mercredi 8 novembre 2017

Jalouse de David et Stéphane Foenkinos



Mais qui a validé cette horrible affiche ?!! Quel stagiaire sous doué a joué du Photoshop pour arriver à faire de Karin Viard une sorte de croisement entre Amanda Lear et Sharon Stone ( après son huitième lifting) ? Du coup, les spectateurs passant devant l'affiche disent : " Ah encore une qui a sacrifié aux sirènes de la chirurgie esthétique ! "( qui marque les années plus sûrement que des rides).
Passons vite sur cet affront public à une de nos meilleures actrices et parlons un peu de cette "Jalouse", comédie acide et réjouissante autour d'une prof approchant la cinquantaine et à qui soudain la vie devient une suite de gêneurs  contre qui elle va lancer son acrimonie avec l'aisance d'une Tatie Danielle avant l'heure. En fait, l'approche de la ménopause la rend de plus en plus jalouse, de la jeunesse tout d'abord, mais aussi de son ex qui a réussi une deuxième vie, de sa meilleure amie qui vit très librement... Heureusement pour elle, son entourage reste plutôt bienveillant face à cette déferlante de méchancetés, une des forces du film, qui permet ainsi à son personnage principal de s'en donner à cœur joie, on s'attaque plus facilement à ceux qui apparaissent faibles surtout quand ceux'-ci vont permettre aux auteurs/réalisateurs d'épingler avec malice une société bobo. Et dans ce registre de grande gueule, Karin Viard fait merveille, je dirai même plus, c'est un festival Karin Viard qui atteint encore une fois un sommet ( mais elle en a tellement à son actif !). Elle porte le film de bout en bout même dans son décevant dernier quart... Hé oui, j'ai longtemps cru que le ton décapant adopté, façon comédie à l'italienne de la belle époque ( dans les années 60/70 donc) allait durer jusqu'au bout, emportant enfin une comédie française dans des sentiers plus malaisants que d'habitude. Hélas, peut être pour ne pas effrayer le gentil spectateur  qui aime les films qui font du bien ( et donc qui ont plus de chance de remplir les caisses des producteurs) , l'histoire, après nous avoir bien divertie en soufflant du chaud et du froid avec aisance, va retrouver le cocon formaté des bons sentiments et rentrer dans le rang bien sage où tout finit par s'arranger....
Et soudain, je comprends l'affiche ! Cette fausse Karin Viard donnée en pâture, symbolise le film : plutôt que de laisser des aspérités à une héroïne finalement très humaine ( des jaloux on en connaît tous, surtout dans une société de vitrine), il vaut mieux lifter tout, même un scénario franchement acidulé ( il ne faut pas faire trop toucher du doigt la réalité). Malgré cette petite restriction ( sans doute d'un méchant spectateur ), "Jalouse" est la comédie qu'il faut privilégier cette semaine.



mardi 7 novembre 2017

Arras Film Festival 2017, ( la suite)





Que s'est-il passé au festival ( désormais international) du film d'Arras ? Hé bien, nous avons vu des films ( ce qui est normal pour un festival de cinéma !). L'offre est grande 280 projections, 2 rétrospectives, 72 avant-premières et 9 films en compétition. Bien sûr, je ne peux pas tout voir et j'essaie d'allier envies et découvertes. Et dans cette offre, j'ai pu découvrir un joli film palestinien, une délicate  plongée dans le quotidien d'habitants de Nazareth ( pour rappel en Israël ) recevant une invitation à un mariage ("Wajib" de Annemarie Jacir sortira en février prochain) ou un encore plus délicat et fragile film belge, "Drôle de père de Amélie Van Elmbt ( pas de date encore prévue en France pour sa sortie) sur la découverte d'un père et de sa paternité. Ces films ont été présentés comme soit " un coup de cœur", soit "le film le plus tendre de la sélection", ce qui est loin d'être faux.  Cette introduction par les responsables du festival enveloppe le spectateur dans un cocon de bien être, et le met en parfaite condition pour se glisser dans l'univers d'un réalisateur-trice ( oui, j'adopte l'écriture inclusive!). C'est son rôle et l'on peut dire qu'à Arras, nous sommes bien servis. Cependant, en voyant les organisateurs nous présenter avec force dithyrambes quelques productions françaises, certes de bonne facture façon qualité France ( en gros prévues pour enchanter les spectateurs de TF1 un dimanche soir), je me suis mis à penser combien leur rôle devait être délicat. Cinéphiles convaincus et passionnés ( cela se sent dès qu'ils ouvrent la bouche), ils doivent toutefois jongler avec des rôles pas facile à assumer : trouver dans une production pléthorique, mais pas toujours de qualité,  des films qui allient finesse et exigence pouvant plaire au plus grand nombre tout en essayant d'attirer des comédiens et des réalisateurs pour les présenter. Une équation à plusieurs inconnues qu'ils arrivent à résoudre chaque année vaille que vaille. Et quand en plus il faut qu'ils se muent en hôtes parfaits, cela donne, quand un membre de l'équipe de l'œuvre présentée a accepté de venir jusqu'à Arras, une succession d'adjectifs louangeurs ( " Magnifique film, Grand film, une merveille d'émotion, etc..."). Il est évident qu'ils ne vont pas dire au réalisateur de "La mélodie" ( film qui enchaîne les bons sentiments dans une production prévisible, mais avec des enfants épatants)  : Alors "Coco" depuis "La cage aux rossignols "( 1945) rien de neuf dans le cinéma français, toujours les mêmes grosses ficelles ?  ou à Eric Barbier, le réalisateur de "La promesse de l'aube", production onéreuse, tendance épate : Mais pourquoi avoir laissé Charlotte Gainsbourg  cabotiner ainsi avec cet accent improbable ? (Ceci dit, elle est à la fois insupportable mais parfois, lorsqu'elle éructe du polonais, étonnante d'autorité ). Je reste donc admiratif devant tant de gentillesse et de bienveillance, ... d'abnégation ? 
Mais le plus rude ( bon, faut que je sois juste, être spectateur dans un festival est un plaisir et dans celui d'Arras en particulier), ce sont les invités eux-mêmes, venus pour faire leur promo et qui tiennent un discours bien huilé qui, au fil des jours, devient de plus en plus risible à force de formatage. Tous, sans doute amoureux de leur actrice/acteur, se réjouissent que la performance de leurs vedettes, " qui fait des choses exceptionnelles dans son film" " qu'ils n'ont jamais fait ailleurs ". Tous ont été ravis du tournage qui s'est formidablement bien passé ( j'ai cru sentir toutefois que Eric Barbier ne devait pas être facile sur un plateau). Tous ont rencontré des producteurs passionnés et merveilleux qu'ils remercient chaleureusement ( tu m'étonnes, le film est un enjeu financier, il faut assurer le service avant vente et surtout la possibilité de pouvoir en faire un nouveau). Et tous terminent par un " Le film sort à telle date. Si vous avez aimé, dîtes-le autour de vous". C'est de bonne guerre et ça fonctionne sans doute sur le public qui apprécie d'être ainsi cocooné ( il se déplace un peu plus chaque année) et comme disait une dame hier soir dans la file d'attente : " Je viens maintenant depuis quatre ans car avant ils passaient des films art et essai, là on a droit à de jolis films !".  Mais au-delà de ce plaisir simple de cinéphilie, je rêve de plus en plus d'un débat d'après film SANS un membre de l'équipe. Ce sera moins people, moins vendeur sans doute, mais avec peut être l'assurance d'une parole plus libre et non retenue par cette politesse un peu obligatoire due aux invités. 
Cependant, je dois reconnaître que le festival d'Arras joue pleinement son rôle de passeur, en espérant attirer les foules vers des films plus confidentiels ou moins évidents, allier carpe et lapin, Clavier et Balibar... Je crois que c'est réussi car les séances des films de la compétition ( qui ne débute que jeudi, reflet des organisateurs de leur amour de tous les cinémas et de leur exigence) sont quasi toutes complètes ! 


samedi 4 novembre 2017

Arras Film Festival, le 18éme


Très loin de Cannes, de Sharon Stone et Nicole Kidman foulant de leurs escarpins Manolo Blahnik un tapis rouge sous les crépitements des flashs des centaines de photographes massés sur le parcours, voici Arras et son Film Festival qui vise avant tout le public. Exit la très surévaluée Croisette, voici les deux magnifiques places de la ville ( La Grand'Place et celle des Héros, on gagne au change question coup d'œil) sur laquelle on pourra croiser Lio ou Mathieu Kassovitz, moins glamours que les retapées stars américains citées plus haut mais sans conteste plus abordables ( mais on peut aussi les laisser tranquilles ).
Les festivités ont été lancées hier soir, avec la projection de "Jalouse " des frères Foenkinos ( à ne pas confondre avec les Cohen ou les Dardenne ), film aux 2/3 réussi ( j'en reparle bien vite, il sort mercredi) et qui nous a valu la présence de Karin Viard, tête d'affiche de cette comédie, où, il faut le dire, elle fait feu de tout bois de son talent.
Aujourd'hui, les festivaliers avaient le choix entre une trentaine de films aussi divers que variés. Pour ma part, je suis parti du côté de Naples avec des sœurs siamoises ( "Indivisibili" de Edoardo de Angelis, sortie en janvier prochain ) en prise avec deux plaies transalpines, le showbiz et l'église catholique, puis j'ai embarque pour les States avec le mignon mais pas passionnant " Le musée des merveilles" de Todd Haynes ( sortie dans 15 jours) pour finir, un tour au pays des "films qui font du bien" avec  "Je vais mieux" de Jean-Pierre Améris ( sortie le 10 janvier prochain) que les spectateurs autour de moi ont adoré ( faut dire que c'était fait pour, on avait l'impression d'être chez soi devant un (bon) téléfilm ).
L'événement du jour ici à Arras, c'était la rencontre avec Hélèna Noguerra  (  pas Hélène "Ségalat" comme le disaient mes voisines de siège...) et Lio. Les deux sœurs se présentaient ainsi qu'à nous, un film qu'elles avaient tourné et aimé mais qui n'a rencontré aucun succès. Lio accompagnait " Belgian Disaster" de Patrick Glotz ( je ne peux pas vous si c'était vraiment un désastre, j'ai zappé la projection) et Hélène Noguerra présentait " La clinique de l'amour" de Artus de Penguern, un pastiche très très réussi des soaps médicaux télévisés dont l'insuccès est à ranger dans les grandes injustices ! D'ailleurs si vous avez l'occasion de le trouver en vidéo ou programmé sur une de ces multiples chaînes de la TNT, ne le ratez pas !




mercredi 1 novembre 2017

Mise à mort du cerf sacré de Yorgos Lanthimos


Film fort décrié depuis son passage à Cannes ( et un prix du scénario sifflé mais pour moi mérité), cette "Mise à mort du cerf sacré" se présente à nous accompagné d'une critique plutôt mitigée. Personnellement, j'y suis allé en traînant un peu les pieds, le précédent long métrage de Yorgos Lanthimos ( The lobster")  ne m'ayant que partiellement convaincu. Force est de reconnaître que j'ai passé deux heures sur mon fauteuil, scotché par un film qui m'a intrigué et même passionné de bout en bout.
Sans doute suis-je un spectateur un peu facile car dès le début j'ai été énormément intrigué par l'histoire qui se déroule à l'écran ( et dont je me ferai un plaisir de n'en dévoiler que le minimum) tant dès les premières minutes le réalisateur instaure un climat propice au doute et aux interprétations. Que veut cet adolescent ? Que se passe-t-il entre ce médecin et lui ? De l'argent ? Autre chose ? Du sexe ? Cette piste semble se confirmer tant le couple que forme le chirurgien ( Colin Farrell) avec son épouse ( Nicole Kidman) cultive une intimité pour le moins particulière. Le film, entre mise en scène glaciale, dialogues plats mais empreints d'un humour réfrigérant et virtuosité plastique avance avec efficacité, distillant dans sa première heure, avec une précision de métronome,  des indices qui laissent notre esprit aux aguets. Et quand le film, dans sa deuxième partie, bascule dans un versant un peu plus fantastique, c'est jamais sans cesser de creuser ce sillon énigmatique, continuant à nous tenir en haleine pour un final aussi tragique que symbolique.
Emporté par une intrigue rudement bien menée, j'ai sans doute laissé de côté ce qui a énervé pas mal de monde à savoir ses références appuyées à Kubrick en filmant les couloirs de l'hôpital comme dans "Shining' ( avec en plus des plans troublants de Nicole Kidman  rappelant "Eyes wide shut" ) ou  celui à Haneke ( pour le côté hyper froid de l'ensemble). Cet emballage, voulu par le metteur en scène, qui participe énormément à cette atmosphère étrange et prenante, peut apparaître comme une pause artistique ( voire pour faire du pied aux jurys de festivals pour glaner des lauriers) mais se révèle juste comme une toile de fond référentielle plutôt bien choisie. Cela n'empêche pas le film dans sa dernière partie de prendre des allures de tragédie grecque ( normal pour un athénien de naissance), portant à son paroxysme un récit aux multiples lectures et lui donnant au final sa propre identité. Nous sommes chez Yourgos Lanthimos, et nulle part ailleurs, ce nouvel opus, confirmant bien que nous avons affaire à un metteur en scène  possédant un univers bien particulier et que cette fois-ci, il a évacué les scories un peu obscures qui rendait son cinéma assez hermétique.
"Mise à mort du cerf sacré" se révèle un thriller psychologique franchement bien foutu, passionnant et surprenant de bout en bout et dont on ressort un peu ébranlé car, il faut bien le dire, les spectateurs sont pas mal malmenés et les plus sensibles d'entre eux risquent d'être fort secoués ( trop peut être... ).





mardi 31 octobre 2017

Ces jours qui disparaissent de Timothé Le Boucher



Il est grand temps pour moi de parler de mon coup de cœur BD de la rentrée....  Je ne suis pas le seul à avoir succombé au quatrième album de Timothé Le Boucher, puisque Télérama a mis TTT et, sincèrement, il me semble terriblement difficile de résister aux charmes de ce one shot .
En parler ? En parler !! Non, pour une fois je n'en dirai rien, car, si l'on veut pouvoir profiter pleinement de ce récit extraordinairement maîtrisé, il vaut mieux ne rien en savoir ! Et surtout, SURTOUT, ne lisez pas la quatrième de couverture qui raconte tout ! ( Mais qui a eu l'idée chez Glénat de concocter un tel résumé !?! Espérons que les lecteurs de BD n'ont pas le réflexe de leurs confrères lecteurs de romans de retourner systématiquement un ouvrage... Dans le cas qui nous intéresse ce n'est pas un résumé mais tout l'album quasiment qui est spoilé !).
Comment quand même donner envie de vous plonger dans ce récit ? ( Ce n'est pas ma bonne tête ou mon avis ( toujours pertinent) qui vous fera quitter toute affaire cessante votre série télé préférée pour vous ruer chez votre libraire). Disons, que lorsque vous aurez l'album en main, vous ne le lâcherez plus. L'histoire commence certes doucement mais va crescendo ( un peu comme une petite boule de neige lancée depuis le haut de la montagne qui arrive énorme dans la vallée). Et c'est à la fin que l'on s'aperçoit de l'absolue maîtrise narrative de son créateur. Sur un départ de comédie un poil fantastique ( genre, on échange de sexe, d'enveloppe corporelle tout en restant le même dans sa tête...mais je vous rassure, rien à voir avec le roman graphique qui nous intéresse), Timothé Le Boucher déroule une mécanique infernale d'événements et de péripéties, pour rendre son histoire imparable et un soupçon mystérieuse. Ce pas encore trentenaire, à la fois scénariste et dessinateur de surcroît, dévoile un talent qui émerveille ( et laisse augurer une suite prometteuse). En plus de son imagination sans borne et de son évident talent de conteur, ce jeune artiste, arrive à débarrasser son roman graphique des clichés habituels, restituant parfaitement  les contours d'une génération qui fait fi du genre et des codes hétéro/genrés ( encore énormément présents dans la bande dessinée !).  On y croisera donc des personnages aux relations ouvertes, une femme à barbe ( sans que cela soit étrange, admirez le tour de force !), une autre vivant en trouple ( pour ceux qui ignorent la définition de ce mot qui deviendra bientôt un marronnier dans nos news magazines, tapez-le dans Lilo ( un moteur de recherche plus alternatif que Google)). Et son dessin est au diapason, rond sans l'être, sensible et fort à la fois, rappelant parfois le manga mais aussi Alix de Jacques Martin ( regardez le héros sur la  couverture), épousant parfaitement son récit pour rendre l'ensemble totalement épatant.
Je l'avoue, et cela me réjouit, voir un jeune auteur nous offrir une œuvre d'une telle maîtrise fait chaud au cœur, et nous prouve que décidément en Bande Dessinée, l'avenir est plus que prometteur ! Un seul mot ( ou presque ) pour conclure : Lisez " Ces jours qui disparaissent ", il serait étonnant que vous le regrettiez ! ( et vous risquez de disparaître quelques heures tellement vous serez absorbé(e)s.)






dimanche 29 octobre 2017

Panique dans le 16e de Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon



Une petite promenade dans une zone de non-droit ( une no go zone comme le dit si bien  la chaîne US débile et débilitante Fox News) ça vous dit ? Un quartier ultra sensible, tellement replié sur lui même que peu de chaînes télés ou de journalistes osent y fourrer leur nez  tant la peur des représailles les tétanise. Un périmètre de plusieurs km2 où une grande délinquance sévit impunément, se riant des lois et de la morale. Un enfer légal où  9/10 des français n'ont aucune envie de vivre ( heu...si ils pourraient avoir envie mais il ne le peuvent pas !). Cet endroit se situe DANS notre capitale ( pas en banlieue !) et il s'agit du si protégé seizième arrondissement ( où se situent, pour les plus provinciaux de ceux qui me lisent, la maison de la radio, mais surtout les habitations de la plupart des plus fortunés des habitants de Paris ). Le 16ème, si l'on regarde une carte, est une sorte de zone protégée par des frontières naturelles comme la Seine d'un côté, le bois de Boulogne de l'autre et d'une avenue  mythique, les Champs Elysées. Dans ces quartiers, on a voté à 60 % pour François Fillon au premier tour de la dernière présidentielle et ne pas payer l'ISF vous fait regarder de travers par votre voisinage.
Mais voilà, que cette bolchévique de mairesse de Paris, cette sale gaucho d'Anne Hidalgo, accompagnée de quelques sbires biberonnés au marxisme, a décidé en mars 2016 d'implanter dans ce quartier un centre d'hébergement pour sans abris !!!! Les colliers de perles ont tressauté et on a avalé de travers le Romanée-Conti servi par cette adorable Juana ( émigrée équatorienne si servile et si peu onéreuse....elle accepte 500 euros mensuels au black pour 62 heures de travail hebdomadaire, une perle je vous dis !). La révolution a grondé dans les salons Empire et la colère s'est exprimée sans complexe lors d'une réunion d'information à la faculté d'Assas ( une université du secteur, très bien fréquentée car assez sélective...).
Les Pinçon-Charlot ont assisté à cette édifiante confrontation entre des élus de gauche et des habitants haineux, prêts à tout pour ne pas voir s'installer des pauvres qui, sans nul doute, voleraient et violeraient tout le monde jusqu'aux caniches abricot. Devant cette fronde bourgeoise, ils ont décidé d'éclairer notre lanterne en nous narrant la dure épopée de la Mairie de Paris pour l'installation de ce
centre d'accueil ainsi que de la replacer dans son contexte géographique, politique et sociologique.
Spécialisés dans l'étude de nos riches français, cette incursion dans le 16 ème leur est facile et leur permet encore une fois de démontrer la violence de cette grande bourgeoise envers les moins nantis, leur manque total de sens moral et leur soi-disant bon droit à cultiver un entre soi  auquel il ne faut pas toucher.
Le discours est connu, toujours réjouissant ( mais aussi révoltant ). Cette fois-ci, sans doute avec une envie d'être plus pédagogique qu'à l'habitude, le récit est clair, simple à lire et doublé par une bande dessinée ( excellent Etienne Lécroart) qui, même si elle est parfois redondante, apporte un peu d'humour dans cet univers qui prête de moins en moins à rire.
Je ne le dirai jamais assez , mais lire les époux Pinçon-Charlot devient de plus en plus indispensable et franchement, cette dernière livraison, sans conteste la plus accessible de toutes, continue à porter un éclairage cru sur ce monde des riches qui, au mépris de toute morale, nous nargue comme jamais.

Et je ne résiste pas au plaisir de vous proposer cette interview donnée par Monique Pinçon-Charlot sur Canal plus l'an dernier... devant le fameux centre d'accueil.




samedi 28 octobre 2017

Au revoir là-haut de Albert Dupontel


Pour adapter le roman de Pierre Lemaître, Albert Dupontel s'est hissé sur une grue pour prendre de la hauteur, sans doute pour ne pas contredire le "là-haut" du titre. Et c'est ainsi, que vue de cet engin, l'intrigue se trouve élaguée ( normal, on ne voit pas les détails lorsque l'on est perché) mais surtout, avec ses travellings dans tous les sens,  le film a parfois un côté montagnes russes de fête foraine, qui fonctionne finalement très bien avec l'univers baroque et lyrique adopté par la mise en scène.
L'adaptation faite par le réalisateur de " Neuf mois ferme"  reprend dans les grandes lignes cette belle amitié entre deux hommes d'un milieu différent mais soudée par les traces ineffaçables de rudes combats et d'une société qui les rejette. Le sel du film est bien sûr conservé, à savoir cette escroquerie aux monuments aux morts dans l'immédiate après guerre ( en 1919 pour ceux qui n'auraient pas lu le Goncourt 2013 et échappé à la promo tous azimuts du film) et surtout la présence d'un méchant à l'onctuosité perverse et glaciale. La réussite du film tient  pourtant sans doute plus aux écarts et à la façon dont le réalisateur/scénariste s'est emparé de l'histoire, que de sa fidélité à l'œuvre originale.
En tirant le récit vers son univers habituel, Albert Dupontel arrive à donner du burlesque et une vraie  causticité au récit, ( l'humour était déjà présent dans le roman) tout en lui donnant un aspect virevoltant comme le furent les années qui ont suivi la grande guerre. On appréciera un joli travail sur l'image, aux couleurs rappelant les autochromes de l'époque et une profusion de magnifiques masques que portent le personnage d'Edouard, tous s'intégrant parfaitement avec l'action.
Tout cela donne un grand film populaire dans le bon sens du terme, avec du rythme, de l'humour, des méchants, des bons pas si innocents que ça et de l'émotion. Les acteurs sont au diapason du projet. Laurent Lafitte incarne avec une gourmandise évidente un salaud intégral, Nahuel Perez Biscayart prouve une nouvelle fois qu'il est sans aucun doute la révélation de l'année ( après " 120 battements par minute" ), arrivant à donner une force de vie à son personnage masqué avec juste des mouvements du corps et son regard et Niels Arestrup épate encore une fois avec sa dureté sous laquelle se cache un cœur.
Production de luxe, "Au revoir là-haut " plaira à ceux qui n'ont pas lu le roman et épatera dans le bon sens ceux qui attendaient au tournant cette mise en images. Moins calibré que prévu, un peu foutraque mais sympathique, le film devrait se tailler un beau succès au box office ( ou alors c'est à désespérer des spectateurs).




vendredi 27 octobre 2017

Corps et âme de Ildiko Enyedi


Une jeune femme, blonde à l'apparence fragile, est embauchée, Maria,  comme contrôleuse de qualité dans l'usine que dirige Endre, cinquantenaire solitaire et se pensant maladroit à cause d'un bras inerte. Rien ne laisse supposer que ces deux là puissent un jour se rencontrer et vivre une histoire d'amour. Nous sommes au cinéma et tout est possible. Je vois les yeux se lever vers le ciel,en pensant qu'il s'agit encore d'une bluette style Harlequin ( tout les sépare mais ils vont s'aimer). Racontée comme je viens de le faire, c'est certain, sauf que, la cinéaste hongroise ( Caméra d'or à Cannes en 1989 mais également ours d'or au dernier festival de Berlin, le 3ème grand festival après Cannes et Venise) donne une force envoûtante à son sujet par la magie d'un scénario hyper travaillé et une mise en scène et en images particulièrement pertinente.
Maria et Endre, par le hasard d'un rendez vous chez une psychologue vont s'apercevoir qu'ils font chaque nuit un rêve identique, celui d'un cerf et d'une biche, complices et tendres, dans une forêt sous la neige, belles images bucoliques qui vont se heurter à d'autres images d'animaux, celles des bovins qui se rendent à l'usine où travaillent nos deux héros. Hé oui, l'histoire d'amour se déroule en partie dans un abattoir ! Et là, où certains auraient pu jouer atrocement sur ces deux versions de la vie animale, Ildiko Enyedi choisit de traiter cela par un hyper réalisme jamais voyeur, dont les plans au millimètre, souvent fixe, révèlent une force et une poésie fulgurante. La même exigence est employée pour la description de la rencontre de ses deux personnages, chacun avec son code couleur ( tons gris et froids pour Maria, au comportement autiste et maniaque, tons chauds pour Endre ) et une  utilisation des parois transparentes, symboles subtils de ce qui sépare ces deux êtres, chacun se débattant avec un monde intérieur les obligeant à un certain mutisme.
A l'écran, cela donne une histoire qui sort de la banalité, touchant très vite le spectateur qui ne peut que se laisser emporter par la destinée de ces deux être dont les rêves et la solitude vont finir par se rejoindre, où le sang sera sans doute la seule couleur que cet homme et cette femme vont réellement partager. Dans une magnifique mise en scène jamais lourdingue, d'une beauté hyperréaliste à couper le souffle, "Corps et âme " apparaît comme le conte moderne qu'il faut voir cette semaine.


Et je ne résiste pas au plaisir de vous rajouter un clip, avec la très jolie ballade de Laura Marling "What he wrote" qui joue un rôle assez important à la fin du film . 





mercredi 25 octobre 2017

traité des gestes de Charles Dantzig



Pour un traité ( si je reprends la définition de Wikipédia), ouvrage à but pédagogique qui traite de façon exhaustive un sujet, avoir une aussi jolie couverture, avec ce dessin aux teintes pastels et tout en rondeur, donne illico envie de s'y plonger, et donc de l'ouvrir, de casser délicatement du plat de la main le papier plus épais qui le recouvre et de découvrir son contenu. Je vous ferai grâce de ce geste cliché qui consiste à porter un doigt à sa bouche, de l'humecter subrepticement avec la langue pour revenir sur la première page afin de la tourner plus facilement, bien que lecteur compulsif, que je ne l'ai jamais fait. Ai-je écarquillé les yeux ( geste d'émerveillement, d'intérêt), froncé les sourcils ( geste d'ennui), tordu la bouche ( geste d'agacement), caressé mon nez ( geste interrogatif),  éprouvé légèrement le lobe de mon oreille ( geste de bien être) durant ma lecture ? Je ne vous le dirai pas, mais je vous laisserai le deviner.
Ce " traité des gestes" ( oui, sans majuscule à "traité", petite coquetterie bien inoffensive de l'auteur comme pour chacun des titres de chapitre de tous ses livres ) ne peut qu'intéresser le lecteur curieux. Avec pertinence, un humour parfois corrosif, une grande culture et un regard particulièrement aigu sur le comportement de nos contemporains ( mais aussi d'êtres, modèles, écrivains de l'antiquité jusqu'au siècle dernier), Charles Dantzig ausculte, dissèque, interprète, annote tous les mouvements  ou l'immobilité d'un corps (qui est en quelque sorte un geste négatif), tous ces gestes qui sont " le lien universel entre toutes les créatures du monde" . La promenade avec cet entomologiste du genre humain s'avère passionnante, même si parfois son érudition peut apparaître intimidante. Il a tout traqué, des mimiques de ses voisins de table au restaurant, aux rares descriptions de gestes dans la littérature depuis l'antiquité en passant par les expressions dans la peinture et la photographie, faisant des rapprochements, des corrélations donnant à son propos toute la profondeur nécessaire.
Mais ce qui pourrait passer pour un inventaire un peu rébarbatif , se révèle aussi, un portrait assez cinglant de notre époque autant friande d'images que de gestes. Impertinent quand il s'agit de décrypter les gestes des contemporains qu'il rencontre, Charles Dantzig, écrit sans ambages ce qu'il ressent, avec une fausse bonhommie réjouissante et un certain savoir-vivre ( ainsi, il cite des personnes sans doute connues de lui ou du public en leur octroyant des pseudonymes assez hilarants comme Rirou le Dauphin ou Vipère-Qui-Avale-Des-Couleuvres). Et puis, autre bon point ( ce que je fais maître d'école !), ce " traité des gestes" permet à Charles Dantzig de faire aussi un autoportrait plutôt sympathique de sa personne ( le contraire aurait pu paraître étonnant), mêlant sa vie à son essai, le rendant ainsi extraordinairement vivant et humain.  Moi qui n'avais jamais rien lu de lui, que je ne connaissais que comme un nom qui apparaissait régulièrement dans les pages " culture " des journaux, j'ai pu aussi me faire ainsi un petite idée du personnage.
"traité des gestes", dense catalogue de nos mouvements corporels les plus infimes, peut se lire d'une traite, certains lecteurs ayant la capacité à emmagasiner une foultitude d'anecdotes, de considérations et de raisonnements pointus. Personnellement, en plus de conseiller vivement cette lecture vraiment emballante, je pense qu'il est agréable de l'avoir à portée de main, pour grappiller selon sa fantaisie  un de ces nombreux et courts chapitres, chacun recelant une anecdote, une idée, une notation qui réjouit l'esprit. Pour conclure, je ne résiste pas au plaisir de la citation ( c'est un ouvrage qu'il faut lire avec un crayon près de soi ), une parmi des centaines possibles : " La coutume, se sont les draps jamais changés de l'hypocrisie." ( Vous voyez, cela va plus loin que le simple geste...)




The XX Fiction ( titre cité dans "traité des gestes " comme la bande son de la tendresse entre hommes...)

lundi 23 octobre 2017

Sucre noir de Miguel Bonnefoy


Le premier chapitre nous saisit comme un roman d'aventures a pu le faire lorsqu'enfant on se plongeait dans (pour moi) "L'île au trésor" ou ( pour mes enfants) dans "Harry Potter", une furieuse envie de dévorer la suite, tant l'entrée en matière nous emballe. Imaginez un (fameux) trois mâts, une frégate pour être exact, échouée sur la cime d'arbres dans une forêt d'Amérique du Sud suite ( on suppose) à une tempête à faire pâlir l'ouragan Irma. Nous sommes au 17 ème siècle et les cargaisons de la flotte de sa très gracieuse majesté ( mais c'était peut être à l'époque un gracieux roi) se composaient en plus de victuailles, d'or, de pierreries, d'œuvres d'art. Et ce qui devait arriver arriva, à force de vent de pluies, de bourrasques ( et de temps), le bateau finit sa course en s'engloutissant à tout jamais dans la mangrove. Dans la tête de tout bon lecteur qui se respecte, tilte dans son esprit le mot "Trésor !" ( mieux que le loto !). Et qui dit trésor dit recherche et donc aventures ! Le lecteur, n'a même pas le temps de se frotter les mains de plaisir ( pourquoi faire d'ailleurs, cela ne sert à rien dans la lecture), qu'il tourne la page et se retrouve 3 siècles plus tard dans une commune pauvre du Vénézuela, construite au-dessus de l'endroit du naufrage, sans doute par hasard. Nous faisons connaissance des Otero, cultivant chichement un lopin de terre. Ce couple sans histoire avait une fille ( non pas la belle Otero !), Serena ( la belle se prénommait Agustina , rien à voir !). Rêveuse, passionnée de botanique, elle utilisera la TSF pour essayer de se créer un avenir un peu plus radieux ( vous l'aurez compris nous sommes dans les années 30,  Facebook et Meetic ne sévissaient pas encore) en envoyant une annonce sibylline pour trouver un amoureux ( donc rien qui ressemble à : " JF sexy cherche mec jeune et bien membré pour plaisir immédiat"). La réponse se fait désirer et lorsqu'au bout d'une année ( le plaisir immédiat on ne connaissait pas à l'époque, on savait attendre...) se présenta un homme plutôt moche à la ferme, ce n'est pas en tant que futur amant qu'il a traversé des contrées ( que l'on devine vaguement hostiles) mais comme chercheur d'or, car, voyez-vous, malgré le manque flagrant de technologies au 20ème siècle, les affaires de trésors enfouis arrivent quand même à se faufiler au travers des années. Nous sommes au chapitre deux ....et je n'en dirai pas plus de l'histoire ( ce serait gâcher le plaisir du futur lecteur). Prenez votre pelle, votre chapeau et creusez .... heu non ...prenez vos lunettes ( si vous en avez besoin) et lisez !
"Sucre noir" s'avale cul sec ( comme le rhum produit par la suite sur cette ferme) . En plus des saveurs d'un récit qui nous met dans cet état enfantin où un bon roman d'aventures nous enflammait l'imaginaire, vous savourerez une écriture sensuelle et gourmande, mêlant alcool et épices, parfums des fleurs et tabac brun. Miguel Bonnefoy n'a pas son pareil pour trousser avec aisance et brio un roman à la fois palpitant, rapide et gourmand. ( Faut dire qu'à l'heure actuelle, sur ce créneau, ils ne sont pas nombreux à occuper le terrain). En presque 200 pages et deux générations, nous suivrons, entre deux verres de bon vieux rhum, la progression des personnages vers ce trésor, transformant petit à petit le récit en conte philosophique.... Et c'est peut être dans cette narration un peu rapide et à la morale un peu banale ( en gros, l'argent ne fait pas le bonheur) que le roman peut décevoir un petit peu ( moi, en tous les cas...). Mais ne boudons pas le plaisir de passer quelques heures avec la très bonne compagnie d'une jeune auteur prometteur et bourré d'imagination, dont le style à la simplicité efficace et charnelle ne pourra qu'enchanter tous les lecteurs, de l'exigeant au simplement avide de belles et bonnes histoires.

Et un tube vénézuélien pour accompagner cette chronique ...




dimanche 22 octobre 2017

La disparition de Karen Carpenter de Clovis Goux




En 2017 qui se souvient, à part quelques soixantenaires, du groupe "The Carpenters " ? Pourtant durant une décennie, juste après la vague hippie, slalomant entre les Rolling-Stones, les Pink Floyd et la vague disco, ils ont trusté les premières places des charts américains et ont vendu des albums par millions. Véritable bonne conscience d'une Amérique conservatrice rejetant tout ce qui était ou trop suggestif ou trop hard, les Carpenters ont rassuré cette frange de la population qui ne souhaitait pas sortir des rails dorés d'un système bien pensant. A contre courant des riffs de guitare d'un Keith Richards cocaïné ou des soupirs lascifs d'une Donna Summer, les chansons bien sages de ce groupe ( qui était en fait un duo composé d'un frère pianiste et d'une sœur chantante à la batterie) ont beaucoup séduit de par le monde, et notamment le président Nixon qui les a plusieurs fois invités à la Maison Blanche. 
Dans " La disparition de Karen Carpenters", Clovis Goux revient donc sur leur carrière qui s'est achevée en 1983 lors du décès de la chanteuse, souffrant depuis trop longtemps d'anorexie. 
Comme leur vie était presque aussi sage que leur discographie, l'auteur prend le temps de s'attarder avec brio sur l'époque, replaçant le groupe dans un contexte autrement plus mouvementé que leurs sirupeuses mélodies. ( C'était l'époque de Charles Manson gourou illuminé et assassin de Sharon Tate, de la guerre du Vietnam, ...). Cependant, leur carrière artistique ne sera pas laissée de côté, permettant au lecteur de pénétrer dans les coulisses d'une industrie phonographique faite pour engranger les dollars ou comment deux jeunes enfants de la classe moyenne, nés dans le Connecticut dans une famille plus que lambda, vont devenir des idoles. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce n'est pas vraiment  le vedettariat qui aura enfoncé Karen Carpenter dans la tombe, mais un mal plus profond, une  maladie mentale incontrôlable qui la faisait apparaître de plus en plus frêle au fil des années. Et pendant que la sœur se bourrait de Dulcolax ( médicament contre la constipation), le frère luttait contre l'insomnie, ingurgitant des kilos de somnifères. 
Le livre, pas vraiment un hommage de fan, reste très objectif, sans jugement excessif ni moqueur. Longtemps la cible de critiques pour leur côté fleur bleue et populaire, les Carpenters n'en demeurent pas moins un groupe qui a marqué son époque. Le timbre cristallin de Karen, quand on l'écoute aujourd'hui, nous repose un peu de ces voix actuelles survitaminées et en devient, après la lecture du livre, presque émouvant. 
Sans connaître ce groupe, "La disparition de Karen Carpenter" se lira  comme le récit fidèle et émouvant d'une trajectoire artistique mais aussi comme le portrait soigné de toute une décennie  qui fait encore rêver. 





samedi 21 octobre 2017

The square de Ruben Ostlund


Perplexe, je suis sorti perplexe de "The square". Laissons de côté les lauriers reçus à Cannes, on sait  ce critère très aléatoire. J'y ai retrouvé la même ambiance que dans le précédent film du réalisateur ( "Snow thérapy" en 2015 ), c'est à dire ces plans méticuleusement composés, un peu statiques mais d'une froideur toute nordique, cet humour grinçant, ce regard très désabusé sur nos contemporains et cette utilisation intrigante du hors plan . Assurément il y a une signature Ostlund, un univers.
Pour ce film-ci, on sent bien que Ruben Ostlund a décidé de passer à la vitesse supérieure ou plutôt avoue illico de plus grandes ambitions cinéphiliques. Tout d'abord, son discours qui jusqu'à présent se bornait à ausculter le couple, s'élargit vers la société toute entière. A partir du personnage d'un conservateur de musée d'art contemporain, imbu de lui même ( tant par le physique que par sa prétendue intelligence), le récit va nous brosser le portrait d'une humanité égoïste, incapable de s'intéresser à l'autre, dépendante des technologies nouvelles, obnubilées par le fric, ignorant l'altruisme. Le sujet, balancé dans le milieu de l'art contemporain, aurait pu être intéressant, caustique, cynique, percutant. Seulement le film se mord la queue et devient ce qu'il dénonce : une oeuvre ( d'art ?) pédante et sentencieuse. A vouloir épingler la médiocrité ambiante avec un discours parfois abscons, en allongeant tant les scènes qu'elles finissent par apparaître comme des sketches mis bout à bout, en les rendant parfois peu compréhensibles ( comme celle du préservatif à la chute naze), en surlignant le propos, en essayant d'être constamment  beau et original sans que cela serve réellement le propos, tout cela finit par laisser de marbre. Bien sûr, quelques passages font mouche ou intriguent agréablement ( comme cette séquence entre le héros et la journaliste piquée, placés devant un empilement de chaises vacillantes et où la bande son nous fait entendre des bruits sourds de tremblements et de chute ) mais, force est de reconnaître que le propos s'enfonce dans un ensemble hétérogène peu convaincant. Il finit même par devenir ce qui était critiqué dans une des premières scènes du film où, toujours cette même journaliste givrée interrogeait le conservateur du musée sur ses propos hermétiques mis sur son site internet : un film pompeux et verbeux, qui se regarde le nombril.



vendredi 20 octobre 2017

La belle et la meute de Kaouther Ben Hania


C'est une plongée dans la nuit tunisienne ( et par analogie dans toutes celles du monde musulman même si la Tunisie fait figure de phare dans cette lente et difficile voie vers la liberté ), une nuit réelle mais aussi très symbolique, celle dans laquelle vivent les femmes dans des pays où la tradition religieuse leur impose une perpétuelle obscurité.
Mariam, est jeune, pulpeuse, a envie de s'amuser comme toutes les jeunes filles de son âge. Pour la soirée qu'elle a organisée avec ses copines étudiantes, elle s'est habillée sagement mais un hasard de la vie lui fait enfiler une robe plutôt sexy. La soirée débute, cool et animée... Fin du plan séquence, qui sera le premier d'une suite de neuf. Ce découpage rythme le film, accentuant façon compte à rebours à l'envers, le cauchemar que vivra Mariam. Violée par des policiers sur une plage ( scène non filmée, la cinéaste manie l'ellipse avec  justesse ), et aidée par Youssef rencontré par hasard, elle va errer d'hôpital en commissariat et ressentir que la justice locale est plus portée à pencher du côté des bourreaux que de ses droits ( bien minimes pourtant dans une société ô combien machiste).
"La belle et la meute" par son sujet, par son militantisme courageux emporte évidemment l'adhésion et nous plonge avec un certain réalisme dans ce dédale kafkaïen que sont les institutions tunisiennes. Le spectateur suit avec empathie le combat de cette jeune femme forte et fragile à la fois, qui subit pressions mais surtout regards à la fois hostiles et méprisants des fonctionnaires masculins ( les quelques femmes qu'elle rencontre n'arrivent pas à se dégager de cette gangue trop solide et ne lui seront pas de vraies alliées). On oublie facilement quelques ficelles ou maladresses scénaristiques tant le récit semble essentiel et vital. On admire autant le courage de l'héroïne que celui de la réalisatrice tunisienne ( dont on espère une sortie du film dans son pays ) qui en plus filme tout cela avec un vrai talent de mise en scène.
Ce film tout en finesse, sans aucune exagération, qui a un autre moment aurait juste été un constat féministe mais assurément lointain pour nous occidentaux, prend, à l'heure du " #balancetonporc", un étrange écho. Son effet miroir nous rappelle que chez nous aussi, pour une femme ( voire un homme), aller dans un commissariat porter plainte contre des violeurs ( qui plus est policiers) s'expose sans nul doute à des jugements sexistes et machistes, voire une totale incompréhension ( on échappe peut être à la corruption ou au chantage familial). On ne se relève pas facilement  de millénaires de patriarcat. Une humoriste célèbre ( Sophia Aram) déclarait cette semaine avec justesse que les trois religions monothéistes étaient les premiers proxénètes d'un monde qu'elles ont offert  aux hommes, et donc les premières coupables de cette ségrégation de la moitié de notre humanité. La formidable dernière image du film, avec son utilisation gonflée du voile islamique porte tout l'espoir d'un monde qui n'a plus besoin de dogmes ancestraux pour aller de l'avant. Le combat sera rude, et peut être bien plus que celui de Mariam, figure désormais incontournable de cette lutte.