samedi 25 juillet 2015

Retour à Berratham d' Angelin Preljocaj

Après la lecture du ...livret, voici le spectacle. " Retour à Berratham" a visiblement divisé les spectateurs de la cour d'honneur du Palais des Papes à Avignon le soir de sa création.
Hier soir, l'accueil m'a semblé plus cordial sans être enthousiaste. La nuit était belle, les 14 interprètes d'Angelin Preljocaj ont pu profiter du vent léger qui soufflait sur la scène, apportant une touche de vérité et de beauté.
Cependant, il ne faut pas le cacher, cette nouvelle création du chorégraphe n'est pas une totale réussite. Cent coudées au-dessus de la pâlichonne " Blanche-Neige", le spectacle pâtit d'un gros handicap : le texte ! Sa lecture me l'avait fait trouver un peu amphigourique, théâtral façon tragédie ancienne sans l'ombre d'une modernité. J'avais pensé que peut être dans cet immense plateau à Avignon, il trouverait sa place.... Que nenni ! Il en est encore plus lourd !   Les comédiens le déclament, surement en hommage à tous les illustres prédécesseurs qui ont lâché des vers ou de la prose classique, mais hélas, sans accrocher le spectateur. Parfois inaudibles malgré les micros, les mots lancés dans la nuit, violents mais trop alambiqués, finissent par se perdre et ne deviennent bien vite qu'une sorte de bruit de fond.
Je me suis désintéressé du texte car sur le plateau, au milieu des récitants, il y avait les onze danseurs, magnifiquement mis en espace. Dans un décor de grilles, de sacs poubelles et de carcasses de voitures brulées, la danse accrochait les regards. Parfois lente, parfois plus violente, inspirée toujours, elle phagocytait l'histoire, apportant au spectacle des moments totalement sublimes. Ainsi, lorsqu'après les violences faites aux femmes du village, les récitants enfin se taisent, un septuor de femmes en robes fluides, a illuminé la cour d'honneur, dans un ballet d'une beauté à couper le souffle, rendu encore plus sublime par un vent léger qui semblait les faire glisser dans la nuit.
Quoiqu'en dise le chorégraphe dans la presse, la danse m'a semblé n'avoir eu que faire des mots, offrant à nos yeux ébahis bien plus que ce qui se déclamait au milieu d'elle. Les danseurs, tous parfaits et magnifiquement dirigés, nous ont ébloui avec des scènes d'amour d'une sensualité folle ou avec de troublantes valses/salsa à trois. Et pour cela, pas besoin de mots, juste ceux initiés par leur magistrale souplesse, par ces glissements d'un infinie poésie.
J'avoue avoir eu une mauvaise pensée lors d'une scène où les sacs poubelles du décor  ont été jetés sur le devant de la scène. L'un d'eux a atterri à quelques centimètres de la comédienne qui hurlait son texte avec ferveur. On l'a vu arriver de loin ce sac. On a même bien cru qu'il allait lui  tomber sur la tête. L'intérieur de la cour d'honneur  a retenu un instant son  souffle. Certains ont laissé échapper un soupir de soulagement, d'autres, dont moi, étaient au bord de ricaner, pensant que s'il lui avait cloué le bec, ce n'aurait été que justice.
Mais ce soir là, ce n'était  pas Hellzapoppin, mais Berratham et sa violence d'après-guerre. Si le spectacle n'emporte pas tout à fait l'adhésion, ce n'est pas un naufrage. La chorégraphie inspirée et une utilisation bien pensée du décor arrivent à faire oublier, que les mots et la danse n'ont pas créer l'alchimie annoncée, la faute sans doute à un texte trop lourdement informatif, au pathos trop affirmé. Mais la beauté de tant de scènes arrive à masquer ce défaut, s'inscrivant durablement dans nos esprits parce que touchant au sublime.
Les photos dans quelques jours...
      

mardi 21 juillet 2015

Rencontres d' Arles 2015 . Matthieu Chédid rencontre Martin Parr



Les rencontres photographiques d'Arles, même si vous n'êtes pas un véritable amateur de photos ( mais au fond qui n'est pas sensible à la photographie ? ) est un pur enchantement. En cheminant dans les rues si accueillantes de cette ville du sud qui n'a renié  aucune origine et qui conserve un pouvoir de séduction inédit dans la région, vous découvrirez une ville au riche passé. De son amphithéâtre et ses arènes romaines aux nombreuses maisons qui ont su garder ce caractère méridional sans le dénaturer par une trop riche restauration, aller d'une exposition à l'autre est un régal. Arles en plus d'être la capitale de l'été pour le monde de la photographie est aussi l'une des villes les plus photogéniques de France où la vie d'aujourd'hui côtoie un passé librement conservé. Et c'est l'oeil caressé par les beautés des rues que vous entrerez découvrir des expositions diverses, variées, étonnantes, chics, perturbantes, interrogatrices mais jamais banales.
Pour commencer cette série d'été, entrons donc dans ce qui est surement le point fort de cette saison ( mais c'est loin d'être le seul), la rencontre du musicien et chanteur Matthieu Chedid et du photographe Martin Parr.
La rencontre a lieu dans l'église des frères pêcheurs, lieu qui accueille souvent les grands noms de la photo dans une mise en scène originale ( l'an dernier c'était Depardon et ses monuments aux morts ).
Dès que l'on pénètre dans cet espace, une petite cacophonie attire nos oreilles. C'est la musique de Matthieu Chédid qui, disposée dans tous les recoins du lieu, se mélange étrangement pour  produire un fond sonore étrange. Des projections colorées sur les murs nous indiquent des noms d'instruments de musique ( piano, célesta, basse, percussion, ...) et en dessous se trouvent disposés des transats  aux toiles reproduisant des photos de l'artiste sur lesquels les visiteurs s'asssoient pour visionner des diaporamas du maître Martin Parr, classés par thèmes ( animaux, chapeaux, foules, ...). Sur la droite, une scène au fond de laquelle claque une immense photo d'un raout bourgeois et sur laquelle sont  posés de grands coussins assortis aux transats. En Choisissant de se diriger vers la gauche, le visiteur  bute sur un caisson en bois perforé de trois M rendus luminescents par des néons jaunes disposés a l'intérieur, objet non photographique un peu pompeux, un peu chic aux relents de narcissisme.
J'avoue que le dispositif technique m'a laissé sceptique.

 Mais c'est confortablement installé, que la découverte des oeuvres de Martin Parr s'est faite, avec son regard qui traque tous les petits travers d'une société éprise de couleurs, de voyages, de consommation de masse, tout un monde où la simplicité des gouts s'expriment sans complexe. Martin Parr, c'est le témoignage d'une époque où, malgré une évidente dérision, la méchanceté n'a pas sa place. Sa tendresse est confirmée lorsque nous observons cet alignement de clichés en noir et blanc, immortalisant avec humour et tendresse l'Angleterre des années 60.
Je ne suis pas certain que la musique de M apporte un plus aux photos, même quand nous observons de drôles de portraits aux couleurs criardes assis sur un banc rendu vibrant par des percussions. Je me suis demandé si la sensation de tremblement sous les fesses avait un lien direct avec ce que l'on  admirait ( un effet vaguement vibromasseur en lien avec les jouisseurs saturés de couleurs qui nous  étaient offerts ? ) .
Cette chiquissime expo avec sa scénographie clinquante à souhait était-elle organisée pour redonner du lustre aux photos de Martin Parr, beaucoup vues depuis quelques années ?  Un peu sans doute. Mais il en ressort que, même noyées dans une mise en scène criarde, les photos de l'artiste restent toujours aussi singulières et l'emportent au final sur tout le décorum un peu gratuit dans lequel on les a enveloppées. 

dimanche 12 juillet 2015

Que viva Eisenstein ! de Peter Greenaway


Il y a quelque chose que l'on ne peut pas enlever au cinéma de Peter Greenaway, c'est son originalité plastique. Quelque soit le film, l'oeil est surpris car sa caméra (et surtout tout son travail de montage et de bidouillage d'images ) livre des séquences, des plans, d'une originalité certaine. Reste à savoir si cette démesure esthétique sert l'oeuvre ou contraire la plombe par trop de démesure baroque. Ses dernières productions, aux scénarios confus, se retrouvant assurément dans la deuxième affirmation.
Dans cette évocation d'Eisenstein, il commence par balayer son début de carrière avec des incrustations défilantes d'images de ses films, de split screen en veux-tu en voilà et autres images circulaires déformées. Ca accroche l'oeil, ça en jette encore. Ensuite, le film se penche sur  le séjour du réalisateur russe au Mexique, venu y tourner "Que viva Mexico!" avec des fonds américains. Non exempt de clichés touristiques ( Frida Khalo venue accueillir le maître avec sa couronne de fleurs sur la tête ou les typiques soldats mexicains mal rasés et avec sombreros), le film se concentre surtout sur la relation que vont entretenir Eisenstein et son guide, archéologue distingué mais surtout très libéré (sexuellement). Le réalisateur russe a beaucoup de faconde, parle haut et fort, se comporte en artiste avec tout un tas de lubies, mais est encore puceau à 33 ans. L'homosexualité le travaille tout comme un certain dégoût de son corps grassouillet qu'il pense non désirable et impropre au plaisir. Mais le beau mexicain sera un tentateur puis un initiateur hors pair, faisant de ce tournage au Mexique un vrai séjour passionnel. 
On retrouve dans ce film là quelques éléments déjà explorés dans " Goltzius et la Compagnie du Pélican", le grand lit au milieu d'une grande pièce ainsi que cette fascination pour les corps nus, cette fois-ci essentiellement masculins. Cette homosexualité, souvent latente dans le cinéma de Greenaway prend ici une grande place, avec notamment une longue et bavarde  scène de sodomie, mais n'en fait pas pour autant un film militant. Cela reste un véritable hommage au cinéma et à la démesure des grands créateurs. La mise en scène baroque et virevoltante essaie de nous faire passer ce souffle, jouant aussi bien avec l'image qu'avec l'énergie déroutante et tonitruante d'un génie, incarné avec brio par un certain Elmer Bäck, acteur finlandais peu connu.
Parfois pompier, comme d'habitude, joueur, foisonnant, "Que viva Eisenstein" surprend par son énergie débordante, par cet amour immodéré pour l'image originale, par sa mise en scène à l'imaginaire débridé mais peu lasser un spectateur plus habitué à un récit planplan. Et pour moi qui ne rate pas un film de Greenaway depuis ses débuts, je dirai que c'est un bon cru. 

mercredi 8 juillet 2015

Retour à Berratham de Laurent Mauvignier


"Retour à Berratham" n'est pas un roman, c'est un texte écrit pour le théâtre. Quand les éditions de Minuit écrivent "théâtre", c'est un peu trompeur car l'adaptation qui sera présentée dans quelques jours au festival d'Avignon, sera mise en scène par le chorégraphe Angelin Preljocaj, qui semble s'orienter vers un ballet incluant du texte dit par des comédiens.
La récit évoque le retour d'un jeune homme dans sa ville natale après un conflit qui a laissé de fortes traces. Berratham, aux mains de mercenaires de tout poil, a bien changé, Au calme d'antan succède une violence latente qui n'attend qu'une minuscule étincelle pour exploser. Le jeune homme espère retrouver Katja, jeune femme qu'il a follement aimé avant la guerre et qui, après une unique vraie étreinte, a porté leur enfant. Elle, n'aura qu'un but, sauver sa peau et celle de son bébé, fuir ce monde d'hommes déboussolés et abrutis de haine.
A la lecture ce n'est pas vraiment un roman car on y trouve des éléments du théâtre écrit comme les dialogues avec les noms des protagonistes au début des phrases qui soudain apparaissent au détours d'un paragraphe. Et puis on sent bien les mouvements qui sont induits par la disposition des personnages, leurs actions à l'intérieur de ce village que l'on perçoit réduites à une unité de lieu qui correspond à une scène.
Malgré ces figures obligées, le texte traduit bien l'animosité qui règne, les blessures non guéries suite à un conflit quasi fratricide. C'est âpre, sec, la violence va crescendo dans les corps, sur les corps mais aussi dans la tête.
"La paix, c'est le trophée de ceux qui savent mieux la guerre que les autres." dit un personnage dont le conflit vibre encore à l'intérieur de lui. La pièce évoque ainsi le poids cette violence dans les chairs et la conscience de cette communauté qui n'a plus confiance en rien ni en personne, préférant continuer à s'adonner à une sorte de réplique de guerre qu'ils ne peuvent ni contenir ni digérer.
On pense bien sûr à des conflits récents et assez proches. Laurent Mauvignier et le chorégraphe d'origine albanaise, continuent d'explorer ensemble un questionnement autour de la violence et posent ainsi la question de l'amour au temps de la barbarie.
Je ne présume pas de la qualité du spectacle présenté à Avignon. Disons qu'il part sur de bonnes bases, le texte étant de ceux qui allient force et puissance tout en laissant la place à l'imaginaire et à l'interprétation. C'est certain que je ne m'amuserai pas en juillet dans la nuit avignonnaise et je ne manquerai pas de vous en faire part. (Oui cette année votre blogueur ira au festival d'Avignon et vous parlera donc, ce qu'il n'a jamais fait jusque là,  en vrai amateur, de théâtre.)

dimanche 5 juillet 2015

Hiver rouge d'Anneli Furmark


Sous ce titre "Hiver rouge" se cache le récit choral d'un adultère dans un milieu syndicaliste ouvrier où différents groupuscules d'extrême gauche s'opposent notamment au parti traditionnel des sociaux-démocrates suédois. Le sujet peut apparaître peu emballant, la lumière hivernale scandinave emprisonnant ses personnages dans une ambiance cotonneuse, neigeuse et froide. Recouverts de plusieurs couches de vêtements et pour certains de beaucoup de principes aliénants, ils avancent doucement dans une vie rude et pas particulièrement heureuse. Nous sommes à la fin des années 70, les ouvriers se serrent les coudes mais leurs différents syndicats s'espionnent tout en nourrissant une stérile théorie du complot. Siv, quarantenaire engluée dans une vie banale entre son ouvrier de mari et trois enfants proches ou dans l'âge ingrat, vit une relation amoureuse inouïe avec Ulrik, militant maoiste  de quatorze ans son cadet. Cette relation discrète mais intense bouleverse l'un et l'autre. Ulrik pousse Siv à quitter son mari pour vivre leur amour en plein jour. Siv hésite évidemment. La différence d'âge mais aussi les engagements antagonistes des deux amants donnent à l'abandon du domicile conjugal un côté incertain.
L'histoire, même si posée dans un contexte militant, est assez banale. Pourtant, il se dégage de ce roman graphique un vrai charme dû en grande partie à une écriture qui parvient à saisir parfaitement, tout en douceur, un morne quotidien. Mais, si la qualité du récit est ici évidente, on ne peut qu'admirer la formidable utilisation des couleurs, un judicieux choix de bleu ( froid) qu'un jaune presque rosé réchauffe avec bonheur. J'en veux pour preuve les magnifiques planches des deux amants dans un lit que ces deux couleurs parviennent à rendre formidablement sensuels, exprimant tout à la fois l'intensité de leur relation comme la délicate tristesse qui s'en dégage.
Récit prenant et intimiste, "Hiver rouge" nous prend au corps et au coeur, dévoilant une petite musique aux couleurs sombres. Ce roman graphique venant de Suède est le deuxième que je le lis ce mois ci ( le précédent est Histoire de famille ). Le  pays, déjà réputé pour ses polars, semble maintenant s'attaquer à la BD. Si la production a le brio et le talent de ce que je viens de lire, voilà encore une nouvelle mine pour les  éditeurs. A croire que les longs hivers scandinaves sont de véritables moteurs pour la création !



Roman graphique  lu dans le cadre de "Masse critique " du site Babelio que je remercie. 

samedi 4 juillet 2015

Mustang de Deniz Gamze Ergüven


Tels les mustangs passant de l'état sauvage à la captivité en vue du rodéo, les cinq soeurs turques du film de Deniz Gamze Ergüven, après une enfance libre chez leur grand-mère, se retrouvent enfermées à la maison. Leur rodéo à elles, sera d'une autre teneur et s'appelle  mariage. Elles seront dressées pour être ensuite proposées à un futur mari choisi par la famille et le voisinage. Mais dans la troupe, toutes ne sont pas dociles et le domptage de certaines s'avérera plus difficile.
Il ne fait  pas bon vivre dans les contrées reculées de Turquie, les traditions ont la vie dure et sous couvert de la religion, on les perpétue sans trop se poser de questions. Vu d'Europe, ça évoque plus la foire aux bestiaux que la rencontre sur Tinder (quoique en y regardant bien, ces deux extrêmes peuvent se rejoindre) et bien sûr nous sommes prompts à nous indigner devant ces destinées mutilées. Le parcours d'une fille provinciale turque est tracé d'avance, marchandise humaine proposée par les mères ou grand-mères pour des hommes qui, même si puissants, sont tout aussi dupés par le marché. Le désir est fabriqué, le mari doit honorer comme il se doit l'épouse choisie pour lui et la femme lui offrir d'abord sa virginité puis un orifice pour la reproduction. Echapper à ce destin est difficile. La solution pourrait être la fuite à Istanbul, ville de plus grande liberté mais elle est à 1000 km ! Mais au 21 ème siécle, la révolte peut surgir à force de macération et de ressentiment.
C'est cette montée inéluctable vers la rébellion que nous montre le film, profondément féministe bien sûr, mais surtout parfaitement réussi. S'appuyant sur un scénario habile mais somme toute convenu (on voit bien jusqu'où il va aller), la réalisatrice apporte une écriture très personnelle, très inspirée. Une caméra nerveuse mais caressante scrute ces jeunes filles, attrape à la volée des regards, des gestes, magnifiant leur beauté comme le ferment de leur révolte. La radicalité du propos est tempérée par une lumière estivale qui court sur les  héroïnes, comme si la liberté se puisait dans les rayons du soleil. Le regard de Deniz Gamze Ergüven est profondément humaniste, présentant les mères prises au piège du respect des traditions et les hommes guère plus avantagés par des choix qu'ils ne maîtrisent pas. Leur sexualité imposée les dirige vers des pratiques interdites (ici des viols incestueux ), les femmes étant bien sûr les grandes perdantes de tout ce cirque où l'humain est considéré comme du bétail.
Alors que le film nous montre une terrible réalité, l'espoir est quand même là, dans la force de caractère de la cadette des cinq soeurs, qui observe et prépare le combat. Et c'est sans doute ce regard, plus que les autres, que nous conserverons en mémoire, symbole d'un avenir que l'on peut espérer plus radieux même si le chemin semble encore long pour y arriver. Cet espoir, tout comme l'infinie grâce et les propos percutants de ce premier film font que l'on sort de la salle avec la délicieuse impression d'avoir vu du bon, du vrai cinéma, celui qui prend autant au coeur qu'aux tripes !



vendredi 3 juillet 2015

Monsieur Hulot à la plage de David Merveille




La question que pose cet album destiné aux enfants à partir de 4  ans : Mr Hulot peut-il faire rire, voire intéresser cette génération gavée de "Reine des neiges" ou autres "Cars" pour ne parler que de cinéma ? Le personnage lunaire créé par Jacques Tati juste après guerre est-il soluble avec la rapidité et la fureur des images dont les enfants sont consommateurs actuellement ? Le parent ou l'enseignant, cinéphile que je suis vous répondra par l'affirmative même s'il préfère "Mon oncle " aux "Vacances de Mr Hulot" plus daté et surtout moins corrosif,
Déjà auteur de deux albums pas mal réussis mais en couleur, autour de ce personnage central du cinéma de Tati, David Merveille joue cette fois-ci à fond la nostalgie en assumant un noir et blanc plutôt pastel avec juste un journal en jaune pâle. Et l'on s'installe sur un bord de plage suranné avec des habitudes d'un autre temps. Mr Hulot tentera d'y prendre le soleil tout habillé mais un ballon, une mouette et un jokari (!!! quel enfant connaît le jokari ?) l'empêcheront de goûter à la quiétude estivale. L'adulte que je suis, retrouve la poésie du personnage lunaire qui a traversé le temps, surtout pour un public de cinémathèque, mais dont l'esprit inspire encore et toujours  des artistes contemporains.
Présenté à un jeune public, toujours curieux, l'album déroute un peu mais cet humour simple et bon enfant passe assez bien, même si quelques froncements de sourcils indiquent une certaine interrogation. Cette plongée dans un univers somme toute vieillot est singulier donc au final prenant.
Cependant, je reprocherai à cet album une mise en page pas très évidente pour un jeune public, genre bande dessinée, mais sans case, avec de grandes illustrations pleine page ou double page qui parfois déroutent la lecture et la compréhension du lecteur débutant. Il me semble qu'une marge aurait permis de rendre ces aventures plus lisibles, leur apportant un rythme plus BD. Mais cet album est à placer à portée de mains du lecteur en herbe et, comme souvent dans les albums sans texte, l'image recèle des trésors que l'on découvre après maintes lectures successives. Rien que pour cela il mérite toute notre attention et remplira sans doute une fonction historique si vous l'emportez comme lecture de vacances sur la plage du Cap d'Agde ou d'Argelès sur Mer.





lundi 29 juin 2015

Une seconde mère de Anna Muylaert


Regardez l'affiche de ce film et que voyons nous ? Des mots "comédie jubilatoire", "Euphorisant", "Splendide" et puis un titre, fleurant bon le mélo, avec en plus la tendresse infinie d'une mère que nous renvoie la photo. Si l'on regarde bien, une colonne de lauriers glanés dans divers festivals à travers le monde, donne à penser que nous avons là une pépite exotique qu'il ne faut pas rater.
Vous pensez bien, c'est tout à fait un film qui emballe le spectateur, mais, étrangement, je n'y ai pas vu ce que le distributeur veut nous faire croire. Ce n'est pas vraiment une comédie, c'est euphorisant uniquement parce que le film est réussi et rarement mélo (je reviendrai sur le "rarement " plus loin).
Nous sommes au Brésil, dans une riche famille branchouille. La mère est une sorte d'égérie modeuse, une Inès de la Fressange locale en version enrobée. Le père, plus âgé, moins clinquant, vit des royalties de tubes interplanétaires  composés jadis. Ils ont un fils, adolescent sans trop de problème, profitant la vie dorée et facile que lui offrent ses parents aisés. Et il y a aussi le personnel de maison, un chauffeur, une bonne et surtout Val, cuisinière, servante, nounou de la famille depuis la nuit des temps. Dotée d'un tempérament explosif mais tempéré par son absolue servilité et une conscience extrême de sa place dans la société, Val, en retrouvant sa fille après plus de dix ans de seuls contacts téléphoniques, va voir basculer son univers bien réglé.
Le film commence doucement, prenant le temps de poser le lieu et quelques petits détails dont l'importance apparaîtra au fil du récit. Ca  monte crescendo, happant le spectateur dans une histoire admirablement tissée, mêlant avec délicatesse et justesse les thèmes de la maternité et des rapports de classe. En ne quittant presque jamais cette villa moderne, Anna Muylaert emprisonne ses personnages pour je jamais les lâcher. Sa caméra capte la moindre hésitation, le plus petit froncement de sourcil, créant une tension dramatique de plus en plus oppressante. Nous aussi on épie, on frémit de se faire surprendre à manger la glace du fils de famille, on est gêné lorsque nous occupons illégitimement la cuisine de ces bourgeois et nous jubilons lorsque Val, ose enfin se glisser dans la piscine. Il y a dans ce film tous les enjeux d'une société brésilienne en plein boom économique mais aussi un discours plus universel sur la place de chacun dans un monde qui aime les soumis et les forts. Et quand la force est distribuée du côté des soi-disant faibles, les équilibres deviennent précaires, instables et les consciences sont secouées et mises à rude épreuve. Nous devenons les spectateurs attentifs et empathiques de ces luttes de pouvoir, de ces jalousies qui nous renvoient forcément à quelques uns de nos combats personnels ou idéaux. C'est prenant de bout en bout même si je regrette que la fin un peu mélo, dépareille un tantinet avec l'intensité assez vénéneuse donnée à tout le récit.

Mais là où je rejoindrai le distributeur et son affiche tonitruante, oui, ce film est une jolie surprise, de celles qui donnent envie de retourner au cinéma et surtout de conseiller d'aller s'enfermer deux heures dans une salle fraîche mais sous le soleil un rien militant de ce film brésilien. Ce sera mon conseil de la semaine !

La contagion de Walter Siti


Contrairement à ce que peut laisser penser le nom de cet auteur, ce roman nous vient d'Italie. Roman ? Pas bien certain que "La contagion" en soit vraiment un. Le montage qui nous est proposé assemble de la fiction, de la sociologie, des lettres et de nouvelles, tournant toutes autour d'un même thème : Les borgate, qui sont des banlieues romaines, édifiées durant la période fasciste pour loger les plus pauvres que l'on ne voulait pas au centre d'une ville que l'on désirait belle et bourgeoise ! En posant son regard sur ces zones, déjà décrites il y a bientôt 50 ans par Pasolini notamment, Walter Siti, dresse un portrait sérieusement grinçant d'une société glissant vers une déliquescence morale que rien ne pourra arrêter.
Au départ, un peu comme dans "La vie mode d'emploi" de Perec, le livre nous fait entrer dans le quotidien des habitants d'un immeuble. On y vit en couple, très loin des diktats d'une pseudo morale chrétienne, oubliée depuis longtemps. Les hommes, loin du cliché du bellâtre italien, sont quasiment tous bisexuels, mais toujours aussi machos, les femmes étant toujours cantonnées à rester à la maison à faire des enfants, râler ou faire la pute. On y consomme de la cocaïne, présentée ici comme seule nourriture pour laquelle il vaut encore le coup de vaguement travailler, la pizza calzone ayant été retirée de la carte des menus de ces italiens nouveau genre. Comme c'est un article qui coûte quand même un peu cher (la coke pas la pizza !) tous les moyens sont bons pour se la procurer ; les coups tordus, les montages financiers douteux, la rapine, faire usage de son corps en le vendant sous différentes formes, du cinéma à se faire sodomiser. Au milieu d'une galerie de portraits sans équivoque, Walter Siti prend de la hauteur pour poser un constat d'abord historique sur cette vie dans ces banlieues où le bien et le mal peinent à se différencier, puis plus sociologique, analysant comment ce mode de vie  tourné vers un plaisir facile contamine toute la société, y compris les franges les plus nanties.
Dire que j'ai été passionné par ce roman serait faux. J'ai comme eu l'impression que tout cela tournait en rond. Les personnages apparaissent ou disparaissent au gré des divers déménagements mais ont tous quasiment le même comportement, à savoir, je me  fais une ligne et je cherche à baiser. Au bout d'un moment on a bien compris que Walter Siti, spectateur attentif des moeurs actuelles, a bien pris note que de nouveaux comportements s'étaient emparés de la société, aveuglée par une vie simpliste de plaisirs faciles. Accompagné par une belle écriture (merci Françoise Antoine la traductrice), tout cela n'évite pas la répétition et laisse les personnages présentés peu à même d'évoluer dans un sens ou dans l'autre. Le constat dressé est effrayant, tristement réel sans doute, mais le regard de l'auteur reste ambiguë, oscillant entre fascination et renonciation. Le roman propose  le rêve d'un gay qui aimerait que tous les hommes soient opens et le cauchemar d'un érudit qui voit s'effondrer tous les remparts moraux d'une société gangrenée par la cocaïne. Cela a le mérite de nous secouer un petit peu, mais je ne suis pas totalement convaincu par le résultat. Reste un texte fort et alambiqué, érudit et foisonnant, percutant et dérangeant. C'est assez notable pour que les lecteurs curieux aillent faire un tour du côté de cette littérature italienne n'ayant pas vraiment pignon sur rue.



Roman lu dans le cadre de "Masse critique " du site Babelio que je remercie. 
  


jeudi 25 juin 2015

Les mille et une nuits Volume 1 : L'inquiet de Miguel Gomes


Ne cherchez pas dans le dernier Miguel Gomes une adaptation moderne des mille et une nuits, vous risquerez de remiser bien vite vos parfums d'Arabie. Si le réalisateur emprunte le titre et vaguement la trame du célèbre conte oriental, c'est uniquement parce que,dépassé par son manque d'inspiration pour filmer le combat des ouvriers licenciés des chantiers navals et l'invasion de guêpes asiatiques, il décide de fuir le tournage et de laisser aller son imagination pour raconter en histoires, la dureté d'un Portugal mis à genoux par les institutions européennes et le FMI.
Dès le début, le film s'annonce libre et foutraque, laissant de côté le documentaire politique et militant pour emprunter les sentiers d'une narration décousue et inventive. Son maître mot semble être : Au Portugal, on n'a pas de thunes mais on a des idées! Et effectivement, pour pallier à ce manque de moyens évident, assez visible à l'écran, tout sera bon au réalisateur pour essayer de le contourner. Les soi-disant contes seront décalés, Grivois pour le premier avec ses financiers atteints de priapisme pour leur grand bonheur d'impuissants notoires. Fantastico/fantaisiste pour ce coq au chant énervant dont le dialogue avec un juge parlant "poulet" permettra de prévenir d'une malédiction. Généreux et proche du documentaire pour ces " magnifiques", les mêmes ouvriers du début qui bravent le froid d'un premier janvier pour une baignade solidaire et médiatique dans un océan aussi gris que l'espoir d'un population mise à l'écart du système libéral. A ces histoires, viendront se rajouter des idées rigolotes ou agaçantes, c'est selon. Des enfants joueront des adultes, on parlera de multiples langues, on verra s'inscrire en français des SMS bourrés de fautes ou d'abréviations, une baleine échouée explosera, ... tout cela jouant métaphoriquement avec la situation de ce pays lors du tournage.
Ce bric à brac cinématographique est sympathique, généreux même ...mais dire que j'ai été passionné serait mentir. Un peu lourdingue, un peu étiré aussi, l'ennui s'invite par moment, donnant au spectateur l'impression d'un projet proche de l'amateurisme. Mais il est quand même difficile de faire un sort à ses mille et une nuits, tellement la ferveur et l'ambition du projet force la sympathie. Boursouflé, empesé , pesant, le film parvient pourtant à étonner et à émouvoir, surtout dans la simplicité d'un long plan fixe sur un couple parlant de son quotidien de crise, moment finalement paradoxal dans un long métrage cherchant à fuir la tentation du documentaire. Je me suis pris à penser que la simplicité avait parfois du bon, qu'une narration explosée et déjantée, utilisée comme un jeune chien tout fou, n"arrivait pas toujours à transcender un discours pourtant militant.
J'aime cette idée de cinéma libre de toute convention, j'aime cette ténacité et cette audace à essayer de présenter un sujet très sérieux de façon ludique. Et même si l'ennui guette, même si quelquefois l"amphigourisme pointe le bout de son nez, reconnaissons encore une fois à Miguel Gomes son originalité  et son goût pour les paris audacieux. On ne peut avoir que de la sympathie pour tous ces magnifiques résistants de par l'Europe et le monde. Alors aidons-les en visionnant leurs oeuvres, on en retire toujours quelque chose même quand ce n'est pas complètement réussi.


lundi 22 juin 2015

Vice-versa de Pete Docter


Riley, onze ans vit heureuse dans le Minnesota entourée des parents aimants. Foin de poupées, de couleur rose bonbon , de yeux de biches langoureux, la petite fille voue une passion pour le hockey. a le regard malicieux et une bouille lambda. Tellement banale, que les studios Pixar oublient de la rendre attachante car, au final, ce n'est pas elle l'héroïne, mais Joie, celle qui régit dans sa tête ses émotions, en compagnie de ses acolytes Tristesse, Peur, Colère et Dégoût. Joie, jusqu'à présent, était l'émotion la plus importante, la figure centrale d'une vie heureuse et sans histoire. Mais déménager au sortir de l'enfance, arriver dans une ville inconnue et dans un logement assez minable, vont bouleverser la petite fille. Et comme dans son cerveau Tristesse va malencontreusement contaminer les souvenirs heureux conservés dans des boules soigneusement rangées dans la mémoire, Joie va devoir multiplier les sauvetages périlleux pour arriver à ce que la petite puisse franchir cette épreuve sans trop de dommages et pouvoir avancer dans la vie. Un long périple va s'engager dans des zones inconnues du cerveau...
Je dis long, car, mais oui, le film m'a semblé un peu poussif malgré l'habituelle offre de loopings et de cascades en tous genres inhérente aux films d'animation actuels. Si, comme souvent chez Pixar, l'idée de départ flirte avec le génie, le développement de l'histoire ne sort pas des sentiers battus et pêche par un manque de surprises. Bien sûr, la mise en images du cerveau avec ses boules multicolores, son organisation en île de la personnalité sont de vraies trouvailles visuelles. Mais tout cela n'est que la toile de fond d'un récit sans surprise, un peu répétitif,  parfois électrisé comme le passage délirant dans la zone de la pensée abstraite, mais plombé par des personnages très originaux hélas exploités au minimum syndical. Le pouvoir comique, voire corrosif, des représentants des émotions n'est que rarement mis en valeur, préférant laisser la place à une Joie, mignonne, pétillante mais pas très drôle et à une Tristesse, pas franchement hilarante non plus et au final assez conventionnelles dans leur personnalité.
Si le thème des émotions enfantines et du passage difficile vers l'adolescence est un sujet gonflé dans ce genre de production, si la mise en images du cerveau de la petite est une trouvaille réellement bluffante, le développement de l'intrigue ne suit pas vraiment, préférant prendre les sentiers bien balisés de rebondissements banals et d'un moralisme de bon aloi. Tout cela manque sérieusement du mordant d'un Shrek2 ou d'un Toy Story 2.
"Vice-versa" reste cependant un bon film. L'animation est au top. C'est coloré, ça grimpe, ça chute, ça crie, ça essaie de nous faire rire et même pleurer. Et je me dis que comme la petite fille du film peine à passer au stade adolescent, les studios Pixar, en misant sur un sujet somme toute adulte, éprouvent aussi une certaine difficulté à proposer un long métrage pour tous publics vraiment original. En conservant une structure moult fois éprouvée lors de leurs précédentes productions (la route semée d'embûches auquel le  héros (ou l'héroïne) arrive toujours in extremis à être sauvée d'une situation vertigineuse), et malgré idée de départ et décorum d'une originalité folle, "Vice-versa" trop formaté dans sa conception, ne surprend que peu.
Ceci n'est qu'un avis totalement personnel. La critique est unanime et les deux personnes qui m'accompagnaient aussi... Aurai-je perdu encore un peu plus cette part d'enfance et d'émerveillement qui me restait ? Cela s'appelle peut être le passage de l'âge adulte au stade vieux grincheux ? (pour pas dire autre chose ) Dites, les mecs de chez Pixar, ça pourrait faire un super sujet, non ?  La population occidentale vieillissante est nombreuse et pourrait claquer un peu de sa retraite pour regarder une telle production. Et ça pourrait être drôle et grinçant les débuts de la sénilité et le passage à l'âge du vieux con...


jeudi 18 juin 2015

Valley of love de Guillaume Nicloux

"Valley of love" est un film singulier, aux multiples entrées, fait sans doute pour titiller la curiosité du spectateur et ses goûts cachés pour les rubriques peoples, écrit pour passionner les cinéphiles qui y retrouveront toutes les marques d'un cinéma de bon goût et peut être interroger aussi sur la mort, le deuil, le couple, la séparation.... Bref du cinéma français jouant sur tant de tableaux, qu'il pourrait friser l'indigeste et qui, pour moi, rate sa cible.
Le pitch, cent fois rabâché  dans les médias, est simple . La lettre posthume d'un fils suicidé, fait retrouver ses parents, séparés depuis fort longtemps, dans un motel proche de la Vallée de la Mort. Il leur promet une apparition s'il respectent bien les rendez-vous donnés dans la lettre....
Le problème pour moi, (mais est-ce un problème?) c'est que je n'ai pas vu Isabelle Huppert et Gérard Depardieu... Certes, ils sont bien tous les deux dans le film, l'un aussi massif que l'autre est gracile, mais ils me sont apparus comme deux personnages romanesques, vivant une histoire lente et confinant au mystique. Ils ont beau s'appeler Gérard et Isabelle, balancer des dialogues bourrés de sous-entendus, ils sont complètement des personnages de fiction, réunis dans un film que l'on pourrait penser réalisé par Gus Van Sant. Leur couple improbable (on peut comprendre qu'il n'ait pas fonctionné) et pourtant attachant, repose bien sûr sur l'interprétation impeccable des deux comédiens avec une prime pour Depardieu qui, avec une sobriété étonnante fait passer beaucoup de douceur et d'émotion dans cet homme peinant et suant sous le soleil, métaphore de sa vie finissante. Toutes les allusions sur leur carrière ou leur vie personnelle, sont savoureuses pour qui veut jouer aux clins d'oeil, mais deviennent vite agaçantes, rendant cette histoire trop joueuse pour être au final prise au sérieux.
 A jouer plusieurs tableaux, le film rate finalement sa cible. Est-ce un hommage aux deux grands acteurs du cinéma français depuis plusieurs décennies ? Ou à Guillaume Depardieu, dont l'ombre plane sans cesse ? Est-ce également une envie de  l'éclectique réalisateur de tenter un film art et essai, inspiré par Gus Van Sant, déjà cité mais dont les longs travellings des héros déambulant rappellent sa période "Gerry" et " Elephant" ou  Antonioni pour le thème de la disparation ? Ou est-ce un joli coup de producteur réussissant à réunir deux monstres sacrés qui ne s'étaient jamais croisés à l'écran depuis plus de 30 ans ? Un peu tout cela à la fois sans doute... mais du coup, on se perd un peu dans cette oeuvre hybride. Le Nevada est très photogénique, Isabelle Huppert a peut être une toute petite valise mais contenait au final un une collection fort printanière et fleurie mais on s'ennuie quand même pas mal sous le soleil. La présence de deux grands acteurs formidables, envoie talentueusement valser le supposé jeu réalité/fiction tant attendu mais ne suffit pas à rendre passionnante cette rencontre, émaillée de quelques scènes longuettes ou pas convaincantes (la lecture à haute voix de la lettre du fils par Huppert est un peu forcée).
"Valley of love" sous ses allures de grand film mythique restera sans doute comme une curiosité, un essai intéressant mais trop disparate pour former un oeuvre totalement convaincante.




dimanche 14 juin 2015

Comme un avion de Bruno Podalydès


Ce film est un PUR BONHEUR ! Voilà, c'est dit ! J'ai été complètement happé par le charme poétique du film...alors que j'y suis allé en traînant les pieds, le précédent du réalisateur, "Adieu Berthe", ne m'ayant pas du tout convaincu. En plus, je savais  les critiques enthousiastes comme pour le dernier Desplechin (de sinistre mémoire pour moi) et je pensais bien que cette fois-ci encore, on passait la brosse à reluire pour tenter d'amortir au maximum une de nos productions nationales réalisée par une personne possédant le fameux ticket qui ouvre toutes les portes du papier dithyrambique. 
L'histoire d'un premier abord n'est guère affriolante. Un jeune quinquagénaire, bossant dans une entreprise branchouille parisienne, est passionné par l'aéropostale. Et puis, suite à une remarque de son boss autour des palindromes (mots qui se lisent dans les deux sens comme "sexes" ou 'Laval"), il découvre le kayak. Soudain, sa vie va prendre un autre cours. Il va se rêver pagayant sur des rivières aussi verdoyantes que limpides, une envie de liberté, de casser le quotidien, de s'offrir une échappée belle le prend aux tripes. Et c'est ainsi qu'adoubé par une femme aimante et compréhensive et après avoir dévalisé Le Vieux Campeur et Décathlon de leurs produits les plus pointus, il se posera sur une jolie rivière. A lui l'aventure ! Il n'ira pas bien loin, sa première halte, vers laquelle il reviendra toujours,  lui fait découvrir un endroit chaleureux, rempli de doux farfelus et dirigé par une maîtresse-femme bien accorte.  
Pas de suspens ici, ni de rebondissements, ni de scénario qui s'emballe. Nous sommes dans un cinéma empreint d'une douce poésie. Si comme moi vous vous laissez emporter au gré du courant d'un film complètement rêveur, vous croiserez aussi bien une poule peinte en bleu que de savoureux dialogues jouant sur les mots. Le bonheur est sur la rivière et sur ses berges. C'est un pur délice de tendresse, de drôlerie, de bien être. Le film est tout en rondeur comme son acteur/ réalisateur, pulpeux comme sait l'être Agnès Jaoui en restauratrice sensuelle, pétillant et mélancolique comme Vimala Pons, qui pleure ses amours envolés quand il pleut. La réalisation épouse à merveille cette randonnée, avec une caméra caressant une nature préservée et des personnages dont elle ne voit que les doux côtés. 
Tout cela aurait pu être vaguement cucul la praline mais le regard de Bruno Podalydès est si tendre que tout passe en finesse. Et derrière ce propos hautement  hédoniste transparaît délicatement tout d'abord une petite critique de nos conforts urbains et de nos petites habitudes bourgeoises. Puis, cela évolue vers un discours plus profond, mais toujours bienveillant, sur nos libertés. Liberté de vivre quelques rêves sans les oripeaux d'une société formatée, liberté du couple où chacun est une unité qui n'appartient à personne, liberté de mettre entre parenthèses des moments de nos vies pour pouvoir par la suite continuer à aimer partenaire habituel ou amis. 
Sous des airs suaves et naïfs, "Comme un avion" est en fait un film poil à gratter, prouvant par le bonheur et la douceur, que la vie peut vous surprendre et vous enrichir, vous cajoler et vous émerveiller, à la seule condition d'ouvrir grand les écoutilles et de se laisser de temps en temps porter, de, pour employer une expression à la mode, lâcher prise. J'ai eu la chance de pouvoir le faire en regardant ce film. J'espère que beaucoup se laisseront aller comme moi et éprouveront l'immense plaisir de partager ce fort beau moment cinématographique qui nous invite à nous ouvrir aux autres, à la nature, à la bienveillance, à la vie !