lundi 31 août 2015

La petite femelle de Philippe Jaenada


Pas du tout lecteur des "dossiers extraordinaires " de Pierre Bellemare, ni autres récits édifiants et judiciaires, je ne connaissais pas l'affaire Pauline Dubuisson qui s'est déroulée au début des années 50 du siècle dernier et dont l'aura s'est poursuivi longtemps au fil des décennies suivantes. Pour ceux qui ne seraient ni un lecteurs assidus de "Détective" ni collectionneurs de "Paris Match", la lecture du dernier roman ? essai ? biographie ? de Philippe Jaenada réparera cet oubli mais surtout risque de vous passionner au-delà de toute attente.
Pauline Dubuisson, issue d'une famille bourgeoise du Nord de la France, fut élevée à la maison par une préceptrice, entourée d'une mère neurasthénique et d'un père imbibé de philosophie nietzschéenne. Le résultat donna une jeune fille très mature, belle, dure aux sentiments qu'elle a appris à cacher. Pré adolescente durant la seconde guerre mondiale, elle connut ses premières expériences sexuelles vers 12 /13 entre les bras de l'occupant, pas tout un régiment, rassurez-vous, juste deux hommes qu'elle choisit. Le nombre importe peu, elle fit preuve de non patriotisme et subit sans doute à la libération l'ignoble sort de celles qui eurent la faiblesse de céder aux attraits des soldats allemands. Pauline, releva la tête comme elle savait si bien le faire et continua sa vie en suivant de brillantes études de médecine jusqu'en 4ème année. Elle eût bien à cette époque une ou deux amours mais rencontra surtout un autre étudiant en médecine, issu lui aussi  d'une famille bourgeoise. Félix (oui, c'est ainsi qu'il se nomme) qu'on rangerait de nos jours dans la catégorie SM (Socquettes et Mocassins), va être vite déniaisé, devenant tout à fait addict aux plaisirs charnels avec
Pauline. Mais vous savez ce que c'est, le passé resurgit toujours et il y a souvent de méchantes langues pour prévenir qui de droit que la jeune étudiante est loin d'être une oie blanche, mais plutôt une grue. La relation des amants, malgré les demandes en mariage de Félix, va péricliter, Pauline essayant de gommer de sa tête ce passé sulfureux et son amoureux, téléguidé par sa famille, se tournant vers une vraie jeune fille qui a su garder sa virginité ( élément très important à cette époque). Le crime passionnel  arrive et devient de façon assez incompréhensible, un fait divers qui va passionner les foules mais surtout déclencher une hystérie médiatique et judiciaire.
Je crois, non, je suis sûr, que Philippe Jaenada est tombé amoureux de Pauline Dubuisson. Il y a de quoi, elle était belle, intelligente et...en avance sur son époque. Ca se sent tout le long du roman. Il a enquêté, fouiné, relu tous les actes de son procès et essayé d'aller au plus près de cette femme pour nous en dresser le portrait aussi juste que possible, loin,très loin de la soi-disant meurtrière froide et sans coeur qui a longtemps fait frissonner les foules sous la plume d'auteurs et de journalistes en mal de sensation. Et de cette vie l'auteur parvient à dépeindre, en plus d'un parcours édifiant et touchant, la partialité des hommes et des femmes de l'époque, enfermant la femme dans la cage d'un patriarcat où soumission et la faiblesse sont les seules vertus souhaitées. Pauline fut la victime involontaire d'un acharnement totalement injuste, allant jusqu'à ce que son instruction soit orientée de façon quasi mensongère. Au fil des pages, Philippe Jaenada, épingle les injustices, les détournements, les omissions volontaires, note l'hystérie des journalistes prêts à tout pour vendre du papier, pointe du doigt les intérêts des juges et des avocats qui se forgent une carrière sur le dos de présumés coupables. Ce roman est un formidable plaidoyer féministe, doublé d'une passionnante peinture sarcastique du milieu judiciaire et du journalisme mais c'est surtout l'immense portrait d'une femme qui, malgré son crime, devient une héroïne inoubliable.
Pour ceux qui auraient peur de se plonger dans quelque chose qui peut apparaître comme sombre, il est indispensable de signaler que l'écriture de Mr Jaenada, délice de précision, s'enrichit d'un humour constant et jubilatoire, donnant à ce récit un ton inimitable et totalement réjouissant.  Il n'y a guère que les dernières pages qui échappent aux sourires et pour cause, elles sont tellement émouvantes, que l'auteur a le bon goût de laisser filer l'émotion, amenant chez le lecteur des larmes aussi expiatoires que sincères.
Vous l'aurez compris, j'ai été emporté par "La petite femelle", par la verve d'un auteur séduit jusqu'à en éprouver les mêmes maux que son héroïne ainsi que par l'ampleur du projet qui est tout à fait apte à susciter des vocations pour rendre les hommes et les femmes plus justes et plus humains. 

2 commentaires:

  1. Déçue par ses derniers livres, j'ai un peu délaissé Jaenada ces derniers temps alors que j'avais adoré "Plage de Manaccora 16h30" et la "femme de l'ours". Mais après ton article, j'ai hâte de lire celui-là...

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  2. Et notre lecture de "La petite femelle" aura toujours un goût particulier!

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