samedi 9 janvier 2016

Histoire de la violence d'Edouard Louis


Aborder la lecture du deuxième roman d'Edouard Louis, surtout accompagné par une presse à genoux, célébrant un jeune prodige, n'est pas des plus aisé. Comment s'extraire du battage médiatique et juger sereinement ce livre, surtout que le premier ne m'avait pas totalement convaincu ? Très simple, ne rien lire, tenter d'évacuer les quelques gros titres malencontreusement lus, s'isoler et se plonger dans cette " Histoire de la violence".
Nous sommes toujours dans la veine auto-biographique. Edouard Louis le soir de Noël a été victime d'un viol avec tentative de meurtre. Le livre en est le récit circonstancié. Voulant sans doute se démarquer de la sécheresse d'une Christine Angot, Edouard Louis, en jeune homme brillant, choisit d'y apporter une dimension littéraire tout en développant un raisonnement conforme à ses pensées profondes, lorgnant peut être plus du côté d'Annie Ernaux. En choisissant trois niveaux de récit, le sien propre, celui qu'il entend raconter par sa soeur à son mari camionneur et de nouveau le sien propre mais en italique pour recadrer les propos de sa frangine, l'auteur ne joue pas avec la facilité. Donc, au milieu de ce récit troublant, se nichent la volonté de donner à entendre et à lire un parler populaire, les rémanences d'une enfance et adolescence en milieu populaire picard et le refus viscéral de céder à la stigmatisation facile ( arabe = voleur, violeur, délinquant). Pour tous ces regards, cette analyse impressionnante sur soi-même face à cette violence, le livre apparaît comme le résultat d'un projet pensé et réfléchi. Le thème central du viol, avec sa succession très détaillée des événements et de ses suites, des pensées de l'auteur, est tout sauf un sujet anodin. Même en révélant des détails très personnels, le livre n'est jamais impudique. J'ai admiré le regard plein de recul et sans concession qu'a Edouard Louis sur lui-même et surtout ce dialogue intérieur, ce débat interne pour refuser la facilité face à des événements tragiques. Sur ce plan là, le livre est un témoignage irréprochable et fascinant. Je serai par contre plus réservé quant à la globalité de l'oeuvre, qui pâtit, de par sa construction et cette volonté de ne pas renier ses racines, d'un important déséquilibre. Malgré le soin apporté aux passages contés par Clara, la soeur restée en pays picard, cette reproduction fidèle d'un parler populaire, avec ses mots tronqués, ses fautes grammaticales qui ne gomment jamais la finesse d'analyse de la narratrice, m'est apparue pesante et forcée, alors que le reste est par ailleurs si brillant. Et si l'on rajoute quelques digressions (sur le passé du frère, la vie supposée du père du violeur  en foyer Sonacotra) qui eux aussi, cassent un peu l'intensité générale, je suis ressorti avec un sentiment mitigé.
Pourquoi, alors que dans son premier livre le sort, l'effacement d'Eddy Bellegueule avait  été gravé dans le marbre de la littérature, Edouard Louis, même de façon un peu détournée, revient-il dessus ? Pour montrer que l'on ne peut renier tout à fait ses racines ? Pour contrecarrer les propos peu amènes que l'on avait entendu lors de la sortie de son premier livre ? Ce retour à ses origines ont eu pour moi un effet un peu redondant et superflu. C'est d'autant plus dommage que l'écriture du romancier parisien qu'il est devenu a pris de l'ampleur et de la profondeur. Et je me suis pris à penser que si le livre n'avait eu que son point de vue, avec son analyse si fine et sans concession, il aurait eu plus de force.
Mais ce n'est que l'avis d'un lecteur provincial lambda, d'origine modeste et sans doute peu épaté par cette reproduction d'un langage qu'au final j'entends tous les jours. Reste un roman intéressant et sensible qui touche et épate par la hauteur et la dignité de son point de vue.


2 commentaires:

  1. J'ai été totalement happée par ce livre.On est aspiré avec le personnage grâce à un récit superbement bien rythmé. On passe de l'impatience heureuse à la dure violence mais toujours accompagné d'une grande sensibilité. Pari réussi pour le livre qui bouscule...(-;

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