Honnêtement, les quelques livres parcourus de Jean d'Ormesson me laissaient, au mieux indifférent, au pire complètement rasé par un verbiage souvent égocentrique avec, parfois, au milieu d'un flot de banalités ou de propos assez vaniteux, une phrase plutôt bien tournée. Malgré l'Académie Française ( une bande de copains qui se cooptent ) et la Pléiade ( le business ma pauvre dame...), je n'ai jamais perçu l'âme d'un grand écrivain. Pourtant, je me suis laissé tenter par la lecture de ce portrait patiemment tissé par Sophie des Déserts qui a passé de longs mois auprès du cher grand homme, dans son hôtel particulier de Neuilly, en tête à tête dans de grands restaurants, voire dans sa forteresse Corse.
On referme l'ouvrage en se disant, que comme beaucoup, les yeux bleus et l'entregent de l'ex directeur du Figaro ont séduit Sophie des Déserts. Quel séducteur, quel homme charmant, même à son grand âge, rongé par la maladie ! On le serait à moins. Mais en aurait-il été autrement si les déjeuners au Grand Véfour avaient eu lieu chez Flunch ? Si l'une de ses propriétés de vacances avait été à Vielle-Saint-Girons ( Landes) ? Vous me rétorquerez que la jalousie ou la mauvaise foi m'étreint, que le talent ça se cultive, ça se travaille, ça s'acquiert et avec un peu de chance ça rapporte. Jean d'Ormesson a eu quand même beaucoup de chance et le talent de savoir l'utiliser ( comme d'ailleurs la plupart de ceux qui vivent dans ce triangle Neuilly/Auteuil/Passy... ils ont les codes !). Reconnaissons à Jean d'O qu'il a eu la veine de naître dans une famille très bourgeoise, que même assez fruit sec sans grande envergure il a réussi à épouser Françoise Beghin ( des sucres mais aussi du papier) une plus grande bourgeoise que lui, que cet attelage ( mal assorti à priori) lui a permis de côtoyer d'encore plus grosses fortunes et que dans ce milieu on sait se soutenir, se servir de son excellent réseau. Le récit de la montée de cet homme vers le firmament médiatique fut longue mais pas trop difficile.
Le livre de Sophie des Déserts, pas réellement une biographie au sens strict du terme, mais plutôt le résultat de ses rencontres avec le grand homme d'1m 65, raconte à la fois, la vie de l'écrivain, cet entre soi d'une poignée de gens auquel l'argent tient lieu sans faillir de barrière de sécurité, qui, même sans trop de talent vont se débrouiller pour accéder là où il faut et aussi la lente séduction qui s'opère sur elle, la laissant quasi veuve éplorée lorsque la mort viendra éteindre le regard bleu azur de l'écrivain. On retrouve la même sensation de chasse-gardée que dans le récent roman de Dominique Bona "Mes vies secrètes" avec, ici, au début, un poil de cruauté qui va s'estompant au fur et à mesure que l'homme vieillit. On ressent bien le passage de l'homme épouvantablement hâbleur qui, avec le temps, saura devenir une figure paternelle presque sympathique et vendu comme populaire. Si l'on prend un peu de recul, on peut même savourer l'image de certains de son lectorat, grenouilles de bénitiers et adorateurs du Figaro, manquer de s'étouffer en lisant les nombreuses aventures féminines de Jeannot, les deux épouses ( l'officielle, un peu par intérêt, et l'autre, plus dans le coaching littéraire) qui finiront par accompagner ensemble et partout le cher homme mais croiser aussi les encore plus nombreuses maîtresses séduites et abandonnées après passage dans sa garçonnière parisienne. On aura confirmation ( mais en avait-on besoin? ) que cette grande bourgeoisie, entre deux messes et dix réceptions, s'échange allègrement maris ou femmes, au gré de continuelles aventures adultérines... On les comprend tout à fait,... ce qui leur permet de prôner à longueur de colonnes du Figaro la vertu et la fidélité et autres concepts bien pensants.
"Le dernier roi soleil", gracieux et joli portrait de Jean d'Ormesson, confit dans ses privilèges, étonnera peut être un peu certains de ses lecteurs qui ignoraient sa vie un poil dissolue au yeux des normes sociales vantées, sera ignoré par ses détracteurs et montrera aux autres que cet homme très ancien ( grand) monde a su parfaitement se glisser dans celui d'aujourd'hui par son omniprésence médiatique, comme beaucoup de fausses valeurs actuelles portées artificiellement aux nues.
La chanson du livre : "Un air de liberté" de Jean Ferrat, écrite en réaction à un éditorial aux relents colonialistes de Jean d'Ormesson au moment de la fin des guerres d'Indochine en 1975. Elle fut censurée à la télévision et déclara une grande querelle médiatique.
Joli papier !
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