vendredi 28 septembre 2012

Vous n'avez encore rien vu d'Alain Resnais


Le problème avec les grands cinéastes âgés, c'est qu'on leur doit le respect. L'admiration que l'on a éprouvé lors de leurs grandes années se doit d'être toujours présente, même sur les oeuvres tardives dans lesquelles on trouvera toujours des points d'accroche pour la dithyrambe. Alain Resnais en est la parfaite illustration. 90 ans, une multitude de grands films derrière lui, chaque nouvel opus est l'occasion      pour la critique de célébrer ce maître du cinéma même si l'oeuvre est mineure (oui, il y en a eu ! "Les herbes folles", son précédent long-métrage m'a laissé le souvenir d'un film poussif et sinistre).
Pas vraiment appâté par les photos peu alléchantes qui ont squatté la presse ces derniers jours et pas vraiment désireux d'assister à une représentation d'une pièce vieillotte de Jean Anouilh, je me suis tout de même rendu en salle pour vérifier si "Vous n'avez encore rien vu" était aussi prometteur que le titre le laisser sous entendre.
Réunie dans une grande salle aux canapés noirs, une pléiade de comédiens est convoquée à une sorte de veillée, hommage à un metteur en scène décédé qui les a tous dirigés dans les deux Eurydice qu'il a monté lors de sa carrière. Assistant à la projection d'une ultime et nouvelle version de cette pièce, notre aréopage de stars vieillissantes se prend au jeu du théâtre et du souvenir. Les répliques leur revenant en mémoire, ils nous la rejouent en retrouvant les élans de leur jeunesse un peu disparue. Quand je dis "ils", je devrai dire "certains nous la rejouent", car hormis Sabine Azéma, Pierre Arditi et Mathieu Amalric, les autres ne font que que lancer quelques répliques (Lambert Wilson et Anne Consigny et un peu Anny Duperey) voire font de la figuration même pas intelligente (là, je ne cite personne pour ne pas blesser).
On nous dit partout qu'Alain Resnais est toujours aussi génial, facétieux et joueur. C'est vrai, il réussit à filmer le théâtre d'une manière totalement originale, mélangeant les acteurs, jouant avec les décors et avec l'écran, divisé parfois en deux voire en quatre. C'est créatif mais cependant, au delà de ce côté ludique revendiqué, l'exercice ne m'a guère convaincu.
Tout d'abord, cette idée de vouloir remettre en valeur des pièces démodées se révèle de l'acharnement, de la torture pour le spectateur. Il nous avait déjà fait le coup avec Henri Bernstein  et "Mélo" ou avec l'opérette et "Pas sur la bouche", à mon avis pas ses meilleurs films. Je le préfère quand il s'attaque à des sujets ou des oeuvres plus contemporains ("Smocking/no smocking" ou "On connaît la chanson"). Ici, malgré le dépoussiérage et l'originalité de la narration, une pièce datée reste une pièce datée. Et ce ne sont pas ses habituels comédiens, aussi bons soient-ils, qui parviennent à redonner du lustre à un texte ampoulé.
"Vous n'avez encore rien vu" est un exercice de style brillant pour amateurs éclairés qui s'esbaudiront sur "l'éternelle reconduction du corps ressuscité pour de vrai et pour de faux" (Le nouvel obs) pendant que d'autres gloseront sur la permanence sublime du thème de la mort dans l'oeuvre du maître et que les puristes se gargariseront autour de l'hommage émouvant de ce vénérable artiste à tous les comédiens de théâtre. Par contre, ils ne s'apercevront pas que ce film s'adresse surtout à une élite qui possède les codes et le grilles de décryptage mais pas du tout au grand public, ni même au moyen d'ailleurs.
Selon où l'on se situe on y prendra plus ou moins de plaisir, on se pâmera ou on s'endormira. Mon avis est mitigé : intéressant mais pas vraiment passionnant.



jeudi 27 septembre 2012

La blogosphère de Bastien Vivés


Est-ce le rythme rapide de parution (quatre dans l'année) qui m'a un peu lassé ? Une chose est sûre, le nouveau recueil des strips du blog de Bastien Vivès m'a un peu déçu. Pourtant, avec un titre alléchant comme "La blogosphère", j'aurais aimé pouvoir dire que j'ai autant ri qu'avec les tomes précédents (même si le troisième commençait à montrer ses limites).
Dans ce quatrième volet, on parle donc d'internet et des blogs de dessinateurs, de l'avenir incertain d ela BD, des éditeurs qui peu à peu s'effacent devant la déferlante des blogueurs qui, eux, passent leur temps dans des conventions assez ineptes. Et pui, il y a des clins d'oeil aux copines (Pénélope Bagieu ou Margaux Motin) et un retour (peu convaincant) de Dark Vador en exterminateur de la terre et jaloux des blogs des BD.
Même si on retrouve comme d'habitude quelques pages aux dialogues bien crus, même si cette interrogation quant à l'avenir du 9ème art est cynique et salutaire, j'y ai pris beaucoup moins de plaisir. Le dessin, toujours aussi particulier, me ravit encore malgré le côté répétitif/reproduction à l'identique (copier/coller devrai-je dire)  mais sent un peu la facilité et n'est finalement là que pour poser ses dialogues toujours aussi affutés. Reconnaissons à Bastien Vivès un vrai talent d'observateur de ses contemporains et  une oreille particulièrement attentive, car ses textes sont de petits condensés féroces des tics de tous ses amis bobos, drogués à l'internet.
Si vous avez aimé les trois précédents recueil, complétez votre collection. Je ne sais pas si tout le blog de Bastien Vivès a été entièrement publié, mais s'il reste des planches pour un cinquième opus, espérons que ce ne soit pas des fonds de tiroir heu...de blog.

mercredi 26 septembre 2012

Bonjour facteur de Michaël Escoffier et Matthieu Maudet

Je ne sais pas si c'est bien le projet de Michaël Escoffier et de Matthieu Maudet, mais j'ai vu dans "Bonjour facteur" une jolie illustration (sûrement subliminale ou involontaire) de l'actuel débat sur l'adoption par les couples gays, le tout bien sûr pour lecteur de 3 ans. Parce que si l'on prend cette histoire au premier degré, c'est le grand retour des croyances nunuches pour enfants, le facteur remplaçant la cigogne, décimée par la pollution.
Donc, il y a un facteur qui livre des bébés à des animaux. (Rien à voir j'espère avec la formidable expression : "Oh, celui là, il ressemble au facteur !")
Le premier couple, Mr et Mme Hippopotame sont tout content d'avoir reçu leur bébé. Couple épuisé par les nombreuses FIV sans résultat, ils semblent comblés par l'adoption de ce charmant bébé hippopotame dont les pauvres parents ont du être abattus par d'ignobles braconniers dans une réserve pourtant protégée du Kenya.
Ensuite, le facteur livre deux enfants à un couple de singes visiblement tout heureux d'être enfin parents. Je regarde bien l'illustration. Pour moi, il n'y a pas de doute, ce sont deux mâles et il est donc normal, au yeux d'un enfant, que ce soit le facteur qui leur apporte leurs bébés arraché à un orphelinat asiatique. Ces deux singes mâles feront visiblement de super parents et c'est tant mieux !
Quant au troisième couple chez qui le facteur livrera un bébé, je ne peux rien en dire sous peine de dévoiler la chute pleine d'humour et de tendresse. Je peux juste signaler qu'il s'agit d'une famille de pingouins formidablement généreuse comme il en existe encore beaucoup.
Oui, j'ai vu beaucoup de choses dans ce tout petit album cartonné. Suis-je tombé sur la tête, abusé d'expédients illicites ? Non ! Mais quand j'ai lu la première fois cet album, si j'avais apprécié la chute, j'avais été déçu par le propos si peu scientifique, indigne me semble-t-il des auteurs du formidable "Bonjour docteur" il y a deux ans. En creusant un peu, je pense vraiment que messieurs Escoffier et Maudet ont voulu eux aussi s'immiscer dans le débat important du moment, en proposant aux enfants, non pas d'y réfléchir ,mais peut être de s'ouvrir inconsciemment l'esprit.
Reste une question, si tout ce que j'y ai vu est vrai, cela en fait-il un album subversif que certaines bibliothèques dites bien pensantes risquent d'interdire ? J'ose espérer que non. Mais, un conseil, prenez vos précautions, achetez-le avant qu'il ne soit brûlé ou détruit par quelques fanatiques, vous ne le regretterez pas !

mardi 25 septembre 2012

Ils désertent de Thierry Beinstingel

"Ils désertent" est un livre dont j'aurai aimé dire que je l'avais adoré alors que je ne l'ai que simplement aimé. C'est un livre enrichissant, formidablement bien écrit, qui m'a happé dès les premières lignes mais qui hélas m'a un peu lâché avant sa conclusion.
Nous faisons d'abord la connaissance d'une jeune femme, fière d'avoir pu grimper sur l'échelle sociale grâce à son embauche au poste de chef des ventes dans une société de papiers peints et de décoration. Son premier travail sera de virer un de ses VRP, surnommé l'ancêtre, quarante ans de boîte mais aussi celui qui fait toujours les meilleurs chiffres de vente. Ces deux là, malgré leur différence d'âge, leurs fonctions, ont finalement d'infimes choses en commun que Thierry Beinstingel va nous faire découvrir en observant leur vie avec de subtils chapitres en parallèle.
La première moitié du roman est une brillante mise en place du récit, brossant avec pertinence et sensibilité le mal être de ces deux personnes solitaires et broyés par le travail en entreprise, troisième personnage de cette histoire. Le monde du management, de la recherche du profit, des décisions imbéciles au nom de la sacro-sainte économie libérale sont ici la toile de fond devant laquelle se débattent ce presque vieil homme et cette jeune femme. Leur vie est un désert, affectif, relationnel et même architectural puisque la jeune chef des ventes habite un de ces appartements pour investisseurs, construit au milieu d'un champ, au bout du bout d'une ville sinistre. Tous deux ne sont que les pions d'un système rendu fou et qui ne garde que les plus malléables. Elle, ancienne lectrice d'Hannah Arendt, se demande comment on peut encore travailler après avoir lu "Condition de l'homme moderne". Lui, est un admirateur de Rimbaud, surtout de sa correspondance, depuis qu'il a appris que, comme lui, il avait été un voyageur de commerce.
Toute cette première partie est tout simplement admirable par son acuité, par la totale empathie de l'écriture avec les personnages. Et soudain, après un chapitre un peu étrange mêlant Rimbaud et l'auteur, le livre bascule doucement vers un final, comment dire, un peu trop sucré. C'est comme si, pour rester avec des auteurs récents, on avait débuté le livre avec Jérôme Ferrari et terminé avec Grégoire Delacourt (deux auteurs aux univers très différents mais dont j'ai apprécié les ouvrages cette année) et du coup cela ne fonctionne pas vraiment. Même si la thèse de la culture sauvant l'humain du néant est forcément séduisante, elle détonne quelque peu après une mise en place si tendue, si âpre et si  intense. C'est dommage, mais je ne suis peut être pas très bon juge, puisque, ô surprise, les jurés Goncourt ont inscrit ce roman dans leur première liste.
"Ils désertent" est quand même un des livres qu'il faut lire cette rentrée. Développant avec talent des grands thèmes actuels, il m'a enchanté par une foultitude de détails, de remarques sur notre monde d'aujourd'hui. Et par ailleurs, il sait aussi être tendre et drôle. Par exemple, après avoir lu ce roman, vous ne regarderez plus les papiers peints du même oeil. Vous prendrez même du plaisir à les observer attentivement pour y trouver le condensé de toute une époque et de ses modes de vie.
Thierry Beinstingel travaillait chez France Télécom mais avait du rêver d'une carrière chez Vénilia pour mettre autant de poésie dans la description de ces rouleaux aujourd'hui passés un peu de mode. A moins que ce ne soit tout simplement la preuve du talent d'un excellent écrivain....

"Ils désertent" de Thierry Beinstingel  Fayard 19 €


dimanche 23 septembre 2012

Quelques heures de printemps de Stéphane Brizé


Creusant sa thématique préférée, l'incommunicabilité des êtres, Stéphane Brizé dans "Quelques heures de printemps", y ajoute une note sociétale en traitant du suicide médicalement assisté. Toute la communication du film a tourné autour de ce sujet sensible qui n'est en fait qu'une partie étrangement désincarnée, mais qui accompagne seulement le propos principal, celui des relations conflictuelles entre un mère et son fils.
La mère, veuve, enfermée dans une routine ménagère, est atteinte d'un cancer du cerveau. Elle cohabite avec son fils Alain qui vient de purger dix-huit mois de prison pour trafic de drogue. A la recherche d'un emploi, Alain se retrouve face à une femme mûrée dans un silence de toujours mais résolue. elle a décidé de recourir, via une association suisse à une fin médicalement assistée pour éviter les souffrances et la déchéance.
Malgré un titre à l'allure poétique, "Quelques heures de printemps", n'en joue pas du tout la carte. Stéphane Brizé est un réalisateur dont l'obstination à décrire les milieux simples est un bienfait dans le cinéma français plutôt enclin à se réfugier dans les canapés moelleux et profonds de la bourgeoisie. La reconstitution de cette vie simple est admirable de justesse et de finesse. Mais son talent ne réside pas seulement dans cette plongée dans l'ordinaire des petites gens. Remarquablement dirigés, les comédiens, soigneusement choisis, se voient offrir ici l'occasion d'une prestation haut de gamme. Hélène Vincent, la mère, est tellement juste que dès son apparition, elle parvient à faire oublier cette Mme Le Quesnoy qui lui colle aux baskets. J'ai regardé vivre cette Mme Evrard, petite fourmi à la vie simple, laborieuse et sans grand espoir, dont chaque geste, chaque froncement de sourcil, m'a rappelé beaucoup de femmes croisées dans ma vie ou dans la rue. La comédienne livre ici une interprétation qui restera dans les souvenirs et dans les coeurs.
En face d'elle, Vincent Lindon, en fils taiseux, massif mais faible, qui traîne son passé de prisonnier dans une société qui n'a rien à lui proposer, est, comme d'habitude, excellent. Ses silences mais aussi ses coups de colère, ses regards en disent long sur l'enfermement dans lequel se débat son personnage. 
Les seconds rôles sont eux aussi au diapason. Silvia Kahn, avec pudeur et justesse, incarne un médecin qu'on aimerait pouvoir rencontrer dans une telle situation. Mais mon coup de coeur va à Olivier Perrier, absolument magnifique en voisin amoureux transit de Mme Evrard et qui nous offre avec Hélène Vincent une des scènes les plus bouleversantes du film, où avec quelques paroles banales, ils arrivent à exprimer ce qu'une vie de résignation et de retenue n'a pas pu dire (à ce moment là, on voyait briller les larmes sur les joues de toute la rangée).
Bourré de qualités, de scènes d'une incroyable acuité qui sidèrent le spectateur par leur justesse et leur force, "Quelques heures de printemps" ne m'a, hélas pas, complètement convaincu. La faute, peut être, à l'histoire d'amour d'Alain, avec une jeune femme, pourtant très joliment interprétée par Emmanuelle Seigner, mais un peu artificielle voire pas tout à fait crédible. Et puis, la mise en scène avec ses longs plans séquences quelquefois fixes, même si elle permet souvent d'installer une émotion palpable, devient à la longue un peu trop systématique et relève, me semble-t-il, d'un procédé juste un peu trop voyant. Ce qui pour moi avait fonctionné formidablement dans "Mademoiselle Chambon" le précédent film de Stéphane Brizé, m'a ici un peu moins convaincu.
Cependant, tel qu'il est, avec sa justesse, sa rudesse, ses acteurs à la sensibilité et au talent incroyables, son culot de filmer sans cliché les gens simples, "Quelques heures de printemps" est vraiment le film à voir car il possède le pouvoir que peu de longs métrages ont : inciter le débat, délivrer la parole et susciter le désir de communiquer les émotions qu'il nous fait éprouver ce qui est, quand même, une prouesse pour une histoire de taiseux !



PS :La musique entendue dans le film est composée par Nick Cave et Warren Ellis et fait partie de la BOF du film "The assassination of Jesse James".



samedi 22 septembre 2012

Jour de piscine de Christine Naumann-Villemin et Eléonore Thuillier


Vous l'avez peut être remarqué, mais je ne suis pas vraiment friand de ces albums conçus pour surmonter divers problèmes inhérents à l'enfance. Souvent lourdement démonstratifs et faisant assaut de mièvrerie, ils ont tendance, en plus, de manquer sérieusement d'humour. " Jour de piscine" entre dans cette catégorie des histoires à visée rassurante auprès d'enfants pas vraiment convaincus des leçons de natation. Il est vrai qu'entre un(e) maître(sse) pas tout à fait pédagogue (maintenant que la formation n'existe plus) et un maître nageur plus proche de Philippe Lucas que de Maria Montessori, les enfants peuvent développer des phobies qui prennent fin généralement en même temps que le cycle piscine prévu par les textes de l'Education Nationale.
"Jour de piscine " évite tous les écueils du genre tout en étant drôle et affutant la réflexion.
Sept animaux découvrent avec effroi qu'aujourd'hui, c'est cours de plongeon. Lapinoute est la seule à n'avoir jamais testé le grand plongeoir. Ses amis tiennent à lui raconter combien cela fait peur, combien on tremble de froid là-haut, sans oublier le vertige et le plat douloureux quand on entre mal dans l'eau. Chaque animal en rajoute. L'imagination et l'exagération aidant, cette leçon devient tout bonnement terrifiante jusqu'à la chute... très réussie.
Mais il n'y a pas que cela qui est réussi dans cette album. Le texte, jouant avec les mots, en inventent de très jolis, de ceux que les enfants se plairont à répéter en riant. Les illustrations sont au diapason : fraîches, drôles, jouant très habilement du format à l'italienne de l'album pour mieux représenter l'effroi et la difficulté de cette abominable séance de plongeon.
Cet album, classique mais rempli d'humour, deviendra un classique indispensable pour répondre aux anxiétés de nos chers petits, angoissés par ces moments de doute que ne manquent pas d'engendrer les leçons de piscine.

vendredi 21 septembre 2012

Le bruit des clefs d'Anne Goscinny


Les éditions Nil dans leur collection "Les affranchis" demandent à des auteurs d'écrire "la lettre qu'ils n'ont jamais écrite". Annie Ernaux, Yves Simon et beaucoup d'autres se sont déjà pliés à l'exercice. Paraît ces jours-ci, la lettre d'Anne Goscinny à son père, René, le créateur, faut-il le rappeler, du petit Nicolas, d'Astérix ou de Lucky Lucke.
"Le bruit des clefs" est un long courrier , foisonnant, d'une fille encore désemparée par la disparition de son père trente-cinq ans auparavant. Elle a tant de choses à dire que les mots se butent, s'entrechoquent, dans un déferlement d'anecdotes, de souvenirs plus ou moins heureux, tendres ou émouvants.
C'est un peu foutraque mais derrière chaque phrase, une émotion difficilement contenue suinte au fil des pages, donnant au lecteur un sentiment de vide intense. A cause de l'héritage laissé par René Goscinny et des nombreux hommages auxquels elle se doit de participer, ce père qui a quitté l'auteur quand elle avait neuf ans, hante littéralement sa vie. Il est toujours présent, faisant perdurer ce manque d'une enfance escamotée et volée doublement, sa mère ayant été atteinte d'un cancer dans les années qui ont suivi. Entourée des héros immortels créés par son père, Anne Goscinny vit, survit peut être, grâce au génie de son père qui la porte, année après année, comme un ange bienveillant.
Quand elle écrit : "De ton univers, tu es le seul mort. Moi j'aurais aimé être l'un de tes personnages : une enfance qui ne finit pas. Une bulle dans une case. C'est tout.", on ressent fortement le chagrin qui l'accompagne. Nous, lecteurs, notre enfance (et notre âge adulte aussi) a été bercée, enchantée par l'humour de son père. Elle, n'a eu que quelques petites années d'un amour formidable et partagé qui s'est brusquement arrêté en 1977. Cette enfance volée, ce deuil quasi insurmontable, vécu au milieu de héros emplis d'humour, cette recherche éperdue et impossible d'un nouveau père sont superbement résumés dans cette phrase à la fin de sa lettre : "Quand je te lis, je ris aux larmes. Qui vient d'abord des larmes ou du rire ?". Poignant !



mercredi 19 septembre 2012

Aujourd'hui on va... de Mies Van Hout


Cette rentrée les illustrateurs néerlandais ont la côte auprès des nos petits éditeurs. Après "Sauvages" de  Rop van Mierlo chez Memo (chronique ICI ), voici "Aujourd'hui on va ..." de Mies Van Hout chez Mineditions. C'est très différent mais tout aussi réussi.
Encore une fois, il s'agit d'un imagier. Celui-ci se propose d'explorer des verbes que les jeunes enfants connaissent bien : jouer, s'ennuyer, se bagarrer, se séparer, ... Enchaînés les uns avec les autres, ils forment une jolie histoire d'amitié, de querelle puis de réconciliation.
L'attrait principal de cet album sont les illustrations.  Abandonnant le style classique, plutôt gentil (voire gentillet) qui ont fait sa réputation, Mies Van Hout crée des monstres absolument délicieux. Oui, des monstres pour des enfants de 2/3 ans qui ne devraient pas les faire cauchemarder ! Réalisés avec des pastels aux couleurs claquantes, ils explosent de drôlerie sur de grands fonds noirs. Le trait de l'illustratrice, mélange de grabouillis et de naïveté enfantine est un vrai régal pour les yeux.
Tendrement expressifs, ces petits monstres feront le bonheur des plus petits (et des plus grands) qui feuilletteront cet album comme un magnifique premier livre d'art.






lundi 17 septembre 2012

Mothers & tygers d'Emily Loizeau


Après le désert discographique de l'été, mon envie de nouveautés m'a transporté sur ma plateforme de téléchargement préférée (oui, je télécharge légalement et j'en suis fier !), à la recherche de nouveaux titres pour accompagner ma rentrée.
Je ne sais pas si c'est parce que l'industrie du disque est en crise ou si les majors attendent des dates plus propices pour la sortie de leurs nouveautés, mais le moins que l'on puisse dire, c'est que le choix n'est guère affriolant en ce moment. Je passe sans aucune hésitation le Guy Marchand et ses chansons de jeunesse qui sentent le coup marketing pour les abonnés de "Notre temps" (que je ne suis pas encore). Le nouveau Marc Lavoine ne m'inspire pas du tout même si comme lui "je descends du singe". Quant à "4love" de Kenza Farah, j'ai peur d'un mix entre Amel Bent et Jenifer bien peu tentant.
De guerre lasse, je me laisse tenter par "Mothers & tygers ", le troisième album d'Emily Loizeau. Jusqu'à présent, je n'avais guère été séduit par les précédents opus de la chanteuse, mais la rumeur en dit le plus grand bien... Hop ! Le voilà dans mon ipod et...me voici, après plusieurs écoutes, finalement conquis.
Bon, je n'en suis pas au point de tapisser ma chambre avec des posters de la chanteuse (j'ai passé l'âge et je me demande d'ailleurs où je pourrai les trouver), mais c'est très agréable à écouter. L'ambiance générale est à une folk romantique, bien produite et aux arrangements subtils. Ca caresse l'oreille  car Emily Loizeau semble avoir gommé le côté un peu trop haut perché de sa voix ( pas partout quand même, on la retrouve un peu sur "Garden of love" qui, par ailleurs rappelle Agnès Obel).
Au final, c'est l'album idéal à écouter le soir au coin du feu. Toutes les jolies mélodies (dont certaines accompagnées par Camille) vont me permettre de glisser élégamment dans l'automne qui vient. Il se dégage de ce disque un parfum de terre après la récolte, de feuilles mortes et de nature paisible. Les 16 chansons (dont une bonne dizaine en anglais) ont toutes le pouvoir de nous envelopper dans un climat de confiance et de sérénité. En ces temps de crise grandissante, c'est une aubaine qu'il serait dommage de rater.



dimanche 16 septembre 2012

Que nos vies aient l'air d'un film parfait de Carole Fives


Avec un titre pareil, évoquant pour les ados des années 80, un des tubes de Lio "Amoureux solitaires", on pourrait s'attendre à un livre sautillant. Si la divorce et la question "Qu'est-ce qu'on fait des enfants ?" vous paraît hilarante, alors vous sourirez peut être à la lecture du premier roman de Carole Fives , mais j'en doute, car le propos est ici fort sombre.
Le texte s'articule entre trois personnages : Le père, la mère et la fille aînée. Le témoignage du petit frère quant à lui, bien qu'évoqué longuement, n'apparaîtra qu'à la fin du livre. D'une histoire à l'heure actuelle banalisée par le peu de longévité des couples, Carole Fives, en la plaçant au début des années quatre-vingts, lui redonne un sens plus tragique et moins confortable (mais peut-on parler de divorce de confort ?).  Le récit nous donne à entendre tous les regrets, toutes les résignations, toutes les souffrances que le divorce a occasionné. Tout à tour, chacun des protagonistes nous parle et derrière les mots se terre la blessure à jamais refermée de ce drame ordinaire. Le père, tiraillé entre sa vie et le bonheur de ses enfants, la mère, tombant dans la folie en grande partie à cause d'un manque d'amour de ses parents et la grande soeur, dévorée par le remord d'avoir cédé aux injonctions d'une mère malade pour sacrifier l'enfance de son jeune frère, forment un tableau particulièrement touchant.
Carole Fives a su trouver les mots justes pour traduire toutes ces souffrances, permettant aussi au lecteur de glisser ses propres sentiments dans les interstices d'un récit jamais appuyé et aux accents de vérité.
Remarquablement construit et écrit, "Que nos vies aient l'air d'un film parfait" impressionne par la sensation de gâchis qu'il fait naître au fur et à mesure de la lecture, sans jamais sombrer dans le manichéisme ni le parti-pris.
Pour moi, c'est une très belle entrée dans l'univers du roman d'une auteure qui vient également de publier un album jeunesse fort réussi. Avec Dorothée de Monfreid à l'illustration, "Dans les jupes de maman" (aux éditions Sarbacane) saura séduire tous les enfants  à partir de 5 ans par son humour un peu décalé. Coup double pour Carole Fives qu'il va falloir suivre de très près !
Et pour les amateurs de nostalgie ou pour les curieux, voici la chanson "Papa pingouin" interprétée par Sophie et Magalie lors du grand prix Eurovision de la chanson en 1980, représentant le Luxembourg et classée neuvième à l'issue du concours. Ceux qui n'ont pas lu le livre de Carole Fives ne peuvent pas comprendre la présence de ce clip ici, mais sachez que les paroles de cette chansonnette prennent un relief tout particulier lorsqu'elles apparaissent de ci de là, au détours d'un paragraphe, preuve que les paroles d'une chanson apparemment simpliste peuvent résonner étrangement. Ecoutez la chanson. Vous avez huit ans, votre père décide de quitter sa femme votre mère...


vendredi 14 septembre 2012

Sauvages de Rop Van Mierlo



Rop van Mierlo est un illustrateur un graphiste, un artiste passionné par l'aquarelle, mais, comme ici par les effets de l'encre sur de l'eau. Projeter des encres colorés sur du papier humide, tous les enfants l'ont expérimenté dans toutes les bonnes écoles maternelles. Ils ont pu admirer ces couleurs qui se diffusaient sur le papier, se mêlant les unes aux autres, produisant des nuages colorés aimantant le regard.
Dans cet album sans texte, qui est en fait un imagier artistique, Rop van Mierlo affine cette technique pour représenter des animaux. Magnifiés par un grand format, ce bestiaire est un régal pour tous les yeux des enfants comme ceux des parents.
Un ours,

un perroquet .... mais 12 autres créations toutes plus réussies les unes que les autres vous attendent à l'intérieur de ce magnifique ouvrage.

Comme toujours chez Mémo, l'édition est soignée et les illustrations sont reproduites sur un beau papier (qui plus est issu de forêt gérées durablement). Espérons que cet album arrive dans les mains des enseignants des écoles maternelles et qu'il leur donne des idées de créations avec leurs jeunes élèves...


jeudi 13 septembre 2012

Camille redouble de Noémie Lvovsky

A partir d'une idée scénaristique lorgnant vers le fantastique, Noémie Lvovsky nous propose un film essentiellement émotionnel, laissant totalement de côté les questions scientifiques de retour dans le temps et autres problématiques spacio-temporelles.
Camille, au début du film, a 40 ans bien sonnés au début du film, le goulot facile à cause d'Eric son mari qui vient de la quitter et d'un boulot de comédienne qui consiste à faire de la figuration dans des panouilles. Un soir de 31 décembre, elle entre chez un horloger pour faire réparer sa montre. L'homme de l'art, interprété par un Jean Pierre Léaud toujours au bord de la camisole, est à mon avis le responsable de la suite, puisque la malheureuse Camille se réveille le lendemain dans un hôpital. C'est en voyant arriver Yolande Moreau et Michel Vuillermoz, ses parents, qu'elle comprend que les choses ne sont pas tout à fait normales. Elle est tout bonnement retournée dans l'année de ses 16 ans, année lycée mais aussi celle de sa rencontre avec Eric et de la mort de sa mère. Comme elle connaît le futur, Camille va essayer de réparer les erreurs commises durant son adolescence, notamment ne pas se laisser draguer par son futur mari (ce salaud qui la plaquera 25 ans plus tard !) ou même essayer de retarder la mort de sa mère.
La très bonne idée est que Camille garde son apparence de quarantenaire. Cela apporte au film son côté décalé et hilarant. Voir Noémie Lvovsky avec son corps de femme mûre déambuler avec ses mini-jupes  et ses Doc-Martens, mâchant du chewing-gum est très réjouissant. En laissant le côté fantastique aux américains qui avaient déjà traité ce sujet (Peggy Sue, retour vers le futur, ...), "Camille redouble" n'est pas pour autant un comédie de plus sur l'adolescence. Tour à tour joyeux ou touchant, le film parvient à allier chaleur et tendresse et j'avoue avoir était très ému lors de deux scènes pourtant assez différentes mais dans lesquelles on entend une chanson de Barbara (et je ne suis pas particulièrement fan de la chanteuse).
Sans pour autant être LE chef d'oeuvre de l'année, "Camille redouble" est une jolie surprise dans le paysage des comédies françaises formatées. Il est de ces films où l'on se sent bien durant toute la projection parce que pas du tout prétentieux, bien écrit et formidablement interprété jusqu'au moindre petit rôle. Vous avez surement rêvé un jour de faire un retour en arrière tout en gardant ses acquis et sa mémoire, Noémie Lvovsky, le temps d'un film, l'a fait. Une bonne raison pour aller au cinéma cette semaine.
A noter que la BO du film contient deux nouveaux titres de Gaëtan Roussel : un très court que l'on entend dans le film et intitulé : "Le bouquet" et la chanson du générique de fin : " Au bord des océans".



mercredi 12 septembre 2012

Marcinelle 1956 de Sergio Salma

Coup de coeur BD de la rentrée


Marcinelle en Belgique n'est pas que la ville d'où ont émergé les grands dessinateurs de BD des années 50. C'était aussi, à la même époque, une des capitales du charbon avec ses terrils et ses corons. Et c'est aussi l'endroit d'une épouvantable catastrophe qui a coûté la mort à 262 mineurs qui reste gravée dans la mémoire des belges. Sergio Salma se propose avec cet album, très loin de ses productions habituelles, de rendre hommage à ces hommes qui ont péri en août 1956.
Si le drame de Marcinelle est le prétexte à cet album, il ne se résume pas à une simple illustration de ce fait divers. C'est surtout et avant tout un très émouvant hommage à tous ses mineurs d'origine italienne qui, après guerre, sont venus travailler en Belgique suite à un accord commercial entre les deux pays. A travers le personnage de Pietro, Sergio Salma fait revivre par touches subtiles, le quotidien de ces charbonniers venant d'un pays ensoleillé et s'enfonçant dans la mine au lever du soleil pour en sortir la nuit tombée. Tout y est suggéré avec finesse, la communauté italienne soudée avec ses habitudes de vie plutôt joyeuses et colorées, son catholicisme fervent, ses lois familiales et ses vespas. Mais aussi le racisme ordinaire envers ses "macaronis" toujours soupçonnés de tirer au flanc, les rêves de retour au pays ou le désir de rester dans cette sombre terre d'accueil.  Et puis, il y a la rencontre fortuite entre Pietro et Françoise, jeune et belle bourgeoise belge, un peu esseulée, qui va faire rêver le mineur italien pourtant marié et père de famille. De fil en aiguille, le début d'un amour va se glisser dans une vie de labeur et de résignation.
Semblant de bonheur et malheur se mêlent admirablement dans cet album peu bavard mais à l'intensité dramatique parfaite. Le destin de tous ces personnages est lié à une incommunicabilité terrible. L'accident qui a causé le drame de Marcinelle est le résultat d'un malentendu entre un ouvrier belge et son homologue italien dont le français était trop rudimentaire. De la rencontre de Pietro avec son vocabulaire très utilitaire et de la belle belge, naîtra également une méprise, faisant gamberger involontairement le mineur italien.
C'est beau, fort, poignant et surtout, quel dessin ! J'avoue que j'ai été un petit peu sceptique avant le lecture de l'album, mon esprit encore imprégné des précédentes production de l'auteur. Mais, ici, quel talent ! Une émotion intense se dégage des illustrations en noir et blanc des charbonneries, du travail des mineurs, de la salle des pendus. Avec un minimum texte, chaque illustration sur le drame de Marcinelle en dit plus que des pages entières de reportages. Du grand art !
"Marcinelle 1956" n'est pas uniquement réservé aux anciens mineurs et à leurs familles, c'est avant tout une magnifique histoire en hommage à tous ces hommes qui, quelquefois au péril de leur vie, ont servi les intérêts économiques d'une Europe triomphante mais guère reconnaissante. Merci Monsieur Salma pour ce coup de projecteur qui saura , je n'en doute pas, rencontrer le chemin de beaucoup de lecteurs.