C'est une plongée dans la nuit tunisienne ( et par analogie dans toutes celles du monde musulman même si la Tunisie fait figure de phare dans cette lente et difficile voie vers la liberté ), une nuit réelle mais aussi très symbolique, celle dans laquelle vivent les femmes dans des pays où la tradition religieuse leur impose une perpétuelle obscurité.
Mariam, est jeune, pulpeuse, a envie de s'amuser comme toutes les jeunes filles de son âge. Pour la soirée qu'elle a organisée avec ses copines étudiantes, elle s'est habillée sagement mais un hasard de la vie lui fait enfiler une robe plutôt sexy. La soirée débute, cool et animée... Fin du plan séquence, qui sera le premier d'une suite de neuf. Ce découpage rythme le film, accentuant façon compte à rebours à l'envers, le cauchemar que vivra Mariam. Violée par des policiers sur une plage ( scène non filmée, la cinéaste manie l'ellipse avec justesse ), et aidée par Youssef rencontré par hasard, elle va errer d'hôpital en commissariat et ressentir que la justice locale est plus portée à pencher du côté des bourreaux que de ses droits ( bien minimes pourtant dans une société ô combien machiste).
"La belle et la meute" par son sujet, par son militantisme courageux emporte évidemment l'adhésion et nous plonge avec un certain réalisme dans ce dédale kafkaïen que sont les institutions tunisiennes. Le spectateur suit avec empathie le combat de cette jeune femme forte et fragile à la fois, qui subit pressions mais surtout regards à la fois hostiles et méprisants des fonctionnaires masculins ( les quelques femmes qu'elle rencontre n'arrivent pas à se dégager de cette gangue trop solide et ne lui seront pas de vraies alliées). On oublie facilement quelques ficelles ou maladresses scénaristiques tant le récit semble essentiel et vital. On admire autant le courage de l'héroïne que celui de la réalisatrice tunisienne ( dont on espère une sortie du film dans son pays ) qui en plus filme tout cela avec un vrai talent de mise en scène.
Ce film tout en finesse, sans aucune exagération, qui a un autre moment aurait juste été un constat féministe mais assurément lointain pour nous occidentaux, prend, à l'heure du " #balancetonporc", un étrange écho. Son effet miroir nous rappelle que chez nous aussi, pour une femme ( voire un homme), aller dans un commissariat porter plainte contre des violeurs ( qui plus est policiers) s'expose sans nul doute à des jugements sexistes et machistes, voire une totale incompréhension ( on échappe peut être à la corruption ou au chantage familial). On ne se relève pas facilement de millénaires de patriarcat. Une humoriste célèbre ( Sophia Aram) déclarait cette semaine avec justesse que les trois religions monothéistes étaient les premiers proxénètes d'un monde qu'elles ont offert aux hommes, et donc les premières coupables de cette ségrégation de la moitié de notre humanité. La formidable dernière image du film, avec son utilisation gonflée du voile islamique porte tout l'espoir d'un monde qui n'a plus besoin de dogmes ancestraux pour aller de l'avant. Le combat sera rude, et peut être bien plus que celui de Mariam, figure désormais incontournable de cette lutte.
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