mardi 27 septembre 2016

Tabou de Ferdinand von Schirach


Pour ce roman en trois parties et une conclusion, toutes nommées par une couleur, je pourrai gloser sur cette symbolique dans un récit qui pose constamment des éléments pour nous faire réfléchir, fantasmer, nous perdre. Je préfère m'attarder sur la construction d'un récit qui débute comme un roman d'apprentissage pour s'en aller ensuite vers celui du descriptif d'une passion dévorante et s'achever par une sorte de thriller judiciaire.La passion ici n'est pas une femme, mais l'art photographique, porté à son plus haut niveau et de représentation et de réflexion.
Des jeunes années où le regard imprime à tout jamais des images qui le poursuivront toute une vie, Sébastian Von Eschburg en tirera l'essence même de son travail, traquant tout d'abord une représentation du réel déjà empreinte d'un imaginaire fort, avant d'orienter ses productions vers un questionnement constant de la réalité du monde dans lequel il se débat. D'une enfance austère voire terrible, à des expositions tout aussi dérangeantes, le récit nous propose de devenir producteur d'images. Toute précise que soit l'écriture de Ferdinand von Schirach, le cerveau du lecteur doit recréer ce que l'on ne lui montre pas tout à fait, devenant le créateur obligé de clichés souvent dérangeants. En jouant ainsi avec nous, l'auteur nous propulse dans le monde de la création artistique, nourri autant du vécu que de l'apport d'autres artistes. Et une fois, entrés dans le jeu, il nous plonge ensuite dans une drôle d'enquête mêlant mystère et philosophie, le tout emmené par un personnage d'avocat de droit pénal particulièrement acide.
Mais le roman se drape d'autres ambitions et notamment de s'interroger sur le pouvoir de mensonge de l'image, dans une réalité qui perd de plus en plus ses repères. En dépeignant un personnage principal assez énigmatique, pas tout à fait sympathique, dont on suivra la carrière et les errements, "Tabou" intrigue avec son déroulé biographique un peu froid et mystérieux, rappelant évidemment le "Blow up" d'Antonioni, un vague " swinging Berlin " ayant remplacé le " swinging London". Les créations de Sébastian joueront beaucoup sur l'illusion, illusion portée à son paroxysme dans la dernière partie où l'art et la réalité valsent ensemble dans une danse macabre étonnante.
Ni polar, ni roman vraiment philosophique, "Tabou" bouscule son lecteur en s'ingéniant à changer de genre et d'optique en cours de route, posant le doigt là où ça démange et grattant jusqu'au sang. Inconfortable et rudement malin, le roman intrigue et séduit grâce au regard d'un auteur sans complaisance.



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