vendredi 13 janvier 2017

La terre qui les sépare de Hisham Matar


L'homme qui parle dans ce livre, Hisham Matar, n'a plus vu son père, farouche opposant au régime du colonel Khadafi, depuis 1990, année de son enlèvement au Caire, où toute la famille s'était exilée en 1979. Ils sauront assez vite qu'il a été emprisonné en Libye,  ils ne recevront aucune nouvelle, à part deux ou trois lettres passées clandestinement,  Au moment de la chute de Mouammar Khadafi, renaît le vague espoir qu'il fasse partie des nombreux prisonniers politiques libérés des geôles libyennes. Hélas, aucun miracle, le père est bel et bien porté disparu. Son fils qui remue ciel et terre depuis plus d'une décennie pour essayer de le libérer, décide de rentrer en Libye afin de savoir ce que fut sa vie en prison durant ces années, peut être le retrouver quelque part dans ce pays de cailloux et de sable rendu amnésique par des années de mauvais traitements ou tout simplement récupérer son corps pour lui offrir une dernière demeure décente. Ce récit nous embarque donc dans la quête de ce fils qui veut savoir coûte que coûte ce qui est arrivé à son père. Epaulé par son épouse Diana, photographe, ils sillonneront tous les endroits où se trouvent des personnes pouvant les éclairer, souvent d'anciens prisonniers. Se mêleront dans le récit un portrait plutôt hagiographique de ce père, une histoire de la Libye depuis la terrible et génocidaire occupation italienne jusqu'à nos jours mais aussi, en creux, le portrait d'un homme amputé trop tôt de cette figure paternelle dont il espère le retour.
Il faut que je l'avoue, j'ai dû faire une pause dans ma lecture pour recentrer mon attention. Sans doute bêtement, sur l'exil du narrateur et de sa famille est venu se superposer un autre exil plus actuel, celui du peuple syrien. Et la confrontation des deux m'a sérieusement déconcentré, puis prendre en grippe la fuite de cette famille, fort aisée, qui vit richement au Caire, envoie ses enfants étudier à Londres ou en Suisse, possède une demeure plus "campagne" à Nairobi. J'ai posé le livre quelques jours, histoire de respirer un peu et de pouvoir m'intéresser à ce sentiment tout à fait légitime et humain de la perte d'un père. Les riches ont aussi des souffrances. Bien m'en a pris, car la suite s'est finalement avérée, géopolitiquement surtout, franchement intéressante. La lecture est édifiante, terriblement précise mais aussi empreinte de toute cette poésie  moyen orientale ( qui peut parfois paraître un peu trop sucrée surtout dans la description des nombreux membres de cette famille tous plus généreux et bons les uns que les autres), parfaitement rendue, je pense, par la belle traduction d'Agnès Desarthe.
"La terre qui les sépare" ( quel beau titre !) reste un document riche et dense sur une famille meurtrie et endeuillée mais dont l'enracinement à la terre des origines se traduit aussi par une volonté féroce de la voir évoluer dans le bon sens. Une leçon de courage et de dignité. 

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