"Much loved", c'est Marrakech, une bande de filles délurées cherchant de l'argent en échange de plaisirs avec des hommes et un regard de vrai cinéaste. Il est évident que dans un pays musulman comme le Maroc, ce regard dérange un tantinet. Les propos haineux et violents tenus au moment de sa projection à Cannes par la presse marocaine sont de ceux qui font frémir; Au-delà tout ce que cela démontre d'une société pétrie de religion et de non-dit, je suis certain que c'est l'étude de moeurs sans concession qui enflamme les esprits plus que la représentation de ces femmes, aux activités légères, mais loin d'être libres.
Elles sont trois jeunes femmes, usant de leurs charmes pour soustraire de l'argent si possible à de riches saoudiens dont la fortune les fait rêver. Il faut savoir que l'européen à leurs yeux n'a plus guère de moyens. Les soirées sont nombreuses, l'alcool y coule à flot, les filles y sont traitées comme des putes, encore des moins que des femmes qui sont déjà des moins que rien. Mais celles-ci sont finaudes, elles ne sont pas dupes de cette richesse qu'elles ont entre leurs jambes, si convoitée par des hommes corsetés par une société moralisatrice. Elles s'offrent mais elles connaissent tous les moyens pour arriver à ramasser le plus d'argent possible, quitte à se faire parfois exploser l'utérus... Malgré cela, elles continuent de rêver au prince charmant, à l'homme qui leur offrira une vie d'amour et...de luxe...car, une fois qu'on y a goûté... L'une d'elles, Soukaina, pense avoir trouvé un homme qui l'aime. Il lui lit des poèmes au lieu d'abuser d'elle mais lorsqu'elle s'apercevra qu'il préfère les hommes et qu'elle le lui dira, elle sera rouée de coups par ce mâle incapable d'accepter sa vraie sexualité. Par contre sa copine Randa, osera sans colère vivre son homosexualité dans une douceur et une prévenance, certes tarifée, mais inconnue. Cette évocation de l'homosexualité a vraisemblablement plus énervé le pouvoir marocain que les parties fines des personnages féminins, finalement moins dérangeantes car au fond nécessaires soupapes à des mâles dominants mais frustrés. Et si vous ajoutez à cela , une scène très fine sur la prostitution enfantine, la présence de travestis, d'alcool, de drogues diverses et surtout de cet argent, nerf d'une guerre qui ne dit pas son nom, vous obtenez le portrait très dur d'un pays muselé.
On a un peu vendu le film sur la polémique créée dans son pays mais il faut le dire, haut et fort, aller prendre un billet pour "Much loved" pourra peut être s'apparenter à un geste de soutien au réalisateur mais ce sera surtout l'occasion de découvrir un vrai cinéaste. Nabil Ayouch s'empare de ce sujet casse gueule avec une honnêteté absolue et filme ces femmes avec la distance idéale, ne cachant rien de leurs défauts, de leurs joies, de leurs contradictions, de leurs peines, Il les aime et sait le faire partager. Le regard qu'il porte sur elles est celui d'un ami, jamais malsain, jamais dans le jugement. Il capte leur rude vie comme un ethnologue et filme Marrakech dans une vérité assez éloignée des dépliants touristiques. Les comédiennes sont formidables d'énergie et de courage et le film tout entier est irradié par leur forte présence.
On ressort de là aussi humilié que si on avait joué avec notre carte bleue que l'on nous aurait passé entre les fesses pour symboliser la marchandise qu'est notre corps mais ému aussi par la beauté de ces femmes, battantes et fragiles à la fois, symboles, on l'espère, d'une possible libération des esprits.
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