Cela peut paraître désuet de parler de pudeur de nos jours, mais ce petit livre d'entretien permet de faire le tour de la question en empruntant les chemins de l'intelligence et de la conversation courtoise. Sur ce plan là, le livre est un régal. Les deux débatteurs dont la vivacité et la culture ne peuvent que rejaillir sur le lecteur, font feu de tout bois. De Kant à Derrida, en passant par Françoise Hardy ou Platon, les références sont aussi nombreuses que variées et éclairent un propos qui n'est jamais rasoir. Les deux interlocuteurs, vraiment au diapason, s'interrogent pour définir un peu plus profondément la pudeur autrement qu'à la façon d'une définition de dictionnaire ( "Sentiment de honte, de gêne qu'une personne éprouve à envisager d'être le témoin de choses de nature sexuelle, de la nudité. " ). Cette notion de honte est évidemment évoquée en nuançant sur le fait que quand on est pudique on a honte de rien, on peut juste avec honte à certains moments, mais surtout que la pudeur est à éloigner de la pudibonderie, trop extrême ou de la coquetterie, trop fausse. Très vite la pudeur est définie comme une vertu essentielle pour pimenter le désir amoureux ( " La pudeur n'est pas l'obstacle du désir , mais son involontaire alliée, son levain irréfléchi."), et les deux philosophes, après avoir convoqué Sade et Casanova, dissertent avec ardeur sur le duo Eros et Aidôs ( en gros, le sexe et la retenue). On s'attarde donc sur ce sentiment délicieux qu'est l'approche d'une personne pour tenter de la mettre à nue dans son lit, avec tous les atermoiements voulus, souhaités, désirés qui rendent la chose encore plus agréable ( en gros, le jeu de la drague mais en version intello surannée). Le livre ne fait pas l'impasse sur la puberté ( mot de la même famille que pudeur) autre moment qui apporte de la honte dans nos vies, ni sur les hospitalisations, ces parenthèses désagréables où notre pudeur est mise à mal.
Cependant, j'émettrai quelques petites réserves. Tout érudit soit-il sur la honte corporelle et même s'il fait un peu l'impasse sur l'empreinte que les éducations ou les sociétés peuvent donner au corps ( les bains publics au Japon, les hammams dans les pays musulmans où la nudité collective n'est pas du tout gênante), la pudeur des sentiments n'est guère évoquée dans le livre ( sauf un passage de Pagnol) et cela m'a un peu laissé sur ma faim, mais l'exhaustivité n'était pas le but final.
Et puis, il y a dans cet ouvrage, un élément qui m'a à la fois fait sourire et agacé. Adèle Van Reeth et Eric Fiat sont tous les deux philosophes mais l'un tient lieu d'érudit et l'autre de passe-plat. Et devinez qui se pavane avec son savoir ? L'homme bien sûr. C'est lui qui sait, qui énonce, qui a réfléchi. Elle acquiesce, pose les questions, dirige le débat mais fait un peu potiche. Il n'y a qu'un moment où elle s'insurge, lorsque le mâle vraiment macho ne voit dans la pudeur et la coquetterie que des éléments féminins. Le mâle philosophe, avec ironie et fausse humilité et quelques détours, renvoie la féministe de quelques instants dans ses pénates et continuera de gloser sans retenue jusqu'à la fin du livre. Et le lecteur, enfin moi surtout, a donc lu avec intérêt toute cette prose intelligente mais avec en arrière pensée que c'était quelque part les paroles d'une personne pas vraiment moderne, d'une époque où l'on faisait salon et l'on pérorait avec l'envie d'entendre glousser de plaisir son auditoire. Cela a son charme mais en 2016.... j'espérait que c'était devenu hors d'usage.
"La pudeur" reste un livre qui éveille et titille l'esprit mais son côté un peu daté dans les idées et la pause prise par les deux débatteurs, peut éveiller chez certains une légère méfiance.
Merci au site BABELIO et aux éditions Plon de m'avoir fait découvrir cet ouvrage !
C'est aussi l'occasion de découvrir un beau poème de Paul Valéry, mais il est vrai que c'est un peu loin de notre époque tout ça...
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