mardi 9 juillet 2013

A moi seul bien des personnages de John Irving



Après quelques romans guère emballants, c'est malgré tout avec envie que je me suis plongé dans le dernier roman de John Irving "A moi seul bien des personnages". Il faut dire que les éditions du Seuil avaient mis  le paquet côté promotion : venue de l'écrivain au moment des manifs contre le mariage pour tous, longs entretiens dans toutes les bonnes émissions radios ou télés ( bon d'accord, à la télé, plus court), articles de presse élogieux sur le thème du grand retour du grand écrivain tant aimé autrefois. Bref, accord total pour dire que c'était là son meilleur livre depuis longtemps et, qui plus est, autour d'un thème à la mode qu'il effleurait seulement dans ses ouvrages précédents mais qu'ici il abordait frontalement : la bisexualité. 
Les presque 500 pages de l'ouvrage, mélange astucieux de sexe, de références théâtrales et de clins d'oeil à ses livres précédents, ont procuré au lecteur que je suis un plaisir évident. John Irving, l'âge aidant, se lâche totalement tout en  retrouvant ce qui faisait son charme à ses début, cette puissance romanesque et fantasque incroyable mais ici nimbée d' un ton plus crépusculaire, donnant un petit côté testamentaire ou liquidation avant fermeture à ce roman.
Difficile de résumer cette histoire qui se déroule en grande partie dans les années 1959/1963. Billy, (un peu, beaucoup John Irving ? ) est un jeune homme en cours de formation bien sur  mais se posant beaucoup de questions sur sa sexualité. Aussi bien attiré par les femmes que par les hommes, il n'arrive pas à trancher tant qu'il n'a pas vraiment essayé les deux... et essayer n'est pas simple dans une Amérique puritaine. Pourtant entouré d'une galerie de personnages assez atypiques de profs ou de bûcherons, tous passionnés de théâtre et renfermant des secrets bien souvent sexuels, son parcours ne sera pas toujours facile. Ce sont ses amours non consommées puis assumées qui seront le fil conducteur du livre. Description minutieuse et talentueuse de cet âge indécis et balbutiant, ce lent parcours vers une sexualité épanouie est vraiment réussi, mélange de finesse psychologique, esprit d'ouverture et de romanesque flamboyant. L'initiation du jeune Billy est un régal d'humour et de tolérance. Entouré de parents, voisins et amis franchement grâtinés, John Irving, grâce à un savoir-faire retrouvé, arrive à faire passer le plus incroyable. Il nous donne à penser que cette petite ville du Vermont est le reflet de n'importe quelle bourgade, comme si mon bourg natal de Soustons (5000 habitants dans les Landes) renfermait un lot assez important de travestis, transexuels et autres personnages aux fantaisies diverses et variées. Pour s'en apercevoir, il suffit de lever un tout petit peu un coin du voile pudique que revêt le monde, pour mettre à jour une sexualité bien moins binaire que les apparences veulent bien le laisser croire. 
Ce postulat romanesque et bien mené est réjouissant, mais le dernier livre de monsieur Irving possède d'autres strates un tout petit peu moins grand public, donnant à cet ouvrage son statut d'oeuvre plus complexe qu'il n'y paraît.
Tout d'abord, il y a de nombreuses références au théâtre ou à la littérature, qui, sans réellement alourdir l'intrigue, apportent au livre sa caution intello. Shakespeare, Ibsen, Tennessee William, Dickens, Flaubert sont au rendez-vous, soulignant de façon littéraire les émois divers et variés des protagonistes de cette histoire qui vont s'aimer, se haïr, se révéler au fil de paragraphes souvent hilarants, mais qui auraient eu le mérite d'être un tout petit plus ramassés. Le côté "regardez comme la littérature illumine notre vie" est un peu trop appuyé.
L'autre strate de ce roman s'adresse à ses fidèles lecteurs. On y retrouve tous les éléments qui hantent son oeuvre depuis "Le monde selon Garp", l'enfant au père absent, inconnu ou nébuleux, la maîtrise de la maternité par les femmes, le travestissement, la lutte gréco-romaine, ... Il ne manque que les ours (même si vaguement évoqués sous la forme de gros gays poilus). Seulement ici, et sûrement parce que John Irving arrive à un âge où l'on se contrefout de son image, ces thèmes sont abordés frontalement, sans faux-semblant et ont un parfum autobiographique évident. 
"A moi seul bien des personnages" est le livre le plus important de son auteur par son affirmation sans nuance, son quasi plaidoyer pour une bisexualité assumée et heureuse, mais aussi par son côté crépusculaire extrêmement émouvant. On sent la vie qui passe, les témoins de sa jeunesse disparaître un par un et la mort du héros (de l'auteur ?) qui rôde. Par contre, je ne pense pas que ce soit le livre qu'il faut lire d'emblée pour découvrir John Irving, on lui préférera ses premiers romans plus faciles d'accès. Une chose est certaine, John Irving est bien un des auteurs majeurs du continent américain, loin devant tout une cohorte de confrères appliquant scolairement les techniques trop éprouvées des ateliers d'écriture. Lui, il a un univers, un vrai, et des idées à faire passer, de celles qui font progresser les humains.


1 commentaire:

  1. Je le lirais assurément car je suis fan d'Irving.
    Tu en fais une belle chronique qui m'attire encore plus.
    @ bientôt

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