mardi 18 octobre 2016

Babylone de Yasmina Reza


Je referme "Babylone". Je le pose à côté de moi et je le regarde. Mon chat vient se poser nonchalamment dessus  et je me dis que cette bête prend décidément beaucoup trop de place dans notre vie. Aurions- nous abdiquer trop vite, pauvres humains condamnés à être les serviteurs d'un animal sournois aux désirs de domination bien réels ?
Vous pensez que je m'égare un peu, que je suis ici pour chroniquer un roman et non pas pour parler de ma vie. Vous avez raison mais sachez que je ne fais qu'essayer d'imiter Yasmina Reza qui pratique avec un talent évident ces petites digressions dans son récit. D'un petit appartement que l'on devine assez étriqué ( pas assez de chaises pour recevoir les invités d'une fête du printemps, pas assez de verre pour leur donner à boire), l'auteure arrive à nous sortir de ce lieu confiné pour déambuler à l'hôpital Pasteur ou suivre une femme et sa fille en Egypte afin de mieux dresser un portrait de ses personnages. C'est habile, subtil et totalement passionnant. Le regard pointu et acide dresse ainsi un état des lieux d'un couple soixantenaire middle-class et de son entourage particulièrement savoureux.
Puis, il a fallu plaquer un intrigue plus fournie. Le coup de sonnette de la page 77 nous fait soudain basculer dans une sorte de roman noir avec questionnement philosophique à la Dardenne genre : " Aider un ami criminel fait-il de moi un coupable ? " mélangé à la sauce vaudeville avec cadavre encombrant. Et là, bien que les petites notations, les petits coups de gueule sur notre époque continuent à irriguer le récit, le mélange a eu du mal à me convaincre. Entre le déjà vu, le déjà lu d'une situation où l'on ne sait que faire du mort et la soudaine théâtralité de l'écriture ( unité de lieu mais surtout dialogues), l'assemblage ne m'a pas emballé. La magie du départ se dissout peu à peu en prenant une autre direction vers la fin avec la venue d'un avocat... J'ai donc refermé le livre un peu circonspect, partagé entre admiration pour l'acuité d'une écriture qui cerne parfaitement nos contemporains, mettant en évidence conventions sociales, indifférence et tics générationnels et déception pour cet emballage un peu disparate de genres divers.
 "Babylone" ne m'a pas vraiment convaincu mais peut être n'ai-je pas su trouver la substantifique moelle de ce roman. Son très discret discours sur l'exil qui semble être depuis quelques mois le thème central de nos écrivains, ne m'a pas réellement sauté aux yeux, perdu sans doute parmi des méandres narratifs parfois brillants mais trop inscrits dans une théâtralité, ici trop voyante.

dimanche 16 octobre 2016

Baptême de l'air de Bruno Gibert


En refermant cet album franchement réussi, je me disais qu'Actes-Sud, après être devenue une grande maison d'édition pour adultes, gagne petit à petit sa place de vrai défricheur pour la littérature jeunesse. En témoigne ce superbe album aussi beau que stimulant et original, qui devrait ravir les apprentis pilotes à partir de quatre ans.
Un enfant, dont le sexe est laissé à l'appréciation de l'auditeur ou du lecteur, suit son oncle qui va lui proposer un baptême de l'air. Aventure extraordinaire qui se traduira par un survol de lieux connus mais qui prennent, vus de haut, une aspect tout autre. S'offre donc au regard un monde nouveau que le grand format de cet album magnifie encore plus. Les illustrations colorées, un poil minimalistes ( mais on s'adresse à de jeunes enfants) forment un ensemble de tableaux proche de la peinture contemporaine. Chaque page tournée provoque un petit émerveillement et un texte subtil invite à nous y plonger un peu plus intensément en recherchant  au milieu de ces à-plats de couleurs quelques petits détails comme  une caserne de pompiers ou un petit chat noir. Cependant, pédagogique ( dans le bon sens du terme, c'est à dire de façon ludique ) jusqu'au bout, un peu de vocabulaire est proposé. On essaiera de débusquer dans ces décors un retardataire dans une gare ou une éolienne. Et comme tout cela est vu d'avion, l'exercice prend une forme nouvelle et initie, sans en avoir l'air, le jeune lecteur à lire un  plan. Cette judicieuse idée devrait enthousiasmer les enseignants de CP,  classe où généralement on aborde cette notion et qui jusqu'à présent n'étaient guère aidés par des brochures toutes plus soporifiques les unes que les autres. Pour avoir testé cet album auprès d'enfants de Moyenne Section ( 4 ans ), même si la lecture de plan reste ardue, la recherche des différents éléments se révèle tout à fait intéressante.
Si vous voulez prendre de la hauteur, envoyez vos dévoreurs de bouquins en l'air, offrez-leur ce voyage aérien aussi superbe que joueur, personne ne le regrettera. Moins cher qu'un baptême de l'air, moins effrayant et peut être beaucoup plus amusant, cet album de Bruno Gibert est sans doute l'un des plus réussi de cette rentrée. N'attachez pas votre ceinture, faites comme les oiseaux, envolez-vous, survolez le monde et jouez !


samedi 15 octobre 2016

A présent de Vincent Delerm



Avant de lire la suite, sachez, si vous ne le savez déjà, que je suis un fan absolu de Vincent Delerm. Cela ne s'explique pas, c'est ainsi. Ses chansons, ses mélodies, ses orchestrations  m'ont toujours touché, ses spectacles toujours étonné et emballé, son univers  me correspond indubitablement même si nous ne sommes pas de la même génération. La sortie de ce sixième album, précédé d'une critique pour la première fois unanime, parlant de chef d'oeuvre, d'album de la maturité et autres clichés habituels, ne pouvait que me faire trépigner d'impatience.
Cela fait une semaine que j'écoute l'album et, oui, je peux le dire, comme tout le monde, c'est effectivement un excellent opus pour tout delermophile averti. Sans tomber dans les dithyrambes faciles, il n'y a rien à jeter parmi les onze titres qu'il nous propose. Tout est d'une élégance absolue, d'une créativité certaine et une quintessence du meilleur de ces albums précédents, gommant certains petits défauts ( qui pour moi n'en étaient pas mais agaçaient certains) comme cette tendance au name dropping si souvent moquée ou même sa voix, ici plus travaillée, plus douce, plus posée, plus affirmée. Par contre, on retrouve cet attachement prononcé pour le cinéma, la littérature, placé ici de façon plus subtile et aux références moins encombrantes qu'auparavant. Il continue aussi à creuser le sillon de son goût pour l'univers musical de François de Roubaix, déjà évoqué dans l'album "Quinze chansons". Une ambiance début seventies enveloppe cet album avec cordes, choeur et vocalises féminines qu'accompagnent parfois quelques notes de pianos préparés comme dans son précédent album.
Alors me diront les perfides, rien de neuf chez Delerm ! Remarque balayée d'un haussement d'épaule, "A présent" apparaît comme le tableau parfait et cohérent de l'univers du chanteur. Les chansons se succèdent avec grâce et nous réservent quelques surprises comme cette très belle  mise en musique de la bande son d'un reportage télé sur l'humeur des français dans les années soixante en est la preuve ( "Etes-vous heureux ?") ou la magnifique évocation parlée de la disparition de son grand-père ( " La dernière fois que je t'ai vu "). Je pourrai les égrener toutes les unes après les autres mais peut être que "Le garçon" et "Danser sur la table" émergent sensiblement, le sous-texte sur la masculinité leur donnant un plus évident.
Par contre, on ne manquera pas de s'interroger sur le titre de cette nouvelle production : "A présent" car, à première écoute, plus nostalgique comme album on ne trouve pas. Cependant, et si l'on observe sa construction, il nous propose en creux une véritable autobiographie du chanteur et de l'homme qui, sans du tout sombrer dans la mélancolie, délesté de tout pathos, se présente à nous tel qu'il est dans sa juste quarantaine, un garçon qui, s'il ne monte pas sur la table, nous invite à le suivre dans sa sensible réalité d'artiste, nous offrant la magnifique représentation poétique mais intime de nos vies. Nous vivons, il vit donc son présent, construit de tous ces mots, ces moments, ces sensations passées et est bien un chanteur d'aujourd'hui.


vendredi 14 octobre 2016

L'odyssée de Jérôme Salle



J'ai passé deux heures devant un aquarium. C'est long, très long. C'était pourtant un bel objet. Pour 22 millions d'euros, il y avait tout ce qu'il faut comme herbes à belle allure, des décors grandioses, des poissons en veux-tu en voilà, même un orchestre de violons et quelques acteurs connus qui faisaient trempette dedans ! Mais, même dans le plus bel aquarium du monde, se passionner pour cette vie aquatique qui se résume à quelques gracieux mouvements de nageoires ou ondulations de quelques espèces colorées relève ou de la passion la plus aveugle ou d'un cerveau reptilien.
"L'odyssée" nous cause de la vie du commandant Cousteau, homme que l'on a tant aimé à la télévision quand on était môme, nous enthousiasmant pour ses aventures sous-marines. Le portrait oscille entre l'hagiographie et l'envie d'écorner un peu l'image de l'homme au bonnet rouge, histoire de donner un vague intérêt au film. Seulement à l'écran, à part peut être une seule scène qui doit dépasser les trente secondes, c'est une succession de pastilles magnifiquement léchées façon carte postale. Cela  aurait pu donner un joli tableau pointilliste mais, au final, on a l'impression de se retrouver devant le rayon poissonnerie kitschement mis en scène du Leclerc d'à côté. L'esthétique donnée à cet ensemble, c'est à dire ce nappage de couchers de soleil à gogo, de scène de bord de mer filmés en fin d'après-midi lorsque l'astre solaire donne de jolies couleurs orangers, d'amples mouvements grandioses de caméra, balayant, au choix, la mer ou Pierre Niney et Lambert Wilson joliment bronzés, tirent ce biopic vers l'enluminure publicitaire. D'ailleurs, au début du film, un plan d'un petit garçon jouant avec un avion nous renvoie instantanément dans la publicité Emirates vue juste avant, où un semblable môme joue avec un Boeing (?) mais avec Jennifer Aniston. Nous regardons donc s'ébattre des comédiens célèbres qui essaient comme ils le peuvent de donner un peu d'intensité à leurs personnages. Les dialogues minimes qu'on leur a demandé de glisser dans ces toutes petites scénettes ne les aident pas. A ce petit jeu, seule Audrey Tautou arrive à surnager, donnant un peu d'intensité à son personnage de presque matrone vaguement alcoolo mais hélas secondaire. A part un joli face à face ( d'une minute !) entre Lambert et Pierre Niney et un autre où Wilson est remplacé par une baleine, on ne ramène rien à la maison et surtout pas un aquarium !


jeudi 13 octobre 2016

La fille inconnue de Jean-Pierre et Luc Dardenne


Je ne sais pas comment était la version que les festivaliers cannois ont vu en mai dernier, mais celle  raccourcie de cinq minutes projetée à partir de cette semaine sur les écrans, m'a vu sortir de la salle tendu comme un arc. La confrontation fut pour moi intense. j'en suis ressorti tendu comme si j'avais visionné un thriller bien fait où tout peut arriver.
Nous plongeons d'emblée dans le cabinet d'une jeune médecin et de son stagiaire. Les consultations se succèdent. Les corps souffrants s'offrent confiants au diagnostic attentif de Jenny. Et puis, après une journée harassante prolongée d'une heure, un bref coup de sonnette n'arrive pas à remettre en branle les corps épuisés des deux jeunes praticiens. Lorsque Jenny apprendra un peu plus tard que si elle avait ouvert sa porte ce soir là, elle aurait peut être sauvé une jeune femme que l'on a retrouvé morte au bord de la Meuse, un sentiment de culpabilité la gagne. Elle n'aura de cesse de découvrir qui est cette fille que personne n'arrive à identifier. Transformée en détective malgré elle, elle sillonnera la ville de Liège qui devient au fur et à mesure que le film avance, un décor où la violence est latente. Perso, la moindre voiture passant sur le boulevard sinistre où se situe le cabinet médical me faisait sursauter, le moindre immeuble me paraissait dangereux et je ne parle pas des chantiers isolés...
Et pourtant, malgré la trame nous ne sommes pas dans un thriller banal, car en plus de cette quête toute personnelle, apparaît en sous-texte tout un contexte social fort, territoire naturel des frères Dardenne, auquel s'ajoute m'a-t-il semblé cette fois-ci toute une réflexion sur des thèmes très actuels. Comment ne pas penser au problème des migrants et sur le fait d'ouvrir ou pas cette foutue porte, ici de son cabinet, nous de nos frontières ? Et comment ne pas penser à la bienveillance ( mot ô combien utilisé en ce moment ) et à l'écoute de l'autre quand on voit cette jeune médecin attentive à tous ces corps qui souvent lui donnent des indices. C'est par son attention aux autres qu'elle avance dans sa quête.
Cela peut soudain apparaître un poil intello à qui me lit sans connaître les cinéastes belges, mais ces idées sont juste glissées dans un scénario qui avance à cent à l'heure et qui n'arrête pas de rebondir et qui creuse la situation jusqu'au bout du bout pour se terminer par un dernier plan absolument magnifique.
Même les une ou deux ficelles scénaristiques n'arrivent pas à discréditer le film dont on admirera l'impeccable Adèle Haenel, caparaçonnée dans son gros manteau à carreaux, la maîtrise et l'énergique mise en scène où chaque mouvement de caméra qui nous englobe un peu plus dans l'histoire et un propos rigoureux, salutaire et surtout jamais manichéen ( la notion simpliste du bien et du mal est inconnue des frères Dardenne). On a pu entendre ou lire ici et là que cet opus ne dégageait rien de nouveau, qu'il manquait de renouvellement. Il faudra alors m'expliquer qui, dans le cinéma d'aujourd'hui, se renouvelle et surtout qui ose encore et toujours creuser ce sillon d'un cinéma qui nous attrape là où ça ne fait pas forcément de bien pour nous aider à appréhender le monde et nos contradictions tout en signant une oeuvre haletante ? Du cinéma répétitif comme celui-là, j'en veux toutes les semaines !



mercredi 12 octobre 2016

Les cosmonautes ne font que passer de Elitza Gueorguieva


Pour donner une petite idée de ce premier roman, disons que ce serait "Le petit Nicolas" en version fille et en Bulgarie. Je le concède, on est très loin de l'original, surtout que l'héroïne grandira et deviendra fan de Kurt Cobain, un peu comme si le héros de Goscinny s'était mis à écouter les Rolling Stones à fond dans sa chambre dès la fin de l'école primaire. Toutefois, il y a un regard semblable à notre petit garçon français qui découvrait le monde des adultes et les rêves qui peuvent aller avec.
Dans " Les cosmonautes ne font que passer", notre héroïne se glissera dans l'imaginaire hagiographique ambiant et choisira parmi les héros de la révolution communiste, emblèmes enluminés jusqu'à l'écoeurement de devenir le pendant féminin de Iouri Gagarine. Pendant que ses parents agissent mystérieusement  dans la salle de bains, tous robinets grand ouverts, elle se débrouillera avec les maigres moyens du bord pour réaliser un semblant de premier pas vers ce but assez inaccessible. Dans un univers bouclé, claquemuré, muselé par un pouvoir très autoritaire, les rêves ne se réalisent pas souvent. Et quand soudain, le mur de Berlin s'effondrera, que les icônes d'antan seront déboulonnés de leur socle, apparaîtront d'autres figures emblématiques, génératrices d'autres espoirs...tout aussi hors d'atteinte.
Elitza Gueorguieva, nous propose de l'accompagner dans l'évocation de ce passage délicat que fut la chute du communisme pour une de ces républiques satellites soudainement livrée à cette ivresse de liberté. Divisé en deux parties, le roman évoque l'avant et l'après. Sans se départir d'un humour malicieux constant, le lecteur ressent la lourdeur écrasante du pouvoir communiste sur les esprits comme la perfidie du système libérale soudain offert. Si la partie soviétique prend des allures un soupçon plus légères parce que vêtue de nostalgie, l'après chute du mur nous renvoie soudain dans des préoccupations nettement plus actuelles. La violence constante due à une corruption de tout le système aliène et oppresse les populations. Nous comprenons bien les tentations d'exil que peuvent éprouver ces hommes et ces femmes englués dans un système qui les dépasse et les conduit vers un enfer quotidien distillé à petites gouttes. La figure emblématique du leader du groupe Nirvana hante la deuxième partie du roman comme l'esprit de son héroïne, symbole suicidaire d'une société qui plonge dans l'effroi.
Sous la légèreté, le douloureux passage de l'enfance vers l'âge adulte doublé de l'effroi grandissant devant un monde qui bascule. J'ai été touché par ce récit qui possède la vitalité et l'innocence d'un humain en devenir dont le regard et les rêves vont peu à peu se briser contre la perverse réalité libérale. Jolie entrée en littérature pour Elitza Gueorguieva !
 


lundi 10 octobre 2016

Vadim un playboy français de Arnaud Le Guern


De Vadim, je n'avais que quelques images floues, la plupart véhiculées par la presse magazine et d'autres par la vision (ennuyée) de ses films. Surnageaient donc, au-delà du réalisateur dilettante, ses nombreuses épouses ou maîtresses, célèbres ou pas, mais assurément très belles et la vie de fêtes tropéziennes qui semblait aller avec. La lecture de cette biographie n'a, au final, que conforté cette impression. Roger Vadim restera un séducteur et le cinéma son gagne-caviar.
Arnaud Le Guern essaie pourtant d'enjoliver le portrait du réalisateur, car il l'aime son Vadim, il l'admire même ! Il semble désireux d'avoir sa séduction (qu'il a sans doute) mais aussi son style de vie.  Tout cela se ressent au fil des pages d'une biographie dont les premières lignes happent le lecteur comme une jeune fille bien faite et un peu sûre de sa séduction l'a fait avec Vadim. Phrases courtes, alertes, un peu décalées, humoristiques, emballent sec le lecteur qui tourne les pages avec envie. La vie du réalisateur file vite sans que l'on en apprenne réellement beaucoup, succession de films et de  conquêtes. Avec un soupçon d'adulation, en parfaite symbiose avec son héros, la relation du lecteur avec cette biographie s'effiloche au fil d'une filmographie déballée de plus en plus complaisamment, et sans beaucoup d'anecdotes. Les conquêtes se suivent, se ressemblent beaucoup, et sans réellement  donner une grosse envie de fermer le livre, lassent un peu. On se séparerait bien mais on continue quand même, on reste bons amis jusqu'au bout. On ne joue pas sa Catherine Deneuve qui est sans doute celle qui a le plus d'aigreur pour le playboy du cinéma français, on fait comme Bardot, Fonda et les autres, on reste en amitié jusqu'au bout. En parfaite osmose avec les dernières oeuvres du réalisateur que l'on range sans médisance au rayon des nanars, le style du biographe, se fait moins pétillant. Arnaud Le Guern, en parfait fan , arrive à y trouver un semblant d'intérêt à tout un paquet de films aux scénarios bâclés dont l'unique but reste l'envie d'y glisser quelques nymphettes vaguement dénudées.
Un fois le livre refermé, on se dit encore une fois que le cinéma brasse beaucoup d'argent jeté par les fenêtres, que la vie dorée de quelques uns fait sans doute rêver mais quand elle produit seulement quelques vagues navets parfumés au jus d'érotisme, un certain dédain gagne le lecteur. On l'accepterai mieux d'un grand créateur, d'un tombeur assez fumiste beaucoup moins. Reste tout de même, en creux, le portrait d'une époque sans doute révolue et le portrait d'un homme rendu attachant par les mots d'un auteur qui, par son idolâtrie, arrive à rendre sautillante cette vie de playboy.

Merci au site BABELIO et aux éditions Séguier  de m'avoir fait découvrir cet ouvrage !

samedi 8 octobre 2016

J'adore la mode mais c'est tout ce que je déteste de Loïc Prigent



Attention ce livre est aussi addictif qu'un paquet de bonbons colorés et fondants posés devant vous. Mais si vous préférez les caramels, les chips, les cacahuètes ou n'importe quelle chose que ne grignoterait jamais un seul des personnages ouvrant le bec dans ce recueil de phrases de Loïc Prigent, ne vous gênez pas !
Pour les néophytes, Loïc Prigent est sans aucun doute aujourd'hui la personne la plus douée pour nous parler de la mode. Ses nombreux reportages, souvent diffusés sur Arte sont un régal même pour ceux pour qui Céline est une chanson d'Hugues Aufray et Donatella, le nom d'une nouvelle friandise très sucrée de chez Ferrero. Fin observateur de cette tribu qui est devenue la première source de devises en France, il note depuis des années tout ce qu'il entend chez les couturiers, dans les rédactions des magazines de mode, lors des défilés et autre fashion week. Et c'est aussi drôle qu'hallucinant, aussi méchant que stupide, aussi snob que vaniteux, aussi tête à claques que fascinant.
Ce ne sont donc que des courtes phrases qui pourtant, en creux, dessinent un univers totalement à part. Dans la mode, on se doit de rester mince et donc on ne mange pas ou peu ( " Ne mange pas , après tu dois digérer et c'est crevant.")  et donc les gros, franchement mal vus, victimes de quelques méchancetés ( " Qu'est-ce qu'il lui est arrivé, il y a eu des soldes chez Lindt ,").
Dans la mode, on aime les marques, les vraies et à n'importe quel prix : ( "J'en peux plus des assistants débraillés. Quand je débutais je venais au bureau en Mugler. Avec le trou de l'antivol, mais en Mugler."). Et ces marques ont de l'argent, beaucoup d'argent, même pour faire travailler des tocards : ( " -On a dû refaire toutes nos boutiques en Chine. - Redécorer ? - Non.Déplacer. On s'était trompé de quartiers. )
C'est un monde où l'on aime le mot juste, le mot vrai ( " Tu ne dis pas rose, tu dis grenadine claire.") parfois jusqu'à l'absurde ( "J'ai sommeil des pieds !"). 
C'est un monde où tout est luxe ( " Je ne sais pas ce qu'est la vraie vie : je n'ai jamais rien acheté, jamais travaillé, jamais rien payé.), calme (" Elle devrait se taire quand elle parle ") et volupté ( " - Ca sent le brûlé ? - Oui, c'est mon cul.") mais aussi perfidie ( " Elle est morte. Il faut juste qu'on la prévienne." , méchanceté ( " Elle ne ressemble pas du tout à sa mère. - Normal, chirurgiens esthétiques différents.") et lucidité (" Elle n'a pas voulu d'enfant, Hermès  faisait  pas de couches culottes.). 
C'est un monde qui permet un billet facile car il s'y profère tellement de phrases absurdes, drôles, méchantes ou terriblement bien vues que l'on en résiste pas au plaisir de les citer. Rassurez-vous, si vous avez aimé le tout petit florilège ci-dessus, le recueil de Loïc Prigent compte 269 pages ! De quoi rire aux éclats mais aussi détester ce monde là qui semble vivre dans une autre réalité. Sous les pépiements de ces gens, la rude vie en sac Hermès et en robe pas encore en boutique. Parfois on a envie de les habiller en Kiabi...et je reste gentil..

mercredi 5 octobre 2016

Vers les ourses polaires de Tim Dup


Alors que la presse qui compte grimpe au rideau en écoutant le groupe "la femme" ( pas sûr que le rideau à l'apparence frêle et hasardeux  soit bien solide), ou que d'autres écoutent ad libitum Marvin Jouno ou les nouveaux Delerm, Frère Animal, Julien Doré, se faufile dans le paysage mouvant de la chanson française un petit nouveau qui fait déjà pas mal parler de lui : Tim Dup.
Timothée Duperray de son vrai nom, 21 ans, prend quotidiennement le TER centre depuis Rambouillet pour suivre de brillantes études parisiennes. De ces trajets, principale source d'inspiration,  il a composé, écrit et enregistré le printemps dernier un premier titre intitulé évidemment "TER Centre", titre mélancolique, où son sens de l'observation, associé à une écriture énergique et empathique, lui a permis de se faire remarquer très vite. Fin août est sorti un premier EP de 4 titres ( 3 chansons et un instrumental) qui ne fait que confirmer la première bonne impression. Très vite les qualificatifs et les comparaisons ont fleuri.  Emule de Gainsbourg et de Ferré, nouveau Fauve à lui tout seul ( déjà !), les observateurs n'y vont pas de main morte, cherchant toujours la formule idéale pour attirer les regards et l'oreille sur un jeune artiste.
Bien sûr, le jeune homme s'accompagne au piano, on ne peut donc pas le comparer à Kendji mais plus à Delerm, Biolay et autres Beaupain et ça, même pour moi, cela donne un côté Chanson Française de qualité  (j'y ai mis des majuscules) et vous pose un artiste. (Jennifer ne joue pas de piano...). A l'écoute, le charme agit, les mélodies simples et efficaces accrochent, les arrangements, sans être follement originaux, habillent avec discrétion l'ensemble. La voix, pas encore totalement assurée, que certains comparent à celle de Balavoine, cousine plus avec celle de Vianney.
Maintenant que les projecteurs mettent en avant ce jeune talent, on le suivra avec intérêt. Son EP entre dans ma play list d'automne, un passage à un de ces concerts pour découvrir un peu plus de son univers me semble indispensable. En tous les cas, une jolie découverte pour accompagner notre rentrée, se pare des atours d'une bonne nouvelle.


mardi 4 octobre 2016

Repose-toi sur moi de Serge Joncour


Attention aux lecteurs sensibles et fans de Serge Joncour ( ils sont très nombreux), je vais dire un peu de mal d'un livre écrit pour faire du bien. "Repose-toi sur moi" se range dans cette catégorie vedette des romans plein de sensibilité où une histoire d'amour va nous être narrée façon impressionniste, en l'enveloppant d'une multitude de touches de notre quotidien, souvent finement observé. Dans ce genre on trouve, entre autres, Anna Gavalda, Jean-Paul Didierlaurent ou Agnès Ledig qui reste la dernière qui m'ait fait craquer avec "Juste avant le bonheur" ( peut être a-t-elle eu la chance de bénéficier d'un moment particulièrement réceptif de ma part).
Pour l'ouvrage qui nous occupe, il faut que je sois objectif. L'écriture est fluide, coule bien, c'est très agréable à lire. On peut sourire, se régaler d'un détail, d'une scène, se vautrer même avec délice dans un passage bien vu et bien fichu. Tout se tient presque parfaitement sauf que, hélas pour moi, les clichés habituels du genre se ramassent ici par bennes entières.
Ca commence comme une intrigue Harlequin. Ils se rencontrent et dès le premier regard, ils se détestent. Ok, on a compris, dans 400 pages ils seront ensemble. La seule originalité ( si c'en est vraiment une ) est que c'est elle qui est riche et lui le pauvre. En gros, une styliste de mode tombe raide dingue ( pas tout de suite, mais ça arrive vite quand même) d'un mec qui doit recouvrer des dettes chez des particuliers. Grosso modo, c'est comme si Inès de la Fressange se pâmait devant moi. Je ne serai pas contre, mais bon, je ne vis pas dans un roman de Mr Joncour. D'ailleurs, à ce propos, les problèmes d'entreprise de l'héroïne, Aurore Dessage, ressemblent beaucoup à ceux qu'a connu l'ex égérie de Karl Lagerfeld. Donc Aurore est riche, mais malheureuse et bien faible tout de même, l'éternel féminin quoi ! Comme il ne faut pas sortir des rails du genre, le mec lui est une armoire à glace, froide en dehors mais avec coeur gros comme ça et un lourd passé émotionnel! Vous pensez bien qu'un gringalet, même teigneux, n'avait aucune chance de pouvoir partager la couche de la dame. Donc petit à petit, ils vont s'apprivoiser, s'aimer, se poser des questions et se trouver embringués dans une histoire économico-industrielle qui vire au polar (et qui reste la partie la moins convaincante de l'ensemble). Passeront avec eux des thèmes aussi variés que les pesticides, l'opposition ville/campagne, la réussite véritable tue l'amour, la pauvreté dans les banlieues, le surendettement, la solitude des personnes âgées, l'allergie au gluten ...heu non,... pas ça tout de même, il faut rester dans les bons sentiments s'il te plaît. Avec tout cet attelage, le roman chante la complainte douce et empathique d'un monde difficile qui heureusement peut encore permettre à un amour sublime de naître. Les héros traverseront des épreuves, des moments de doute, feront l'amour sauvagement ou langoureusement et.... Je ne raconte pas la fin, vous serez peut être surpris... Partiront-ils ensemble main dans la main chez Monop acheter des légumes bios? Reprendront-ils seuls leur route, cet amour éphémère tapi au fond de leurs coeurs si fragiles ? Feront-ils ménage à trois avec le beau mari d'Aurore ? ( Le héros est veuf, le quatuor ou l'échangisme étant impossible).  Je ne dis rien, je vous laisse découvrir, tout à votre aise, "Repose-toi sur moi", confortablement alangui sur une méridienne, auprès d'un bon feu, votre matou ronronnant à vos pieds.
C'est une lecture facile, agréable, qui plaira très certainement à beaucoup. Personnellement, j'attends d'être ému certes, mais aussi étonné, surpris, pas posé sur l'autoroute bien linéaire du roman de gare.  Même si une vraie empathie se dégage du livre, tout est hélas noyé et perdu dans une trame on ne peut plus simpliste et stéréotypée. C'est bien beau d'unir les princesses et les bergers, mais en 2016 cela m'étonnerait que cela se déroule ainsi... Avec Tindr peut être pour un plan anonyme, mais entre voisins d'un immeuble parisien où les standings sont bien séparés, j'en doute un peu. Oui, je sais, j'ai perdu mon coeur de midinette ! 

lundi 3 octobre 2016

Dogs de Bogdan Mirica


Si lors d'un moment d'égarement sur un site de locations saisonnière, vous tombiez sur la fermette qui répond à votre recherche de tranquillité et qu'elle se situe en Roumanie, fuyez ! Sa campagne rase, aux herbes folles  ne possède aucun charme, tout comme nous le montre le splendide plan d'ouverture de "Dogs" : quelques pousses rares, des bouts de bois aux allures de pièges à lapins bricolés à la hâte, que balaye une caméra qui finit par survoler une étendue d'eau saumâtre, couverture d'une verdure peu ragoutante et d'où émerge dans une gargouillement sinistre une simple chaussure remplie du pied de son propriétaire. Le ton est donné. On va pas rigoler.
Et on ne rigole pas ! Roman a hérité d'une ferme et des 550 hectares de prairies alentours et désire s'en défaire bien vite. On le comprend, lui, jeune homme moderne habitant la capitale, se retrouver dans une habitation quasi insalubre où l'eau courante est rare, ça vous donne envie de prendre vite fait la poudre d'escampette. L'endroit est sinistre, mais rudement bien placé, car jouxtant une frontière. Et, c'est là un autre défaut, le lieu devient, la nuit tombée, le théâtre de réunions de 4x4 avec pare-buffles qui fleurent plus la mafia locale que la réunion du club de crochet local. Perso, je me serai barré vite fait, mais je en suis pas courageux comme un héros de film. Roman flaire que tout cela est nauséabond et franchement glauque, mais reste. La suite donnera raison à ma couardise et me clouera sur le fauteuil.
Bogdan Mirica, le réalisateur, va sans doute s'ajouter à la petite liste de réalisateurs roumains que l'on va suivre. "Dogs", son premier film, admirablement cadré, aux relents des frères Coen qui auraient digéré Sergio Leone, installe un climat de plus en plus lourd au fur et à mesure qu'il avance. La caméra prend le temps de scruter ses personnages ( trop parfois peut être, notamment la scène de l'extraction du pied de la chaussure). Cette lenteur, un peu western spaghetti, surtout plaquée dans des paysages d'herbes sèches, crée un climat pesant et malsain. La tension était palpable dans la salle car on pressentait que le film était capable de tout. Sans tomber dans le gore véritable, "Dogs" tient ses promesses, balançant évidemment une métaphore guère glorieuse sur la Roumanie : la jeunesse rêve de lendemains plus dorés, les anciens ne veulent que rien ne bouge surtout quand la corruption les nourrit et la police ne peut que supporter cette gangrène qui asphyxie le pays et sans doute pour longtemps. Pauvre jeunesse roumaine !


dimanche 2 octobre 2016

Gai-Luron sent que tout lui échappe de Pixel Vengeur et Fabcaro

 

Lecteur de feu Vaillant, futur Pif gadget, ce qui du coup ne me rajeunit pas, Gai-Luron a de toute évidence bercé ma jeunesse. Et bien que son évolution quelques décennies plus tard en "Gai-Luron en slip'" ne m'ait un pas totalement convaincu, sans doute par la sexualisation soudaine d'un souvenir d'enfance, c'est quand même avec plaisir et curiosité que je me suis jeté sur ce retour en librairie.
Niveau dessin, rien à redire, Pixel vengeur fait un bon boulot, très ressemblant, avec une touche presque imperceptible de modernisation du trait bienvenue. Nous vivons au 21e siècle et c'est tout à fait de bon aloi. On notera toutefois, que le passage à des pages de neuf cases aèrent sans doute le récit mais lui enlève l'aspect foisonnant de l'oeuvre primaire qui, elle, jouaient avec douze. Ce qui a changé par contre, c'est la narration. D'histoires délirantes sur deux pages, nous passons à une multitude de formats, allant du comics en trois cases à la double page, essayant d'allier tout à la fois un thème narratif unique et un délire constant. Draguer très maladroitement Belle-Lurette, aidé par l'ineffable Jujube, devient le running gag de l'album, avec ce nombreuses incursions dans un absurde inventif mais sans doute un poil trop sage, comme si les auteurs étaient encore un peu coincés face au maître Gotlib ( le créateur de la série pour ceux qui ne suivraient pas ). Sans doute parce que l'époque est moins patiente, le texte est moins important, Ce qu'on perd en dialogues truffés de jeux de mots, on le regagne en dynamisme.
Mais je ne bouderai pas mon plaisir, ce retour est sacrément plaisant, drôle et amusant. Les deux auteurs de cette renaissance sont talentueux et cela se voit. J'attends donc avec impatience la suite, mais je lève mon doigt pour interpeller les concepteurs : Retrouvera-t-on Jean-Pierre Liègeois, l'inénarrable lecteur poseur de questions saugrenues? Cinquante après, j'en garde encore le souvenir amusé .... Sans doute correspond-il plus comme personnage au rythme de parution hebdomadaire de l'époque qu'à la réalisation d'albums aux sorties aléatoires...





samedi 1 octobre 2016

Aquarius de Kleber Mendonça Filho


Comment lors de vos dîners en ville, où, immanquablement, une page culturelle sera abordée lors de la dégustation de  la poêlée de girolles de saison accompagnant quelques émincées charolaises, donner envie à vos relations d'aller voir le magnifique "Aquarius", alors que la tablée semble plus tentée d'aller se détendre face au radin Dany Boon qui leur fait de l'oeil ? Exercice difficile et les questions perfides ne manqueront pas. Voici quelques éléments pour vous aider à y répondre.
 Quoi, 2h25 le film ?!! 
Quand un film est bon, on ne voit pas, sent pas le temps passer et ici, c'est le cas. A partir d'une histoire autour de la possible expropriation de la dernière propriétaire d'une résidence appelée à être relookée par un promoteur immobilier aux dents longues, Kleber Mendonça Filho possède ce talent rare de filmer le quotidien de son personnage principal sans jamais ennuyer car, en plus d'un suspens latent, dans le cadre, sont constamment glissés des éléments qui attirent l'oeil, attisent l'esprit et créent au final un concentré de détails qui forment un tableau extraordinairement plus complexe que pouvait le laisser imaginer la situation de départ. Vous ajoutez à cela que nous sommes au Brésil en train de suivre une femme pour qui la musique fut un moteur de vie et vous êtes en plus embringués dans un festival sonore mélangeant aussi bien bossa nova que le groupe Queen.  Belle histoire intense et bonne musique, je serai resté deux heures de plus !
Mais c'est l'histoire d'une vieille, j'ai envie de rêver moi ! 
Bon, la "vieille", c'est Sonia Braga, la Brigitte Bardot brune et brésilienne, mais qui a formidablement bien vieilli. A l'écran, elle a une beauté à tomber par terre, une présence magnétique. Et pour ce qui est de son histoire dans le film, elle peut en remontrer à tout un tas de petites jeunes qui passent leurs loisirs chez HetM et devant " The voice". Et l'on peut rêver face à son histoire et à ce qu'elle vit. Femme de caractère et de combat ( sa lutte contre un cancer 30 ans plus tôt lui a fait perdre un sein), elle entre dans une guerre ferme et intelligente contre un libéralisme qui gangrène le pays tout en n'hésitant à se payer un gigolo pour assouvir un moment de désir sexuel intense ou faire la fête dans une boîte de nuit.  Libre et intransigeante, le personnage, complexe et porteur également de toutes les contradictions d'une société bourgeoise brésilienne, qui n'en a pas fini avec le racisme ordinaire et la domination qui en résulte, assume avec force et beauté son âge. A l'écran, c'est sans doute la plus jeune de tous et très certainement le plus beau portrait de femme que l'on ait vu depuis des mois au cinéma.
Et du toute façon, le film n'a rien eu à Cannes, il ne doit pas être si bon que ça !
Là, il faut savoir jouer fin, car l'argument est réversible. Un prix à Cannes peut servir aussi de repoussoir, collant une image intello à toute oeuvre présente sur la croisette, donc rasoir. Et quand elle est au palmarès, cela peut être pire ! Les lointaines palmes d'Angelopoulos ou d'Apichatpong Weerasetakul ont pu laisser des traces fort ennuyeuses. Sans aller dans la perfidie extrême qui consisterait à dire que les absents du palmarès sont évidemment les films les plus populaires et faciles ( ce serait mettre l'épouvantable " Mémoires des pierres" au même niveau qu'"Aquarius"), il vaut mieux placer le film dans la catégorie " jeune réalisateur prometteur et novateur qui a des choses à dire mais pas encore bien introduit dans le sérail".  On peut aussi ajouter que cette année le jury de Cannes n'a guère été inspiré, cédant trop facilement à l'épate ou au consensus mou. Sans citer tous les grands films qui ont été snobés et repartis sans l'ombre d'un trophée depuis des décennies, on pourra dire qu' "Aquarius" est LE film injustement oublié... et là, on en appelle au Robin des bois ou au Zorro qui pourrait encore sommeiller dans l'esprit des convives.
Moi, je vais au cinéma pour me détendre, pas pour que l'on m'agresse avec  toute la misère du monde !
On respire un bon coup et on range son habituel discours que le cinéma c'est un art qui est là pour nous parler, parfois très profondément... Pour ne pas passer pour un disciple de Télérama avec les Inrocks en intraveineuse, on appuie là où ça fait un peu mal. Quand on a râlé de ne pouvoir aller aux jeux de Rio parce que c'était trop cher, quand on envie V. qui lui y a passé 3 semaines et nous bassine avec sa connaissance du Brésil comme s'il en été natif, on précise ingénument qu'"Aquarius" est un concentré de la vie brésilienne, de ses travers, de ses habitudes, sans le folklore habituel. Il nous parle mieux qu'un documentaire d'une société subissant de plein de fouet les assauts d'une modernité teintée du libéralisme le plus outrancier et sans jamais appuyer le propos, avec la finesse d'un grand portraitiste. Exit la trop présente Rio de Janeiro, l'action se déroule à Récife, ses plages, sa douceur de vivre apparente, sa dureté aussi. Bref de quoi participer à une conversation digne de ce nom sur cet immense pays sans y avoir vécu. Aquarius, c'est un vrai voyage dans un fauteuil pour le prix d'une place de cinéma. Les radins apprécieront, mais les curieux aussi ! Et portons l'estocade finale, en précisant que ce film est un hymne à la vie, la passée et l'actuelle, qui, intimement liées par le regard empathique et sincère du réalisateur, réchauffe la tête et le coeur par une riche puissance narrative.
Qu'on se le dise "Aquarius " est une oeuvre à ne pas rater !