Après une année blanche, un changement de directeur et quelques mesures un peu restrictives dues au Covid ( c'est féminin paraît-il comme souvent les noms des calamités, mais je préfère garder le masculin...), les 52 èmes Rencontres Photographiques d'Arles "prennent le pouls de l'état du monde" (dixit le petit plan/programme distribué aux festivaliers). Donc, et cette fois-ci selon le catalogue des rencontres, les visiteurs s'intéresseront à un lot d'expositions intitulé "Identités/fluidités", en gros les questions de genre, de représentation de la population noire ou étrangère dans l'art comme dans la vie de tous les jours voire de la création en période d'isolement ( actualité pandémie oblige), un autre lot au titre "Atlas" qui nous parle du monde, un volet plus historique appelé "Relectures" et un dernier, "Emergences" pour tout ce qui est plus créatif et nouveau ( auxquels vont s'ajouter un très joli hommage au photographe de plateau Raymond Cauchetier et tout un pan consacré aux livres publiés autour de la photo avec une exposition/hommage à la revue Neuf ( 1950-1953) créée par Robert Delpire ( et qui vient d'être rééditée sous la forme d'un coffret contenant tous les numéros parus).
Même si le nombre des expositions est un peu réduit par rapport à l'habitude, le visiteur pourra en trouver qui le passionneront....ou l'agaceront. Force est de constater que c'est bien joli de partager tout cela en grands chapitres, mais les thèmes récurrents de l'époque se retrouvent partout ( quoique meetoo ou la pandémie n'apparaissent que très peu). Ainsi la question de genre, principalement abordée par "Masculinités", infuse beaucoup d'autres expositions ( et parfois de façon plus pertinente voire impertinente), tout comme la problématique de la population noire. C'est sans doute ce qu'il y a de plus stimulant que cette capillarité entre les oeuvres qui permet de rester en éveil, de faire des recoupements, de discerner tous ces courants inspirants et les différentes manières de les aborder.
C'est ce qu'essaie de nous proposer l'exposition fort médiatisée " Masculinités" ( conçue en premier lieu par et pour le Barbican Center à Londres et déjà exposée à Berlin en 2020) avec son regroupement d'une cinquantaine d'artistes, sauf que l'ensemble apparaît un peu disparate, quelquefois tiré par les cheveux, s'éloignant parfois du sujet ou cherchant à se raccrocher inutilement à l'actualité (Black Live Matter). Entre frustration de ne pas en voir plus d'un artiste ( souvent représenté par deux ou trois photos extraits d'une série plus importante) ), interrogations face à la présence d'autres dont les clichés semblent un peu éloignés du sujet mais rattrapés par un cartel qui file avec emphase la métaphore( L'excellentissime Masahisa Fukase, mais dont les fameux portraits de famille dévoyés n'ont guère de rapport ou Aneta Bartos et ses autoportraits avec père) ), l'exposition déçoit un peu. Certes, l'ensemble en jette, arrive bien sûr à illustrer que l'on ne naît pas homme mais qu'on le devient, que cette construction sociétale varie selon les continents mais l'ensemble laisse une sensation de manque surtout que l'on a rencontré ou rencontrera plus tard dans les Rencontres des artistes qui illustrent aussi bien, voire mieux, ce propos ( Pieter Hugo, Daniel Obasi ou Andrzej Steinbach). Et que dire de l'atmosphère quasi polaire du lieu d'exposition? 20 degrés pour un visiteur en short et en débardeur arrivant de l'extérieur où il fait au moins trente degrés, c'est l'assurance de finir l'expo au pas de course. Ici, quelque soit le genre, les musclés comme les chétifs, on n'a qu'une envie : sortir avec la ferme intention de se réchauffer très vite ( mais qui programme la clim ? ).
Je ne détaillerai pas chaque exposition, mais dirai que si vous passez par Arles, il y a quand même des incontournables à ne rater sous aucun prétexte :
Vous serez fascinés ( entre autre) par l'art du portrait du Sud africain Pieter Hugo, dont les modèles vous regardant droit dans les yeux ne pourront que vous impressionner. Vous éprouverez une admiration sans borne pour cette jeunesse soudanaise qui a lutté ( et lutte) pour sortir de toutes les dictatures qu'elle subit ( politique, militaire et religieuse) avec cette magnifique exposition "Thawra ! Révolution!". Vous pourrez redécouvrir l'oeuvre de Sabine Weiss ( même si là aussi, on ressort frustré de ne pas en voir plus, notamment son travail dans la publicité), voyager dans l'Orient Express et Cie, se plonger dans ( même si pas amateur) l'histoire très musicale mais aussi très politique de la revue Jazz Magazine, découvrir une Corée du Nord comme on l'imagine mais surjouée avec talent par Stéphane Gladieu, être ému par l'installation de Polaroïds d'Anton Kusters, être impressionné par le travail ( récompensé ) de la jeune Almuneda Romero ou en prendre plein les yeux par les photographes de l'exposition "The New Black Vanguard" qui nous suggère combien l'avenir vient sans conteste de l'Afrique.
On pourra être par contre décontenancé par certaines propositions, plus avant-gardistes sans doute. Les habitués d'Arles qui filent s'éblouir habituellement à l'église des frères Prêcheurs risquent d'être surpris par la présence en ce lieu des Prix découverte Louis Roederer récompensant de jeunes photographes dont le travail présenté ici, laisse un poil circonspect tant l'idée de départ semble bonne mais le résultat un peu hermétique ou guère convaincant ( et ce ne sont pas les cartels, souvent abscons, qui aident à apprécier l'ensemble, laissant l'impression qu'à partir d'une vague idée, on tire un fil volontiers pompeux qui finit par ne laisser que percevoir la vacuité du propos). On me rétorquera que le public des Rencontres est bourgeois et pas mal bobo, dont attiré par l'art, mais quand on l'observe déambuler dans ces endroits, un sur quatre lit le cartel, et 95% ont le regard qui glisse de façon désabusé sur les clichés présentés. Pas certains que cette jeunesse créatrice attire complètement l'attention.
Pour donner un exemple de la façon dont on magnifie quelques clichés, voici un exemple tiré d'une exposition assez tartignole, fourre-tout, que l'on s'est cru obligé de nous imposer, pandémie oblige : "Puisqu'il fallait tout repenser" ( le pouvoir de l'art en période d'isolement ). C'est un regroupement d'oeuvres de photographes ou vidéastes divers et variés, là aussi représentés par deux ou trois photos, raccrochées comme on a pu avec le titre de l'expo. Les cartels, pour qui aime le second degré, sont sûrement le meilleur de cette exposition. Verbeux à l'extrême, parfois incompréhensibles à force de touiller verbiage et concept, plus on avance, plus on rigole ( par contre on fait grise-mine devant la plupart des photos ). En voici un exemple. J'ai choisi le plus lisible ...
Voici une photo de l'artiste Marcos Lopez, présentée avec sa version noir et blanc ( en plus petit format ). Celle-ci est colorisée, peinte à la main sans doute. Rien d'autre n'est présenté de l'artiste... On notera combien elle entre dans le thème de l'exposition ( voir plus haut) . On lit sur le cartel ( entre autre) : "L'horreur du vide baroque, interprétée par Lopez, rend compte d'une culture périphérique dévastée par les effets du capitalisme hégémonique et de la domination instaurée par l'occident.... On y perçoit les échos d'une longue tradition qui va du muralisme mexicain jusqu'à la photographie documentaire, au cinéma politique, à l'appropriation, à la juxtaposition de citations sur la photographie et au dialogue entre peinture, photographie et modèle. " Comme quoi, un portrait de dame avec fleurs, engendre parfois la masturbation. Cet exemple est sans doute le plus lisible, le plus simple, le moins alambiqué de tous les cartels de cette exposition ( et de quelques autres).
Ceci dit, il ne faudrait pas que cela vous décourage à visiter ces Rencontres Photographiques qui restent un vrai temps fort de la vie artistique et culturelle française, tant la diversité des oeuvres présentées est grande et pouvant s'adresser à de multiples publics. Certes, l'art reste encore l'affaire de quelques uns et ce n'est pas en employant à profusion un verbiage forcément clivant que l'on va pouvoir s'ouvrir au plus grand nombre. Cependant, les Rencontres Photographiques peuvent offrir à quiconque un vrai moment d'éblouissement et c'est ça qui les rend irremplaçables.
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