Première étape : le lancement
L'école des Loisirs a sorti le 4 novembre un album sur lequel elle compte beaucoup : Le livre sans images, traduit de l'américain par Geneviève Brisac, excusez du peu. Le projet d'un album sans images, mettant en avant l'importance des mots écrits, de leur sens, et qui provoque le rire, ne peut qu'apparaître sympathique. Selon, l'éditeur, la tranche d'âge visée est 7/10 ans... Pourquoi pas ? Mais du coup, à cet âge là, on commence à savoir lire et les premiers romans, sans (trop) images sont légion. Ne chipotons pas et regardons la vidéo qui accompagne le lancement de cet album ( lien vers la vidéo ). On y voit l'auteur ( mais aussi acteur et scénariste), qui lit son oeuvre avec conviction et force roulement d'yeux. L'auditoire enfantin, filmé en contrechamp s'esclaffe, se tord de rire, visiblement conquis. J'ai pensé toutefois à une sitcom bien montée et trouvé le texte un peu facile. Mais comme nous n'avons à l'écran que les premières pages, il est difficile de se faire une réelle opinion.
Deuxième étape : la découverte du livre
Lorsque j'ai reçu l'album ( grand remerciement à l'Ecole des Loisirs ! ), je me suis jeté dessus persuadé d'avoir entre les mains une petite merveille d'originalité et de modernité. C'est vrai que ces lettres noires sur fond blanc, avec le nom de l'auteur en bleu a quelque chose de l'objet design. Il fera très bien dans les librairies des musées d'art contemporain. Et je me suis plongé dans la lecture....
Et là, perplexité ! J'ai trouvé cela consternant ! L'idée de départ, certes rigolote, vire vite en une succession de vieux ressorts faciles qui font rire facilement les enfants. Pas besoin de comprendre, le seul fait d'entendre des onomatopées ou gros patapouf les met en transe. Le livre au final ne raconte rien, il se contente d'utiliser des ficelles vieillottes, faisant de l'adulte lecteur une personne soi-disant dépassée par le pouvoir des mots. Je ne suis pas certain que cela aura un retentissement intelligent sur la compréhension des enfants sur la fonction des mots dans la communication. Dans une fiche pédagogique, également sur le site de l'éditeur, on nous parle de l'importance des caractères, des formes et des couleurs données pour que les enfants aient envie de se les approprier, devenant ensuite les vecteurs d'une fabrique d'images. C'est vrai en pratique, mais absolument pas original. Des centaines d'albums jouent de cette façon avec la langue depuis fort longtemps, de façon tout aussi ludique et surtout moins prosaïque. J'ai eu l'impression dans cette "histoire" que l'enfant était considéré comme un consommateur dont on flattait les instincts primaires plus que sa capacité à réfléchir ( sans compter un passage flatteur et insupportable, le rendant hypra extraordinaire et formidable). Mais foin de critiques, il me fallait expérimenter cet album sur un vrai auditoire. J'ai choisi une classe de Grande Section (5 ans), d'un quartier favorisé, habituée aux livres et donc en capacité de bien saisir le sens de tout ça.
Troisième étape : devant les enfants.
Avant de faire face aux enfants, il m'a fallu, comme pour toute lecture d'album, m'approprier ce texte, me le mettre en bouche. Ce n'est pas parce que je n'ai pas aimé ce "Livre sans images" que j'allais en saboter la lecture. Et dans celui-ci, il y a un peu de boulot car, il faut faire constamment des apartés, comme dans les vieilles pièces de théâtre, vous savez, celles où l'on appuie bien fort des fois que le spectateur, un peu lent à la compréhension, ne suive pas ! Après un peu d'entraînement, j'ai entamé la lecture, comme l'auteur dans la vidéo, en montrant le texte et du ton le plus neutre possible. Bon, déjà , certains rigolaient comme des baleines !!!! Pourquoi ? Mystère. Peut être pressentaient-ils la suite hilarante. Car, bien sûr, elle fut hilarante. La première onomatopée lue mit les rieurs de mon côté et dont les esclaffements contaminèrent tout le monde, même ceux qui n'avaient pas écouté, ni trouvé cela particulièrement drôle ( certains se forçaient pour être dans le mouvement général, mais cela est humain). La suite donna raison à l'éditeur sur le plan de la rigolade, ce fut un vrai succès (et sans rouler des yeux comme l'auteur). Une fois terminé, on me réclama une deuxième lecture...
Dernière étape : conclusion
"Le livre sans images", avec sa jolie mise en pages, reste certainement efficace auprès des enfants, je ne peux le lui enlever. Cependant, il joue sur des recettes faciles pas très glorieuses et je ne suis pas certain que le livret pédagogique qui l'accompagne puisse l'occulter. En flattant le côté bon public de l'enfant, même déguisé en bonnes intentions pédagogico-ludiques, je verrai bien l'auteur faire sa promotion dans une émission télévisée d'une chaîne commerciale, il en a tous les ingrédients démagogiques.
Pour terminer, une phrase m'a intrigué : "Et je suis obligée de te lire tout ce qui est écrit ? " ...le féminin ...obligée... Est-ce à dire que notre traductrice pense que c'est forcément les femmes qui lisent des albums aux enfants ? Vision simpliste et surtout dépassée voire discriminante. On pourra me dire c'est pour une fois une victoire du féminin sur le masculin, mais sur le moment, vu côté roublard de cet album, j'en ai douté...
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