jeudi 3 novembre 2016

La suture de Sophie Daull


Pour qui n'a pas lu le premier roman de Sophie Daull ( excellent selon les critiques ), je ne suis pas certain que le titre très chirurgical de son second soit bien engageant. Et si on se penche sur le thème, sauf avoir envie de pleurer par empathie, une lecture peu réjouissante pointe son nez. Jugez plutôt : Après avoir perdu Camille, sa fille âgée de 16 ans, l'auteure découvre une boîte à chaussures emplie de quelques petites photos noir et blanc, de bulletins de salaire et de quelques lettres ou cartes postales, toutes ayant appartenu à sa mère morte voilà presque 30 ans. Un vrai de roman de Toussaint ? Pas du tout ! " La suture " se révèle absolument FORMIDABLE !
Face à sa petite boîte, une évidence surgit : Si Camille sa fille n'aura aucun futur,sa mère n'ayant jamais rien raconté n'a aucun passé, sauf ces quelques vestiges non datés, non commentés. De ces deux trous narratifs, Sophie Daull va essayait de recréer celui de Nicole, femme mystère, maman cachée derrière ses gitanes sans filtre et ayant emporté beaucoup de secrets avec elle. Démarre alors une enquête mal aisée dans différents coins de France où vécut cette mère taiseuse. Seulement, le temps a passé, les témoins supposés de cette vie trépassé. Reste l'imaginaire pour mettre des mots sur une histoire irrémédiablement perdue. Le roman raconte cette construction semblable à une couturière qui créé une couverture en patchwork avec les bouts qu'elle trouve et assemblant le tout avec des créations personnelles au crochet. L'ensemble permettra sans doute de tenir chaud à l'âme et au coeur, permettant ainsi de cicatriser de nouveaux malheurs comme un point de suture le fait pour une plaie.
Contrairement à ce que l'on attendait, l'élaboration de cette histoire familiale est tout sauf triste, je dirai même que Sophie Daull a la nostalgie joyeuse. Dans un style simple, léger et terriblement touchant, nous la suivrons de villages désormais mourants où la présence d'une étrangère suffit à détourner les regards des postes de télévision en zones commerciales bigarrées mais impersonnelles ou en  rencontres de vieilles personnes prêtes à déballer des souvenirs mais jamais les bons. Il y a du Depardon dans sa façon de regarder cette France façonnée par 60 années de démographie urbaine galopante. Le récit prend forme à la façon d'une couturière ethnologue facétieuse, cousant une atmosphère avec une photo non datée, une adolescence avec la vue d'un groupe de vieux HLM,  une ébauche d'histoire d'amour à partir d'un bulletin de paye. Les années cinquante et soixante revivent sous sa plume, mélange de légèreté due à la jeunesse et de parcours sinueux malaisé, cette reconstitution devenant un socle pour mieux affronter un lourd présent.
"La suture" fut un moment de lecture aussi intense que passionnant et émouvant. Sophie Daull possède ce talent assez unique de créer une fiction à partir d'une dure réalité sans jamais jouer la carte de la tristesse, célébrant plutôt la vie (passée, présente voire future) dans un élan d'écriture à l'aménité  contagieuse.




1 commentaire:

  1. je finis à l'instant Camille mon envolée du meme auteur...saisissant !!

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