mardi 23 avril 2019

J'entends des regards que vous croyez muets de Arnaud Cathrine


"J'entends des regards que vous croyez muets" , le titre sonne beau et, une fois n'est pas coutume, le texte qui se cache derrière l'est tout autant !
A proprement parlé, il ne s'agit pas d'un roman, mais d'une suite de soixante-cinq récits assez brefs qui nous accroche dès la première phrase ( "Je passe mon temps à voler les gens." ) et ne nous lâche qu'à la dernière  ("Qu'on laisse mon voisin en vie."). Rien qu'avec cette dizaine de mots, on perçoit déjà le regard d'Arnaud Cathrine, fait d'une réelle bienveillance pour les inconnus qu'il croise ou observe au hasard d'un déplacement. Et s'il se qualifie de voleur, ce n'est bien évidemment que pour la bonne cause littéraire, couchant sur papier avec son talent d'écrivain, ce que tout un chacun s'amuse à faire peu ou prou, qui dans une salle d'attente, qui dans un train, ou un bar : imaginer la vie d'inconnus. 
Si l'exercice peut sembler assez banal, cette succession de petites histoires histoires remarquablement écrites, façonne au fil des pages un jeu de miroir vertigineux. En brossant le portrait de toutes ces personnes, parfois à peine observées quelques minutes, en leur imaginant un passé, un présent, voire un avenir, juste en s'accrochant à leurs gestes, leurs vêtements, leur voix, en apparaît, en filigrane, un autre, celui de l'auteur. Le lecteur, dont visiblement on pousse la curiosité, devient doublement observateur (  j'aurai pu dire voyeur, mais le terme aurait été grossier face à la finesse non dénuée de piquant de l'auteur). Touché, ému, intrigué par ces inconnus décrits et partiellement réinventés, il pénètre aussi dans une partie de l'intimité de l'écrivain, piquant çà et là quelques éléments qui, de façon pointilliste, dressent, en creux, la silhouette d'un quarantenaire qui, bien qu' intellectuel parisien, renvoie le lecteur à sa propre image. 
On a tous quelque chose d'Arnaud Cathrine et de ces (ses?) inconnus aux histoires qui ne peuvent naître que du propre vécu de celui qui les écrit. Alors, avoir un visage pas forcément aimable, faire la vaisselle à la main, parfois du naturisme, prendre des anti-dépresseurs, faire des courses à la supérette d'à côté, subir une intervention médicale, aller en vacances en France, en train, plutôt en bord de mer, à la plage de La Salie ( tiens... moi aussi ), s'intéresser aux autres... difficile de ne pas y attraper quelque chose de soi ( sans parler des nombreuses situations contées). Et dans ce kaléidoscope de sensations diverses, apparaît un autre miroir, celui de notre société où l'on remarque beaucoup d'êtres solitaires, très solitaires, même quand ils vont par deux. Sous les vernis, les barbes, les cheveux teints, derrière les lunettes de soleil, les écrans de smartphones, les cartes de restaurants, des individus luttent contre ce mal généré par nos sociétés de vitrine perpétuelle ( dans les vraies, l'auteur pointe une marque de vêtements appelée " Enfants riches déprimés" ) : la solitude !
D'une très belle écriture facile à lire car directement connectée à nos vies lambdas, les récits de " J'entends des regards que vous croyez muets" nous emballent. On ne peut résister à l'envie de les lire à haute voix à notre entourage et ils nous offrent un réel plaisir de lecture où, ici, la bienveillance n'est pas un vain mot ni un concept marketing. Arnaud Cathrine possède un regard franc et généreux, et son dernier livre se déguste comme une belle friandise acidulée qui fait autant de bien à l'âme qu'à l'esprit. 



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