dimanche 18 novembre 2012

Après mai d'Olivier Assayas


"Après mai" est un drôle de film. Evocation d'une jeunesse aux prises avec une époque portée sur la lutte et le combat politique, la découverte de spiritualités lointaines mais aussi des drogues diverses et variées, il semble s'être donné comme ambition première de gommer tous les clichés de l'époque. Jolie idée, mais ce parti-pris tient-il la route ?
Avec une mise en scène virtuose, Olivier Assayas réalise un film baigné d'une lumière estivale qui colle parfaitement au désir d'un monde meilleur auquel croient tous les jeunes héros de son dernier long métrage. Mais loin d'être un énième parcours initiatique, "Après mai" essaie de restituer le parfum de ces années libertaires, cette sensation que tout était possible, sans rien appuyer ni démonter. C'est au spectateur de se laisser emporter par les images et les situations.
Il n'y a pas vraiment d'histoire, nous suivons juste quelques jeunes gauchistes sur une assez courte période. Il n'y a pas non plus d'étude psychologique. ces jeunes avancent au gré de leur instinct, se nourrissant de révolte, d'amitiés et d'amours adolescentes évoqués ici sans aucun regard critique. Et malgré les nombreuses scènes de discussions politiques, il n'y a pas non plus de message particulier à retirer de cette reconstitution historique.
Pas d'histoire, pas de psychologie, pas de message mais de l'ennui quand même, car deux heures, c'est long ! Malgré une belle photographie et une reconstitution très soignée et réaliste, le spectateur n'a pas grand chose d'autre pour s'accrocher. Il n'est pas aidé par les comédiens, photogéniques certes, mais au jeu assez approximatif et aux dialogues épurés au maximum.
Pas raté mais pas vraiment passionnant, "Après mai" est toutefois un film au regard original sur un moment très particulier de notre histoire récente. En éliminant tout effet narratif, il perd certains spectateurs en chemin mais pas la critique officielle qui y a vu un pur chef d'oeuvre... Ils ont peut être raison... à vous de juger. Moi, je fais un peu la fine bouche.


samedi 17 novembre 2012

Le poivre d'Olivier Bouillère


Ca démarre plutôt pas mal :  Arcachon, une jolie villa vieillotte au bord du bassin et à l'intérieur trois femmes, cinquantenaires, dont une ancienne star de la chanson et du cinéma, Lorraine Ageval. Un peu dépressive suite à la séparation d'avec son richissime mari pour lequel elle avait interrompu sa carrière quinze ans plus tôt, elle semble sur le point de lâcher prise. Dans une ambiance un poil surannée, nous sommes dans les années 90, le temps s'écoule doucement entre dîners dans les villas voisines et journées interminables sous le soleil estival.
Malgré quelques raccourcis pas très clairs (on ne sait pas toujours qui parle à qui et de quoi), Olivier Bouillère  plante une ambiance évanescente qui correspond bien à la personnalité de son héroïne, chose fragile et vaporeuse, qui erre, chic et distinguée, dans un monde qui lui échappe déjà. Mais voilà qu'apparaissent deux personnages masculins. Le premier est un jeune cinéaste underground qui va faire tourner Lorraine dans un film expérimental voué à l'échec. Le deuxième est un tout jeune homme indolent qui va devenir l'ombre de l'ex star, sa doublure aussi bien lumière que corps. Comme tous les deux sont gays, leurs ébats glauques au bois de Boulogne ou avec des types tordus vont nous être décrits avec précision. Cela n'apporte pas grand chose à l'intrigue. Ca nous rend seulement ces deux personnages vite insupportables, surtout Iohan, le jeune homme, sorte de sex-toy sans affect que l'on trainera jusqu'à la fin. Sont-ils là pour mettre un peu de poivre (du titre) dans cette histoire ? Peut être...
Heureusement, le personnage de Lorraine est plus réussi. Ethérée, à demie vivante, elle va tenter un come-back, portée par sa vieille amie Io, sorte d'attachée de presse sur le retour. Naviguant entre souvenirs de sa gloire passée et futur nébuleux, elle a la grâce de certaines héroïnes de Marguerite Duras mais perdue dans un univers balzacien.
Au final, que penser de ce roman ? A mon avis, à demi réussi, un poil trop long, bizarrement construit comme si on voulait à tout prix faire original, il possède toutefois des qualités d'écriture indéniables. Il parvient à enfermer le lecteur dans une atmosphère cotonneuse comme s'il était sous l'emprise de médicaments pour neurasthénique. C'est particulier, je vous l'accorde, mais suffisamment intrigant pour que je guette avec intérêt le prochain livre d'Olivier Bouillère.


vendredi 16 novembre 2012

Coquillette la mauviette d'Arnaud Cathrine et Florent Marchet



Avis aux amateurs de jolies histoires branchées pour enfants de 5 à 8 ans, "Coquillette la mauviette" vient de paraître aux éditions Actes Sud. Branchée, car écrite par Arnaud Cathrine, une dizaine de romans de qualité pour la jeunesse et mise en musique par son complice de toujours Florent Marchet, le chanteur en vogue vers la consécration (qui, hélas, se fait attendre).
Coquillette la mauviette est un petit garçon différent puisqu'il porte une coquille sur son dos. Cette particularité le met bien évidemment en marge des autres dont il devient le souffre-douleur. Jusqu'au jour où cette excroissance se révélera un atout...
Ce thème de la différence, souvent abordé par Florent Marchet dans ses chansons, est ici traité avec talent et un brin d'humour grinçant bienvenu. Joliment mis en images par Aurélie Guillerey dont les illustrations rappellent celles que l'on pouvait trouver dans les manuels de lecture des années 70, les clins d'oeil en plus, cet album CD, est très agréable à écouter car les auteurs ont fait appel à une pléiade de vedettes pour donner un vrai relief au propos. Julie Depardieu est une narratrice parfaite. Entourée d'Artus de Penguern, Jeanne Cherhal, Mathieu Boogaerts, Valérie Leulliot,.... on voit tout de suite que cette production a fait l'objet d'une attention toute particulière. Et l'on peut dire que le résultat est ultra convaincant. Bien que l'histoire puisse sembler classique, elle passe sans difficulté la rampe, même si l'on n'est pas des familiers de l'univers de ces artistes. Avec sa jolie ambiance musicale, son alternance de narration, de dialogues et de chansons, "Coquillette la mauviette" devrait plaire aux enfants mais aussi à leurs parents. Certains y découvriront peut être l'univers musical de Florent Marchet mais auront aussi l'occasion d'écouter Jeanne Cherhal et Mathieu Boogaerts chanter pour leurs enfants des mélodies inspirées et exemptes de mièvreries. Ainsi dans "Tchernobyl'", on peut entendre ce refrain ; "Que cet enfant est laid, que cet enfant est moche !", paroles dures et non consensuelles qui donnent une claque à toutes ces ritournelles gnangnans que l'on sert habituellement à nos bambins. D'ailleurs les cinq chansons de cet album sont de vrais petits bijoux  qui confirment le talent multiforme de Florent Marchet.
Trouvez-moi, un chanteur français, auteur, compositeur, interprète qui sache aussi bien écrire pour les adultes que pour les enfants ? Il n'y en a pas des wagons (Vincent Delerm avait réussi cette prouesse l'an dernier, chez le même éditeur avec "Léonard a une sensibilité de gauche"). C'est l'une  des bonnes raisons qui font que "Coquillette la mauviette" mérite d'être déposé au pied du sapin, cela divertira différemment et intelligemment nos chers enfants et les éloignera quelque temps de leurs écrans chéris.



mercredi 14 novembre 2012

La chasse de Thomas VInterberg


Thomas Vinterberg dans son film "Festen" en 1998 parlait déjà de pédophilie en nous dressant le portrait effrayant d'un ignoble patriarche. Après quelques films moins remarqués, il revient en fanfare, enfin, disons un peu sur le devant de la scène, avec "La chasse", long métrage présenté à Cannes en sélection officielle et qui a obtenu le prix de la meilleure interprétation masculine pour la prestation tout à fait convaincante de Mads Mikkelsen. Il joue Lucas, un éducateur de jeunes enfants accusé d'exhibition sexuelle par une petite fille. Très vite, il deviendra le bouc émissaire de toute une communauté. Il est totalement innocent, nous le savons et le film nous retrace son calvaire.
Le film démarre bien, avec des scènes d'exposition à la lenteur étudiée qui créent un climat intéressant et posent le problème de la parole de l'enfant avec autorité. Mais très vite, la mécanique s'enraye. Assez manichéen dans sa construction, le film avance avec une succession de scènes qui, prises séparément sont toutes fortes et bien rendues mais, qui, mises bout à bout, forment un tout indigeste parce que sans équivoque et surtout sans surprise. Aucun poncif ne nous est épargné : les pierres lancées dans la maison, l'animal domestique tué, les commerçants qui refusent de servir... A la fin, on n'y croit plus guère malgré une jolie photographie automnale et un acteur magnétique qui mérite sa récompense cannoise.
Cependant, il y a une chose qui a retenu mon attention : le portrait en creux d'une société danoise, loin des idées progressistes que l'on nous renvoie souvent. Repliée sur elle même, très fortement alcoolisée, elle est présentée ici sous son plus mauvais jour. Les hommes sont de gros lourdauds avinés qui sont chasseurs pour prouver que ce sont de vrais mecs et dont les épouses, soumises et compréhensives, acceptent avec douceur tous leurs excès. Vous apprendrez qu'au Danemark, les garçons deviennent de vrais hommes à 16 ans. Ce jour là, on leur offre un fusil (à lunette) pour leur première chasse. Un rituel viking sans doute ...qui ne nous dit pas si pour les filles de 16 ans, on leur offre leur premier livre de cuisine pour qu'elles concoctent leur premier civet... Bien qu'armés, tous ces mâles habitent dans des maisons qui affichent toutes le sigle d'une société de surveillance... Peur de l'autre vraisemblablement mais, point positif, pas d'auto-défense malgré leur artillerie...
Ceci dit, ce n'est hélas pas l'essentiel du film qui sombre assez vite dans la facilité et la caricature du lourdaud ordinaire. Pas facile de vouloir dénoncer l'imbécillité humaine en enfilant les poncifs comme des perles....



dimanche 11 novembre 2012

Augustine d'Alice Winocour


La passion quasi muette d'une bonne illettrée et hystérique prénommée Augustine et du célèbre professeur Charcot a-t-elle un potentiel assez intéressant pour passionner le spectateur ?A cette question ma réponse est oui, si derrière la caméra, il y a un réalisateur talentueux. Et c'est le cas pour "Augustine", le premier film sacrément maîtrisé d' Alice Winocour.
Enfin...le cas,...pas pour tout le monde si j'en juge par les réactions ennuyées des personnes assises derrière moi. Soupirs, discussions, "c'est long" ont accompagné la projection jusqu'à ce qu'un spectateur excédé leur intime de se taire en arguant que le film était moins bavard qu'eux mais bien plus intéressant.
C'est vrai "Augustine" n'est pas vraiment facile d'accès. Ce parti-pris de raconter cette histoire en peu de mots et en cadrant ostensiblement les acteurs au format portrait peut dérouter. Mais une fois que l'on est entré dans l'histoire, qu'est-ce que c'est efficace ! Chaque regard, chaque frémissement nous dispense de tout bavardage redondant. L'image, magnifique, joue avec la lumière du jour qui arrive à s'insinuer dans la pénombre glaciale des intérieurs, ajoutant ainsi beaucoup de douceur. Mais, ici, c'est une histoire d'éveil à la sexualité qui se trame avec la présence corsetée d'un grand ponte de la médecine dont la déontologie professionnelle est ébranlée par la  sensualité évidente de la jeune patiente qu'il prend sous sa coupe. Tout le poids de l'éthique médicale et les codes de la bonne bourgeoisie du 19ème siècle sont magnifiquement portés par Vincent Lindon, impressionnant de retenu et d'interrogations. Face à lui, Soko, réussit avec force à faire passer son désir, sa peur et cette sexualité qui ne demande qu'à s'exprimer.
Si je devais retenir un moment fort du film (oui, n'en déplaise à certains, il y en a !), je citerai la scène du jeu avec le singe que le professeur Charcot  a amené pour sa patiente dans son cabinet de consultation. L'animal passe de bras en bras, de l'un à l'autre. Comme c'est cadré en plan serré, le spectateur voit des bras se tendre, enlacer le singe, le reprendre, comme le porteur innocent de messages secrets. Au bout d'un moment, on ne sait plus qui enlace qui, l'ambiguïté règne, les corps semblent se rapprocher, se caresser, ... C'est sobre, sensuel, magnifiquement mis en scène, vraiment érotique...
Pour son premier long-métrage, Alice Winocour n'a pas choisi un sujet facile mais s'en sort remarquablement bien. Il y a bien longtemps que je n'avais vu un premier film aussi maîtrisé et porteur d'un vrai regard de cinéaste. A l'avenir, il faudra compter sur elle, j'en prends le pari.


samedi 10 novembre 2012

Georges et Tchang de Laurent Colonnier


Les éditeurs de BD misent rarement sur la polémique pour vendre leurs productions. Ces recettes éprouvées de la littérature générale ne sont pas tout à fait parvenues au royaume du neuvième art. Pourtant cette semaine la presse s'est faite l'écho de la parution supposée sulfureuse d'un album intitulé : Georges et Tchang, une histoire d'amour au vingtième siècle, mettant entre autre en scène la relation amoureuse d'Hergé et de Tchang son ami chinois, sculpteur de génie par ailleurs.
Jusqu'à présent aucune biographie n'avait mentionné la passion du créateur de Tintin pour celui qui fut également le héros de deux albums (Le lotus bleu et Tintin au Tibet). On connaissait son supposé racisme, ses velléités collaborationnistes, son côté grand séducteur auprès de la gent féminine mais pas cet amour pour un homme. La société Moulinsart qui gère les droits de Tintin n'a pas daigné communiquer sur le sujet. Normal me direz-vous puisque l'auteur, Laurent Colonnier est parti d'un lapsus d'Hergé lors d'un passage dans l'émission apostrophe et qui qualifiait l'album "Tintin au Tibet" d'histoire d'amou...heu d'amitié. Partant de là, il a laissé courir son imagination pour nous livrer aujourd'hui le fruit de ses réflexions.
Disons-le tout de suite, "Georges et Tchang" ne se concentre pas uniquement sur la relation fantasmée d'Hergé et de son ami chinois.  Nous découvrons Georges Rémy (RG), jeune créateur plein d'idées. Tintin commence à avoir du succès et il le lance dans  de nouvelles aventures en Chine et prend comme consultant le dénommé Tchang pour ne pas donner une vision caricaturale du peuple chinois. L'époque est trouble, le contexte international tendu mais Hergé est tout à sa création. Tchang, vraisemblablement manipulé par les communistes chinois, va beaucoup rencontrer Georges Rémy, échanger énormément et va petit à petit finir par devenir son amant.Tout en subtilité, on sent monter leur attirance aussi bien physique qu'intellectuelle.
En fait l'album nous montre aussi que 1934 a été pour Hergé l'année où il puisera plus tard énormément d'éléments pour son oeuvre. L'auteur lui fait croiser des personnes réelles qui deviendront plus tard, le professeur Tournesol, le capitaine Haddock ou la Castafiore, autant de clins d'oeil qui montrent la déférence que Laurent Colonnier a pour Hergé. Et lui donner une aventure qui peut paraître sulfureuse ne me semble pas du tout irrespectueux, au contraire. Car, si l'on réfléchit bien, Hergé aura tout réussi dans sa vie. Il aura été le créateur d'un des héros les plus populaires du 20ème siècle, aura connu la gloire, l'argent et aura eu l'ouverture d'esprit de pouvoir aimer aussi bien un homme que des femmes.
Ce très joli album, noir et blanc est un vibrant hommage au génie du père de Tintin et le portrait de toute une époque qui fut le creuset de la première grande bande dessinée moderne. Pour cela, il devrait ravir tous les tintinophiles et plus si affinité.



jeudi 8 novembre 2012

Etrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage de L.C. Tyler


C'est bien, pour une fois, je ne vais pas m'étendre sur le résumé de l'intrigue, tout est presque raconté dans le titre. Ce que je peux rajouter, c'est que Géraldine, la suicidée, est l'ex femme d'Ethelred (joli prénom mâle), écrivain grisâtre, coincé et ennuyeux, auteur de polars pour vieilles bigotes et de romans d'amour type Harlequin en plus soft encore. Il est le narrateur de cette histoire en compagnie d'Elsie son éditrice mal embouchée et parfait contraire. Tous les deux vont se lancer dans une enquête pleine de rebondissements, chacun racontant à tour de rôle, et selon son caractère, l'enchaînement parfait d'une multitudes de péripéties.
Quand j'ai commencé la lecture d'"Etrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage", j'ai tout de suite été conquis par le ton rempli d'humour de la narration. Le duo principal répond parfaitement aux critères premiers de toute bonne comédie : parfaitement antinomiques, lui flegmatique et poussiéreux, elle débordante d'énergie et dotée d'un franc parler réjouissant. Ca pétille et ça fuse à toutes les pages. On rit et on est happé par cette intrigue, somme toute assez basique, mais rudement bien fichue, car menée tambour battant de chapitre en chapitre. Je me suis dit : "Si c'est comme ça jusqu'à la fin, je tiens là un polar coup de coeur !"
Bon, pas tout à fait quand même. Si l'histoire est passionnante jusqu'au bout et même si on voit venir le dénouement grâce aux indices éparpillés négligemment par l'auteur au fil des pages, le ton savoureux et décalé subit une petite baisse de régime dans le dernier tiers du livre. C'est un peu dommage et peut être la faute aux extraits des romans ratés de l'écrivain, pas tout à fait inutiles psychologiquement, mais un peu plombants (normal, c'est un auteur ennuyeux, même si sa prose léthargique est savoureuse au troisième degré).
Quoiqu'il en soit, si vous aimez les polars à l'anglaise mais retravaillés façon humour décalé, vous passerez un très bon moment.

PS : Notons que derrière cette très attrayante couverture, les éditions Sonatine, à leur habitude, nous offrent un résumé particulièrement dithyrambique. Si je reprends leur dernière phrase, je suis d'accord avec "Sans jamais se départir de l'humour et de l'élégance qui font toute la saveur des romans policiers anglais classiques, il (L C Tyler) revisite tous les clichés du genre", je suis un peu plus sceptique avec la suite qui ajoute :" et nous offre un thriller au suspens implacable, diablement moderne et jubilatoire"...
Ici, ça tient du boniment de foire. Oui c'est moderne et jubilatoire mais suspens implacable... faut pas exagérer ! J'avais déjà été dupé par le côté alléchant de leur présentation d'"Avant d'aller dormir", polar lent et raté, l'an dernier, alors depuis, je me méfie.
Je comprends bien qu'il faut vendre du livre. Celui-ci est réussi, tant mieux, mais n'allez pas croire que vous lirez le suspens de l'année. Non, c'est drôle, bien fichu, détendant et c'est tout. Mais c'est déjà énorme par les temps qui courent, raison du plus pour le poser dans votre pile à lire.

mardi 6 novembre 2012

J'enrage de son absence de Sandrine Bonnaire


Sandrine Bonnaire est une comédienne rayonnante et attachante doublée d'une femme de conviction. Pour son premier film de fiction, elle a choisi d'aborder un sujet difficile : comment vivre, survivre, après la perte d'un enfant ? Sur un scénario, inspiré en petite partie de l'histoire de sa mère à qui le film est dédié, Sandrine Bonnaire s'attache aux pas d'un homme, Jacques (William Hurt), qui revient en France pour régler la succession de son père et en profite pour revoir Mado (Alexandra Lamy) avec qui il a eu un enfant aujourd'hui décédé. Mado a refait sa vie et un autre enfant, Paul, 7 ans. Au gré de leurs rencontres, un grande complicité va naître entre Jacques et cet enfant. Gênée par ce rapprochement, Mado interdira à son fils de revoir Jacques qui, par amour (?) va s'installer secrètement dans la cave de l'immeuble où habite son ancienne maîtresse.
A partir de ce canevas, Sandrine Bonnaire essaie de nous faire partager le désarroi de cet homme dont le deuil est impossible et qui va peu à peu s'enfoncer dans la folie. Malheureusement, elle n'y parvient pas. Le film traîne en longueur, chemine dans les directions incertaines du thriller pour revenir vers une trame mélodramatique. C'est long, très long, très répétitif aussi. William Hurt, le visage fermé, dur, joue l'intériorité. C'est tellement intérieur que je n'ai pas perçu grand chose, ni ambiguïté, ni amour, ni folie. Bloc humain monolithique, il hante le film sans générer la moindre émotion à l'exception peut être de la scène d'où est tiré le titre de ce film. Face à lui, Alexandra Lamy, toute en retenue, est vibrante d'émotion. Chacune de ses apparitions donne de la chair à cette histoire et confirme qu'elle est vraiment une de nos grandes comédiennes aussi crédible dans la fantaisie que dans le drame. Bien que double parfait de la réalisatrice (  la ressemblance est frappante entre la réalisatrice et la comédienne), son rôle est un peu laissé de côté pour donner la vedette à William Hurt. Du coup, la situation un peu limite de l'installation de Jacques dans la cave, devient totalement improbable. Couché à même le sol mais toujours propre, le visage aussi expressif qu'un masque mortuaire, on perçoit bien qu'il déraille, mais, ayant décroché depuis un moment, on s'en fiche quand même un peu. Pendant qu'il s'enfonce dans la folie, le spectateur plonge dans l'ennui.
Pourtant, il y a des qualités dans ce film, notamment cette manière de filmer les acteurs en plans très serrés, donnant une proximité et une acuité particulière à certaines scènes. Bien que paré des meilleures intentions du monde, "J'enrage de son absence" ne parvient pourtant pas à emporter l'adhésion, la faute à un scénario hésitant entre plusieurs directions et un William Hurt tellement corseté que sa présence erratique annihile toute émotion.



lundi 5 novembre 2012

Maus d'Art Spiegelman


 Je viens de terminer "Maus" d'Art Spiegielman. J'ai enfin réparé cette impasse littéraire et je ne peux que souscrire à tout ce qui a été dit : c'est bien un chef d'oeuvre. Je n'ai rien à rajouter, tout est consigné pour l'éternité. C'est une somme incontournable, un témoignage bouleversant et original sur l'holocauste, un terrible devoir de mémoire à lire et à relire.
Je dis relire, car, comme tous les grands livres, "Maus" offrira à chaque relecture des éléments, des détails, des éclairages nouveaux ou nous ayant échappé la fois d'avant. Car ce n'est pas seulement le récit de l'extermination des juifs par les nazis mais c'est également une interrogation essentielle du poids de la Shoah sur la vie des survivants et de ses descendants.
Au delà de l'analyse que nous propose Art Spiegelman dans son album, cette première lecture enthousiasmante mais glaçante, m'a interpelé par rapport au personnage central, Vladek, le père du narrateur. Il est en quelque sorte le héros car il s'est toujours débrouillé pour sortir vivant des situations les plus terribles. Et cependant, il n'est pas sympathique, du moins je ne l'ai pas trouvé si attachant que ça même dans les pires moments. Il est, et son fils, l'auteur, le dit lui même, l'archétype du juif ou du moins ce que la propagande antisémite voulait qu'il soit : avare, obnubilé par l'argent, magouilleur, ayant un sens du commerce aigu, surtout quand c'est à son profit ou pour sa famille. Si vous rajoutez raciste, vous obtenez un personnage pas très reluisant. Et durant tout le récit, il ne l'est pas vraiment...
Riche avant guerre grâce à un bon mariage, Vladek peut acheter, corrompre des connaissances pour échapper à la gestapo. Il arrive avec son argent mais aussi par la ruse, à passer au travers des mailles du filet jusqu'à début 1944. Même quand il sera à Auschwitz, il saura se débrouiller pour être toujours du côté du moins pire, obtenant par son intelligence mais aussi son sens inné du commerce et des relations humaines, nourriture et faveurs. Formidable instinct de survie ...
C'est peut être un des éléments qui fait que ce livre est si brillant. Vladek, bien qu'héros ambigüe, n'arrive pas à atténuer l'horreur de l'holocauste. En utilisant les défauts supposés des juifs, Art Spiegelman, nous fait encore plus sentir l'ignominie de cette page plus que noire de notre Histoire parce que ce fut au-delà du pensable, de l'imaginable. Plus rien n'a d'importance face à de tels actes. Le peuple juif était nu, avec sa seule vérité et quelques fussent les défauts, les qualités de chacun,  jamais rien ne pourra justifier de tels actes.
Quand après la guerre, Vladek s'enfermera dans l'aigreur, la suspicion et l'avarice, rendant la vie de ses proches infernale, planera toujours cette ambiguité.  Est-ce le traumatisme des années noires qui a ainsi rendu cet homme si asocial ? Est-ce que son destin est vraiment exemplaire ? Et comment avancer dans la vie quand on a un tel père rescapé des camps et un frère mort que l'on n'a pas connu ?
Des questions multiples (et bien d'autres), des destins incroyables, une histoire hallucinante et un soupçon d'ambiguité, apanage de plein de chefs d'oeuvres, font que "Maus" est vraiment l'album BD qu'il faut avoir lu et que l'on garde pour le relire , régulièrement et toujours, pour ne jamais oublier.

dimanche 4 novembre 2012

L'envolée de Stephan Eicher


Quelques notes de violoncelle et puis Stéphan Eicher chantait :
"Les nouvelles sont mauvaises d'où qu'elles viennent...
Je garderai pour moi ce que m'inspire le monde
Elle m'a dit qu'elle voulait, si le permettais, déjeuner en paix."
C'était en 1991...
Automne 2012, après quelques années d'absence, le chanteur suisse revient avec un nouvel album : "L'envolée". Déjeuner en paix, il semble qu'il ne le peut plus. Les nouvelles du monde se sont infiltrées insidieusement dans ses chansons. Si le violoncelle accompagne encore parfois ses compositions, les guitares électriques de la grande époque ont été quelque peu mises de côté. Peut être une question d'âge? De maturité et de sagesse certainement.
"L'envolée" est un album court renfermant treize petites chansons (dont 3 en bernois, variante de suisse alémanique), ciselées comme des petits bijoux que l'on aimera conserver précieusement. Si l'amour, l'absence, la tendresse, thèmes centraux de toujours de son répertoire, restent présents dans les textes écrits avec Philippe Djian, Fred Avril ou Miossec, la réalité du monde y a maintenant sa place, parfait contrepoint pour évoquer la difficulté de vivre dans un univers impitoyable. On trouve ainsi au gré de quelques chansons des mots comme licencier, agence de notation, rideau de fer (formidable chanson qu'est "Disparaître" sur des paroles de Miossec), marchandises, ouvriers (dans "Envolées") ou humanité/duplicité (sur "L'exception"). Cela donne une tonalité pas forcément engagée mais d'une noirceur inattendue. Et en homme talentueux, Stéphan Eicher a su enrichir et habiller ses chansons d'arrangements somptueux, mélangeant avec bonheur instruments à vents éclatants et cordes délicates, ambiances minimales et envolées rocks.
Le résultat est absolument renversant de finesse et de lucidité et il nous livre ici un album comme on n'osait l'espérer. C'est la divine surprise de cet automne. Il est évident que cette "envolée"ne retombera pas de si tôt et prendra une place de choix dans nos ipods, aux côtés d'"Engelberg" et "Carcassonne" ses deux albums mythiques.


samedi 3 novembre 2012

La maison dans les bois d'Inga Moore


On me reproche parfois que mes emballements pour des albums "jeunesse" se portent vers des ouvrages ou trop conceptuels ou un peu étranges et moins souvent vers des contrées plus classiques. "La maison dans les bois" de l'anglaise Inga Moore ravira tous les amateurs de belles histoires.
Nous sommes en automne, dans une forêt qui revêt ses plus belles couleurs avant son chant de cygne hivernal. Les animaux se préparent des abris pour affronter la froidure prochaine. Crise du logement oblige, les bons endroits sont rares et deux cochons, une ourse et un cerf se retrouvent bien vite à la rue à la forêt. Ils décident de s'unir pour construire une belle et grande maison pour eux tous. Aidés par les pros du bâtiments que sont les castors et moyennant un paiement en beurre de cacahuète, ce logis collectif se dressera, magnifique, dans une clairière protégée.
Pas de pirouette finale ici, mais du bon sentiment, de la solidarité, du respect, du bon sens. C'est gentil mais pas mièvre car l'auteur a su intégrer à son récit plein de petits anachronismes assez rigolos comme le téléphone façon début du siècle, les camions des castors ou la judicieuse utilisation de la décharge publique (sans doute des humains) pour décorer cette maison.
L'autre point fort de cet album sont les illustrations, symphonie brumeuse de couleurs et de tons à la gloire de la forêt d'automne. Elle accompagnent magnifiquement un texte simple et chaleureux, donnant à cette histoire un sentiment de douceur particulièrement bienvenu. Tout cela peut sembler un rien gnangnan, mais la cohérence du projet fait fondre même le plus dur des lecteurs.
Un album que l'on peut lire à partir de 3/4 ans et feuilleter pendant dix ans pour le régal des yeux.

vendredi 2 novembre 2012

14 de Jean Echenoz


Je suis content, je viens pour la première fois de terminer un roman de Jean Echenoz. "Cherokee" m'était tombé très vite des mains en 1983 et en 1986 "L'équipée malaise" m'avait endormi. Je n'arrivais pas à entrer dans cet univers en grande partie à cause de l'écriture. Mais cette fois-ci, victoire, avec "14", je suis allé jusqu'au bout ! Pas difficile me direz-vous, ça ne fait que 124 pages dans un format poche, écrit gros.
"14" a pour sujet cette terrible boucherie que fut la première guerre mondiale et le moins que l'on puisse dire c'est que Jean Echenoz  l'évoque très bien en peu de pages. Tout y est : l'horreur, les mutineries, les gueules cassées, les tranchées, les poux et les rats, les femmes au travail,... Un vrai petit précis que ceux qui ne connaissent pas cette période pourront lire pour une remise à niveau. Pour les autres, rien de nouveau sauf peut être quelques petits détails glanés de-ci de-là au détour d'un paragraphe ou lors d'une des nombreuses énumérations dont Jean Echenoz semble raffoler. Ainsi, j'ai découvert la cervelière, sorte de petite calotte métallique qui les soldats ont du mettre sous leur képi au début du conflit et vite remplacée par un casque pour cause de peu de pratricité.
On sent que l'auteur s'est passionné pour cette guerre 14/18, s'est documenté énormément, minutieusement, jusqu'à faire du name-dropping d'époque en nous abreuvant de marques d'armes, d'avions ou de vélos aux noms inconnus (Euntes la marque de vélo bien connus des ecclésiastiques en soutane). Cela alourdit un peu ce texte aux longues phrases tortueuses..
Si l'évocation du conflit est absolument parfaite de maîtrise et de concision, j'ai par contre eu l'impression que c'était au détriment de l'histoire avec un petit "h". La quatrième de couverture laisse entendre une intrigue romanesque avec une héroïne attendant le retour de deux hommes. Il y a de ça, mais le personnage féminin est à la fois très secondaire et désincarné, faisant quasiment de la figuration. Elle est par contre l'objet d'une scène étonnante où, lors d'une consultation auprès de son médecin de famille, elle se voit proposer un avortement ! En 1914 ? C'est vraiment d'époque ? Peut être dans la bourgeoisie alors, ils ont toujours plus d'avantages et de combines que le bas peuple.
Quoiqu'il en soit, "14" est le petit roman que l'on peut lire ce mois-ci. Il est tout à fait raccord avec les prochaines commémorations du 11 novembre et surtout il redonne un coup de projecteur sur une période peu glorieuse de notre histoire. Un bon livre pour un indispensable devoir de mémoire.
Un peu plus : voici un lien vers l'émission "Plan B" de Frédéric Bonnaud qui reçoit Jean Echenoz et lui pose toutes les bonnes questions.







jeudi 1 novembre 2012

Treize chansons de Barbara par Daphné


Cette semaine sort un nouveau disque de Daphné, chanteuse talentueuse mais quelque peu confidentielle malgré un succès critique grandissant. Pour exister sur la scène de la chanson française en manque d'inspiration, les artistes donnent en ce moment dans la reprise, phénomène de mode qui peut rapporter gros (voir Nolwenn Leroy et ses chansons bretonnantes). Cette rentrée Francis Cabrel chante Bob Dylan, Mireille Matthieu et Patricia Kaas hurlent du Piaf et Robert (oui, c'est une chanteuse) susurre façon Mylène Farmer les chansons du patrimoine genre "A la claire fontaine". Et Daphné reprend Barbara. Cela aurait pu être Sheila ou Sylvie Vartan (en version décalée comme Julien Doré sur le "Lolita" d'Alizée), mais non, c'est la grande Barbara qui est l'heureuse élue. Les puristes, les aficionados de la grande dame brune crient au scandale, se bouchent les oreilles et ne décolèrent pas que quelqu'un puisse commettre un tel sacrilège.
A bien y réfléchir, s'il y a un chanteuse qui pouvait s'atteler à un tel challenge, c'était bien Daphné. Sa voix, haut perchée et magnifique, rappelle bien souvent sa vénérable ainée. Et quand elle déclare à la presse que l'idée de reprendre ce répertoire ne l'avait jamais effleuré, j'ai du mal à la croire. Et quand j'écoute le résultat, je félicite Thierry Lecamp d'Europe1 d'avoir été l'initiateur de ce petit bijou. Pour moi qui ne pouvait écouter en entier un disque de Barbara, crispé par son interprétation trop maniérée à mon goût et pleine d'afféteries, ce disque est une vraie réussite, un plaisir d'écoute absolu. La voix de Daphné, belle, cristalline, redonne un lustre inattendu à tous ces classiques de la chanson française, réorchestrés avec simplicité et magnifiés par une interprétation remplie d'émotion et de talent.
On notera également la présence de trois duos de haut vol : avec Jean Louis Aubert sur "Gottingen", où le timbre hésitant de l'ex chanteur de Téléphone rend parfaitement perceptible la fragilité des sentiments de paix évoqués dans la chanson, avec Dominique A sur "La dame brune" et surtout avec Benjamin Biolay sur "Dis, quand reviendras-tu ?", une pure merveille que je me passe en boucle depuis hier.
Pour l'anecdote, vous trouverez bien sûr une version de "L'aigle noir", mais augmentée d'un couplet inédit.
Moi qui était plus fan de Daphné que de Barbara, mon scepticisme quant à l'intérêt de cette production a volé en éclats à l'écoute de ces treize titres, tous plus beaux les uns que les autres. C'est du travail d'artiste, certes à partir d'un remarquable canevas, mais le résultat est au-delà de ce que l'on pouvait attendre. Un seul mot : BRAVO!


Et bien sûr, je ne résiste pas à l'envie de vous mettre le duo Daphné/Benjamin Biolay magnifiant (est-ce possible ?) "Dis, quand reviendras-tu ?"