Le pigeon du titre du nouveau Roy Anderson apparaît au début du film. Il est empaillé dans la vitrine d'un musée. Pendant qu'une compagne l'attend, un homme vieillissant, à l'air un peu égaré, le visage blafard, l'observe longuement, attentivement et s'en va. Cette scène d'introduction donne le ton de ce film. Oui, nous serons comme dans un musée à observer attentivement ces 40 plans fixes proposés tels des tableaux. A l'intérieur de ces plans, le réalisateur va placer une multitude de personnages que l'on retrouvera ou pas, formant l'image d'une humanité pour le moins singulière.
L'impression première est que l'on a affaire à un fan d'Edward Hopper en version encore plus dépressive. Même thématique de solitude urbaine, même sentiment d'infinie tristesse se diffusent dans ces nombreux plans hommages, notamment dans une rue avec restaurant ou dans des bars, mais en version nettement moins colorée, tirant surtout sur le beigeasse et le kaki délavé. On pourra, pour les amateurs, y trouver d'autres influences picturales allant de Magritte à Voutch (le dessinateur humoristique français bien connu des lecteurs de Psychologie magazine ou du Point). Mais au fil des minutes, après nous avoir balancé trois scènes autour de la mort où il compile avec un humour noir sa vision de l'âme humaine, on comprend très vite que le dispositif ne laissera pas le spectateur indifférent. On pourra peut être être révulsé par ces clowns sinistres qui déambulent dans ces intérieurs gris, comme les deux vendeurs en farces et attrapes zonant de banlieues glauques en magasins décrépits, nous renvoyant leur image miteuse comme peut être un reflet trop négatif de nous-même. On pourra aussi trouver le procédé trop lourdement explicite, trop démonstratif, la répétition de cette grisaille contemporaine trop théâtrale.
Mais on pourra surtout écarquiller ses yeux , scruter ces images jamais banales et y découvrir des petits trésors d'humour, d'absurdité et de causticité. Certaines scènes (tableaux ?) sont tout bonnement ahurissantes de beauté et d'invention. Je défie quiconque de ne pas être scotché par la totale originalité de l'arrivée du roi Charles XII dans un bar minable mais aussi extrêmement dérangé par la scène finale, où une machine infernale à base de noirs enchaînés sert de spectacle à une bande de vieux riches.... Même si ces deux moments sont les points culminants du film, le reste est comme un pied de nez au cinéma coloré et clipesque, l'absolue maîtrise d'une dissonance discrète portée à son comble.
C'est dérangeant un film qui joue sa partition incongrue avec autant d'opiniâtreté mais diablement stimulant pour le spectateur qui aime qu'on lui propose des univers non formatés. Roy Anderson, s'est vu décerné le lion d'or à la dernière Mostra, récompensant un cinéma inclassable et donc non consensuel. Il faut se risquer à le découvrir. On aimera ou pas, mais je reste persuadé qu'en plus de ne laisser personne insensible, ce pigeon recèle quelques images qui s'imprimeront durablement dans votre mémoire.
(Ne vous fiez pas trop à la bande annonce un peu trop tristouille qui ne rend pas justice à ce film inventif.
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