mercredi 12 novembre 2014

Joseph de Marie-Hélène Lafon


J'avais énormément apprécié le précédent roman de Marie-Hélène Lafon "Les pays", paru l'an passé. C'est donc avec envie que je me suis plongé dans "Joseph" son petit dernier. 
Joseph est un vieux gars, ouvrier agricole d'une cinquantaine d'année. Il est l'employé taiseux d'un couple d'agriculteur en train de passer la main à leur fils aîné. Plus bête de somme qu'être humain, Joseph travaille, mange avec ses patrons, le bout des fesses posé sur une chaise, pour vite rejoindre sa chambre meublée du strict nécessaire. Là, il trouvera un repos bien mérité. Allongé sur le dos, les mains de chaque côté du corps, il dort pour se réveiller le lendemain et recommencer son travail.
Avec un tel personnage, il ne faut pas chercher le grand romanesque. Nous sommes dans l'infiniment petit où quelques objets rangés dans le tiroir d'un buffet de cuisine font figure d'éléments fictionnels sensés nous plonger au plus près de l'âme des personnages. C'est le but de Marie-Hélène Lafon, accrocher son lecteur avec une multitude de petits détails que l'on perçoit sans jamais réellement les formuler mais qui sont l'essence même de la vie. Dans ce genre là, elle est une grande observatrice doublée d'une formidable technicienne de la phrase longue et enveloppante. 
Avec " Les pays ", l'an dernier, j'employais le terme de "délicate" et "subtile" pour son écriture, alors qu'aujourd'hui je parle de "technicienne", avec tout ce que ce mot évoque de froideur. J'ai eu l'impression cette fois-ci que les longues et belles phrases admirablement construites n'étaient pas en adéquation avec Joseph, tellement humble. Sa simplicité apparente, cette vie de peine et de peu dans un monde agricole vieillissant, n'ont que faire des méandres de cette belle écriture descriptive. Du coup, Joseph se fait facilement la malle ou tout du moins se fond dans le paysage décrit, comme il a sans doute presque toujours fait. Marie-Héléne Lafon, essaie de nourrir ce personnage en décrivant longuement le monde qui l'entoure, rapportant des faits divers et variés dont il est sensé se souvenir, les petites habitudes de la campagne. Il n'y a pas de chronologie, les événements se présentant au gré du moment ou de son humeur. Cette construction un poil sophistiquée n'apporte pas énormément d'éléments pour densifier Joseph et lui donner un vrai caractère, lui proposant seulement un cadre. D'ailleurs Joseph est-il vraiment le personnage central de ce livre ? N'est-ce pas plutôt la vie à la campagne ? Et quand dans la dernière partie du roman, l'auteure finit par s'intéresser enfin à lui, à son passé, c'est soudain un peu trop rapide et laisse un sentiment de flou. Oui Joseph est sûrement plus complexe et plus vivant dans sa tête que ne le laissait supposer la morne vie décrite au début. 
Si le portrait de Joseph m'a paru un peu raté, il me faut quand même reconnaître qu'il reste de très belles choses dans ce roman. Marie-Hélène Lafon est surement la romancière la plus pertinente pour décrire ce monde paysan appelé à disparaître, faisant presque figure d'ethnologue tellement son regard est juste et précieux. Joseph a peut être encore une fois évité le regard des autres mais le roman arrive tout de même à toucher en nous le descendant, même éloigné, d'un paysan. 

lundi 10 novembre 2014

Mon imagier après la tempête d'Eric Veillé


Ce qui est formidable en littérature jeunesse, c'est que la création et l'inventivité ne s'arrêtent jamais. Prenez, un genre des plus basiques, l'imagier. Quoi de plus banal que ces petits albums qui apprennent aux enfants le nom des choses qui l'entourent ? On croyait avoir vraiment fait le tour de la question. Chaque grand auteur s'y étant frotté avec plus ou moins de bonheur. Chaque éditeur ayant proposé des imagiers de toutes sortes, toutes formes. Les plus créatifs ayant également joué et détourné le genre à l'infini, du plus rigolo au plus pointu voire au plus abstrait. Mais on n'en avait pas encore eu un aussi drôle, aussi créatif que celui que nous propose Eric Veillé cet automne.
La formule est simple. Sur une double page, vous avez sur la page de gauche un imagier normal autour d'un thème, sur la page de droite vous avez les mêmes images mais après quelque chose. Et là, tout change forcément.Vous ne comprenez pas bien ? Regardez cette double page hilarante sur le thème de la piscine :

Ce sont les mêmes mais ils ont pris un autre nom et une bonne grosse dose d'humour au passage. 
Je ne voudrai pas faire mon pédagogue, mais cet imagier est une mine, un concentré de notions à apprendre sans peine, avec humour et surtout avec un grand plaisir. Hormis le vocabulaire, votre enfant apprendra  mieux  que 50 exercices formatés de fichiers pédagogiques vendues à prix d'or dans le rayon parascolaire (rayon qui sert plus à arrondir le chiffre d'affaire des librairies qu'à rendre votre enfant intelligent), à appréhender la notion d'après, ainsi que de pouvoir exercer son imaginaire tout en comprenant la notion d'ellipse ... Quoi de plus drôle que d'imaginer ce qu'il a bien pu se passer entre les deux pages ? Surtout qu'Eric Veillé, loin d'être sage, nous propose des situations délirantes ou décalées et déjà drôlissimes dès le départ. 
Aussi rigolo pour les enfants que pour les parents, cet "imagier après la tempête " est du genre à ne jamais être abandonné. Il est certain qu'il ne se retrouvera jamais dans le carton d'objets divers dont vous ferez don à l'école de votre quartier lorsque votre petit dernier sera déjà au bord d'acheter (en cachette)  sa première bouteille de vodka pour son goûter d'anniversaire. En effet, je l'ai testé, quelque soit l'âge du lecteur (oui même un ado ingrat !!!), tout le monde prend plaisir à feuilleter ce livre cartonné. Son joli dessin à la ligne claire passera sans nul doute le temps et son humour plein de deuxième degré est un régal ! 
Cette petite merveille drôle et créative est à conseiller à partir de 3 ans et est éditée par cette excellente maison qu'est Actes Sud au prix de 12.50 euros!



samedi 8 novembre 2014

Un océan d'amour de Wilfrid Lupano et Grégory Panaccione


Il est un fait certain que j'adore les sardines. Un autre fait tout aussi certain est que Wilfrid Lupano peut sans conteste être classé parmi les meilleurs scénaristes au monde. Donc, si vous suivez bien, un album scénarisé par ce dernier et présenté comme s'il s'agissait d'une énorme boîte de sardines de 900 g (poids indiqué sur l'emballage), ne pouvait que m'intéresser. 
Quand on ouvre la boîte, il fait nuit. C'est le petit matin. Un pauvre petit pêcheur se réveille dans les effluves d'une bonne galette de sarrazin que son imposante épouse bigoudenne lui prépare dans leur petite cuisine. Il grimpe ensuite à bord d'un petit rafiot dont le produit de la pêche ne doit guère enrichir grand monde. Le décor est posé, nous sommes avec des petites gens qui vivent petitement une petite existence faite de petits rien. Et soudain, l'immensité du monde va leur être imposé. Un gigantesque navire de pêche va prendre dans ses gigantesques filets le petit chalutier et ce sera le début d'une aventure extraordinaire. Pendant que le petit pêcheur se retrouvera seul, perdu au milieu de l'océan, affrontant tous les dangers maritimes, des pirates jusqu'aux tankers qui dégazent, son épouse, dorénavant considérée comme veuve, partira contre vents et marées à la recherche de son mari. Elle affrontera le monde moderne des loisirs et de la futilité fashion, croisera Fidel Castro et connaîtra son quart d'heure de célébrité...
Cet album est de toute évidence une boîte de sardines de grand luxe. Tous les ingrédients sont de grandes qualités et le plaisir éprouvé lors de la dégustation intense. J'entends déjà certains dire que 24,95 euros pour une boîte de petits poissons c'est un peu cher surtout pour une histoire sans texte ! 
Que nenni ! Cet "océan d'amour" est une boîte magique car, une fois dégustée, elle peut toujours et encore nous nourrir car, elle ne se vide jamais. Merveilleusement mise en images par Grégory Panaccione, l'histoire supporte sans problème de multiples relectures, permettant de découvrir chaque fois, au coin d'une case, un détail savoureux ou tendre, qui avait échappé à notre attention, tellement on était embarqué par l'histoire. La mise en images, très cinématographique, alternant les doubles pages époustouflantes avec un découpage qui parfois prend son temps pour magnifier des moments tendres ou drôles mais qui sait aussi s'emballer quand l'action est là, tire cette histoire vers le sublime.
224 pages de pur bonheur et, c'est une prouesse, elles peuvent être lues de 7 à 107 ans (oui, l'espérance de vie s'est prolongée depuis les années 50/60, époque de ce slogan ) !
PS : Si vous avez aimé la mouette de Gaston Lagaffe, je vous mets au défi de ne pas adorer celle qui accompagne le héros de cet album... Je n'en dis pas plus, lisez "Un océan d'amour" !






vendredi 7 novembre 2014

Une nouvelle amie de François Ozon


Beaucoup de bruit autour du nouveau film de François Ozon.... à cause du sujet bien sûr, un poil sulfureux, voguant dans les zones sensibles d'un débat sociétal actuel. On y aborde donc le travestissement, le genre, on flirte avec des questionnements sur la sexualité bref, " Une nouvelle amie " semble souffler sur les braises de la discorde du moment.
Ça, c'est ce qui transparaît dans les médias depuis une semaine.  La critique, de plus en plus bienveillante avec le réalisateur, applaudit des deux mains. Il faut l'avouer, il y a dans ce film un des ingrédients principal qui fait monter les critiques aux rideaux : les références !  Là, Ozon n'a pas lésiné. On le savait grand fan de Douglas Sirk et de ses mélos, il y est abondamment cité. Mais on peut aussi y trouver, en vrac, des clins d'œil à Truffaut, Éd Wood, Todd Haynes, Almodovar. même à Xavier Dolan ( c'est fun non ? ) mais également à lui même, certaines scènes rappelant furieusement pas mal de ses films ( Potiche, 8 femmes, Ricky, entre autres) . Alors avec tous ceux là ( et d'autres sans doute),  il est facile d'écrire tout un tas de fariboles toutes plus pointues et intelligentes les unes que les autres, mais qui ont pour fâcheuse tendance de camoufler parfois quelque peu la réalité du film.  Ce genre de propos s'adresse en premier lieu au public cinéphile qui, pense-t-on, adore jouer à rechercher les hommages .... C'est un jeu comme un autre, cela ne faisant pas pour autant les bons films.
Donc au milieu de ce dispositif de références, il y a une histoire, dont le point de départ est connu de tout le monde. Un jeune veuf, afin de rassurer son bébé désormais orphelin, revêt les vêtements de son épouse au moment de le nourrir. Surpris par la  meilleure amie de la défunte, il finira par avouer avoir toujours aimé se déguiser en femme et profiter de cette occasion pour assouvir ses désirs. Entre ces deux personnages, une relation ambiguë va naître. L'un assumera de plus en plus son goût pour le travestissement et l'autre accentuera sa féminité pour le moins mise en quarantaine depuis sa naissance. Répulsion, incompréhension, attirance, ambivalence, l'histoire va explorer ce territoire de l'intime, par petites touches, sans jamais vraiment approfondir, en finesse mais aussi en gommant systématiquement le côté militant et surtout réaliste de la chose. On est clairement dans le mélodrame. C'est d'ailleurs annoncé dès les premières minutes  dans une longue scène tellement dégoulinante de clichés et de guimauve autour des années d'enfance et d'adolescence des deux amies, que la suite pourrait paraître presque sobre.
Je dis presque car, en plus d'un décor à la " Desperate housewives" , l'image est particulièrement travaillée et surtout composée avec grand soin , passant d'une douceur angélique à une esthétisante froideur glacée, nous signifiant sans détour que nous sommes dans une fiction hautement romanesque. A mi chemin entre le drame et la comédie, le film hésite constamment à verser dans un genre ou dans l'autre, contrairement aux personnages qui eux vont accepter toutes leurs ambiguités. Et si le film arrive à être intéressant, c'est qu'au milieu de ce dispositif hésitant (pour ratisser plus large ? ) il y a Romain Duris et Anaïs Demoustier tout simplement extraordinaires. A eux seul ils donnent à cette histoire une épaisseur que le traitement mélodramatique rabote constamment. Lui, est totalement crédible et émouvant en père qui aime se travestir et ce, malgré l'outrance de certaines tenues. L'interprétation exceptionnelle de Romain Duris aussi sobre que ses tenues sont extravagantes, évite l'obstacle de la caricature et est au diapason de celle d'Anaïs Demoustier qui enfonce encore une fois le clou pour prouver qu'elle est surement l'une de nos grandes jeunes comédiennes actuelles.
Pour eux et aussi pour la petite provocation du projet (ainsi que la scène finale, joli pied de nez aux rétrogrades), "Une nouvelle amie " peut être vu. Cependant son traitement kitchissime, un peu facile et assez mièvre, en plus de diminuer la portée du propos, aura certainement un côté agaçant pour certains spectateurs.
   

mercredi 5 novembre 2014

Pars avec lui d'Agnès Ledig


De manière tout à fait inattendue, j'avais bien aimé le précédent ouvrage d'Agnès Ledig " Juste avant le bonheur ". C'est donc avec un bon à priori, et passant outre cette couverture fleurant l'eau de rose et ce titre très Marc Lévy, que je me suis plongé dans "Pars avec lui".
Je ne sais pas si c'est une question de moment ou de pensée positive, mais, je l'avoue les cents premières pages m'ont emporté. Je me suis laissé embarquer dans cette rencontre hautement improbable de Roméo, pompier ayant fait une chute du haut de sa grande échelle avec Juliette, l'infirmière qui va s'occuper de lui dans le service de réanimation. Il fallait oser. Agnès Ledig l'a fait et ça passe. En quelques chapitres courts, elle plante le décor, présente ses personnages, les enveloppe dans une réalité teintée d'entraide et de bons sentiments, flirte avec les grosses ficelles mais sans jamais être lourde, car mêlées avec un regard assez pointu sur le quotidien. C'est léger mais finalement tellement plein de bon sens et d'humanité que l'on a envie de poursuivre la lecture. J'ai été touché car c'est écrit avec sincérité et avec la verve des conteurs de talent.
Et puis, petit à petit, la magie opère de moins en moins. Les personnages, taillés d'un seul bloc, finissent par aller là où l'on pense. Ils sont tous bourrés de bons sentiments. Ils peuvent avoir un peu fautés, ici s'être tapé tous les gars du collège pour le personnage de la soeur adolescente de Roméo, la vie les redirigera vers un chemin plus calme, parfois faussement provocateur. Ils ont tellement d'amour et de tendresse en eux qu'il est évident que, malgré quelques embûches ( c'est normal, on est dans un roman), la vie finira par être bonne fille. Au milieu de cet océan de bons sentiments, il y a un peu de noirceur, un compagnon ignoble, la perte d'un enfant, le suicide d'un aïeul, mais cela ne suffit pas à rendre le livre vraiment profond. On est dans un parcours balisé et un peu trop convenu, contrairement à son précédent roman où, justement, les mêmes bons sentiments irriguaient les pages mais où  les personnages ne se dirigeant jamais là où l'on pensait...
Je peux toutefois reconnaître qu'Agnès Ledig n'a pas son pareil pour noter une foule de détails du quotidien qui rend cette lecture un peu moins anodine voire très attachante par moments. De plus, elle sait mener une intrigue, faire entrer en empathie le lecteur avec ses héros. Cependant, pour moi, cette fois-ci cela n'a pas fonctionné, trop de rose sans doute et surtout des personnages sans autres sentiments que les bons ( un rêve d'humains ) qui auraient gagné à être un poil moins monolithiques.
Lecture agréable au final, un peu trop légère et convenue à mon goût mais qui saura plaire à un lectorat recherchant un roman détendant, bien mené et sans prétention, et dans ce registre là, "Pars avec lui" est sûrement le plus sincère du moment.


samedi 1 novembre 2014

Ce n'est pas très compliqué de Samuel Ribeyron



Expliquer à un enfant de quatre ans qu'il recèle en lui des trésors d'imagination, c'est compliqué, surtout en peu de temps. Lui faire découvrir que l'amitié est une sentiment formidable et profondément ancrée au fond de soi, c'est aussi très compliqué. Quand on est parent ou éducateur, on rame parfois à faire passer ces notions subtiles, cherchant les mots, les exemples...
La littérature jeunesse propose souvent des solutions en essayant d'être un passeur, un activateur de neurones, avec des albums plus ou moins réussis, quelquefois un peu lourdauds ou trop obscurs, d'autres fois abusant inutilement de jolis lapins ou d'une symbolique manquant de finesse... ou alors tapant en plein dans le mille, de façon tout à fait simple et parlante. C'est le cas avec ce magnifique (oui, le terme est tout simplement exact ) album de Samuel Ribeyron.
Un petit garçon et une petite fille sont amis. Ils jouent dans une rue triste et l'égayent de leurs rires mais aussi de leurs dessins à la craie. Un jour, la petite fille demande au petit garçon ce qu'il a dans sa tête. Il ne sait quoi répondre à cette remarque un peu étrange pour lui. Une fois dans sa maison, pour répondre à cette question qui le turlupine un peu, il va aller y voir de plus près ( je ne dis pas comment) et il découvrira qu'il possède un trésor formidable. Il attendra la prochaine rencontre pour lui en parler. Mais il ne la reverra pas, un déménagement soudain ayant emporté son amie loin de la petite rue. Le petit garçon s'étonne de ne pas pleurer et se demande s'il a un coeur...
C'est album est un délice, une caresse d'intelligence et de beauté. D'une simplicité tellement évidente, il propose au jeune enfant de réfléchir sur lui même de la plus belle des façons, celle de l'intelligence du coeur. Sans jamais rien imposer, il s'adresse à lui avec respect et finesse et réussit à lui faire ressentir et à exprimer des sentiments que son âge ne lui permet pas souvent. Et pour couronner le tout, les illustrations sont de toute beauté, admirablement bien mises en valeur par un  grand format qui nous immerge dans le monde tout en tendresse de l'auteur.
Une véritable réussite à faire profiter aux enfants à partir de 4 ans.





vendredi 31 octobre 2014

Le gouvernement des émotions de Pierre Le coz


" Polémiques, faits divers, téléréalité… Partout, c’est l’émotion qui triomphe. Le pouvoir médiatique fait vibrer la corde sensible au rythme de stimulations sonores et visuelles qui produisent une véritable fièvre émotionnelle. Le pouvoir politique joue sur les mêmes ressorts."
Avec un tel constat et un sous titre "L'art de déjouer les manipulations ", c'est avec envie que j'ai lu cet essai de Pierre Le Coz, philosophe spécialiste de l'éthique. 
Partant du constat que les faits divers depuis dix ans occupent une place de plus en plus prépondérante dans les grands médias français, une info fortement émotionnelle succédant à une autre info toute aussi émotionnelle, Pierre Le Coz nous démontre comment notre jugement s'en trouve altéré. Insidieusement avec des informations anxiogènes, demandant réactions empathiques ou indignation, les médias, surtout audiovisuels, en jouant de plus avec un lexique minimal, nous entraînent sur des voies où la réflexion n'est plus sollicitée. A nous, les sentiments primaires de la colère, de la culpabilité ou de la peur. Aucune mise en perspective, aucune aide au jugement ne nous sera proposé, juste quelques orateurs aux discours véhéments ou outrés ou purement télégéniques participeront à un cirque émotionnel dont le but est d'entretenir le spectateur dans un brouillard émotionnel constant.
 Le constat est clair, la démonstration dans le livre, très documentée et évidemment d'une grande intelligence, l'est un peu moins pour un lecteur lambda comme moi. Si j'ai bien suivi la progression du livre , une émotion décryptée et analysée en amenant une nouvelle, elle aussi définie, démontée, les nombreux exemples illustrant le propos m'ont parfois paru, pour certains, un peu difficiles à suivre. Cependant, tous ces exemples, empruntés à l'actualité récente, malgré un style de spécialiste, apportent à cet essai un intérêt indéniable.
Tout en étant plus ou moins conscient de cet état de fait, les solutions proposées pour les déjouer ne sont pas nombreuses. Elles se résument à trois grands préceptes : savoir repérer la manipulation émotionnelle, connaître tous les rouages inhibiteurs et tous les cheminements de nos émotions et surtout multiplier les points de vue, "chercher d'autres sources d'expressions de la sensibilité dans la culture, les arts, la littérature et la philosophie". En un mot : ne vous informez pas sur les écrans vous éviterez des stimulis inutiles, prenez du recul et du temps pour réfléchir, pesez le pour, le contre et n'obéissez pas à vos premières émotions, toujours mauvaises conseillères surtout quand elles sont manipulées par des spécialistes de la dialectique. 
On ressort de la lecture de cet essai un peu ébranlé, surtout après avoir découvert, dans l'exposition sur des thèmes récents comme le mariage pour toi, la GPA ou la conservation des ovocytes combien le débat à été confisqué, dénaturé et surtout cantonné à ne développer que quelques éléments épars et pas les plus importants. A vouloir vulgariser, en jouant sur les émotions, le débat dans nos sociétés oublie constamment la complexité des choses. C'est un danger pour nos démocraties. Heureusement que des hommes veillent encore pour nous le rappeler. 

jeudi 30 octobre 2014

Vie sauvage de Cédric Kahn


Une femme fuit une sorte de campement nomade avec ses trois garçons et se réfugie dans le pavillon coquet chez ses parents. Un homme, son compagnon,vient négocier le retour de sa compagne pour finalement repartir avec deux des trois enfants qui l'accompagneront durant une dizaine d'années dans une vie faite de cavale, de campements rudimentaires et de maisons en ruine isolées. Refusant les normes d'une société qu'il exècre, Paco fera vivre une enfance hors cadre à ses fils pendant qu'au loin la mère se bat pour les récupérer.
Basé sur une histoire vraie, "Vie sauvage" m'a fait penser à un sandwich et plus précisément à un de ces double big machin de chez MacTruc...vous savez, ceux qui, dès que vous y mordez dedans, laissent échapper de leur garniture pour vous saloper votre pantalon. Drôle d'idée me direz-vous pour un film naturaliste, dont le héros refuse tous ces produits immondes d'une société de consommation pourrie. En fait, en y regardant bien, tout dans le film induit à cela ! Sa structure tout d'abord. Le film débute par une scène haletante, filmée à l'épaule, où la caméra suit Céline Sallette affublée de dreadlocks fuyant un campement boueux. C'est nerveux, brut, comme dans un film des Dardennes...(Ah mais ce sont eux les producteurs du film !.. ) Et il finit pareillement avec le retour de la comédienne dans des scènes intenses. Entre ces deux moments, ce qui fait figure de garniture sont les 10 ans des enfants passés avec ce père aux idées radicales. La caméra se fait moins nerveuse, plus douce en fait, jouant avec la nature et le soleil. Ca dégouline un peu, dans le sens où malgré la dureté de cette vie de parias volontaires, le réalisateur semble y trouver une certaine poésie, s'attardant notamment à filmer longuement des soirées musicales et festives autour d'un feu. Entre le folklore hippie et les problèmes du père pris en sandwich (on y revient) entre ses pensées utopistes et une réalité qui n'hésite pas à se rappeler à lui, le film s'attache à garder une certaine distance. Epousant tour à tour les points de vue de chacun des protagonistes, Cédric Kahn ne juge jamais, livrant au fur et à mesure des éléments étayant notre réflexion. En bon cinéaste gourmet, il ajoute dans son sandwich de bons ingrédients mais, hélas, la garniture n'arrive pas à avoir la saveur qui donnerait à l'ensemble un goût fantastique.
Je suis resté un peu sur ma faim. Bien joué certes, agréable à l'oeil, la distance voulue et assumée du réalisateur empêche peut être le film de décoller vraiment. C'est très bien filmé façon Dardennes mais sans pour autant devenir inconfortable pour le spectateur ( sauf un peu dans les dernières scènes). Si l'on veut jouer le cinéphile, "Vie sauvage" en traitant encore une fois du thème de la rupture et amoureuse et sociale, s'insère parfaitement dans la filmo de Cédric Kahn qui a souvent traité des histoires dont les personnages se retrouvaient un peu en marge. Mais malgré tout cela, je suis resté sur ma faim. Il manque, me semble-t-il,  un soupçon de folie ou d'irrévérence qui donnerait un caractère plus mordant à l'ensemble.


mardi 28 octobre 2014

Robot de Léo Timmers


Attention, Léo Timmers a encore frappé ! Planquez tous les objets métalliques de votre maison avant de mettre entre les mains de votre fille ou de votre garçon cet album tonique et stimulant, l'envie de jouer au petit inventeur ou la grande créatrice risque de sérieusement de démanger les mains de vos enfants ( ce sera toujours ça de gagné sur les écrans ).
Sam aime les robots et décide en cachette d'en fabriquer un. Un vieil aspirateur, un morceau articulé de lampe de bureau, un râteau et une vieille radio et le tour est joué, Franky est naît. Sam jubile, il a enfin un robot, un vrai, rien que pour lui. En plus Franky parle. Ok, c'est un sabir difficilement compréhensible mais on se comprend toujours quand on est de très bons copains. Mais Sam sait au fond de lui que cette amitié ne durera pas. Un vaisseau spatial viendra inévitablement chercher Franky pour l'emmener sur la planète robot. En attendant, ils jouent, ils s'amusent jusqu'à ce que...
Emballé, je suis emballé par cet album, vraisemblablement parce que j'y retrouve cet esprit un peu vintage des années 50/60 où l'on pensait que l'avenir grâce, à la science et aux robots, serait meilleur. Mais il y a aussi les illustrations de Léo Timmers, toujours aussi drôles et pimpantes. On est vraiment dans un univers enfantin, rempli de détails légers et incongrus qui donnent à cette histoire un caractère tout à la fois décalé et merveilleux. Et si l'on voulait pousser plus loin, on y trouverait sans doute un plaidoyer pour la liberté, voire un parfait exemple que l'attachement c'est bien, à la seule condition qu'il n'empiète pas sur le libre arbitre de l'autre.
Mais foin de théories, "Robot" est aussi un régal pour les yeux des enfants qui sauront y repérer tout un tas de détails rigolos ainsi qu'une invitation on ne peut plus malicieuse à être ce petit génie créatif, hors norme, hors mode qu'hélas on ne lui  laisse pas le temps d'être.
Album à partir de 4 ans.


lundi 27 octobre 2014

Charivari A l'envers et en concert



Pour mes lecteurs de France et d'ailleurs, Charivari est un groupe de mon coin, la Sarthe. Pour les bobos parisiens et d'ailleurs, sachez que la Sarthe est le berceau de talents aussi variés que Béatrice Dalle, Emmanuel Moire, Steevie et maintenant le groupe Charivari, car ce dernier, en plus d'un talent évident, a le bonheur d'enflammer toutes les salles où il se produit.
Mon aventure Charivari a commencé ce printemps avec l'écoute de leur nouvel album :"A l'envers", Après un premier opus aux morceaux un peu fragiles et à la production hésitante, lorgnant du côté de cette chanson française où l'accordéon voisine avec du reggae, leur nouvelle production prend une ampleur certaine. Arrangements plus soignés, chansons plus travaillées et plus profondes, il est certain que cette nouvelle production est beaucoup plus intéressante et fait même figure de petit bijou dans le catalogue itunes. Tout d'abord, la voix du chanteur, Yohann, qui peut chanter et donc enchanter le bottin, est judicieusement mise en avant. Contrairement à beaucoup de ces confrères quelquefois bien plus médiatisé, il a une voix, une vraie, juste et pouvant chanter n'importe quoi. Ecoutez-le dans la reprise " Les filles c'est fait pour faire l'amour" twist/rock endiablé puis dans la version acoustique du titre phare "A l'envers" et vous verrez que passer du rythme à l"émotion est facile pour lui mais surtout est crédible dans les deux genres.
Mais que serait la voix d'un chanteur, aussi bon soit-il, s'il n'avait pas de bonnes chansons à défendre ? Même si l'on peut trouver quelques textes pas assez fouillés, la plupart des titres, joliment orchestrés, accrochent l'oreille et donnent envie d'être réécoutés illico.
Il me restait pour me faire une idée complète du groupe, d'aller les écouter en concert, car les artistes, c'est sur scène qu'il faut les voir. Ce fut fait samedi soir, puisqu'après une tournée de quarante dates dans toute la France, ils étaient de retour dans leurs terres natales. J'en suis revenu, la voix cassée, les mains douloureuses d'avoir applaudi mais aussi accompagné le groupe et les jambes en bouillie après 20 minutes d'un twist endiablé. Les titres de l'album prennent une force inouïe sur scéne. Les six musiciens, un batteur, deux guitaristes, un trompettiste, un pianiste et le chanteur qui joue aussi du saxo (avec également  l'apparition d'un violoniste par moment ) ont littéralement enflammé la salle. Beaucoup de morceaux deviennent immédiatement festifs et dansants. Et lorsque le groupe propose des chansons plus douces ou mélancoliques, la voix du chanteur sait se faire tendre, émouvante, remarquablement accompagnée par ses acolytes qui savent lui offrir un très bel écrin. Ils osent même faire une reprise de "20 ans" de Léo Ferré  en version rock totalement bluffante.
Vous l'aurez compris, je suis conquis.  Si par bonheur, le groupe passe pas loin de chez vous, abandonnez The voice ou la nouvelle star et allez prendre un bon bain de musique et de chanson avec Charivari, vous ne le regretterez pas. Vous passerez à coup sûr une excellente soirée, même si vous ne connaissez aucune chanson, l'énergie et la bonne humeur du groupe vous emportera !


Les filles c'est fait pour faire l'amour 


Le temps de te revoir (avec Anaïs Delva)
Clip acoustique enregistré dans mon salon ... Mais n'y voyez aucune connivence. Je ne connaissais pas le groupe avant ce tournage ...Et si Tal ou Joyce Jonathan avaient tourné un clip chez moi, pas sur du tout que je vous en aurai parlé !

dimanche 26 octobre 2014

Magic in the moonlight de Woody Allen


La question de la semaine en matière de cinéma est habituelle : Il est comment le nouveau Woody Allen ? Puisque sont passées les vendanges et les foires aux vins, et que beaucoup parlent de cuvée, que peut-on dire de cette dernière récolte du célèbre cinéaste?
"Magic in the moonlight" a été élevé sous le soleil ardent des côtes méditerranéennes. Il est léger en bouche, le maître n'ayant eu guère d'imagination pour truffer ses dialogues de bons mots ou de phrases bien senties qui donnaient du corps à ses précédentes cuvées. Cependant, il reste fidèle à ses procédés de vinification, n'hésitant à réutiliser des recettes éprouvées comme la magie ou le marivaudage entre une jeune ingénue et un homme vieillissant. Après une accroche un peu ordinaire, le corps révèle une certaine âpreté en s'interrogeant sur les croyances voire la présence d'un dieu créateur. Mais la fantaisie du cinéaste finit par l'emporter au final, pour laisser en bouche un goût léger de rose, agréable mais pas bien original.
On s'apercevra que le maître sait s'entourer de personnes charmantes (Emma Watson), nouvelles ( Colin Firth ou délicieuses ( Eileen Atkins dans le rôle de tante Vanessa ), s'intégrant toutes parfaitement dans ce marivaudage au charme un peu désuet. L'habillage de ce cru 2014 est élégant, très années 20/30 et les couleurs joyeuses et tendres adoptées très flatteuses. La dégustation est bien sûr agréable et la légèreté de l'ensemble fait passer un bon moment mais n'arrivera pas à surpasser quelques crus précédents.


samedi 25 octobre 2014

The pale fox de Camille Henrot



Un peu à l'affût des nouveautés, je me suis rendu à l'espace Bétonsalon situé dans le quartier Bercy à Paris pour admirer la dernière installation d'une jeune artiste française prometteuse ( primée lors de la biennale de Venise en 2013), Camille Henrot.
A l'entrée on vous fournit un descriptif/ mode d'emploi de la visite, utile pour s'orienter ainsi que la revue du lieu, spécialement consacrée à l'événement, sorte d'opuscule très fifty et guère attrayant. Arrêt technique donc avant d'entrer dans l'exposition, intimé gentiment par le regard imprégné de l'hôtesse d'accueil. Si le descriptif se borne à énumérer une liste d'oeuvres, l'opuscule, parcouru en diagonale (parce que bon, 24 pages bilingues en petits caractères, ...) donne le vertige. Sont cités les Dogons et Bataille et mon oeil lit cette phrase : "Mise en scène d'une tentative impossible et fétichiste d'ordonner les idées et les objets, l'exposition n'offre pas moins un univers clos au potentiel libératoire d'un renard insatiable. " Tout de suite, je me suis senti concerné. JE suis le renard insatiable, assez tenté par les nouveautés ou les idées nouvelles (certains voient en moi un fennec, mais je ne vois pas pourquoi et en plus cette parenthèse est un clin d'oeil totalement personnel ). Cependant, avant de poser le pied dans cet univers de Mme Henrot, l'expression de doute ou d'échec de " tentative impossible" m'assaille et me fait présumer le pire. Et comme, cette installation est sensée être libératoire, je ne vous ferai donc pas grâce de tout mon ressenti de visiteur amateur.
On pénètre donc dans une grande pièce toute peinte en bleu, pas un bleu Klein mais un bleu pas vraiment flamboyant, sûrement le bleu Henrot. Une musique atonale nous enveloppe.( pauvres hôtesses qui ont ça dans les oreilles toute la journée !) Tout commence sur le mur Est avec un grand poster de bébé, quelques oeufs de manchot ( non je ne suis pas spécialiste en ornithologie, je sais simplement lire l'opuscule.... manchot? manchot...? y'a-t-il un signifiant jeunesse= manchot, maladresse...? humm je sens le concept entrer en moi) joliment disposés sur une sorte de présentoir en forme de vague, vague qu'on retrouve un peu partout sous forme dessinée, moulée, sculptée ou induite par la position des nombreux objets entassés ça et là.
D'autres moulages, une étagère en alu... Pas loin un store vénitien peint par l'artiste dont on se demande s'il fait partie de ce mur ou pas...( Un visiteur se débattant avec les feuillets de l'endroit murmure entre ses dents : " S'il faut toute cette paperasse pour faire comprendre au public le concept, c'est que c'est raté, une oeuvre est évidente, parle au visiteur ou pas !" ) 
Ne me laissant nullement influencé par ces propos acides, j'avise le mur Sud, celui où tout est sensé "se développer". Encore une étagère en alu ondulant sur un mur,( Elle l'a acheté chez Habitat ? me demandais-je. Et c'est alors que la douce voix de l'hôtesse qui doit savoir lire les pensées ou plus simplement habituée depuis deux mois à entendre les mêmes réflexions, me signifia que les présentoirs ont été conçus par l'artiste. Voilà une question évacuée rapidement. Si l'art ne marche pas pour Mme Henrot, la production d'objets designs chics et pas trop chers l'accueillera surement). Sur cette création murale des petites sculptures dogons ou pas, pointues ou ondulantes rappellent les salons chics d'appartements parisiens cossus. Honnêtement le développement m'a échappé et ce ne sont pas les feuilles blanches sur lesquelles étaient dessinées des formes asiatiques simples qui m'ont éclairé.
Il était donc temps de s'intéresser à cet amoncellement d'objets dans l'angle Sud/est. Au mur une photo de requin, une autre de tigre, un présentoir de posters comme à Auchan. Au sol, des tas d'objets divers, vaguement obsolètes, paraît-il achetés sur ebay, sont mélangés avec des petites sculptures ou moulages. Ce chaos semble vouloir être un signifiant zonant entre l'abus de biens inutiles accumulés par un humain consommateur et la dénonciation de cette méchante société de consommation qui nous abrutit tous. Ma réflexion fut troublée par l'arrivée insidieuse de la gardienne du lieu qui me précisa d'un air investi que si l'on ne pouvait rien toucher de l'oeuvre, les posters du présentoir étaient eux bel et bien consultables... ( Pour une meilleure compréhension de l'ensemble sans doute.... je pense que mon air de plus en plus dubitatif a du inspirer cette remarque dans le secret espoir de me remettre vite fait dans les rails de l'extase). C'est avec précaution que j'ai parcouru les photos de l'artiste présentées comme des posters pour chambre d'ados. Personnages sans tête, ils dévoilent un peu leur corps, car en tenue de sport ou maillot de bain. ????  Je me tourne alors vers le mur suivant, ayant déjà perdu tout sens de l'orientation, ne pouvant à la fois faire l'amateur d'art conceptuel et la boussole. ( Et non, je n'ai pas cette possibilité .... Je sens bien que c'est un handicap pour admirer de l'art contemporain) 
Le mur suivant est celui qui est sur la photo là haut... Un peu d'ondulation, un genre de collection présentée sur un support d'alu, Ce doit être ce que l'artiste appelle : " là où sont les limites..." Je m'interroge, reste perplexe... Ok, je suis limité, ce doit être ça la limite... ( Le grincheux de tout à l'heure passe rapidement en crachant : que du concept ! Rien à dire !) Je le regarde, regarde l'oeuvre et poursuit ma route.
Le dernier mur est plus sobre. Une longue étagère toute droite (avec une petite torsion en son milieu) sert de présentoir à quelques objets et à des photos ou cartes postales. Et soudain on bute sur une espèce d'objet roulant sur pied, mix entre un séchoir à cheveux de coiffeur et un projecteur de dentiste. En fait, c'est une loupe. En visiteur joueur, je mets mon oeil qui se bute sur un gigantesque sexe masculin en érection, la loupe étant réglée pour se diriger sur ce détail d'une photo érotique posée au mur. ( Le visiteur grincheux passa derrière moi en faisant la moue et en se moquant du concept, genre " vous êtes tous des voyeurs, voyez, je vous ai bien eu !" . Eculé !  rajouta-t-il à haute voix. )
Mon oeil survole un peu  ce dernier mur puis, je prends le temps de me positionner de façon à avoir une vue d'ensemble de l'oeuvre et m'en imprégner. Tout en ne perdant pas de vue le serpent mécanique qui ondule dans la salle, j'ai laissé entrer moi la couleur bleue, les vagues,... Pas d'extase, rien ne vint. Le monsieur grincheux avait surement raison : "du concept, rien que du concept". Pour ma part tout cela m'a paru, non pas vide de sens, mais ne répondant à aucune nécessité absolue, surfant dans une zone de faible turbulence. Aucune force ne se dégage de cette installation pédante et un peu prétentieuse, juste l'illustration banale de notre société de consommation... Et si c'était cela le concept, mettre en avant la vacuité de toute une partie de l'art d'aujourd'hui ? Dans ce cas là, je dis bravo, c'est bien réussi !
Pour vous rendre compte par vous même, cette installation est visible jusqu'au 20 décembre prochain et l'entrée est gratuite !

vendredi 24 octobre 2014

Bande de filles de Céline Sciamma


Vouloir réduire "Bande de filles" à une version de  "La haine", qui semble être le positionnement de pas mal de médias en ce moment, n'est pas rendre service à ce film. Certes une énorme énergie se dégage de l'ensemble, mais le projet est assez loin d'être un constat sur la vie des filles en banlieue. Le propos de Céline Sciamma est autre ou tout du moins bien moins réducteur. Le titre joue déjà  l'ambiguïté ."Bande de filles" peut également sonner comme une insulte proférée par une bande de cons ou une bande de ploucs. C'est sur cette notion de minorité sexuelle cherchant à s'émanciper que la réalisatrice développe son histoire. C'était la thématique de ces deux précédents films (les excellents "Naissance des pieuvres " et "Tomboy" ) mais ici, cela prend une dimension supplémentaire tant son choix des personnages et son immersion en banlieue donnent un caractère éminemment plus politique. Cette bande de filles, existe bien dans  l'histoire mais n'en est pas l'élément principal. Dès la deuxième scène du film, magnifique, nous en sommes avertis. Les filles enjouées et bavardes après une partie de football américain, rentrent chez elle, s'imposant sous les regards de quelques garçons qui traînent,  un silence de plus en plus grand au fur et à mesure de leur avancée dans la cité. Le constat ainsi posé, la réalisatrice va s'intéresser à Marieme (plus tard Vic). Elle a 16 ans, pas très bonne élève. Lorsque la proviseure du lycée l'oriente un CAP, elle sent bien que sa jeune vie prend des  rails guère emballants. Une rage toute intérieure naît dans la tête de cette jeune fille aux apparences très sages. C'est le moment où tout se joue pour elle. Elle refuse les codes que l'on veut lui imposer et va choisir la voie difficile de l'émancipation donc du combat. Elle fera avec les moyens du bord, s'engageant dans des impasses  dont elle saura au final en retirer le meilleur pour mieux avancer. Elle s'intégrera dans une bande de filles lookées, bling bling, à la supposée liberté. Elle y trouvera une forme de solidarité, d'amitié fraternelle mais en  sentira bien vite les limites. Son incursion dans un monde plus sombre, celui des trafics de banlieue, sera tout aussi vain mais aussi un creuset pour mettre son corps à l'épreuve, puisque afin d'éviter la prostitution, elle gommera sa féminité.
Pour mieux se concentrer sur le sujet, Céline Sciamma a éliminé des éléments trop clivants ou clichés, même si elle en joue parfois pour mieux les tordre. Ainsi pas religion, pas de police, pas de pères, peu d'hommes en fait, même si on sent leur regard et leur présence . Elle filme également la banlieue sans tags, comme un ensemble architectural aux formes sinon harmonieuses tout du moins esthétiques mais tout cela avec une énergie farouche et stimulante. D'ailleurs, pour son troisième film, la réalisatrice a particulièrement soigné l'image, ici de toute beauté, balayant d'un revers de caméra ce cliché de banlieues grisouilles, préférant les couleurs vives et claquantes à l'images de ses héroïnes. Certes on peut reprocher au film quelques scènes un peu trop longues ou à la crédibilité moyenne, mais que de talent et de culot réunis ! En filmant des filles blacks de banlieue, elle arrive à faire oublier leur origine, leur couleur de peau. Le spectateur ne voit plus que le portrait intime d'une fille d'aujourd'hui qui, dans un monde toujours aussi macho et peu accueillant pour les femmes, se bat pour obtenir la place qui lui revient, celle d'un être humain comme tous les autres, libre de vivre et d'agir selon sa conscience. En banlieue ou dans les quartiers bourgeois, blanches, noires, beurs, le combat est sensiblement le même, les moyens pour y arriver peuvent différer. Heureusement qu'il existe des films comme celui-ci pour faire passer le message et galvaniser les bandes de filles !
PS : C'est vrai que le film attire dans les salles un public de filles blacks. Lorsque je l'ai vu, elles étaient une dizaine par bande de deux. Hélas, toutes n'ont pas adhéré au film. Certaines sont sorties avant la fin. D'autres ont préféré ricaner en envoyant des textos. Le distributeur doit être content, les filles viennent... mais sans vouloir faire mon raisonneur bobo, je ne suis pas certain que le film leur parle réellement. Trop lent sans doute, pas monté comme un clip de Rihanna (malgré la jolie scène d'amitié au son de "Diamonds"), formaté quand même cinéphile, il ne s'adresse pas vraiment à tout le monde. Espérons qu'elles en retiennent l'essentiel et que la force et la beauté de certaines scènes (et notamment la dernière) s'impriment fort en elles.