dimanche 23 août 2015

La saison des Bijoux d'Eric Holder


J'étais heureux de lire un nouveau Eric Holder qui, il faut que je l'avoue, m'avait procuré de réels plaisirs de lecture il y a quelques années. On le retrouve donc cette rentrée remarquablement en forme si j'en juge le clip de présentation sur le site du Seuil. Oui, c'est tendance depuis quelques années (et peut être encore plus cette saison ), les auteurs, tels des chanteurs, se doivent de présenter leur nouveau livre dans un petit film. Bronzé, sautillant, vêtu d'une chemise à fleurs du plein effet, Eric Holder, s'essaie à une présentation de camelot pour "La saison des bijoux" qui, restons dans la tonalité, se déroule sur un marché. On voit bien que ce n'est pas sa spécialité. Il a beau essayer d'y mettre du coeur, mais l'emphase forcée avec laquelle il lit son texte ne m'a pas paru bien convaincante.
Peu importe cette concession au marketing d'aujourd'hui, mais jugeons donc le roman sur lecture. Nous sommes dans le Sud-Ouest de la France où une famille de marchands de bijoux lyonnais décide de passer toute la belle saison  à vendre ses produits, objets peu présents dans ce marché balnéaire de Carri. Ils vont vite s'apercevoir que l'on ne se fait pas n'importe comment une place dans un endroit où de vieilles règles, plus ou moins tacites et flirtant avec l'illégalité et le despotisme, régissent placements et humains. A la tête de cette petite mafia locale, un dénommé Forgeaud, rustre et suffisant, qui en plus de jouer le chef incontesté, se met en tête de coucher avant la fin de la saison avec la vendeuse de bijoux.
Comédie humaine, hésitant entre rires et larmes, "La saison des bijoux " ne m'a guère convaincu. Ca débute plutôt pas mal. La famille Bijoux est sympathique et attachante. Mais très vite le roman commence à pâtir d'une multitude de personnages (ils sont nombreux les camelots sur ce marché !), tous avec des surnoms, qui m'a un peu perdu. C'est qui celui-là ? ...Ah oui le marchand de Fromage ... Puis le récit prend son rythme de croisière au gré de péripéties somme toute assez plates, faisant penser à un scénario pour téléfilm FR3.
Il y a bien par moment, au milieu de dialogues de bar du commerce quelques fulgurances d'écriture, parfois un peu précieuses, souvent destinées aux descriptions ( Le soleil (...) éclaboussait en revanche le champ attenant, la prairie fleurie où le vent, par instants, en redressant les touffes de molinie et la folle avoine, faisait clignoter les couleurs.). Nous avons droit également à deux emballements du récit, aux connotations sexuelles violentes, sensés sans doute être des climax mais qui donnent à ce texte un côté déséquilibré, voire peu crédible dans cet environnement très planplan. J'ai lu le tout sans grande passion ni grand intérêt. C'est toute de même le gentil  portrait d'une profession peu présente dans la littérature, tout comme une plongée amusante dans une province bien moins tranquille qu'il n'y paraît. Quelque soit le lieu, l'environnement, les salauds sont partout, le pouvoir tyrannique s'exerçant même à petite échelle.
Plus léger que d'habitude mais, hélas, bien moins convaincant, ce retour d'Eric Holder laisse un goût d'inachevé, de convenu, un peu sans doute comme la plupart des articles que l'on offre à nos envies sur les marchés d'aujourd'hui.

Pour le clip, c'est ICI

samedi 22 août 2015

L'inconstance des démons d'Eugène Green


Un petit tour dans le Pays Basque profond, ça vous dit ? Pénétrer à la suite d'un ancien médecin, veuf et reconverti en vendeur de livres anciens, dans quelques unes de ces demeures typiques, rouges ou vertes, où, sans doute, au moins un jambon pend nonchalamment d'une poutre noircie par les fumées d'une grande cheminée. S'enfoncer au coeur d'une région conservant jalousement sa langue et ses traditions et tenter de comprendre pourquoi un adolescent de bonne famille entre régulièrement en transe et, tout en tenant des propos étranges, fait surgir autour de lui des voix venues d'ailleurs. " L'inconstance des démons" nous plonge aussi dans un passé où sorcellerie et religieux faisaient bon ménage et remonte jusqu'au XIIe siècle où vivaient dans ces contrées une caste considérée comme impure et confinée dans des ghettos : les cagots.
Pas de chance pour moi, je goûte peu à l'ésotérisme et à la sorcellerie, coeur de ce roman. Autre malchance, je n'ai aucune accointance avec la tradition basque (pas plus qu'avec la corse, la bretonne ou la bourguignonne), mélange de chauvinisme acharné et de repli traditionnel qui, à mes yeux, manquent pas mal de fraternité.
Au milieu de noms basques qui risquent de rendre la lecture un tout peu plus difficile pour des non-initiés (  originaire de la région, cela m'a plutôt fait sourire), il y a une intrigue que l'auteur a voulu vaguement policière qui m'a permis de m'acheminer mollement et sans conviction jusqu'au dénouement.
Même si le thème du livre n'est pas ma tasse de thé, j'avoue que ce texte m'a constamment paru poussiéreux, à l'instar des personnages semblant sortis d'une autre époque. Avec une écriture très simple, ressemblant à celle d'un feuilleton jadis proposé dans "Nous deux", l'intrigue avance platement, sans grand ressort. Cela pourrait s'intituler "Le clan des sept au Pays Basque" pour le style, mais l'enquêteur est seul. Toutefois, et pour se démarquer de feu Enid Blyton, on trouve au détours de certains chapitres quelques éviscérés ou décapités.
Sombrant dans une bouillie ésotérico obscure, le livre s'est refermé tout seul, rejoignant ainsi la pile des titres qui prendront la poussière avant un sort plus funeste.
A écriture facile, conclusion à l'avenant :" L'inconsistance des démons" ....heu ...pardon "L'inconstance des démons" m'a diablement peu intéressé.

vendredi 21 août 2015

Juste avant l'oubli d'Alice Zeniter





Alice Zeniter aime les endroits singuliers voire isolés. Dans son précédent roman "Sombre dimanche", ses personnages vivaient dans une petite maison perdue au milieu des voies de chemin de fer de la gare de Budapest. Cette saison, elle les propulse dans une île perdue des Hébrides, Mirhalay, dont la population se résume à son gardien taiseux. Hormis cette particularité, peut être le noeud thématique d'une oeuvre en devenir, le nouveau roman de celle qui obtint le prix du livre Inter en 2013 (ainsi que le prix des lecteurs de l'Express) ne brille hélas pas par son originalité.
Franck et Emilie vivent ensemble depuis 7 ans. Lui s'investit en tant qu'infirmier et n'aime pas son prénom. Elle s'épuise comme prof en collège et prépare une thèse sur un auteur de polars à succès : Galwin Donnell. C'est dans ce cadre là qu'elle a été choisie pour organiser le colloque sur l'auteur, se déroulant tous les trois ans dans cette île écartée du monde où il finit ses jours. Franck va la rejoindre, des interrogations plein la tête sur leur amour et sur ce refus d'Emilie de vouloir un enfant. Tout en nous intéressant aux conférences sur cet auteur, nous vivrons les derniers instants du couple.
J'ai cru percevoir ce qu'a voulu faire Alice Zeniter : profiter de cette évocation d'un auteur de romans noirs dans un endroit relativement anxiogène pour que ce délitement conjugal prenne lui aussi une allure de polar. Si le lieu, avec ses vents marins glacés, peut faire frissonner le lecteur et si l'invention biographique reste convaincante, on ne peut pas en dire de la totalité du roman qui est bien ordinaire. Pas facile d'être originale sur le thème de la séparation, surtout avec des personnages guère consistants qui ont du mal à lutter face à cet auteur bien plus intrigant, dont la présence nous fait complètement oublier le sort du jeune couple. Le récit peine à nous intéresser malgré une écriture légère et agréable. Personnellement je me fichais pas mal qu'ils se séparent ou pas, ne les trouvant ni sympathiques ni attachants. Quand le roman instille un doute sur la mort de l'auteur, on voit arriver un dénouement avec ses gros sabots. Et même si l'auteure parvient à ne pas être complètement convenue sur ce coup là, arrivant même à vaguement me toucher, c'était trop tard, les jeux étaient faits. Le roman s'est refermé avec l'impression d'avoir lu quelque chose de pas mal troussé mais aux ambitions bien minces et surtout pas très bien exploitées.
Ni polar, ni roman psychologique, "Juste avant l'oubli" porte peut être un titre prémonitoire. Trop léger et un peu bancal, il ne devrait pas laisser de grands souvenirs...

Et comme cela risque de devenir une habitude, voici le clip de présentation :


jeudi 20 août 2015

L'infinie comédie de David Foster Wallace


"L'infinie comédie " c'est quoi ? 
Un énorme pavé de 1487 pages (mais avec 160 pages de notes qui parfois sont des parties du roman) imprimé sur papier bible et très bien relié, pour une lecture plus facile. Et c'est bien heureux car si en plus du poids conséquent, s'il avait fallu se battre avec des pages récalcitrantes, pas sûr que j'aurai eu la patience d'aller jusqu'au bout. 
Ce pavé est présenté par l'éditeur comme un des 50 chefs d'oeuvre du XXe siècle ...car il a été écrit en 1996 mais encore jamais traduit en Français. Ce sont les éditions de l'Olivier, spécialistes de la grande littérature américaine qui se sont coltinées la traduction du monstre et espèrent bien l'amortir cette rentrée. 
Comment vendre "L'infinie comédie " ? 
Dans une société avec de moins en moins de lecteurs dont la grande majorité lit du Marc Lévy ou du Guillaume Musso, faire acheter du Wallace ne va pas être aisé. Heureusement, bruit déjà dans la presse une petite rumeur de chef-d'oeuvre, voire d'incontournable, de quoi allécher les lecteurs exigeants. Et devrait donc paraître des articles élogieux, érudits, intelligents, remplis de superlatifs du genre "Fantaisie dystopique", "Fascinant roman" "Dézingage virtuose de la société américaine" ou tout simplement "Chef-d'oeuvre", car quel autre mot saura mettre un peu de culpabilité dans l'esprit d'un amateur de littérature surtout s'il lui prend l'envie de, peut être, faire l'impasse.
"L'infinie comédie ", c'est quel genre ? 
Je ne peux pas répondre à cette question même si j'ai consacré une bonne semaine de mes vacances à lire la chose. Je suis capable de révéler que ce n'est pas un roman captivant qui vous happe dès les premières pages pour ne plus vous lâcher et c'est sans doute dommage vu la longueur. Par contre, je peux dire que ce n'est ni un roman policier, même s'il y a une vague intrigue qui s'en approche, ni un roman de science-fiction même si cela se déroule dans un futur indéterminé, ni un roman Harlequin car l'Olivier est au-dessus de ça, ni de la sociologie, de l'ésotérisme, de la philosophie, de la cuisine, c'est, c'est ...un OLNI (Objet Littéraire Non Identifié). 
Mais cette "Infinie comédie " ça raconte quoi au juste ?
Pas grand chose et beaucoup de choses ! Si je devais résumer en simplifiant au maximum, je dirai qu'il est question d'un école de tennis formant l'élite des grands tournois. Cette école est dirigée par Avril, veuve depuis que son alcoolique et cinéaste de mari s'est suicidé en se faisant exploser la tête dans un micro-ondes. Il a cependant eu le temps de faire trois garçons, Orin, surdoué qui s'est barré assez vite, Mario, nabot difforme mais gentil et Hal, surdoué tout court et du tennis en particulier. Il est également question d'une clinique de désintoxication où Gately, employé résident ( ce qui signifie drogué mais ayant des responsabilités dans l'établissement), égrène souvenirs et descriptions d'un monde en prise avec toutes sortes de stupéfiants. Et en fil rouge, apparaissent Marathe et Steeply, agents doubles ? triples ? quadruples ? d'une organisation séparatiste québécoise, l'un en fauteuil roulant et l'autre déguisé en femme, et à la recherche d'une cartouche de divertissement qui scotchent à l'écran ceux qui la visionnent et finissent par en mourir...
A partir de cette trame et dans une Amérique du Nord unifié ( USA, Mexique, Canada réunis), David Foster Wallace va broder, creuser, s'engouffrer dans l'intime, avec des phrases d'une longueur proustienne (de chef d'oeuvre donc!) narrant des anecdotes parfois drôles mais aussi sordides, folles, violentes. Il va aussi jouer avec son texte, lui donner des formes multiples, lui permettant ainsi d'exprimer quelques idées, souvent noires, voire déprimantes sur le futur d'une société américaine déjà très présent en 1996. 
Alors, au final, cette "Infinie comédie" tu le conseilles ou pas ? 
J'en sais rien, même si j'aurai tendance à penser qu'il vaut mieux passer du temps avec d'autres livres plus faciles d'accès. Il faut le dire, c'est une littérature qui demande des efforts et de la patience. L'auteur adore les phrases longues, gigognes. Il aime les énumérations ou glisser tout un tas de mots précis ou ampoulés. Un exemple parmi mille autres, pris au hasard (page 907) : 
" Une autre raison de leur présence ici est d'ordre punitif, certains joueurs -(...)- ayant reçu la mission, punitive, donc, et considérée comme désagréable, de descendre sous terre en fin de journée pour inspecter l'itinéraire que devront suivre les employés des Structures Gonflables Tout-Climat Tes Tar lorsqu'ils trimballeront hors de la salle d'Entrepôt les étrésillons et traverses en fibre de verre et la bâche en dendriuréthane composant le Poumon pour l'érection dudit Poumon, quand l'administration d'E.T.A. estimera enfin que les conditions météorologiques automnales, au lieu de forger le caractère, représentent une entrave au bon développement et à la morale. "
Non, il n'y a aucune faute de frappe ! Je sais c'est perfide et peut être un peu salaud, mais le livre est loin d'être une partie de plaisir.  C'est ainsi qu'écrit David Foster Wallace le plus souvent. Cependant, j'ai trouvé des passages sidérants de pertinence  ou d'une précision follement évocatrice ou d'une justesse qui m'ont scotché à plusieurs reprises. Mais, il ne faut pas le cacher, il y a parfois des tunnels qui donnent envie de sauter des pages. Personnellement, j'ai trouvé le dernier tiers du livre, malgré la vague enquête autour du film addictif, moins percutant. Peut être que j'ai fait une overdose de toutes ces scènes autour de drogués, de toxicos, de camés, d'addicts à toutes sortes de substances, parce qu'il faut le signaler, il ne doit pas y avoir une page où il n'est pas question, de près ou de loin, de drogue, de coke, de crack, d'alcool, d'amphétamines, de .... (mais très peu de sexe par contre, je dirai même que ce roman est quasi asexué comme les élèves de tennis). 
Pour moi "L'infinie comédie " est un long shoot littéraire, sûrement écrit sous l'emprise de tout un tas de substances interdites, qui force à l'admiration par ce déversement hargneux, haineux, tendre et violent mais qui en rebutera beaucoup par un trop plein de vocabulaire qui rend parfois ce texte abscons.Ce ne sont pas les saillies formidables qui parsèment ce pavé qui rendront la lecture passionnante mais laisseront à penser qu'il est certain que ce livre est loin d'être anodin. Un chef d"oeuvre ? Pourquoi pas ? Mais comme tous les chefs-d'oeuvre beaucoup de lecteurs n'ont pas forcément toutes les clefs.J'en fait sans doute partie...

mercredi 19 août 2015

Ah ! Ca ira ... de Denis Lachaud


Les écrivains censés capter de l'air du temps, sont des êtres sensibles et surtout capables de mettre en forme des éléments de nos quotidiens en les insérant dans des récits que nous lisons avec passion ...quand ils sont réussis.
La politique, le malaise économique actuel, les migrants qui fuient leur pays en guerre ou agenouillé par les banques, cette pression libérale qui laisse sur le bord de la route de plus en plus de monde pour le profit de quelques uns, sont des territoires romanesques dans lesquels peu d'écrivains s'aventurent ou en font le thème principal d'un récit.
Denis Lachaud empoigne avec "Ah ! Ca ira..." cette réalité pour nous proposer une fiction inspirée, lucide, humaine et qui se lit comme un polar.
En 2015, Antoine, est un type lambda, marié avec Chloé, père d'une petite fille menant une vie simple si ce n'était quelques déplacements professionnels. Sous ces allures banales, il est juste membre d'un groupuscule qui enlèvera le président de la république française. Après l'avoir humilié médiatiquement en le filmant torse nu et en jogging, le groupe abattra le chef de l'état, créant un événement sans précédent pour des médias aimant la surchauffe. Arrestation, procès, Antoine écopera d'une détention à perpétuité, de laquelle, pour tenue exemplaire, il sortira au bout de 21 ans, muni d'un bracelet électronique.
Nous sommes en 2037. La France a un peu changé... en pire. Drones, caméras, tablettes, portables sophistiqués, tout le monde espionne tout le monde et les migrants sont parqués dans des banlieues autrefois sordides mais dorénavant entourées de hauts murs pour que personne ne s'échappe....
C'est dans cet univers de plus en plus clivé, qu'Antoine retrouvera sa fille Rosa ( comme Rosa Luxemburg) et que naîtra un début de mouvement social où les violences finalement inutiles d'hier seront remplacées par une solidarité de tous les instants.
 Après Michel Houellebecq avec " Soumission", un deuxième écrivain essaie de nous envoyer dans un futur proche. Mais là où Houellebecq s'attardait à décrire un islam s'installant en France, Lachaud lui, synthétise toute une réalité sociale, politique et économique pour créer un roman aussi passionnant qu'haletant.
Pour le lecteur, ce livre est un régal. Emporté par une écriture combinant à merveille simplicité et fluidité mais ne cédant jamais à la facilité, le récit, mené tambour battant, s'attache à suivre des personnages attachants mais tout aussi complexes que la situation dans laquelle la France est plongée dans ce 2037 bien sombre. On sent la patte de quelqu'un pour qui la vie ne se résume pas à n'être qu'un simple observateur de nos dérives, mais un auteur qui n'a pas peur de s'engager, de partager sa vision du monde et qui sait mieux que quiconque titiller le lecteur là où ça dérange un peu. En lisant " Ah! Ca ira..." , vous prendrez le risque d'être en empathie avec un assassin, vous subirez le quotidien d'un sans papier dans des zones infâmes, vous vous interrogerez sur la toute puissance des images dans des médias qui évitent l'analyse ou de l'utilité d'une action violente pour arriver à faire bouger les choses. J'aurai juste un regret sur la dernière partie du livre qui laisse un peu de côté le personnage d'Antoine au profit de sa fille. Ce passage de relais générationnel, aussi nécessaire qu'enthousiasmant, m'a toutefois laissé comme un petit goût d'inachevé.
Mais ce qui m'a vraiment accroché, c'est ce regard empreint d'une grande humanité. Dès la deuxième phrase du livre, le ton est donné. Antoine, le héros, habillé de noir, s'apprête à kidnapper le président de la République. Il guette au coin d'une rue et Denis Lachaud écrit : " Le dos de ses poings serrés frotte le satin des poches de son blouson, cherche la douceur." C'est cette douceur que l'on peut espérer en chacun de nous qui est un des fils souterrains de ce roman. Elle est palpable dans toutes les pages, chaque personnage y tend comme il peut dans la rudesse des jours et des situations. Elle prend la forme de la caresse du vent sur le corps nu d'Antoine en forêt de Fontainebleau, de la presque quiétude d'un transformateur électrique pour Ekaterini la réfugiée grecque ou plus simplement par l'envie de Rosa de caresser la peau d'Ahmed. Il y a pas mal d'utopies dans ce roman mais celle-ci est certainement une de celles vers laquelle tout le monde pourrait tendre.
" Ah ! Ca ira..." est un bien joli roman sur notre monde mal en point mais qui propose quelques pistes pour essayer de changer le cours des choses. Ambitieux sans forfanterie, romanesque mais exigeant, c'est le livre parfait pour redonner un coup de fouet à cette rentrée qui s'annonce bien morose. Même si le propos reste pas vraiment optimiste, il a le mérite de remettre l'humain au coeur du processus. Les personnages, ces femmes et ces hommes de bonne volonté, seront peut être les héros annonciateurs d'un renouveau plus solidaire mais très certainement des êtres de papier qui me poursuivront longtemps.

Et comme c'est la mode, voici le clip de lancement du livre. Plus sérieux et sans doute plus littéraire que celui d' Eric Holder...

jeudi 13 août 2015

Floride de Philippe Le Guay


Je tire mon chapeau aux producteurs de ce long métrage et à Philippe Le Guay, le réalisateur, qu'une séance dans un multiplexe Pathé, m'ont fait trouvé courageux. Oser proposer un film sur le vieillissement, la dégénérescence dans un contexte où tout le monde veut du divertissement, moi, je dis, chapeau ! Surtout qu'avant de voir "Floride", j'ai eu droit à une série de bandes annonces dont les propositions allaient de la baston à la schlague, laissant comme un goût amer quant aux idées que se font beaucoup de producteurs sur les envies du public, qui, et cela fait un peu froid dans le dos, risque de répondre présent à ce déferlement de violence.
Il est certain que Jean Rochefort et Sandrine Kiberlain, vedettes d'une suite du "Transporteur", ça risque de ne pas le faire... Eux se contentent de mettre tout leur talent dans un film délicat et fragile, sur un sujet de société souvent tu (tout du moins au cinéma) : la grande vieillesse et ses aléas. .
Nous sommes dans une production, haut de gamme, donc, les vieux croupissant dans une mansarde avec le minimum vieillesse ou dans une maison de retraite bas de gamme, ne se reconnaîtront pas complètement dans le personnage de Claude, ex industriel du papier, vivant dans une splendide maison non loin du lac d'Annecy. A lui les aide-ménagères à temps-plein et qui en bave pas mal, voire les voyages en avion en Floride, ce qui permet sans doute de donner un peu de légèreté à cette situation pas toujours drôle. Sa fille, Carole, dirige l'entreprise familiale, quoique rachetée par des canadiens. Elle se partage entre l'usine, son devoir filial et un amant. Jongler avec tout cela n;'est guère aisé, surtout que le père au cerveau partant en marmelade, déraille pas mal.
Le film fonctionne très bien dans sa description du quotidien de ses deux personnages principaux. La réalité vacillante du père nous est proposée avec tout ce qu'il faut de méandres, pour que le spectateur pénètre petit à petit son monde intérieur chaotique. Malgré quelques plongées dans l'enfance du vieillard peu convaincantes et un vague suspens peut être pas essentiel, Claude passionne à l'écran car il bénéficie d'une réalisation sur le fil du rasoir, qui ne bascule jamais dans le pathétique ni dans le franchement comique. On est dans un quotidien proche de nous mais magnifié par l'interprétation riche en couleurs (et dans tous les sens du terme, jusqu'aux costumes délicatement bariolés) de Jean Rochefort, tour à tour cruel, drôle, mesquin, perdu, tendre, émouvant, peut être un peu cabot, mais de toutes les façons, totalement irrésistible, Il est le pivot du film et est aidé par la toujours juste Sandrine Kiberlain qui, dans le personnage plus ingrat de la fille tiraillée par son amour et la difficulté de la situation, arrive elle aussi à nous interpeller sur la culpabilité de la prise en charge d'un ancien.
Malgré un sujet au départ peu vendeur et une longueur qui peut rebuter ( 1h50), "Floride" nous offre bien ce que l'affiche promet : un formidable duo de comédiens mis en scène avec talent, justesse et tendresse pour un sujet qui, quoique l'on dise, nous concerne ou nous concernera tous un jour.






samedi 25 juillet 2015

Retour à Berratham d' Angelin Preljocaj

Après la lecture du ...livret, voici le spectacle. " Retour à Berratham" a visiblement divisé les spectateurs de la cour d'honneur du Palais des Papes à Avignon le soir de sa création.
Hier soir, l'accueil m'a semblé plus cordial sans être enthousiaste. La nuit était belle, les 14 interprètes d'Angelin Preljocaj ont pu profiter du vent léger qui soufflait sur la scène, apportant une touche de vérité et de beauté.
Cependant, il ne faut pas le cacher, cette nouvelle création du chorégraphe n'est pas une totale réussite. Cent coudées au-dessus de la pâlichonne " Blanche-Neige", le spectacle pâtit d'un gros handicap : le texte ! Sa lecture me l'avait fait trouver un peu amphigourique, théâtral façon tragédie ancienne sans l'ombre d'une modernité. J'avais pensé que peut être dans cet immense plateau à Avignon, il trouverait sa place.... Que nenni ! Il en est encore plus lourd !   Les comédiens le déclament, surement en hommage à tous les illustres prédécesseurs qui ont lâché des vers ou de la prose classique, mais hélas, sans accrocher le spectateur. Parfois inaudibles malgré les micros, les mots lancés dans la nuit, violents mais trop alambiqués, finissent par se perdre et ne deviennent bien vite qu'une sorte de bruit de fond.
Je me suis désintéressé du texte car sur le plateau, au milieu des récitants, il y avait les onze danseurs, magnifiquement mis en espace. Dans un décor de grilles, de sacs poubelles et de carcasses de voitures brulées, la danse accrochait les regards. Parfois lente, parfois plus violente, inspirée toujours, elle phagocytait l'histoire, apportant au spectacle des moments totalement sublimes. Ainsi, lorsqu'après les violences faites aux femmes du village, les récitants enfin se taisent, un septuor de femmes en robes fluides, a illuminé la cour d'honneur, dans un ballet d'une beauté à couper le souffle, rendu encore plus sublime par un vent léger qui semblait les faire glisser dans la nuit.
Quoiqu'en dise le chorégraphe dans la presse, la danse m'a semblé n'avoir eu que faire des mots, offrant à nos yeux ébahis bien plus que ce qui se déclamait au milieu d'elle. Les danseurs, tous parfaits et magnifiquement dirigés, nous ont ébloui avec des scènes d'amour d'une sensualité folle ou avec de troublantes valses/salsa à trois. Et pour cela, pas besoin de mots, juste ceux initiés par leur magistrale souplesse, par ces glissements d'un infinie poésie.
J'avoue avoir eu une mauvaise pensée lors d'une scène où les sacs poubelles du décor  ont été jetés sur le devant de la scène. L'un d'eux a atterri à quelques centimètres de la comédienne qui hurlait son texte avec ferveur. On l'a vu arriver de loin ce sac. On a même bien cru qu'il allait lui  tomber sur la tête. L'intérieur de la cour d'honneur  a retenu un instant son  souffle. Certains ont laissé échapper un soupir de soulagement, d'autres, dont moi, étaient au bord de ricaner, pensant que s'il lui avait cloué le bec, ce n'aurait été que justice.
Mais ce soir là, ce n'était  pas Hellzapoppin, mais Berratham et sa violence d'après-guerre. Si le spectacle n'emporte pas tout à fait l'adhésion, ce n'est pas un naufrage. La chorégraphie inspirée et une utilisation bien pensée du décor arrivent à faire oublier, que les mots et la danse n'ont pas créer l'alchimie annoncée, la faute sans doute à un texte trop lourdement informatif, au pathos trop affirmé. Mais la beauté de tant de scènes arrive à masquer ce défaut, s'inscrivant durablement dans nos esprits parce que touchant au sublime.
Les photos dans quelques jours...
      

mardi 21 juillet 2015

Rencontres d' Arles 2015 . Matthieu Chédid rencontre Martin Parr



Les rencontres photographiques d'Arles, même si vous n'êtes pas un véritable amateur de photos ( mais au fond qui n'est pas sensible à la photographie ? ) est un pur enchantement. En cheminant dans les rues si accueillantes de cette ville du sud qui n'a renié  aucune origine et qui conserve un pouvoir de séduction inédit dans la région, vous découvrirez une ville au riche passé. De son amphithéâtre et ses arènes romaines aux nombreuses maisons qui ont su garder ce caractère méridional sans le dénaturer par une trop riche restauration, aller d'une exposition à l'autre est un régal. Arles en plus d'être la capitale de l'été pour le monde de la photographie est aussi l'une des villes les plus photogéniques de France où la vie d'aujourd'hui côtoie un passé librement conservé. Et c'est l'oeil caressé par les beautés des rues que vous entrerez découvrir des expositions diverses, variées, étonnantes, chics, perturbantes, interrogatrices mais jamais banales.
Pour commencer cette série d'été, entrons donc dans ce qui est surement le point fort de cette saison ( mais c'est loin d'être le seul), la rencontre du musicien et chanteur Matthieu Chedid et du photographe Martin Parr.
La rencontre a lieu dans l'église des frères pêcheurs, lieu qui accueille souvent les grands noms de la photo dans une mise en scène originale ( l'an dernier c'était Depardon et ses monuments aux morts ).
Dès que l'on pénètre dans cet espace, une petite cacophonie attire nos oreilles. C'est la musique de Matthieu Chédid qui, disposée dans tous les recoins du lieu, se mélange étrangement pour  produire un fond sonore étrange. Des projections colorées sur les murs nous indiquent des noms d'instruments de musique ( piano, célesta, basse, percussion, ...) et en dessous se trouvent disposés des transats  aux toiles reproduisant des photos de l'artiste sur lesquels les visiteurs s'asssoient pour visionner des diaporamas du maître Martin Parr, classés par thèmes ( animaux, chapeaux, foules, ...). Sur la droite, une scène au fond de laquelle claque une immense photo d'un raout bourgeois et sur laquelle sont  posés de grands coussins assortis aux transats. En Choisissant de se diriger vers la gauche, le visiteur  bute sur un caisson en bois perforé de trois M rendus luminescents par des néons jaunes disposés a l'intérieur, objet non photographique un peu pompeux, un peu chic aux relents de narcissisme.
J'avoue que le dispositif technique m'a laissé sceptique.

 Mais c'est confortablement installé, que la découverte des oeuvres de Martin Parr s'est faite, avec son regard qui traque tous les petits travers d'une société éprise de couleurs, de voyages, de consommation de masse, tout un monde où la simplicité des gouts s'expriment sans complexe. Martin Parr, c'est le témoignage d'une époque où, malgré une évidente dérision, la méchanceté n'a pas sa place. Sa tendresse est confirmée lorsque nous observons cet alignement de clichés en noir et blanc, immortalisant avec humour et tendresse l'Angleterre des années 60.
Je ne suis pas certain que la musique de M apporte un plus aux photos, même quand nous observons de drôles de portraits aux couleurs criardes assis sur un banc rendu vibrant par des percussions. Je me suis demandé si la sensation de tremblement sous les fesses avait un lien direct avec ce que l'on  admirait ( un effet vaguement vibromasseur en lien avec les jouisseurs saturés de couleurs qui nous  étaient offerts ? ) .
Cette chiquissime expo avec sa scénographie clinquante à souhait était-elle organisée pour redonner du lustre aux photos de Martin Parr, beaucoup vues depuis quelques années ?  Un peu sans doute. Mais il en ressort que, même noyées dans une mise en scène criarde, les photos de l'artiste restent toujours aussi singulières et l'emportent au final sur tout le décorum un peu gratuit dans lequel on les a enveloppées. 

dimanche 12 juillet 2015

Que viva Eisenstein ! de Peter Greenaway


Il y a quelque chose que l'on ne peut pas enlever au cinéma de Peter Greenaway, c'est son originalité plastique. Quelque soit le film, l'oeil est surpris car sa caméra (et surtout tout son travail de montage et de bidouillage d'images ) livre des séquences, des plans, d'une originalité certaine. Reste à savoir si cette démesure esthétique sert l'oeuvre ou contraire la plombe par trop de démesure baroque. Ses dernières productions, aux scénarios confus, se retrouvant assurément dans la deuxième affirmation.
Dans cette évocation d'Eisenstein, il commence par balayer son début de carrière avec des incrustations défilantes d'images de ses films, de split screen en veux-tu en voilà et autres images circulaires déformées. Ca accroche l'oeil, ça en jette encore. Ensuite, le film se penche sur  le séjour du réalisateur russe au Mexique, venu y tourner "Que viva Mexico!" avec des fonds américains. Non exempt de clichés touristiques ( Frida Khalo venue accueillir le maître avec sa couronne de fleurs sur la tête ou les typiques soldats mexicains mal rasés et avec sombreros), le film se concentre surtout sur la relation que vont entretenir Eisenstein et son guide, archéologue distingué mais surtout très libéré (sexuellement). Le réalisateur russe a beaucoup de faconde, parle haut et fort, se comporte en artiste avec tout un tas de lubies, mais est encore puceau à 33 ans. L'homosexualité le travaille tout comme un certain dégoût de son corps grassouillet qu'il pense non désirable et impropre au plaisir. Mais le beau mexicain sera un tentateur puis un initiateur hors pair, faisant de ce tournage au Mexique un vrai séjour passionnel. 
On retrouve dans ce film là quelques éléments déjà explorés dans " Goltzius et la Compagnie du Pélican", le grand lit au milieu d'une grande pièce ainsi que cette fascination pour les corps nus, cette fois-ci essentiellement masculins. Cette homosexualité, souvent latente dans le cinéma de Greenaway prend ici une grande place, avec notamment une longue et bavarde  scène de sodomie, mais n'en fait pas pour autant un film militant. Cela reste un véritable hommage au cinéma et à la démesure des grands créateurs. La mise en scène baroque et virevoltante essaie de nous faire passer ce souffle, jouant aussi bien avec l'image qu'avec l'énergie déroutante et tonitruante d'un génie, incarné avec brio par un certain Elmer Bäck, acteur finlandais peu connu.
Parfois pompier, comme d'habitude, joueur, foisonnant, "Que viva Eisenstein" surprend par son énergie débordante, par cet amour immodéré pour l'image originale, par sa mise en scène à l'imaginaire débridé mais peu lasser un spectateur plus habitué à un récit planplan. Et pour moi qui ne rate pas un film de Greenaway depuis ses débuts, je dirai que c'est un bon cru. 

mercredi 8 juillet 2015

Retour à Berratham de Laurent Mauvignier


"Retour à Berratham" n'est pas un roman, c'est un texte écrit pour le théâtre. Quand les éditions de Minuit écrivent "théâtre", c'est un peu trompeur car l'adaptation qui sera présentée dans quelques jours au festival d'Avignon, sera mise en scène par le chorégraphe Angelin Preljocaj, qui semble s'orienter vers un ballet incluant du texte dit par des comédiens.
La récit évoque le retour d'un jeune homme dans sa ville natale après un conflit qui a laissé de fortes traces. Berratham, aux mains de mercenaires de tout poil, a bien changé, Au calme d'antan succède une violence latente qui n'attend qu'une minuscule étincelle pour exploser. Le jeune homme espère retrouver Katja, jeune femme qu'il a follement aimé avant la guerre et qui, après une unique vraie étreinte, a porté leur enfant. Elle, n'aura qu'un but, sauver sa peau et celle de son bébé, fuir ce monde d'hommes déboussolés et abrutis de haine.
A la lecture ce n'est pas vraiment un roman car on y trouve des éléments du théâtre écrit comme les dialogues avec les noms des protagonistes au début des phrases qui soudain apparaissent au détours d'un paragraphe. Et puis on sent bien les mouvements qui sont induits par la disposition des personnages, leurs actions à l'intérieur de ce village que l'on perçoit réduites à une unité de lieu qui correspond à une scène.
Malgré ces figures obligées, le texte traduit bien l'animosité qui règne, les blessures non guéries suite à un conflit quasi fratricide. C'est âpre, sec, la violence va crescendo dans les corps, sur les corps mais aussi dans la tête.
"La paix, c'est le trophée de ceux qui savent mieux la guerre que les autres." dit un personnage dont le conflit vibre encore à l'intérieur de lui. La pièce évoque ainsi le poids cette violence dans les chairs et la conscience de cette communauté qui n'a plus confiance en rien ni en personne, préférant continuer à s'adonner à une sorte de réplique de guerre qu'ils ne peuvent ni contenir ni digérer.
On pense bien sûr à des conflits récents et assez proches. Laurent Mauvignier et le chorégraphe d'origine albanaise, continuent d'explorer ensemble un questionnement autour de la violence et posent ainsi la question de l'amour au temps de la barbarie.
Je ne présume pas de la qualité du spectacle présenté à Avignon. Disons qu'il part sur de bonnes bases, le texte étant de ceux qui allient force et puissance tout en laissant la place à l'imaginaire et à l'interprétation. C'est certain que je ne m'amuserai pas en juillet dans la nuit avignonnaise et je ne manquerai pas de vous en faire part. (Oui cette année votre blogueur ira au festival d'Avignon et vous parlera donc, ce qu'il n'a jamais fait jusque là,  en vrai amateur, de théâtre.)

dimanche 5 juillet 2015

Hiver rouge d'Anneli Furmark


Sous ce titre "Hiver rouge" se cache le récit choral d'un adultère dans un milieu syndicaliste ouvrier où différents groupuscules d'extrême gauche s'opposent notamment au parti traditionnel des sociaux-démocrates suédois. Le sujet peut apparaître peu emballant, la lumière hivernale scandinave emprisonnant ses personnages dans une ambiance cotonneuse, neigeuse et froide. Recouverts de plusieurs couches de vêtements et pour certains de beaucoup de principes aliénants, ils avancent doucement dans une vie rude et pas particulièrement heureuse. Nous sommes à la fin des années 70, les ouvriers se serrent les coudes mais leurs différents syndicats s'espionnent tout en nourrissant une stérile théorie du complot. Siv, quarantenaire engluée dans une vie banale entre son ouvrier de mari et trois enfants proches ou dans l'âge ingrat, vit une relation amoureuse inouïe avec Ulrik, militant maoiste  de quatorze ans son cadet. Cette relation discrète mais intense bouleverse l'un et l'autre. Ulrik pousse Siv à quitter son mari pour vivre leur amour en plein jour. Siv hésite évidemment. La différence d'âge mais aussi les engagements antagonistes des deux amants donnent à l'abandon du domicile conjugal un côté incertain.
L'histoire, même si posée dans un contexte militant, est assez banale. Pourtant, il se dégage de ce roman graphique un vrai charme dû en grande partie à une écriture qui parvient à saisir parfaitement, tout en douceur, un morne quotidien. Mais, si la qualité du récit est ici évidente, on ne peut qu'admirer la formidable utilisation des couleurs, un judicieux choix de bleu ( froid) qu'un jaune presque rosé réchauffe avec bonheur. J'en veux pour preuve les magnifiques planches des deux amants dans un lit que ces deux couleurs parviennent à rendre formidablement sensuels, exprimant tout à la fois l'intensité de leur relation comme la délicate tristesse qui s'en dégage.
Récit prenant et intimiste, "Hiver rouge" nous prend au corps et au coeur, dévoilant une petite musique aux couleurs sombres. Ce roman graphique venant de Suède est le deuxième que je le lis ce mois ci ( le précédent est Histoire de famille ). Le  pays, déjà réputé pour ses polars, semble maintenant s'attaquer à la BD. Si la production a le brio et le talent de ce que je viens de lire, voilà encore une nouvelle mine pour les  éditeurs. A croire que les longs hivers scandinaves sont de véritables moteurs pour la création !



Roman graphique  lu dans le cadre de "Masse critique " du site Babelio que je remercie. 

samedi 4 juillet 2015

Mustang de Deniz Gamze Ergüven


Tels les mustangs passant de l'état sauvage à la captivité en vue du rodéo, les cinq soeurs turques du film de Deniz Gamze Ergüven, après une enfance libre chez leur grand-mère, se retrouvent enfermées à la maison. Leur rodéo à elles, sera d'une autre teneur et s'appelle  mariage. Elles seront dressées pour être ensuite proposées à un futur mari choisi par la famille et le voisinage. Mais dans la troupe, toutes ne sont pas dociles et le domptage de certaines s'avérera plus difficile.
Il ne fait  pas bon vivre dans les contrées reculées de Turquie, les traditions ont la vie dure et sous couvert de la religion, on les perpétue sans trop se poser de questions. Vu d'Europe, ça évoque plus la foire aux bestiaux que la rencontre sur Tinder (quoique en y regardant bien, ces deux extrêmes peuvent se rejoindre) et bien sûr nous sommes prompts à nous indigner devant ces destinées mutilées. Le parcours d'une fille provinciale turque est tracé d'avance, marchandise humaine proposée par les mères ou grand-mères pour des hommes qui, même si puissants, sont tout aussi dupés par le marché. Le désir est fabriqué, le mari doit honorer comme il se doit l'épouse choisie pour lui et la femme lui offrir d'abord sa virginité puis un orifice pour la reproduction. Echapper à ce destin est difficile. La solution pourrait être la fuite à Istanbul, ville de plus grande liberté mais elle est à 1000 km ! Mais au 21 ème siécle, la révolte peut surgir à force de macération et de ressentiment.
C'est cette montée inéluctable vers la rébellion que nous montre le film, profondément féministe bien sûr, mais surtout parfaitement réussi. S'appuyant sur un scénario habile mais somme toute convenu (on voit bien jusqu'où il va aller), la réalisatrice apporte une écriture très personnelle, très inspirée. Une caméra nerveuse mais caressante scrute ces jeunes filles, attrape à la volée des regards, des gestes, magnifiant leur beauté comme le ferment de leur révolte. La radicalité du propos est tempérée par une lumière estivale qui court sur les  héroïnes, comme si la liberté se puisait dans les rayons du soleil. Le regard de Deniz Gamze Ergüven est profondément humaniste, présentant les mères prises au piège du respect des traditions et les hommes guère plus avantagés par des choix qu'ils ne maîtrisent pas. Leur sexualité imposée les dirige vers des pratiques interdites (ici des viols incestueux ), les femmes étant bien sûr les grandes perdantes de tout ce cirque où l'humain est considéré comme du bétail.
Alors que le film nous montre une terrible réalité, l'espoir est quand même là, dans la force de caractère de la cadette des cinq soeurs, qui observe et prépare le combat. Et c'est sans doute ce regard, plus que les autres, que nous conserverons en mémoire, symbole d'un avenir que l'on peut espérer plus radieux même si le chemin semble encore long pour y arriver. Cet espoir, tout comme l'infinie grâce et les propos percutants de ce premier film font que l'on sort de la salle avec la délicieuse impression d'avoir vu du bon, du vrai cinéma, celui qui prend autant au coeur qu'aux tripes !



vendredi 3 juillet 2015

Monsieur Hulot à la plage de David Merveille




La question que pose cet album destiné aux enfants à partir de 4  ans : Mr Hulot peut-il faire rire, voire intéresser cette génération gavée de "Reine des neiges" ou autres "Cars" pour ne parler que de cinéma ? Le personnage lunaire créé par Jacques Tati juste après guerre est-il soluble avec la rapidité et la fureur des images dont les enfants sont consommateurs actuellement ? Le parent ou l'enseignant, cinéphile que je suis vous répondra par l'affirmative même s'il préfère "Mon oncle " aux "Vacances de Mr Hulot" plus daté et surtout moins corrosif,
Déjà auteur de deux albums pas mal réussis mais en couleur, autour de ce personnage central du cinéma de Tati, David Merveille joue cette fois-ci à fond la nostalgie en assumant un noir et blanc plutôt pastel avec juste un journal en jaune pâle. Et l'on s'installe sur un bord de plage suranné avec des habitudes d'un autre temps. Mr Hulot tentera d'y prendre le soleil tout habillé mais un ballon, une mouette et un jokari (!!! quel enfant connaît le jokari ?) l'empêcheront de goûter à la quiétude estivale. L'adulte que je suis, retrouve la poésie du personnage lunaire qui a traversé le temps, surtout pour un public de cinémathèque, mais dont l'esprit inspire encore et toujours  des artistes contemporains.
Présenté à un jeune public, toujours curieux, l'album déroute un peu mais cet humour simple et bon enfant passe assez bien, même si quelques froncements de sourcils indiquent une certaine interrogation. Cette plongée dans un univers somme toute vieillot est singulier donc au final prenant.
Cependant, je reprocherai à cet album une mise en page pas très évidente pour un jeune public, genre bande dessinée, mais sans case, avec de grandes illustrations pleine page ou double page qui parfois déroutent la lecture et la compréhension du lecteur débutant. Il me semble qu'une marge aurait permis de rendre ces aventures plus lisibles, leur apportant un rythme plus BD. Mais cet album est à placer à portée de mains du lecteur en herbe et, comme souvent dans les albums sans texte, l'image recèle des trésors que l'on découvre après maintes lectures successives. Rien que pour cela il mérite toute notre attention et remplira sans doute une fonction historique si vous l'emportez comme lecture de vacances sur la plage du Cap d'Agde ou d'Argelès sur Mer.