La lecture de ce premier roman m'a fait penser au film d'Eric Rochant "Un monde sans pitié", car, comme lui à son époque, il possède tous les éléments pour en faire un parfait ouvrage générationnel, si tant est que la littérature ait encore une certaine aura sur la frange des 20/30 ans.
"Les animaux sentimentaux" pourrait n'être que le portrait vaguement branchouille d'une bande de vingtenaires un peu vains. Seulement, au travers des déambulations alcoolisées, sexualisées et musicales de Samuel, Olivier et Lily, Cédric Duroux fixe avec infiniment de finesse l'image d'une génération et d'une époque où les repères anciens se sont quasi complètement délités, explosés par la technologie et une sexualité affranchie de pas mal de diktats sociaux.
Que ce soit pour Samuel, seul face à ses désirs qu'il décident d'assumer totalement avec cette lettre à ses parents annonçant son homosexualité ou pour Olivier, dont on ne sait si les TOC et les phobies qui pourrissent sa vie sont la résultante ou la conséquence de sa sexualité virtuelle sur Skype, la vie contemporaine, avec ses nombreuses connexions possibles, semble les porter vers une certaine solitude. La famille, matricielle, sans doute nid de névroses, n'est plus pour eux qu'un lointain conglomérat de gens que l'on repousse ou que l'on s'impose. Celle, un peu moins conventionnelle qu'ils essaient de recréer avec les quelques amis rencontrés, aussi fraternelle soit-elle, les condamne quand même à affronter l'isolement. Même Lily, plus solaire, aux apparences plus sociables, intelligente et ouverte, doit faire face, seule, à une grossesse totalement accidentelle, dont le responsable la renvoie à une rude réalité. Ils sont la parfaite incarnation de notre monde paradoxal actuel, monde où la vitesse de la communication, la facilité des contacts virtuels puis ( ou ) sexuels ne peuvent empêcher l'affranchissement de la solitude.
"Les animaux sentimentaux" décrit donc ce monde apparemment superficiel, où se débattent de jeunes adultes parasités par un mal de vivre finalement constant à toutes les générations. Bien que décrivant des situations mille fois lues ailleurs, Cédric Duroux réussit la prouesse de toucher son lecteur, sans doute par la justesse de son point de vue, mais surtout par une écriture qui, mine de rien, met à jour les sentiments de ses personnages. J'ai été impressionné comment, à base de dialogues assez plats en anglais (!) via Skype, il parvient à nous faire ressentir cette addiction, cet amour aussi rapide que virtuel d'Olivier pour un inconnu dont il ne visualise que le regard. Et à d'autres moments, de façon plus classique, comment il nous fait ressentir la peur panique qui grandit dans l'attente du résultat d'un test VIH ou l'angoisse de la réaction des parents de Samuel face à son coming out.
Bien sûr le roman, au ton très actuel, est bourré de références aussi bien musicales ( très important la musique, elle est une compagnie essentielle dans notre solitude urbaine) que BD . J'avoue que le personnage d'Anthony, ami imaginaire de Samuel, m'a pas mal fait penser ( à tort ? ) au tigre Hobbes de Calvin et Hobbes mais aussi à Ryuk du manga "Death note", parachevant ainsi ce sentiment de solitude qui baigne le roman, tout en lui donnant un côté légèrement fantasque et drôle.
Je vous engage donc à vous intéresser à ce premier roman très prometteur. Vous y ferez la même plongée que ses personnages lorsqu'ils se retrouvent au "Slide", boîte de nuit avec bar, spectacle et back room mixte ou pas, mais aussi élément central et fédérateur du livre. Le lieu, comme le roman, est incertain, mais littéraire, foisonnant, cru. L'amitié s'y trouve mais aussi l'animalité qui sommeille en chacun de nous, le désir de plaisir qui nous fait avancer et supporter un monde toujours plus mouvant.
Et comme la modernité est de mise dans ce livre, "Les animaux sentimentaux" est accompagné, pour sa promotion, d'un clip aussi bien musical que cinématographique, qui peut vous donner une idée de ce qui vous attend...
"Nous sommes des animaux sentimentaux,...,créatures comme moi, facilement aspiré, quand je danse dans le désordre, est ce que je veux donner un sens à tout? non non non non pas cette fois, il va et vient, il va et vient,..., tant que je suis dans les mains de confiance" The Do
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