vendredi 3 février 2017

Un collectionneur allemand de Manuel Benguigui



Voici un premier roman qui nous évite premier amour ou récit d'enfance ou portrait de parents abhorrés ou adorés et nous fait rencontrer un sacré misanthrope en la personne de Ludwig.
Ludwig est allemand. Né au début du 20 ème siècle, peu porté sur la fréquentation de ses congénères, il aura la malchance de combattre dans les deux grandes guerres mondiales. Malgré son naturel peu enclin à l'échange convivial, il parviendra toutefois à devenir capitaine et lorsque l'Allemagne nazie envahit la France, l'opportunité d'accéder à sa seule, son unique mais dévorante passion se présentera à lui. Ludwig ne vit que pour l'art mais pas en collectionneur, en admirateur. Certains en musique possèdent une oreille absolue, lui est persuadé de détenir un œil absolu. Son plaisir le plus intime reste la confrontation de son regard et d'un tableau avec lequel il dialogue. De la peinture du 16 ème aux artistes contemporains, la beauté d'une œuvre ne lui échappe pas. C'est dans cette période confuse de l'occupation, dirigeant le service des spoliations des œuvres d'art qu'il assouvira comme il n'a jamais pu le faire auparavant, ce plaisir ineffable de contempler des merveilles. Mais il devra aussi composer avec le genre humain, chamboulé par une époque aussi troublée que troublante, le conduisant jusqu'au bout de lui même.
Ce premier roman d'une grande précision historique a le mérite de nous raconter la vie du marché de l'art durant l'occupation au travers d'un personnage singulier, quasi autiste, mais grand amoureux de la peinture. Remarquablement documenté mais sans jamais appesantir le récit, très pointu picturalement parlant mais sans jouer les gros bras érudits, le tout en distillant inquiétude et curiosité, le roman déroule cette terrible histoire d'un homme pris dans le tourbillon de sa passion alors que le monde autour de lui se déchire.  L'absence de dialogue de ce texte, le porte plus vers le récit littéraire, voire le conte, où derrière la beauté des toiles rencontrées, une  noirceur se dépose petit à petit,  comme  voile gris sur un tableau. Et lorsque le personnage principal rencontre Lucette, femme inespérée et absolue, l'auteur préférera sacrifier cette opportunité de verser dans le romanesque qui pourtant lui tendait les bras, pour ne garder que la ligne directrice du départ et nous réserver un final que l'on n'est pas près d'oublier.
"Un collectionneur allemand", froide mais très intéressante reconstitution d'une époque dangereuse pour l'art pictural, parvient sans peine à capter notre attention où le grand vent de l'histoire côtoie la brise plus subtile de la petite et fait de Ludwig,  ce héros solitaire et pourtant peu charismatique, un personnage que l'on n'est pas près d'oublier. 

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