vendredi 18 novembre 2016

Le petit locataire de Nadège Loiseau



Je n'irai pas par quatre chemins, "Le petit locataire" est sans doute la comédie française la plus réussie depuis des mois ! Avec une situation par vraiment drôle au départ,"car être enceinte à 49 ans alors qu'on pensait être ménopausée, peut se voir comme une catastrophe et donner un film sociétal bien sérieux, le premier long métrage de Nadège Loiseau est un coup de maître. 
Il y a beau y avoir un scénario en béton, des dialogues pétillants, des acteurs tous plus épatants les uns que les autres, le film pourrait tomber dans le tout venant des films distrayants. Sauf qu'ici il y a des plus. Tout d'abord, il y a un vrai rythme de comédie qui ne faiblit jamais, comme au bon vieux temps des comédies américaines. ( Ah ! la scène dans la cuisine entre Karin Viard et Antoine Bertrand et la formidable utilisation des portes !) et surtout il y a un vrai regard sur les personnages. Nicole et sa famille sont des ouvriers vivant dans un pavillon tout ce qu'il y a de plus lambda. Jamais la caméra de Nadège Loiseau ne les prend de haut. Elle les aime ses personnages. Elle évite tous les clichés qui auraient pu les rendre Groseille comme chez Chatilliez ou tomber dans une description grisouille. Ils sont comme ils sont, avec leurs faiblesses, leurs coups de gueules, leur désordre, leur rire, leurs emmerdes. Ils sont vrais à l'écran car magnifiquement interprétés par des acteurs tête d'affiche,  Karin Viard évidemment, absolument incroyable encore une fois, Hélène Vincent et Samy Rebbot d'une justesse extrême, drôles et touchants à la fois et une pléiade de seconds rôles tous parfaits, tous dirigés avec maestria. Même le générique de fin arrive à surprendre, créatif et rigolo, comme une cerise sur le gâteau. 
Alors pour passer un moment agréable devant une comédie qui ne prend ni ses personnages populaires, ni les spectateurs pour des abrutis, se poser devant "Le petit locataire" est le très bon plan du mois. Sans aucune facilité, avec un humour efficace qui sait au détour de deux ou trois scènes s'effacer et faire naître de la vraie émotion, le film nous empoigne une heure et demie durant , ne nous lâche jamais et nous fait ressortir avec l'heureuse sensation qu'il y a enfin une alternative aux comédies franchouillardes type Tuches ou Baby boom ! Et on retient le nom de la réalisatrice : Nadège Loiseau ! Je sens là un sacré tempérament! 

mercredi 16 novembre 2016

Swagger de Olivier Babinet


Je sens déjà quelques réticences quand on voit l'affiche du film et quand on en comprend le thème ; " Oh encore un truc sur les banlieues ! Et en plus c'est un doc !..."
Les questions vont être : Comment donner envie de faire prendre un billet de cinéma à des personnes pour qui une sortie ciné doit être essentiellement ludique et attrayante ? Comment leur dire que "Swagger " est certes un documentaire sur des jeunes de banlieue mais qu'il se situe à dix mille lieues au-dessus de ce que la télévision peut nous proposer à longueur d'année ? Comment expliquer que le cinéma peut être un divertissement mais aussi une source d'enrichissement, de culture, de connaissance, de réflexion et tout cela de la façon la plus agréable possible ? Comment exprimer la sensation de bonheur que l'on éprouve en sortant de la salle, impression de n'avoir pas perdu son temps, impression d'avoir rencontrer une jeunesse sympathique, formidable, qui nous donne foi en l'avenir ?
"Swagger" c'est tout cela et mille autres choses.
Olivier Babinet, le réalisateur, a passé deux années scolaires en résidence dans un collège d'Aulnay sous bois, banlieue très défavorisée et a eu envie de faire parler ces jeunes qu'il côtoyait quotidiennement. Onze apparaissent à l'écran. Certains faisaient partie de l'atelier cinéma qu'il animait, d'autres ont été découverts pour l'occasion. Face caméra, ils parlent, librement.
Houla, un doc plus un truc genre Mireille Dumas ( je n'ai pas de références plus récentes) , fuyons ! STOP ! Le dispositif mis en place par Olivier Babinet est bien plus sophistiqué. Ces jeunes ont passé beaucoup de temps devant sa caméra, histoire de l'apprivoiser, de se sentir en confiance et de pouvoir s"exprimer librement, naturellement. C'est la grande force de "Swagger" car à l'écran, se dégage une fraîcheur, une honnêteté sans pareille. Et comme il était essentiel de sortir ces jeunes de tous les clichés ressassés depuis des décennies, ils sont filmés dans leur collège, éclairés magnifiquement par l'opérateur de Kaurismaki, Timo Salminen. D'habitude, la lumière des films du finlandais me gêne beaucoup, mais ici, il faut l'avouer, elle met en relief ces ados et nous les rend soudain très proches.
Et ils nous disent quoi Aissatou, Abou, Naila, Salimata ? Tout simplement, leur vision du monde, leur histoire,  leur vie de tous les jours, leurs espoirs, leurs rêves. C'est cash donc perturbant. " C'est rare qu'on en voit des purs français !" mais dit sans aucune aménité. Et ils parlent de tout. De leur vie dans la cité, de la violence qui parfois peut faire irruption au pied d'un immeuble, de leurs goûts ( formidable Régis ), de leurs amours, de l'importance de la religion, souvent vécue comme un refuge reposant. Soigneusement montés ces propos nous touchent, nous interpellent et comme Olivier Babinet est un vrai magicien, autant des mots que des images, il met en scène leurs rêves, leurs envies. Soudain, au détour d'une conversation , un bout de comédie musicale surgit, un morceau de clip bling bling, un récit de science fiction, moments poétiques et drôles dans lesquels jouent ces jeunes. Oubliés un instant la banlieue et ses tristouilles tours, ses grappes de jeunes sur les toits d'une église moderne se livrant à des activités autres que la prière ( non, le film n'occulte pas les problèmes mais les laisse à la place qu'ils occupent réellement ). Et vive le cinéma !
"Swagger" est le film qu'il faut voir cette semaine. C'est une parenthèse magnifique et émouvante, percutante et pertinente, drôle et sensible, bienveillante et humaine, qui nous donne espoir en l'avenir.




mardi 15 novembre 2016

Le génie de la laïcité de Caroline Fourest


AVERTISSEMENT : Certains passages de la chronique qui suit pourront choquer quelques âmes sensibles surtout si elles portent des sweat-shirts roses, prient quelques idoles variées, votent à droite  (toutes tendances, et surtout les plus extrêmes), à gauche aussi, voire hélas trois options à la fois ! 

Dans son nouvel essai, Caroline Fourest, vigie sensible et indispensable, se penche avec ferveur sur un concept très français : la laïcité. Nous sommes l'un des rares pays au monde à avoir séparé l'église de l'état, avec la fameuse loi de 1905, renvoyant le religieux dans la sphère privée. C'est le socle sur lequel, depuis plus d'un siècle, repose notre République. Ce modèle original, source de bien d'incompréhensions de part des autres peuples qui nous observent comme des bêtes curieuses, n'arrivant pas à imaginer un état sans la participation de quelque dieu, continue de résister malgré les incessantes attaques venues de partout ( médias, politiques comme religieux) et les nombreuses interprétations que l'on nous sert insidieusement depuis la vague d'attentats ( creuset du racisme, de l'intolérance, de la haine, responsable de la radicalisation de quelques uns). L'essayiste va démonter tout cela point par point, clairement, sans haine, sans hargne, avec juste un esprit clairvoyant qui rassure. 
Dès la première partie, on plonge tout de suite dans le vif du sujet : régler leur sort à tous les faux procès divers et variés, venus de toutes parts  (et même de journaux du soir !), de propagandes hallucinantes, parfois expédiées par les pays spécialisés dans la fabrication de djihadistes mais aussi d'un peu partout dans le monde. En multipliant les exemples, en décryptant les discours biaisés ou simplistes, en prenant appui sur les systèmes alentours où le religieux passe avant l'état, avec pour résultat un racisme encore plus prégnant que chez nous ( cf les USA), elle démontre qu'en aucune façon la laïcité ne favorise le radicalisme pas plus qu'elle ne fait de la France un pays raciste. Elle règle son compte à tous ces "spécialistes divers" qui ont leur place attitrée dans nos médias et qui habillent le mot " laïcité" d'intentions fausses, avec un verbiage prompt à semer la confusion plutôt qu'à éclairer les esprits ( et avec une volonté prosélyte évidente).
Ensuite, Caroline Fourest se penche sur les différents modèles de société ou comment on mêle  ou sépare (rarement) le religieux et du politique. Tableau édifiant pour moi si français et si bien pétri de laïcité, et même inquiétant quand on perçoit, comme en ce moment, la reconfessionnalisation  des esprits, qui va étrangement de pair avec la montée des droites extrêmes et des régimes fascisants. Après une quantité d'exemples, il apparaît que le concept de notre République laïque ( l'état libre de toute emprise de la religion) souffre d'être trop abstrait et surtout plus exigeant en matière de culture générale que celui, plus lisible, des pays démocrates où les églises sont libres de toute emprise étatique.  D'où pour Caroline Fourest une urgence d'expliquer cette spécificité française qui nous protège bien plus qu'on ne le pense. 
L'effort pédagogique qui devra être lancé, ne peut faire l'impasse sur l'histoire de cette laïcité, terreau indispensable pour une bonne compréhension. Depuis Henri IV s'enchaîne la longue succession de guerres à la barbarie insoutenable que les religieux ont imposé à la France durant des centaines d'années. ( C'est fou ce qu'à cause des religieux on a ou a eu comme guerres ou conflits.). Le siècle des lumières et la révolution française ( avec Condorcet notamment) vont commencer à poser les premières pierres d'un édifice qui s'érigera finalement durant la IIIème République où des hommes politiques à fortes statures ont réussi, dans une adversité que l'on a un peu oubliée, à imposer leurs convictions fortes et modernes. ( Aujourd'hui, nos hommes politiques pourraient prendre modèle sur les fortes personnalités qu'étaient Jaurés, Ferry, Buisson ( Ferdinand, pas l'autre bien sûr !), Combes, Briand, qui n'ont pas eu peur de se battre pour des idées pas toujours populaires). Caroline Fourest rappelle la violence des débats, aussi bien à l'Assemblée Nationale que dans la presse, qui a précédé le vote de la loi de 1905. Depuis, en cent ans, la laïcité a subi quelques assauts ( Loi Debré, accords Lang-Cloupet, ...), quelques étrangetés ( le concordat Alsace-Lorraine) et un rajout, la loi égalitaire de 2004 concernant les signes religieux à l'Ecole Publique qui fut hélas le début d'un terrain de jeu polémique, révélant une fracture profonde de notre société et des débats sur lesquels la dernière partie de cet essai va se pencher. Fourmillant de détails, on voit apparaître le dangereux positionnement de certains journaux, des têtes pensantes universitaires bien moins ou franchement pas laïques malgré leur intitulé de chaire, qui fragilisent un peu plus chaque jour notre modèle. On essaie de nous promouvoir une laïcité plus ouverte, plus incluante. Derrière ces mots, se cachent au moins sept façons de l'appréhender dont une seule dans l'esprit de la loi de 1905, les autres faisant la part belle aux religieux. 
Comme Caroline Fourest est une jusqu'au-boutiste, elle ne se prive pas, et c'est bien normal, de tracer quelques pistes pour une vraie politique laïque, donnant au passage son avis clair et net sur des questions qui agitent notre société ; le voile à l'école, les menus sans porc, le burkini, ... beaucoup de propositions qui montrent que la laïcité est vraiment un bouclier qui nous protège de dérives sectaires et religieuses, un rempart contre le racisme. 
Je ne résiste pas au plaisir d'en citer une qui me plaît énormément, quitte à faire frémir beaucoup de bobos et tous les religieux. Petit rappel : "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte." ( article 2 de la loi de 1905), beaucoup plus simple que de devoir être à l'écoute de toute une multitude... Or depuis une certaine loi Debré, l'état verse chaque année  11 milliards d'euros aux écoles privées, qui en plus d'exercer un indéniable prosélytisme, trustent les enfants issus de milieux favorisés, accentuant de fait la fracture sociale. Leur enlever leurs subsides et les réserver à l'Ecole Publique, laissant le privé se financer tout seul, résoudrait plusieurs problèmes. Avec un retour massif des enfants du pays dans l'école de la République, plus de problème de carte scolaire, retour d'une plus grande mixité sociale et surtout utilisation de cette somme astronomique pour instruire ceux qui en ont le plus besoin ( ZEP) dans une école où chaque enfant, quelque que soit son origine, pourra recevoir un enseignement aux buts identiques : une éducation sans préjugés. ( libre aux parents de leur donner  une instruction religieuse en dehors). Je sais bien qu'une telle proposition ouvrirait une nouvelle "guerre" scolaire. Mais n'est-il pas temps de prendre le taureau par les cornes en commençant par la base et surtout en appliquant cette loi qui nous protège réellement de cette radicalisation des esprits ? Elle n'est, si on la regarde bien, ni raciste, ni excluante mais répond parfaitement à notre chère devise : liberté, égalité, fraternité. 
Caroline Fourest le démontre brillamment dans son livre. Pourvu qu'elle soit lue et entendue !
Et pour tous ceux qui ne manqueront pas de la trouver trop raide face aux religieux, regardez l'actualité. Dans un pays démocratique, où l'on fait la part belle aux religions, soi disant moins raciste, regardez ce que cela vient de donner : l'élection de Donald Trump qui plonge le pays dans une fracture dont il aura du mal à cicatriser les plaies et qui laisse prévoir des jours bien sombres. 
C'est quoi l'une des phrases de conclusion de "Génie de la laïcité "?  " Au rythme où frappent les attentats, ce sera la laïcité ou le fascisme." N'aurait-elle pas tristement raison ? Alors protégeons-nous et surtout ne méprisons pas notre laïcité, bouclier culturel inégalable !

dimanche 13 novembre 2016

Le client de Asghar Farhadi





Je suis sorti du "client" assez dubitatif. Les plus de deux heures que dure le film ont défilé sans l'ombre d'un ennui car, comme d'habitude, le scénario d'Asghar Farhadi aux ressorts dramatiques qui s'enfilent les uns à la suite des autres, permet de garder l'intérêt jusqu'au bout. Cependant, une impression de lourdeur ne m'a pas quitté de toute la projection. La scène d'introduction, à la symbolique un peu trop appuyée, donne le ton à la suite qui ne se départira jamais de surligner chaque rebondissement.
Ca démarre comme un  film catastrophe ( sans les trucages hollywoodiens). Un couple de comédiens est obligé d'évacuer prestement son logement qui risque de s'effondrer suite à des travaux de terrassements voisins. Ces murs, ces vitres qui se lézardent autour de ces hommes et de ces femmes qui s'enfuient font bien sûr penser à une société iranienne perdue et au bord du gouffre ( trop de changements dus à une certaine modernité ou un régime trop autoritaire ?).
Avec l'aide d'un ami, le couple aménagera dans un nouvel appartement.Suite à un malheureux enchaînement de circonstances, quelqu'un s'introduira dans ce nouveau home et agressera la jeune épouse sous la douche. Arrêtons-nous ici deux minutes pour préciser que la scène n'a rien à voir avec celle de "Psychose" et ne risque pas de lui faire concurrence, car tout se passe hors champ. Pas question pour un film iranien, visible sur les écrans de son pays d'origine, de montrer le moindre bout de corps féminin, ni d'ailleurs le moindre toucher entre les époux  à l'écran, ni qu'on puisse voir l'héroïne sans un voile sur la tête ( ainsi, elle dort même avec ) et je ne vous pas des circonvolutions de langage pour parler de l'agression ! Toutes ces obligations dues à la censure islamique pèsent un peu sur le film, surtout pour nous occidentaux. Le réalisateur arrive tout de même à garder le cap de son histoire, en versant ensuite dans le conte moral ( version  Dardenne pas Rohmer). Devant le refus de l'épouse à porter plainte, le mari décide décide de la venger. C'est facile pour lui car l'agresseur, empressé de prendre la fuite, a laissé les clefs d'une voiture et son portable. A partir de ce moment là, le scénario emprunte les rives philosophiques de la vengeance et de son questionnement... De révélations en révélations, nous nous acheminons vers un final pas mal appuyé.
Je dis appuyé, car les deux comédiens jouent au théâtre une pièce d'Arthur Miller, " Mort d'un commis voyageur " dont les extraits que nous voyons sont en parfaitement adéquation avec la vie réelle du couple. Son délitement progressif nous est donc asséné deux fois. A ce procédé intelle, peu original, s'ajoute une dernière partie bien pesante. En mélangeant les difficultés intimes des époux, dont on perçoit bien le statut bancal à l'intérieur d'une société aussi intransigeante, avec un suspens autour de la vengeance, le scénario dilue la portée du propos. Asghar Farhadi a beau jouer de la mise en scène en utilisant avec brio les différents niveaux, murs, encadrements, miroirs de l'appartement dans lequel se déroule le dénouement, le film s'éparpille et ne traite finalement pas complètement ses sujets. Une impression de fabrication apparaît, entre slalom pour ne pas mécontenter le régime iranien et danse du ventre pour éblouir les festivals. Le procédé n'est pas nouveau, c'était déjà le cas dans ses précédentes productions. Mais cette répétition commence par apparaître comme un système trop bien huilé pour continuer à nous passionner.








vendredi 11 novembre 2016

Ma famille t'adore déjà de Jérôme Commandeur et Alan Corno


L'île de Ré l'été, une famille bourgeoise un rien déjantée, un couple d'amoureux et une comédie autour du mensonge (et si on veut être très gentil un peu sur la représentation de la réussite sociale), voilà le gros du thème du premier film de l'humoriste Jérôme Commandeur qui n'a pas cherché à faire dans l'originalité. Comédie française qui fera une belle soirée sur TF1, " Ma famille t'adore déjà"se laisse regarder. Quelques répliques ici ou là m'ont fait sourire ( celles  mi caustiques mi gnangnans de Marie-Anne Chazel  surtout) mais rien de nouveau sous le soleil. Dans la lignée de "Mon beau-père et moi", le film ne cherche pas à étonner, simplement à faire passer un moment.selon son humeur, on peut y prendre un petit plaisir du genre aussi vite vu qu'oublié.
Comme mon esprit n'était pas occupé à 100%, mon oeil a vagabondé sur l'écran et a encore une fois été accroché par un détail que l'on retrouve dans beaucoup de films français se déroulant en province : la Volvo ! C'est devenu un tic ! Un film sur deux se déroulant en région ou mettant en scène des familles, se voit affublé d'un vieux modèle de la marque suédoise, pourtant pas si courante que ça sur nos routes. De mémoire, et j'en oublie beaucoup, je me souviens de Virginie Efira dans " Le goût des merveilles" qui en conduit une version break pour vendre ses produits au marché, de Marianne Denicourt  visitant ses malades vivant dans des fermes éloignées dans " Médecin de campagne" et  donc Jérôme Commandeur et sa petite famille presque nombreuse. Dans leur vieille Volvo, ils correspondent toujours à des personnages battants mais dans la mouise financière, ou en début de carrière donc peu argentés, de toute les façons zonant avec un environnement précaire. Pas tellement vendeur pour Volvo dont on pense qu'elle ne refile pas ses voitures pour un placement produit. Cependant, à bien y regarder, la marque conserve son aura de bonne camelote suédoise, car malgré l'adversité dans laquelle évolue leurs conducteurs au cinéma, jamais leur bagnole ne tombe en panne, l'image de fiabilité à toute épreuve n'étant jamais écornée. De surcroît, la présence de cette gamme de voiture à l'écran suffit dorénavant, sans explication aucune, à caractériser le personnage : petite bourgeoisie déclassée ou pas loin.
Mais revenons à nos "Périnée" ( oui c'est le nom de la famille que certains appellent aussi "Périmée" ) qui renouent les manches de leurs pulls négligemment posés sur leurs épaules, faut-il leur rendre une petite visite ? Si vraiment vous avez envie d'un petit film ensoleillé en novembre, on peut se laisser tenter. Sinon, ça peut attendre un passage à la télévision, et encore...



mercredi 9 novembre 2016

Culottées 1 de Pénélope Bagieu


Le jour où une partie de l'humanité vient de se prendre un coup de massue sur la tête, où le triomphe de l'inculture devient de plus en plus flagrant, comment résister à la désillusion et appréhender les lendemains qui risquent ne pas chanter énormément ? Tout simplement, fermer les écouteurs pour fuir la loghorrée de ces gens avisés qui n'en savent guère plus que vous mais qui parlent, parlent, et se poser avec un livre. Et ça tombe bien, pour nous remonter un peu le moral, sourire malgré les doutes, nous prouver que le monde peut faire face à l'adversité, quel meilleur remède que de se plonger dans "Culottées 1" de Pénélope Bagieu ?
Il n'y aura donc pas de femme présidente des Etats-unis pour cette fois-ci, le plafond de verre d'une certaine misogynie n'aura pas été brisé mais "Culottées 1 " nous rassurera un peu quant au fait avéré que, sans conteste comme disait un certain poète, la femme est bien l'avenir de l'homme et même de l'humanité.
Quinze portraits de femmes sont réunis dans cet ouvrage, quinze femmes fortes, fières, déterminées, qui ont réussi à prendre leur destin en main. En faisant fi de tous les préjugés possibles, qu'ils soient raciaux ( Joséphine Baker, ...), politiques ( Wu Zetian, ...), sociétaux ( toutes les 15 !) et même esthétiques ( Clémentine Delait, ...), ces femmes ont affronté l'obscurantisme ambiant et affirmé leurs personnalités coûte que coûte. Toutes en sont sorties grandies.Le chemin fut deux fois long, deux fois plus difficile car naître femme dans la plupart des époques et des contrées, signifiait...  signifie car le présent est hélas encore de mise, signifie donc être assignée à un sous-rôle, une sous représentation.
De ces courageuses admirables, Pénélope Bagieu, en quelques pages, dresse un portrait  tout en finesse, ferveur  et surtout avec cet humour qu'on lui connaît si bien. Chaque case, composée d'un court texte, devient le prétexte à un gag, un clin d'oeil ou parfois un hommage poignant ou sensible. De toute une série de biographies synthétiques, la talentueuse auteure nous offre un recueil aussi didactique qu'humoristique, aussi pertinent que féministe. Oui, n'ayons pas peur des mots, l'album revendique un sacré féminisme vraiment revigorant. En envoyant valser les tabous multiples que les sociétés mettent sur leur chemin pour les cantonner dans le rôle d'élément subalterne, ces femmes courageuses et exemplaires nous redonnent confiance en un avenir que l'on peut rêver meilleur.
Pénélope Bagieu écrit, dessine et frappe juste. Avec humour, elle nous démontre que la victoire sourit parfois aux audacieuses qui luttent non seulement pour elles mais aussi pour le bien être de l'humanité. Sans elles, sans leur ténacité, le monde d'aujourd'hui serait encore pire. Il ne faut surtout pas qu'elles tombent dans l'oubli. Leurs vies restent bien plus édifiantes et gratifiantes que toutes les balivernes religieuses ou les discours politiques. Merci à Pénélope de nous mettre ou remettre en mémoire ! Et vivement un deuxième tome !






mardi 8 novembre 2016

Fils du feu de Guy Boley



Chez Grasset, niveau premiers romans, cette rentrée, ils ont assuré ! Gaël Faye surfe en haut de la vague des titres qu'il faut lire mais dans leur catalogue se trouve une deuxième perle : le premier ouvrage de Guy Boley, "Fils du feu". 
Comme "Petit pays", il s'agit d'un récit d'enfant, d'enfance, de vie, de mort. Mais la comparaison s'arrête là. Si le récit de Gaël Faye débute façon Petit Nicolas, Guy Boley, lui, choisit une entrée en matière nettement plus littéraire. Nous sommes dans une ces forges artisanales comme on en trouvait dans toutes les villes après guerre. Deux hommes, qu'un enfant perçoit comme des demi-dieux, travaillent le fer dans la chaleur d'un brasier et au milieu d'un nuage d'escarbilles semblables à de minuscules étoiles filantes. L'un est le père du narrateur, l'autre son ouvrier, figures martiales et taiseuses d'un univers voué à l'acier torsadé, vrillé, spiralé. Personne ne sait encore que ces coups de masse seront à jamais effacés par un avenir voué au progrès mais aussi à la dureté d'un destin qui ne frappe jamais là où on l'attend. Chez cette famille vivant dans un petit quartier populaire, la grande faucheuse s'arrêtera un jour pour emporter un petit frère. Ceux qui resteront, abasourdis, anéantis, devront composer une suite avec une autre mort, celle des petits métiers. Sournoise, la folie guette...
Le roman est ample, courant sur plusieurs décennies, poignant et surtout admirablement écrit. Dés l'entrée en matière, on sent une écriture exigeante, qui peut apparaître un peu ardue avec ses envolées quasi symphoniques pour décrire le travail des hommes. de nombreuses citations mythologiques accentuent cette sensation surtout qu'elles sont accompagnées ici ou là d'un vocabulaire précis qui m'a fait me précipiter sur un dictionnaire. ( Je l'avoue, j'ignorais, entre autre,  le sens du mot "hiérophante" et celui de " hongroyé" m'apparaissait flou.).Mais très vite cette langue exigeante nous emporte au coeur du récit qui de âpre au début, devient au fil des pages de plus en plus doux. sans jamais tomber dans le mélodrame. Guy Boley décrit cette enfance boiteuse, coincée entre un père devenu aussi absent que violent et une mère au deuil impossible. Nous voyons le narrateur grandir, sortir de ce nid sombre et s'émanciper sans jamais oublier d'où il vient, continuant à garder, malgré les affres de la vie, un regard bienveillant sur ses parents au destin semblable à la barre de fer torsadée du début. 
"Fils du feu" est ce que l'on peut appeler sans rougir un beau roman, dense et qui vous emporte. C'est pour cela que l'on peut demander gentiment à Gaël Faye de se pousser un tout petit peu pour que l'on puisse aussi apercevoir Guy Boley, il le mérite amplement ! D'ailleurs, les membres du jury de la société des gens de lettres ont su se faufiler et lui accorder leur prix du premier roman à ce "fils du feu" qu'il ne faut pas laisser passer. 

lundi 7 novembre 2016

Parachute de Mélanie Pain



Alors que l'automne s'installe avec ses jours trop courts, son manque de soleil, j'ai la chance d'avoir fait une rencontre que je qualifierai de sensuelle. Depuis une semaine, le retour des écharpes est oublié, je m'adonne à la douceur et au bonheur de vivre, accompagné par Mélanie...Mélanie Pain.
Nous nous étions déjà croisés en 2009  ( My name, premier album) où elle était copine avec un jeune nommé Julien Doré ( "Helsinki" duo très réussi)... Puis, nous nous sommes perdus de vue. C'était peut être un peu de mon fait, sans doute plus attiré par d'autres, mieux diffusés. Et soudain, elle est réapparue, un peu changée, ayant abandonné les guitares, préférant un piano et quelques instruments électros et surtout plus fragile mais avec une féroce envie de caresser la vie sous toutes ses coutures.
Mélanie est une fille franche. Avant de débuter notre relation, elle tient à ne rien cacher de son passé que l'on devine douloureux, peut être un peu dépressif, mais qu'elle assume. Dans " Comme une balle ", morceau d'ouverture de ce troisième album, elle se dit "En sursis au fond du silence...je suis une femme devenue folle ".  Mais " Presque droit, je tiens, de travers, je tiens, je tiens debout." me rassure-t-elle dans des volutes électros mélangées à de sourdes percussions du plus bel effet.
Cette franchise me plaît et c'est avec délice que je m'offre à elle pour l'accompagner sur ce nouveau chemin. La tendresse dont on a tous tant besoin surgit et je plonge, emporté par la caresse de ses "lèvres de rubis sur ma peau nue.". Sa douce voix délicatement acidulée s'enlace avec les notes du piano qui fait culminer l'étreinte.
Ce moment  de sensualité passé, on se confie bouche contre oreille. Après les corps, la parole se libère. Les souvenirs d'hier reviennent, cruauté de la vie qui nous prend des proches qui finissent " Dans une boîte". Je commence à comprendre l'ombre de tristesse qui passe dans sa voix.
La nudité nous allant si bien, nous sortons un peu sous un chaud soleil accompagné de vents brûlants, "Là où l'été", dans une ambiance aquatique et minérale, enveloppe nos corps et nos peaux pourtant habillés des voiles caressants d'une mélodie imparable. Et même si quelques larmes perlent au coin des yeux de Mélanie, la chaleur ambiante les fait s'évaporer. " On dirait" que les douces envolées de sa voix ondulent dans l'air chaud.
Il nous a fallu rentrer, retrouver la ville, la civilisation. Accompagné des programmations virevoltantes de " Pristine"  vient le temps des questions existentielles : "Are you ready to burn until the very end ? "  me demande-t-elle. Et devant ma réponse affirmative, elle redevient plus tendre, voulant que je lui dise " Le mot", en passant, un peu trop tard sans doute, mais fort, fort, fort. Le piano s'emballe, alors que fesses contre fesses, je lui dis le mot tant attendu. " Au fond, il se pourrait que je t'aime" me chuchote -t-elle dans "Jette" , morceau incandescent et prenant qui me fait complètement chavirer.
Arrivé à ce stade, je lui laisse me prendre la main et je suis près à la suivre jusqu'au bout du monde. Sur un air de bossa, elle choisit "Rio", peut être notre ultime voyage car ses doutes la reprennent. Mélanie se dresse, sa voix devient plus grave. Les quelques notes que le piano égrène en fond accompagnent son désarroi. " L'amour n'est plus tout à fait jeune et beau, le corps chante une étrange et triste mélodie".  D'un bout à l'autre, cela sent la fin .
Oui c'est bien fini....Mais aucune tristesse de ma part. Mélanie me quitte... L'avantage de vivre des amours sur platine, c'est que l'on peut recommencer, encore et encore, se laisser envoûter par sa voix cristalline et douce, se laisser bercer par ses mots tendres et parfois sombres et découvrir que chaque nouvelle écoute est toujours plus belle, toujours plus dense et toujours aussi sensuelle.
Cette pépite s'intitule "Parachute". C'est écrit et composé par Mélanie Pain. je n'aurai qu'un seul mot : Plongez !



dimanche 6 novembre 2016

L'autre qu'on adorait de Catherine Cusset



J'aime l'écriture de Catherine Cusset par contre il m'arrive de ne pas adhérer systématiquement à sa production romanesque partant toujours d'éléments autobiographiques romancés. Dans les meilleurs des cas cela donne "Un brillant avenir " ou très récemment le délicat " Le côté gauche de la plage" et dans le pire  " Indigo". "L'autre qu'on adorait" se situe pour moi entre les deux.
Thomas, est grand, beau, très très intelligent et promis à un brillant avenir dans un milieu universitaire où sa parfaite connaissance de l'oeuvre de Proust  lui donne une aura qu'il sait utiliser sans complexe. Après avoir été un temps l'amant flamboyant de l'auteure, il restera ensuite un ami fidèle. C'est au nom de cette amitié et à la suite de son suicide à trente-neuf ans, que Catherine Cusset retracera son parcours de 1986, année de son premier échec à Normale Sup à avril 2008, date de sa mort.
Le récit débute sur les chapeaux de roue, brillant mélange d'éléments biographiques, historiques et psychologiques autour de ce séducteur. J'ai été tout de suite accroché, intéressé malgré la forme très personnelle que prend le texte. Catherine Cusset s'adresse à Thomas en employant le tutoiement, signe de proximité, voire de réalité, donnant ainsi une force à son récit mais tenant aussi le lecteur à distance. La description minutieuse de cet univers d'universitaires très aisés, certes sociologiquement et psychologiquement intéressante, envoie malgré tout des signes bien précis d'un  monde à part dont, au fil des pages on se sent petit à petit un peu exclu. Thomas, sautant de maîtresses en maîtresses comme dans les nombreux vols aller/retour France/Usa, finit par lasser. Ses amours et sa procrastination autour de sa thèse se font de plus en plus répétitives, ses recherches d'emploi aussi. L'écriture virevoltante de Catherine Cusset, fait que l'on n'abandonne pas son héros, de plus en plus antipathique. On le laisse continuer à disserter ( brillamment ) sur Proust, à acheter ses glaces chez Crébillon, à draguer et baiser divinement des conquêtes et à boire des grands crus. Heureusement vers le dernier tiers, un regain d'intérêt apparaît avec, je pense, le noeud du livre, l'élément sans doute déclencheur de cet hommage posthume. Catherine Cusset avait écrit au début des années 2000 un portrait peu amène de son ami qu'elle avait eu l'audace ? l'honnêteté ?  de lui faire lire. En tant que lecteur, un certain malaise naît. Malveillance de la part de l'auteure ? Sentiment de culpabilité ? En tous les cas la réflexion que ce texte a suscité de la part du malheureux a ouvert la porte au roman : " Tu sais, Catherine, les gens ont quand même une vie intérieure.", phrase plusieurs fois reprise comme une claque dont on ressent toujours l'impact. Et soudain, la description de sa lente descente vers le néant nous happe, avec, tapie derrière les mots, une réelle émotion qui irrigue les dernières pages.
"L"autre qu'on adorait" finit par emporter le morceau mais, à cause du chaud et du froid qu'il propose, mon avis restera un peu tiède... 

samedi 5 novembre 2016

Réparer les vivants de Katell Quillévéré



Après le livre aux multiples prix, après l'adaptation théâtrale qui a enflammé Avignon, voici le film qui enthousiasme la critique. Etant seulement lecteur du roman qui, à part quelques petites réticences sur la tendance de l'auteure à s'écouter parfois écrire, emportait sans problème l'adhésion, l'adaptation cinématographique attisait ma curiosité, même si l'on reniflait l'espoir d'un bon coup juteux pour les producteurs. A l'arrivée, j'ai plutôt un sentiment mitigé. Le film, en voulant se démarquer du livre, propose un récit un peu bancal.
Pour rappel, le roman, au timing haletant, racontait le parcours d'un coeur qui de bon matin était dans le corps d'une jeune surfer et finissait dans la nuit suivante dans le thorax d'une cinquantenaire. Entre les deux, les vivants, les humains qui souffraient, exerçaient leur métier ou accompagnaient ce coeur dans une course contre la montre pour la vie.
Le film garde la trame générale, plaidoyer pour le don d'organe mais s'essaie à autre chose que ce périple à la tension ininterrompue. Le début du film, magnifique mise en image silencieuse des mots du roman, nous plonge avec poésie dans cette passion que peut être le surf pour des passionnés, moment intense que la scène forte et minimale de l'accident clos sans appel. Et nous basculons dans l'humain, avec une succession de personnages, tous joués par des têtes d'affiche qui font leur job à merveille ( même si j'ai trouvé Tahar Rahim, empathique mais pas trop crédible en médecin). Ce que le film apporte en glamour ( oui, même pas maquillée, Emmanuelle Seigner est sublime ), on le perd en tension narrative. Une évidente envie de ne pas trop jouer la carte larmoyante doublée de l'arrivée très rapide de la future greffée, dirige le film sur deux voies différentes qui ont au final du mal à se marier. On s'attarde sur l'univers de Claire Méjean, la receveuse du coeur, sa vie familiale, son amour pour une belle concertiste, cassant du coup l'urgence et la frénésie que crée la situation. Et quand le coeur reprend le dessus, c'est pour nous imposer une longue opération qui au final n'a guère d'intérêt dramatique. Anne Dorval a beau être formidable, Dominique Blanc incarner à merveille un grand chirurgien, le film perd en intensité et slalome entre deux réalités pas totalement en harmonie. Il a beau avoir une unité de temps et baigner constamment dans une lumière pâle ( aube, temps gris presque pluvieux, tombée de la nuit), entre chien et loup, la greffe  entre technique médicale et vie humaine ne prend pas réellement. Sans arriver au rejet, on se contente d'admirer la parfaite illustration d'un don civique et citoyen.
"Réparer les vivants", le film, malgré une tentative d'y mettre un regard personnel, peine à convaincre. Reste la  bande de comédiens formidablement dirigés qui  parvient à donner un certain cachet à cette production délicate mais pas vraiment convaincante.


vendredi 4 novembre 2016

La mort de Louis XIV de Albert Serra





Le programme de mon cinéma précisait "drame historique expérimental". Qu'à celle ne tienne, l'accueil critique quasi unanime au moment de sa présentation à Cannes restait en écho dans ma tête, augmenté par l'envie de voir Jean-Pierre Léaud dans un vrai rôle de composition. Donc, confiant, je me suis embarqué pour presque deux heures au chevet du roi soleil mourant.
Au début, Louis XIV n'est plus au top de sa forme. Alité, il perçoit encore les échos de quelques fêtes données dans la pièce d'à côté où courtisans et politiques devisent presque gaiement, passant de temps en temps la porte restée ouverte pour venir auprès de lui avec une empathie assez fabriquée. Mais bientôt, la chambre sera réservée aux seuls médecins, membres du clergé ou très proches. La gangrène semble prendre le pied du souverain qui perd l'appétit et s'enfonce dans l'apathie. Puis viennent quelques râles, gémissements de douleurs. La gangrène est bien là, gagnant rapidement toute la jambe malgré les traitements de la dernière chance ( un élixir donné par un charlatan, composé de jus de grenouille, de liqueur de cerveau de nouveau né et de couille de taureaux...ou quelque chose d'approchant ). On s'achemine vers le terme de la vie du roi. L'appétit a déjà disparu, ses biscottins accompagnés de vin d'Alicante ne le contentent plus. Louis XIV ne parle plus, ne gémit plus. L'extrême onction est demandée...
Je ne vous raconte pas la suite pour ménager le suspens...
C'est certain, ce film est une expérience ! Nous sommes vraiment au chevet du roi pour suivre son agonie. A part une scène introductive, nous ne quitterons jamais la chambre, unique décor ( très soigné) du film. Seule la caméra, imperceptiblement, de plans en plans, se rapprochera du mourant. Autour de lui, tout est silencieux, compassé. Les quelques paroles prononcées par ceux qui l'accompagnent dans ses dernières heures, sont accompagnées de gestes lents et cérémonieux. La politique n'existe plus, seul un vague achat de pierres égyptiennes sera évoqué. Le film, assumant une certaine lenteur, laisse alors le spectateur face au spectacle de la mort. On peut s'ennuyer, trouver cela un peu trop radical ou laisser son esprit vagabonder. Ce long calvaire remet en perspective le statut de tout être humain. Roi ou paysan, face au trépas, nous sommes tous à égalité. On ne sait plus qui du monarque ou de Jean-Pierre Léaud, perruqué avec magnificence, dans une sublime lumière, s'éteint peu à peu. On le regarde, ses joues tremblantes, sa bouche rentrée, son immobilisme d'où surgit parfois la seule intensité de son regard noir. Quelle composition ! J'ai vraiment eu l'impression d'assister à son trépas, qu'il nous offrait là son dernier adieu cinématographique... Et puis entre deux essuyages de bouches, je me suis même demandé si tout cela n'était pas au final un film métaphorique sur la fin du cinéma, gangréné par les images de synthèses, le montage survitaminé aux plans de deux secondes, ses acteurs, actrices toujours plus jeunes au fil des ans....
Voyez, "La mort de louis XIV", pour peu que l'on y adhère peut vous entraîner assez loin. Ce cinéma radical, geste artistique assez unique, reste une originalité vers laquelle on peut aller, surtout si l'on a pas peur d'affronter des moments peu aimables, voire l'ennui.



jeudi 3 novembre 2016

La suture de Sophie Daull


Pour qui n'a pas lu le premier roman de Sophie Daull ( excellent selon les critiques ), je ne suis pas certain que le titre très chirurgical de son second soit bien engageant. Et si on se penche sur le thème, sauf avoir envie de pleurer par empathie, une lecture peu réjouissante pointe son nez. Jugez plutôt : Après avoir perdu Camille, sa fille âgée de 16 ans, l'auteure découvre une boîte à chaussures emplie de quelques petites photos noir et blanc, de bulletins de salaire et de quelques lettres ou cartes postales, toutes ayant appartenu à sa mère morte voilà presque 30 ans. Un vrai de roman de Toussaint ? Pas du tout ! " La suture " se révèle absolument FORMIDABLE !
Face à sa petite boîte, une évidence surgit : Si Camille sa fille n'aura aucun futur,sa mère n'ayant jamais rien raconté n'a aucun passé, sauf ces quelques vestiges non datés, non commentés. De ces deux trous narratifs, Sophie Daull va essayait de recréer celui de Nicole, femme mystère, maman cachée derrière ses gitanes sans filtre et ayant emporté beaucoup de secrets avec elle. Démarre alors une enquête mal aisée dans différents coins de France où vécut cette mère taiseuse. Seulement, le temps a passé, les témoins supposés de cette vie trépassé. Reste l'imaginaire pour mettre des mots sur une histoire irrémédiablement perdue. Le roman raconte cette construction semblable à une couturière qui créé une couverture en patchwork avec les bouts qu'elle trouve et assemblant le tout avec des créations personnelles au crochet. L'ensemble permettra sans doute de tenir chaud à l'âme et au coeur, permettant ainsi de cicatriser de nouveaux malheurs comme un point de suture le fait pour une plaie.
Contrairement à ce que l'on attendait, l'élaboration de cette histoire familiale est tout sauf triste, je dirai même que Sophie Daull a la nostalgie joyeuse. Dans un style simple, léger et terriblement touchant, nous la suivrons de villages désormais mourants où la présence d'une étrangère suffit à détourner les regards des postes de télévision en zones commerciales bigarrées mais impersonnelles ou en  rencontres de vieilles personnes prêtes à déballer des souvenirs mais jamais les bons. Il y a du Depardon dans sa façon de regarder cette France façonnée par 60 années de démographie urbaine galopante. Le récit prend forme à la façon d'une couturière ethnologue facétieuse, cousant une atmosphère avec une photo non datée, une adolescence avec la vue d'un groupe de vieux HLM,  une ébauche d'histoire d'amour à partir d'un bulletin de paye. Les années cinquante et soixante revivent sous sa plume, mélange de légèreté due à la jeunesse et de parcours sinueux malaisé, cette reconstitution devenant un socle pour mieux affronter un lourd présent.
"La suture" fut un moment de lecture aussi intense que passionnant et émouvant. Sophie Daull possède ce talent assez unique de créer une fiction à partir d'une dure réalité sans jamais jouer la carte de la tristesse, célébrant plutôt la vie (passée, présente voire future) dans un élan d'écriture à l'aménité  contagieuse.




mercredi 2 novembre 2016

Mademoiselle de Park Chan-wook



A l'image de ses trois personnages principaux, "Mademoiselle" se présente à nous avec toute la malignité nécessaire pour qu'il soit apprécié par le public le plus nombreux. L'intrigue roublarde mais pas forcément finaude, joue autour d'une machination débitée en trois parties qui donnent chacune un éclairage nouveau et donc des révélations en veux-tu en voilà. Si la première expose les faits, les deux suivantes vont s'ingénier à nous montrer une autre vérité, d'autres facettes de ce complot au mariage concocté par une jeune coréenne et un malfrat de bas étage au détriment d'une riche héritière japonaise. Ce petit jeu autour du faux-semblant a déjà fait l'objet de moultes productions mais ici, il est accompagné d'une multitude d'autres effets qui rendent le film de Park Chan-wook un peu plus singulier que la moyenne. Tout à la fois mélo, film érotique voire film un peu gore, "Mademoiselle" bénéficie en plus d'une mise en image absolument somptueuse. Chaque plan, composé pour nous en mettre plein la vue, accroche l'oeil ( quelque fois à la façon de ces images proposées en fond d'écran sur les ordis sous Windows ). La caméra vole en arabesque dans des décors sublimes et tarabiscotés, suit avec grâce ses magnifiques héroïnes, caresse leurs corps. Comme  nous ne sommes pas chez Hou Hsiao-hsien, on ne s'ennuie pas une seconde et l'on comprend toute l'histoire. La toile de fond en Corée dans les années 30 au moment de l'occupation japonaise reste anecdotique sauf peut être pour permettre de donner une symbolique de rapprochement entre les deux peuples avec les longues scènes saphiques des deux créatures de rêve qui tombent souvent le kimono. L'érotisme, le sexe sont très présents dans cette histoire. Du frôlement d'étoffe ou d'un doigt sur un bout de peau jusqu'au sadomasochisme, toute une gamme assez importante de plaisirs sensuels et érotiques nous est proposée. Les récits du marquis de Sade hantent les deux dernières parties ainsi que les estampes japonaises mettant en scène des corps offerts et contorsionnés. Prévenons les âmes sensibles, les hommes sont mis à rude épreuves et une scène de torture risque de mettre les plus sensibles assez mal à l'aise.
Vous l'aurez compris "Mademoiselle" joue sur beaucoup de tableaux à la fois et aurait pu sombrer dans un grand n'importe quoi. Mais la longueur de l'ensemble ( 2h25) permet au réalisateur de prendre le temps de lier sa sauce, certes avec beaucoup d'esbroufe mais avec une maestria épatante. La prise de vue superbe, la beauté des interprètes, la magnificence des décors, l'ondulante, tournoyante ou travelingnesque caméra enrobent ce récit somme toute classique, d'une façon efficace. De boules de geishas en poulpe géant ondoyant dans un aquarium, le film se révèle au final un plaidoyer féministe pour un amour libéré de toute contrainte aussi bien sociale qu'intellectuelle. Militant et original, "Mademoiselle" est la curiosité emballante de la semaine.