financier, qu'il peine à être vraiment au même niveau dans la description des sentiments, moments plus convenus qui affadissent un peu son roman.
Une chose est certaine, la prochaine que vous vous rendrez à la FIAC, dans un musée d'art contemporain, resurgira l'esprit de ce roman et du coup vous vous interrogerez encore plus sur les oeuvres soumises à votre admiration. Rien que pour cela , "Randall" vous est fortement conseillé !

Merci au site BABELIO et aux éditions BUCHET-CHASTEL de m'avoir fait découvrir ce roman !


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