vendredi 30 septembre 2016

La danseuse de Stéphanie di Giusto


Y'a-t-il 5 bonnes raisons d'aller voir "La danseuse" le premier film de Stéphanie di Giusto ? En cherchant, il se peut qu'il y en ai, car avouons-le le film est sympathique, ambitieux mais pas franchement réussi.
Raison numéro 1 :
Vous êtes un(e) accro à la presse people, vous suivez depuis sa première photo au sortir de la salle d'accouchement l'avancée dans la gloire de la jolie Lily-Rose Depp ? Vous irez donc contempler sa première apparition au cinéma. Jolie comme un coeur, fraîche comme toute jeune fille bien maquillée et bien éclairée, elle apparaît vers la moitié du film dans le rôle d'Isadora Duncan, celle qui éclipsera bien vite la carrière de Lois Fuller. Petit point de détail. Pas d'emballements excessifs, elle est doublée pour les scènes de danse. Mais, il n'y a pas que la fille de Johnny Depp qui peut attirer le chaland. Soko, l'interprète principale a été, m'a-t-il semblé, bien plus mise en vedette dans la presse que la charmante Lily-Rose. Impossible d'éviter les nombreux portrait de la comédienne/chanteuse, chantre d'une différence assumée et visiblement très vendeuse. Autre point de détail. Toute sympathique qu'elle soit, Soko a été meilleure ailleurs et semble se spécialiser dans les rôles de taciturnes...
Raison numéro 2 :
Vous êtes fan de danse et son histoire n'a presque aucun secret pour vous. Un biopic sur Loïs Fuller, maillon faible et un peu oublié, ne peut que vous intéresser. Là, encore, pas d'emballements. Le parti-pris de la réalisatrice est plus proche de l'évocation lyrique que de la biographie, laissant beaucoup de zones dans l'ombre et concentrant son film sur quelques années seulement. Quelques chorégraphies sont joliment représentées mais ne constituent pas l'axe majeur du film qui est...est... ailleurs sans doute, mais lequel ? Difficile à dire, tant le film s'égare dans pas mal de directions sans en exploiter aucune pleinement.
Raison numéro 3 :
Vous êtes amateur de films à la photographie soignée, aux images nimbées de brumes ou de voiles blancs transparents voletant sur de jolis corps gracieux de jeunes filles en fleur. Vous avez un souvenir délicieux de "Bilitis" de David Hamilton ( ok c'est pour les plus de 50 ans !) dont vous gardez en tête, en plus de sa musique sirupeuse, la grâce éthérée et délicate d'un cinéma que l'on ne pourrait plus faire aujourd'hui. Alors, vous retrouverez un peu de cette imagerie dans" La danseuse", comme si les amours lesbiennes étaient vouées à se vivre dans les draperies de soie et les voiles de coton fin qui volent au vent.
Raison numéro 4 :
Vous aimez le cinéma français. Vous essayez de soutenir les jeunes réalisateurs en allant découvrir en salle leurs premières oeuvres. Et quand, elles ont l'ambition de celle-ci, il est certain qu'il faut y aller. Même si le film s'égare dans de multiples directions, la reconstitution soignée, les costumes, la volonté de sortir des sentiers battus, de prendre un sujet original et d'essayer d'en tirer une oeuvre personnelle se fait tout de même sentir et donne envie de défendre un film, pas tout à fait abouti, mais dont on sent qu'il est dirigé par une personne dont on entendra encore parler .
Raison numéro 5 :
En plus des désormais incontournables Soko et Lily-Rose Depp, il y a aussi dans ce film des seconds rôles de luxe qui peuvent attirer le public. Gaspard Ulliel, en dandy shooté et impuissant, refait encore le taciturne lointain, en nettement moins convaincant que chez Dolan. Par contre on appréciera les prestations de Mélanie Thierry, en retrait, mais toute en regards et compassion amoureuse ainsi que la brillante apparition de François Damiens,  sérieux et retenu comme jamais.

Je ne sais pas si je vous ai donné envie d'aller découvrir "La danseuse".  Pas sûr. Mais si vous hésitez encore, petite cerise supplémentaire, on y entend plein de belles musiques! Alors tentés ?




mercredi 28 septembre 2016

La fin du couple de Marcela Iacub



Ce que j'ai aimé dans ce nouvel essai de Marcela Iacub, c'est son côté rentre-dedans, mélange d'analyse sociologique et historique qui débouche sur une idée de virage révolutionnaire et utopique. J'ai retrouvé soudain cet esprit du début des années 70, époque de tous les possibles. Si comme elle l'annonce, le couple touche à sa fin, réinventer autre chose se révèle être un défi sacrément stimulant, surtout avec les idées qu'elle préconise en fin d'ouvrage.
Avant de plonger dans un demain sans couple au sens où nous l'entendons en ce moment, l'auteur nous dresse un état des lieux. Nous sommes de plus en plus seuls, beaucoup sont isolés, divorcés, ne voyant plus leur famille, n'ayant pas d'amis. Les chiffres de cette solitude ne cessent d'augmenter depuis quelques décennies. La faute à qui ? Sans doute à une société qui n'arrive plus à créer du lien mais surtout, nous dit l'essayiste, à cause de l'Etat qui s'immisce dans la vie du couple en légiférant à tour de bras.
Le code civil de Napoléon organisait les relations entre époux en introduisant un code de bonne sexualité ( celle pratiquée dans le mariage) et de mauvaise  sexualité ( celle que l'on pratique hors mariage). La première conséquence de ces textes est un homme tout puissant et d'une femme donnant des enfants pour continuer la lignée ( voire pour devenir de la chair à canon). Toutefois, la femme peut en quelque sorte se venger car un enfant qu'elle aurait conçu hors mariage sera obligatoirement reconnu par le mari. Au fil du temps, l'arrivée de la contraception et de la libération des moeurs va amener le code civil à changer son regard. Dans les années 70, on s'attachera moins au sexe dans ou hors mariage pour retenir plutôt les sentiments entre époux et les maternels.
Le législateur, au fur et à mesure des avancées sociales, légiférera pas mal et finira par donner une relative puissance à la femme en lui octroyant le droit de porter plainte contre son mari pour viol conjugal, harcèlement ou autres violences, tout en la maintenant dans un rôle obligatoirement maternel. J'avoue que sur cette partie là, j'ai eu un peu de mal à suivre la démonstration de Marcela Iacub, jouant avec les éléments qui l'arrangent et prenant des détours parfois un peu abrupts. Le résultat, pour elle, est que le trop de lois fragilise le couple, obligeant la femme à un rôle maternel pas du tout inné ( " Il est fort possible que ce qui épuise tant les femmes soient moins de s'occuper de leurs enfants que de mesurer la distance qui sépare les sentiments réels de l'idéal de l'amour maternel qu'elles ont intégré et à l'aune duquel elles développent un terrible sentiment de culpabilité." ) et rendant l'homme méfiant vis à vis d'une compagne prompte à l'accusation devant un tribunal. Il n'en faut pas plus pour prédire la fin du couple traditionnel, lieu de dangers et de rancoeurs.
Et que propose Marcela pour la suite ? Elle se tourne hardiment vers deux philosophes utopistes : Wilhem Reich et Charles Fourier, cherchant dans leurs idées, un possible modèle pour demain. Après avoir fait un sort aux théories pourtant séduisantes de Reich ( En gros, une vision vraiment ultra libérale du couple qui se sépare dès que le désir sexuel de l'un d'eux s'arrête), elle préfère quelques unes des théories philanthropiques et orgiaques de Fourier. Après avoir confié les enfants aux bons soins d'éducateurs professionnels, le couple vivra sa sexualité selon ses désirs, changeant de partenaires au gré de ses désirs mais avec une obligation de donner du sexe aux plus démunis (sexuellement), une sorte de " resto du coeur sexuel", "tentative merveilleuse pour produire des formes de sociabilité jouissives et viables". Le projet est décoiffant mais sa réalisation des plus alléatoires car franchement utopique. (mais il faut proposer toujours plus ....)
Je l'avoue, j'ai aimé cet essai qui a la bonne idée de sortir d'un discours béni oui-oui, de nous faire réagir, donc réfléchir. Même si, le démonstration est parfois biaisée, la vision anti conformiste de Marcela Iacub fait du bien. Elle en profite pour rappeler quelques évidences ( l'instinct maternel est un concept imposé par le législateur, le sexe est un plaisir dont il ne faut être avare, ...) mais démontre surtout que notre société est basée sur un enfermement aussi bien humain que moral, et que la liberté, le lien social et une certaine fraternité passeraient bien par une vraie libération des moeurs.

mardi 27 septembre 2016

Tabou de Ferdinand von Schirach


Pour ce roman en trois parties et une conclusion, toutes nommées par une couleur, je pourrai gloser sur cette symbolique dans un récit qui pose constamment des éléments pour nous faire réfléchir, fantasmer, nous perdre. Je préfère m'attarder sur la construction d'un récit qui débute comme un roman d'apprentissage pour s'en aller ensuite vers celui du descriptif d'une passion dévorante et s'achever par une sorte de thriller judiciaire.La passion ici n'est pas une femme, mais l'art photographique, porté à son plus haut niveau et de représentation et de réflexion.
Des jeunes années où le regard imprime à tout jamais des images qui le poursuivront toute une vie, Sébastian Von Eschburg en tirera l'essence même de son travail, traquant tout d'abord une représentation du réel déjà empreinte d'un imaginaire fort, avant d'orienter ses productions vers un questionnement constant de la réalité du monde dans lequel il se débat. D'une enfance austère voire terrible, à des expositions tout aussi dérangeantes, le récit nous propose de devenir producteur d'images. Toute précise que soit l'écriture de Ferdinand von Schirach, le cerveau du lecteur doit recréer ce que l'on ne lui montre pas tout à fait, devenant le créateur obligé de clichés souvent dérangeants. En jouant ainsi avec nous, l'auteur nous propulse dans le monde de la création artistique, nourri autant du vécu que de l'apport d'autres artistes. Et une fois, entrés dans le jeu, il nous plonge ensuite dans une drôle d'enquête mêlant mystère et philosophie, le tout emmené par un personnage d'avocat de droit pénal particulièrement acide.
Mais le roman se drape d'autres ambitions et notamment de s'interroger sur le pouvoir de mensonge de l'image, dans une réalité qui perd de plus en plus ses repères. En dépeignant un personnage principal assez énigmatique, pas tout à fait sympathique, dont on suivra la carrière et les errements, "Tabou" intrigue avec son déroulé biographique un peu froid et mystérieux, rappelant évidemment le "Blow up" d'Antonioni, un vague " swinging Berlin " ayant remplacé le " swinging London". Les créations de Sébastian joueront beaucoup sur l'illusion, illusion portée à son paroxysme dans la dernière partie où l'art et la réalité valsent ensemble dans une danse macabre étonnante.
Ni polar, ni roman vraiment philosophique, "Tabou" bouscule son lecteur en s'ingéniant à changer de genre et d'optique en cours de route, posant le doigt là où ça démange et grattant jusqu'au sang. Inconfortable et rudement malin, le roman intrigue et séduit grâce au regard d'un auteur sans complaisance.



lundi 26 septembre 2016

Une comédie des erreurs de Nell Zink


Peggy se veut lesbienne mais rencontre Lee, un bellâtre gay. Et ce qui à priori ne devait pas arriver, arriva, ils prirent un plaisir fou à jouer ensemble avec leurs corps. De cette passion soudaine et aveuglante naîtra un enfant. L'amour bien sûr, ne tint pas du tout la durée, même si un peu par hasard un autre enfant sera conçu. Parti sur des bases moyennement saines, le couple finit par exploser. Peggy s'enfuit avec sa fille Mireille, laissant son frère aîné au père. Pour éviter d'être retrouvée par son mari, Peggy arrivera à changer d'identité et même de race, en prenant le patronyme d'une famille noire dont l'enfant est décédé. Oui, c'est visiblement possible en Virginie ( et très crédible dans le roman). Le fait d'avoir eu, même mille ans avant, un ancêtre noir, vous range automatiquement dans cette catégorie aux yeux de la  population blanche locale, même si vous êtes blonde comme les blés.
"Une comédie des erreurs" démarre sur les chapeaux de roue avec son couple improbable et son changement de nom des personnages principaux dès le deuxième chapitre. Ca secoue le lecteur, l'intrigue et le met dans la délicieuse position de celui qui risque d'en voir de toutes les couleurs par la suite. Il sera nullement déçu, car l'auteur s'ingénie à mettre en pièce cette société américaine qui pourtant a bien fait rêver. A l'image de son illustration de couverture toute froissée, Nelle Zink ne se gêne pas pour écorner une population aux idées puritano/racistes, sa justice corrompue, son système éducatif totalement inégalitaire. Le jeu de massacre est pourtant légèrement adouci par une toile de fonds plus banale où l'on retrouve deux thèmes récurrents qui, à force, tournent au cliché. Comme bon nombres de ses prédécesseurs, le roman se déroule en partie  dans un campus universitaire et s'intéresse encore une fois à un professeur de poésie, comme si ces deux  points contenaient toute l'essence de la vie intellectuelle étatsunienne. Cependant le roman avance bien et passionne jusqu'aux deux tiers. Hélas, et malgré des tentatives de rendre le final moins boulevardier vers lequel ils'achemine irrémédiablement, des rebondissements cousus de fils blancs emportent le livre dans des sphères nettement plus convenues voire bien-pensantes et se termine nettement moins vachard que pouvait le laisser supposer le départ.
"Une comédie des erreurs" reste toutefois un roman ambitieux et frondeur, ce qui, venant d'une Amérique s'apprêtant à voter pour un guignol  inquiétant et populiste, est plutôt une bonne nouvelle. Le livre mérite donc que l'on s'y plonge dedans. Pas sûr par contre que vous ayez des envies de passer vos prochaines vacances en Virginie !

mardi 20 septembre 2016

Juste la fin du monde de Xavier Dolan


C'est avec gourmandise que je m'en suis allé voir le nouveau film de Xavier Dolan adapté d'une pièce de Jean-Luc Lagarce . Si je ne suis pas un fan absolu de l'oeuvre théâtrale, je suis nettement plus friand du cinéma du réalisateur, moment toujours intense et étonnant.
Avant la projection j'étais comme un affamé que l'on place devant son gâteau préféré ( Pour votre gouverne, le mien c'est le simplissime éclair au café). Avec "Juste la fin du monde", je me suis retrouvé devant une forêt noire, pâtisserie complexe mais qui, avec un bon savoir-faire peut s'avérer sublime lorsque le fabricant arrive à allier une génoise chocolatée légère, une crème chantilly délicate et placer les cerises avec harmonie. L'exercice est difficile comme sans doute l'est l'adaptation de toute pièce de théâtre à l'écran.
Avec passion et sans complexe, Xavier Dolan nous a donc concocté un film très (forêt) noir(e). La base est un remarquable mélange de stars du cinéma français ( Baye, Cotillard, Seydoux, Cassel, Ulliel) magnifiquement dirigés, voire sublimés par sa direction d'acteurs et une thématique forte ( la mort, l'homosexualité, et au-delà, l'accès au langage quand on ne peut pas se parler). La génoise est formidablement bien préparée. La caméra filme les personnages au plus près, capte l'intensité des regards, le moindre frémissement, perçoit ce que les mots ne peuvent dire. Le spectateur est totalement enfermé dans cette maison et reçoit ce huis-clos avec émotion. La crème, composée d'une belle lumière automnale ( bien que l'on soit dans une période de soi-disant canicule) enveloppe l'histoire de tons doux et la mise en scène, toujours très très inspirée, accompagne parfaitement l'ensemble.
Le fameux petit génie canadien a de nouveau frappé ? La décoration du gâteau n'étant qu'un jeu d'enfant, la partie est donc gagnée  ?
Totalement électrisé par la réussite du gros oeuvre, Xavier Dolan a plongé ses mains avec fougue dans  tous les ingrédients de décoration que lui offraient ses producteurs. Et hop des cerises confites par poignées ! Et hop des nuages de confettis multicolores !  Il ne résiste pas au plaisir, un poil vaniteux, de s'autociter à plusieurs reprises. Et un tube naze interprété dans une cuisine ( comme dans "Mommy" ), et un vêtement qui vole au ralenti ( comme dans " Laurence anyways" ) et, j'en passe. On flaire l'envie de coller dans son film tout ce qui a été encensé et remarqué dans ses précédents, histoire de faire une jolie compil et peut être avoir une palme. Pourquoi pas ? C'est ce côté frondeur qui fait son charme. Par contre, là où je grimace, c'est dans la surenchère d'une bande son lourdingue qui surligne inutilement pas mal de scènes. Des violons sirupeux quand il y a de la tendresse, des grincements quand ça s'engueule  jusqu'à l'insupportable, dans la dernière partie, où le climax obligé de l'histoire est accompagné de grondements d'orage ! Vous rajoutez quelques tubes incertains mis en clip et servant de respiration comme dans un entracte et vous vous retrouvez à la fin du film, rassasié certes, mais un peu lourd aussi.
Cette atmosphère familiale, gangrenée par le non-dit est parlante à tout un chacun. Le film au démarrage résonne bien et fortement. Nous sommes en totale empathie avec le personnage de Gaspard Ulliel, spécialiste des mots mais dans l'incapacité de nouer le dialogue ou celui interprété par Marion Cotillard qui se débat avec le langage. Puis, petit à petit, pour moi, l'émotion s'est atténuée, court-cuitée par une surenchère d'effets périphériques, qui m'ont paru un peu hors sujet ou tout du moins atténuant sensiblement le propos.
Xavier Dolan est bourré de talent, on le sait, il le sait. Mais à trop l'encenser, il se comporte comme un nouveau riche, le genre de mec à prendre son Hummer pour aller acheter son croissant au bout de la rue et ici, à parler de non-dit avec une sono de 50 000 watts. Ca peut épater le gogo.... mais je préférerai qu'il aille chercher sa forêt noire à pied, et qu'il l'a ramène doucement,en faisant bien attention de ne pas la renverser.
Ce cinéma de l'épate ne laisse jamais indifférent car il remue quand même des thèmes intéressants de façon pugnace. Cela créé le débat, fait discuter, et ça c'est bien ! Vive le cinéma qui se bouge, quitte à être parfois un peu pouffant. Xavier Dolan a toute la vie devant lui pour poser un cinéma plus réellement profond, sans les afféteries d'un jeune chien fou.


dimanche 18 septembre 2016

Toril de Laurent Teyssier


C'est quoi le sud de la France si on s'en réfère au premier long-métrage de Laurent Teyssier ? C'est tout d'abord, Camargue oblige, des taureaux dans une arène qu'une certaine jeunesse va défier ou que de gros dealers utiliseront pour marquer de façon définitive leur territoire en éliminant quelques collègues de boulot mal intentionnés.
Le sud, c'est aussi des maraîchers dans la dèche qui voient leurs exploitations péricliter, ici à cause du gel mais très certainement par la très forte concurrence espagnole. Et qui dit dèche, dit débrouille. Pour les enfants de Jean-Jacques, c'est ne pas embrasser la profession du père. L'un ouvre un restaurant un peu trop haut de gamme et le deuxième, Philippe, vivote avec son petit trafic de cannabis. Mais quand le père, les huissiers à sa porte, se tire une balle dans la tête, heureusement déviée vers l'épaule, la situation s'assombrit. Pour lui venir en aide, Philippe va monter en gamme au niveau deal et va s'acoquiner avec un gros trafiquant de shit. Mais les codes de ce marché parallèle interdisent toute tendresse. Les couchers de soleil  au-dessus des marais salants, somptueux comme sur une carte postale d'Aigues-Mortes, n'inspirent pas à la poésie chez les bras armés du secteur, pensant plutôt à étaler du sang, histoire de s'assortir au décor.
Le sud dans "Toril" fait l'impasse sur les oliviers, les jolies plages et les cagoles pour foncer dans un cinéma de genre, le thriller, reprenant au passage quelques codes du western et mâtiné d'une chronique sociale. Assez court, il marie bien les deux genres même si l'aspect familial qui semble receler quelques vieilles histoires n'est pas tout à fait exploité. Le film, constamment sous tension, en partie dû à un filmage très serré de Vincent Rottiers au jeu très intérieur et intense, est prenant malgré quelques ralentis un peu cheap, lui donnant  un côté eighties inutile.
Le sud mis en images par Laurent Teyssier n'a rien d'aimable. Sous les coups de mistral, les hommes peinent, se débattent. La misère n'est guère plus belle sous le soleil ici bien voilé par des nuages nauséeux. En le voyant, j'ai repensé aux rencontres photographiques d'Arles qui, cet été, honoraient le western camarguais. Pile dans la thématique mais sorti trop tard, "Toril" aurait dynamité cette exposition dont le point d'orgue était l'inénarrable "D'où viens-tu Johnny ? ".Si vous avez une vague idée de cette bluette d'un autre âge, dites-vous que, même pas complètement réussi, le film de Laurent Teyssier sera à vos yeux un chef d'oeuvre et que, du coup, il rend un sacré bel hommage au sud de la France et à la Camargue en particulier.


samedi 17 septembre 2016

Filles des oiseaux de Florence Cestac


Il y a des fois où j'ai de drôles d'idées. Alors que je suis vraiment client des albums de Florence Cestac, celui-ci ne me disait rien. Son idée de revenir sur ses années de pension chez les " bonnes" soeurs, m'apparaissait comme peu engageant et manquant quelque part d'originalité. Depuis Binet et son "L'institution" et rien qu'en BD, le thème a été labouré et relabouré en plus de vingt ans et je n'étais pas sûr qu'elle puisse apporter quelque chose de neuf. Louez soit le seigneur ( je ne me mets pas de majuscule parce que c'est juste une expression pour faire raccord), l'habitude a fait que j'ai acheté chez mon libraire favori ces "Filles des oiseaux" et pour une fois, vive les habitudes, car, au final, pour moi, c'est sans doute le meilleur album de l'auteure !
Sans déflorer l'histoire, disons que la jeune Florence, sur sa demande, entre dans un  pensionnat catholique de jeunes filles. Issue d'une famille de modestes agriculteurs, elle deviendra dès son entrée, l'amie de Marie-Colombe, jeune fille très délurée et ultra bourgeoise de Neuilly, placée là pour que des mains de fer en cornettes la remette un peu sur le droit chemin. La sexualité en bandoulière, elles feront tourner chèvres les religieuses, se recevront l'une chez l'autre...
A priori que du banal sauf que Florence Cestac en relatant ces années de pensionnat qui se situent juste avant mai 68, offre un récit absolument parfait aux multiples résonances. Sans jamais forcer le trait et ce, malgré un dessin toujours aussi cartoonesque, elle s'attaque à la position de la jeune fille des années 60 qui n'était faite que pour le mariage, prier la vierge Marie, modèle absolue de la féminité pour tout un troupeau de moutons bêlants, voire travailler mais muette et malléable. Son habituel regard féministe fait mouche et rappelle ainsi que rien n'est jamais acquis. Mais son regard sur la religion est très pertinent aussi, pointant finement que l'obscurantisme en France ce n'est pas si vieux, et qu'il reste tapi derrière votre télé ou votre console de jeu pour un retour insidieux. Comment ne pas y penser lors du passage du port du pantalon dans le pensionnat permis que s'il y avait une jupe par-dessus ? Ca ne vous rappelle pas quelque chose ? Regardez- bien dans la rue et même dans les cours de récréation ! Combien voyez-vous de petites filles, même des femmes juste avec une jupe ? Qui en ce moment ne met pas un legging en dessous ? Retour à l'envers d'un accoutrement d'un autre âge, dont on peut penser qu'il obéit plus à un pruderie inspirée par un retour ambiant du religieux que par un souci réellement esthétique ou pratique ( on me rétorquera que c'est pour que les dégoûtants ne voient pas la culotte des filles ....ben oui, il n'y a plus que les garçons qui ont le droit de monter leur slip ! Vive l'égalité...)
Je m'égare ....Voyez l'album ne laisse pas indifférent et pas seulement sur ces questions de société. Il a également une dimension narrative particulièrement réussie car sous ses airs irrévérencieux, des thèmes nettement moins humoristiques affleurent, allant de la honte que provoque la différence des classes ( Annie Ernaux mais avec un gros nez !) à des choses plus personnelles et intimes qui marquent une vie . Je n'en dis pas plus, mais je pense que les uniques tons orangers, presque sépias, choisis pour colorer cet album, en plus de donner un côté nostalgique, apportent une note de tristesse mélancolique parfaite adaptée au propos faussement léger. Nous ne retrouverons la couleur que lors de la dernière case de l'avant dernière page, un bout de ciel bleu comme espoir de voir le bout du tunnel et l'ultime, toute en couleur, symbolisant l'arrivée de mai 68 et de son vent de liberté. 
Vous aurez compris que "Filles des oiseaux " est l'album incontournable de cette rentrée, plus fort que tous les romans réunis par la première liste des Goncourt, plus drôle aussi et, ô joie, il y aura une suite ! 



vendredi 16 septembre 2016

Sauve qui peut (la révolution) de Thierry Froger


Ah les premiers romans ! Souvent autobiographiques comme par réflexe, les "jeunes" auteurs plongent avec un brin de narcissisme dans ce tiercé pas toujours gagnant que sont ma vie, mes amours, mes emmerdes. Certaines fois, c'est la réalité  mais l'on se demande si ce n'est pas inventé ( Edouard Louis, il n'y a pas très longtemps) et d'autres fois tellement réel que la question de l'autofiction ne se pose pas alors que ... ( Mathieu Bermann cette rentrée). Et puis, il y a des exemples plus complexes, des romanciers plus subtils ou plus pudiques, qui pensent "fiction" avant tout.
Thierry Froger avec son premier opus de romancier, semble prendre cette option en nous livrant une intrigue totalement originale et apparemment très loin de sa vie. Ici pas d'amants, pas de maîtresses, pas de traumatismes enfantins, pas de deuils, pas d'addictions, rien que du roman, de l'inventé.
Le roman tresse deux histoires génialement imbriquées. Nous suivront deux personnages que tout oppose : Danton et Jean-Luc Godard ! Le premier, par la grâce du romancier, a échappé en 1794 à la guillotine et se retrouve exilé sur une île de la Loire où il va installer une sorte de république locale, continuant à mettre en pratique ses idées révolutionnaires. Le second se verra confier par la mission du bicentenaire de la révolution, la réalisation d'un film grand public pour célébrer l'événement. Cette  proposition insolite faite à notre très hermétique cinéaste suisse ne verra pas le jour, malgré la rédaction de nombreux scripts tous plus délirants les uns que les autres. Par contre ce sera pour lui l'occasion de retrouver un ami du temps où il était maoïste, historien, mais surtout père d'une charmante jeune fille de 19 ans, Rose...
A partir de ce canevas pour le moins original, Thierry Froger saute sans arrêt de l'uchronie autour de Danton qui le mènera de la Loire à l'île d'Elbe où il croisera Napoléon Bonaparte, aux démêlés de Godard avec la commission du bicentenaire, ses scénarios improbables et son histoire d'amour avec Rose. Finement entremêlés, ces vies se répondent, font écho entre elles, un peu comme les scripts successifs de Jean-Luc Godard qui regorgent de ce qu'il vit. Le temps qui passe sur les idées révolutionnaires comme sur des hommes mis à l'épreuve autant par les corps que par la vie qui file, est sans doute le thème central du livre. On sent que l'auteur connaît tout son Godard sur le bout des doigts, a lu et vu toutes ses interviews. Il nous le restitue aussi puant que drolatique, aussi touchant qu'agaçant, créant ainsi un  vrai personnage romanesque. La vie supposée de Danton n'est pas en reste, croisant ainsi des faits historiques ou des anecdotes anciennes qu'il aurait connu s'il avait survécu. Et puis, aux détours de quelques pages nous rencontrons aussi de multiples célébrités de Michelet l'historien jusqu'à Isabelle Huppert ( géniale lettre à Godard) en passant par Marguerite Duras ou Fellini.
Tout cela semble bouillonnant mais tient parfaitement la route et s'accompagne d'une écriture tour à tour somptueuse, ample, baroque, tumultueuse, tendre, nostalgique, ressemblant à s'y méprendre à cette Loire, figure quasi centrale de ce roman. Je pourrai faire des pages de citations, de belles phrases, de paragraphes que l'on prend plaisir à relire ( oui la lecture est plus longue qu'à l'habitude, on s'enivre de la luminosité et de l'inventivité du texte, on musarde, on prend son temps dans sa lecture)... Non il vaut mieux que vous y alliez de vous même voir de quoi il en retourne. Pour le plaisir, juste une : " Il avait perdu le goût des femmes à mesure que le destin ne permit à aucune d'elles d'avoir le goût de lui."
Dans ce torrent d'idées, de situations je pense quand même que l'auteur se livre un peu ( normal non ? ). N'est-il pas ce révolutionnaire que l'énergie quitte petit à petit ? N'est-il pas cet homme qui espère encore à la passion amoureuse malgré un corps qui vieillit? N'est-il pas l'amoureux de ce fleuve dont la vraie singularité n'est pas d'être le plus long du territoire mais celui de toutes les lumières, de toutes les rêveries ? N'est-il pas cet amoureux des arts et du cinéma en particulier ? N'est-il pas un homme de grande culture qui sait la partager sans nous ennuyer ? N'est-il pas ... ? A vous de compléter une fois terminé "Sauve qui peut ( la révolution) ", les pistes ne manquent pas dans ce formidable premier roman ambitieux et réussi qui marque une très belle entrée dans le paysage littéraire.

jeudi 15 septembre 2016

Victoria de Justine Triet


Depuis sa présentation en ouverture de la semaine de la critique à Cannes, "Victoria", le second film de Justine Triet a reçu un accueil critique absolument délirant. Nous avons eu droit à tous les superlatifs d'une critique énamourée, qui semblait découvrir entre un film neurasthénique polonais et un long-métrage philippin sur l'enfer de la drogue, qu'il existait des films dits d'auteurs mais en version comédie ! La belle aubaine ! Voilà une occasion de montrer sans doute que l'on aime rire et s'amuser dans ce cénacle de bon goût. Et chance pour Virginie Efira, échappée de comédies plus commerciales et populaires, elle se trouvait d'un coup de baguette magique promue actrice incontournable  (avec pour appui, sa petite apparition dans le dernier Verhoeven où pourtant, elle jouait les utilités). Le rouleau compresseur de la promotion n'a pas lâché le morceau une seule journée depuis mai dernier. Virginie Efira a fait toutes les télés, donné des interviews à toute la presse même la plus confidentielle et "Victoria" est donc devenu le film incontournable de cette rentrée. Difficile avec cette promo d'enfer de découvrir le film sereinement.
Et j'ai vu l'oeuvre....
Nous sommes à cent coudées au-dessus de "La bataille de Solférino", premier film qui avait quelques qualités et qui apparaît comme le brouillon de "Victoria", puisqu'abordant peu ou prou le même sujet : la femme parisienne débordée. Là où dans son précédent opus, Justine Triet filmait caméra à l'épaule des comédiens bien dirigés mais dans des scènes sentant l'impro, elle oppose cette fois-ci une image en scope, des plans soignés, des dialogues (très) bien écrits, et enlève le côté naturaliste pour du loufoque assumé. Elle n'a gardé au final que l'appartement craspougne et bordélique de l'héroïne où s'ennuient deux enfants un peu laissés pour compte.
Fini donc le cinéma un peu fauché et bienvenue dans une gamme nettement plus clinquante, la comédie non formatée, aux allures de film d'auteur et dotée d'un impeccable casting. C'est sans doute ce dernier qui fait la différence .... Car en plus d'aborder les thèmes sociétaux à la mode ( le burn out, le sexe facile, la solitude contemporaine, et j'en passe), le film est, c'est vrai, tiré vers le haut par Virginie Efira, qui, COMME d'HABITUDE, est parfaite ! ( Les critiques, pas très curieux et n'osant surtout pas s'aventurer dans le cinéma populaire, semblent la découvrir ...).
Cependant, attention, ce n'est tout de même pas la comédie du siècle ni peut être de l'année, plutôt une comédie dramatique, pétillante, très très bien interprétée qui, malgré son scénario extravagant, ne joue pas ni le gag hilarant, ni le rire à tout prix. On passe un moment agréable, on sourit ou rit parfois, on admire une comédienne épatante très bien entourée et l'on regarde s'exciter des personnages qui sont un peu nous quelque part. J'ai bien peur que la palanquée de compliments déployée partout ne nuise un peu au film, donnant trop d'espoir à un public qui risque d'être pris à revers par un fond un tantinet dépressif. Mais, c'est sans doute cette ambivalence qui fait, en plus de l'actrice principale, tout le charme d'un film bien moins léger qu'on le prétend, miroir pas si déformant de nos vies urbaines.
PS : pour vous éviter de perdre votre temps en recherche et comme il m'a été difficile de repérer le titre de la chanson qui accompagne le dernier plan du film dans la longue liste des morceaux utilisés dans la bande originale, le voici c'est cadeau, (merci ! merci!)...
"Without her" de Harry Nilsson (1967)




mercredi 14 septembre 2016

L'anniversaire de Kim Jong-il de Aurélien Ducoudray et Mélanie Allag


On sait depuis longtemps que la BD n'a pas hésité à s'emparer avec succès de sujets ou de genres traditionnellement réservés à la littérature classique. La liberté de ton, de représentation qu'offre le dessin a démontré avec éclat que loin d'être un genre mineur, elle offrait un regard neuf et pertinent, désormais impossible à ignorer.
Ce mois-ci paraît dans l'excellentissime collection Mirages de chez Delcourt, "L'anniversaire de Kim Jong-il " petite merveille de roman/documentaire graphique absolument étonnante.
Le projet est simple : parler de l'actuelle Corée du Nord sans rien cacher de l'omniprésente  propagande, de l'insupportable culte de la personnalité pour ses dirigeants successifs, de la misère endémique, de la famine et de l'immigration qui indubitablement en résulte.
Je vous entends déjà souffler, supposant encore un album aussi larmoyant que rude, usant avec plus ou moins de bonheur reportage et pédagogie forcément bien pensante. Je vous l'accorde, vous ne plongerez pas dans un univers à la Gaston Lagaffe mais aussi improbable que cela puisse paraître et malgré les terribles événements décrits, il se dégage de ces pages une légèreté, un humour absolument bluffants.
Le procédé pour arriver à ce résultat n'est pas nouveau. On prend un gamin de huit ans et on lui fait raconter sa vie de tous les jours. Quoi de plus léger que le regard d'un enfant pour poser un regard un poil décalé et frondeur ? Sauf que cette vision enfantine est scénarisée par un adulte ( ici l'excellent Aurélien Ducoudray) et parvenir à retrouver cet état si particulier d'innocence au milieu d'un monde qui en manque cruellement reste un sacré pari. Beaucoup s'y essayent, avec plus ou moins de bonheur, peu y arrivent comme les auteurs de ce terrifiant état des lieux sur ce qui reste le pays le plus fermé du monde. Le scénario, découpé en cinq chapitres édifiants (dans le sens occidental bien entendu !) s'imbrique parfaitement avec les illustrations rondes, douces et un poil espiègles de Mélanie Allag qui en jouant subtilement avec les couleurs, parviennent à faire ressentir l'horreur et la folie de ce régime tout en gardant une fraîcheur et un très vague espoir en des jours meilleurs. Le récit avance constamment sur ce fil ténu, sans jamais vaciller et nous conduit au final sur ce qui est sans doute l'un des romans graphiques les plus réussis de cette rentrée.
Ne vous laissez pas impressionner par le portrait du dictateur en couverture de cet album, regardez plutôt le petit garçon en bas à gauche, facétieusement il démolit un peu le portrait du  "père bien aimé" et avec son regard noir, il représente exactement l'atmosphère terriblement légère de cet album indispensable !




mardi 13 septembre 2016

Super cagoule de Antonin Louchard


Antonin Louchard frappe encore et toujours ! Pour le plaisir des grands et des petits qui se feront raconter cette d' histoire malicieuse et drôle, voici "Super cagoule", album qui met en scène une poulette à lunettes et un loup pas intelligent du tout.
La poulette sort de chez elle, pas contente du tout. Vous savez ce que c'est quand vient l'hiver et que l'on veut aller dehors quand on est enfant. Y'a toujours un adulte qui veut qu'on se couvre les oreilles car gare aux otites ! Une obsession les otites chez certains et à ce jeu là, si vous remarquez bien, plus vous faites une fixette, plus l'enfant a des chances d'en attraper une ! Bref, la poulette à lunettes, pour aller faire sa bataille de boules de neige avec ses copains a été obligée d'enfiler une horrible cagoule, qui n'est ni en alpaga ni en cachemire mais en vulgaire acrylique et qui donc GRATTE ! Et comble de malchance, elle rencontre en chemin un loup qui veut bien entendu la manger. Heureusement notre poulette a de l'esprit et de la répartie. Pas question qu'elle s'en laisse compter par un loup assez benêt.
Ce petit album, admirablement dialogué, sera un plaisir de lecture pour tout parent s'éclatant à jouer de la voix et pour tout enfant aimant entendre ses géniteurs s'essayant à la comédie. Cependant, il y a un détail qui m'a gratté... Mr Louchard depuis combien de temps n'avez_vous pas été dans une école en hiver ? Trop longtemps sans doute ....car si vous y aviez jeté juste un oeil, vous auriez constaté que sur les porte-manteaux et à fortiori sur la tête des enfants, il n'y a plus de cagoules ! Des chapkas, des boules de fourrure façon écouteurs, des cache-nez qui couvrent la tête, des bonnets à pompons  à la rigueur, mais point de cagoule (ou si peu). Pour vous dire, il va falloir expliquer aux enfants ce que c'est que  ce vêtement qui gratte, tellement il ne fait plus partie de leur quotidien. Mais ce n'est qu'un détail ( et un peu de vocabulaire n'a jamais fait de mal) car, "Super cagoule" reste tout de même un super album !


lundi 12 septembre 2016

Voir du pays de Delphine et Muriel Coulin



"Voir du pays" disait autrefois la pub de recrutement de l'armée. Tu parles ! Marine et Aurore, les deux copines d'enfance qui ont signé leur engagement pour défendre notre patrie peuvent vous en parler. Elles reviennent d'Afghanistan où elles n'ont vu qu'un désert de pierres au milieu de montagnes dans lesquelles se cachaient des rebelles qui passaient leur temps à les mitrailler. Heureusement, l'armée française, généreuse et attentionnée, avant de relâcher leur régiment dans ses pénates, a organisé trois jours de débriefing dans un hôtel de luxe chypriote.
Le film démarre très vite par de saisissantes images de leur arrivée dans l'établissement. Les plans de ces colonnes de tenues camouflages envahissant petit à petit cet espace bleu océan impressionne. Ces guerriers qui s'immiscent dans cet espace dédié aux vacances a des allures aussi surréalistes qu'inquiétantes, renvoyant soudain l'image d'un monde où la guerre est présente partout.
Cette troupe essentiellement masculine hormis nos deux copines et Fanny l'infirmière, se retrouve réunit pour raconter s'il y a lieu, un vécu qui hante leurs esprits. Face à leurs supérieurs qui espèrent que le récit oral et public de leurs pires moments en Afghanistan les aidera à affronter leur retour en France, la troupe rechigne. Très vite, nos jeunes filles vont comprendre qu'un autre combat les attend dans ce lieu paradisiaque, combat d'une autre violence que celle rencontrée sur le terrain mais qui risque de les marquer tout autant.
Les quelques malheureux qui osent exprimer leurs peurs, raconter le souvenir cuisant d'une embuscade qui a mal tourné, se verront pris à partie assez violemment par ceux qui préfèrent garder le silence. Aurore ose revenir sur cet événement pour évoquer ses blessures. Critiquée pour ses confidences, elle sera à demi-pardonnée puisque c'est bien connu, une femme c'est faible et pleurnichard. Mais quand un certain Max, à son tour bravera l'interdit tacite en donnant à écouter son récit, une gangrène machiste s'infiltrera dans le groupe.
On ne pourra pas reprocher à "Voir du pays" de manquer d'ambitions. Aborder un thème rare dans notre cinéma national (la guerre en Afghanistan), le traiter de façon avec une formidable mise en images, fait rudement plaisir à voir. J'ai été étonné, puis passionné, puis ému, puis, ... hélas, un peu déçu. Alors que dans les deux premiers tiers du film, un évident et pertinent discours féministe irriguait subtilement le film, le dernier tiers le développe pleinement mais de façon un peu trop appuyée. En reportant ce conflit homme/femme à l'extérieur de l'hôtel, le récit devient sans doute plus rude mais surtout moins convaincant, perdant sa finesse dans des intrigues un peu banales.
La femme ne se dilue pas bien dans l'armée. Le machisme ancestral de cette institution ne peut s'effacer d'un coup de présence féminine. On l'avait bien compris et la démonstration finale est un peu too much.
Cependant, et grâce aux comédiennes, Ariane Labed en tête, têtue, obstinée et vibrante, "Voir du pays reste un remarquable témoignage sur plusieurs conflits humains, mêlant intimement guerre militaire et guerre des sexes et prouve que le cinéma français reste toujours créatif. Cela mérite assurément que vous preniez votre ticket pour le deuxième long métrage des soeurs Coulin, voire leur donner une médaille. 

dimanche 11 septembre 2016

Un paquebot dans les arbres de Valentine Goby



Ce joli titre, un peu énigmatique, ne cache nullement un roman halluciné, au merveilleux onirique. Le paquebot s'avère être un sanatorium construit après guerre au milieu d'une forêt touffue pour mieux l'isoler du monde. C'est dans cet endroit que les parents de Mathilde furent hospitalisés avant que la tuberculose ne les emporte prématurément. Aujourd'hui, devenue âgée, elle erre au milieu de ruines se remémorant un passé douloureux.
Récit d'une famille éclatée par la maladie, "Un paquebot dans les arbres", se révèle être un magnifique roman qui vous étreint dès les premières pages pour ne plus vous lâcher. La tuberculose, mot terrible durant une grande partie du 20 ème siècle, restera à jamais attaché à une maladie qui a sans doute autant, sinon plus, exclu et répandu la peur que le SIDA. Rappelez-vous que quelques postillons venus d'un toussotement pouvaient vous contaminer... Et quoiqu'on en pense, et c'est un des sujets abordés par le roman, malgré l'arrivée de la pénicilline après guerre, la maladie tua jusqu'au début des années 60.
Thème central du roman, cette tuberculose sera l'élément déclencheur de la chute devenue inéluctable de cette famille. Sans jamais verser dans le mélodrame, Valentine Goby enrobe son histoire d'une magnifique écriture, mélange subtil de rudesse, de sensualité voire de poésie mais sans afféterie. Sa plume s'empare de ses personnages, les fait valser avec grâce, leur donnant une réelle densité pour nous les rendre plus proches, plus attachants. Pour cela, elle sait être aussi musicale que l'est cet harmonica, petit instrument qui ne quittera jamais le père, qui sera le véritable indicateur de l'avancée de la maladie, mais aussi le témoin muet d'un changement d'époque, la musique rock remplacera le bon vieux bal et accompagnera la libération de la jeunesse et des corps.
Des corps, il en est également beaucoup question dans ce livre : corps triomphant des adultes avant la chute, corps en devenir d'une jeune fille, corps décharné et flétris, corps rejetés par la maladie ou à cause d'un handicap ( lumineux personnage de Jeanne si sincère) et tout cela pour sublimer un récit aussi émouvant qu'essentiel.
En retraçant le portrait des vingts premières années de Mathilde, en plus d'être le peintre sensible d'une femme battante, Valentine Goby fait oeuvre de mémoire en rendant un vibrant hommage à tous ces anonymes qui furent les ostracisés d'une société qui n'aspirait qu'au bonheur. Et ne restent que les ruines d'une bâtisse, ultime trace d'une maladie qui, hélas, n'a peut être pas dit son dernier mot...