jeudi 23 novembre 2017

Le courage qu'il faut aux rivières de Emmanuelle Favier


Pour un coup d'essai,  c'est un coup de maître ! Déjà dotée d'un très joli titre, d'une couverture qui attire l'œil, Emmanuelle Favier, sacrée performance, se révèle aussi une vrai championne en cette rentrée littéraire, évitant tous les écueils du premier roman, à savoir le portrait de sa maman ou de son papa, les souvenirs d'une enfance malheureuse, hautement symbolique ou même banale, le cruel passage de l'adolescence entre scooter et Biactol ou l'amour de sa vie qui l'a quitté à 22 ans. Il est vrai que depuis quelques temps les éditeurs font gaffe et commencent à dédaigner ces récits par trop égocentrés, renvoyant pleurnicher dans leur studio les primos publiants manquant d'originalité.
Quand vous ouvrirez "Le courage qu'il faut aux rivières" , il vous faudra laisser dans son coin toute retenue, tout à priori et vous laissez porter. Vous atterrirez  dans une contrée indéterminée, à une époque incertaine. L'écriture se charge avec grâce et finesse de planter le décor, en suivant Manushe, femme à qui on ne peut donner un âge. Vous comprendrez vite que dans le passé elle a fait vœu de chasteté et que cette décision radicale lui confère au sein de la société villageoise qui l'entoure, une certaine aura qui adoucit sans doute des mœurs locales aussi rudes que le climat. L'arrivée soudaine d'un certain Adrian va venir troubler l'ordre établi, surtout dans la vie de Manushe.
Je vous vois lever les yeux au ciel en disant qu'il n'y a rien d'original dans ce scénario, un inconnu qui surgit du fond la nuit et qui va venir troubler une femme, on a déjà lu cela cent fois. Je m'incline devant cette évidence, mais je me redresse aussi vite car rarement ce sujet bateau a été traité de cette façon et pris une telle direction. Laquelle ? Lisez le roman d'Emmanuelle Favier !
Ce que je peux dire par contre, c'est que vous découvrirez une écriture magnifique qui manie poésie, talent de conteuse et aussi un amour très fort du mot juste ( trois ou quatre fois... un froncement de sourcil... un arrêt pour se jeter sur un dictionnaire pour chercher des mots que pour ma part je n'avais jamais rencontré ... "insistance palilalique" par exemple... "ombre halitueuse"...) mais cela ne gêne en rien ce récit passionnant. Je rajouterai aussi que la rigueur du climat et la couche épaisse de vêtements portés par les héros n'empêchent nullement la sensualité de s'exprimer et que c'est même le point central de ce livre, qui, questionnera d'une belle façon la lectrice, le lecteur sur la passion, l'amour que l'on peut porter à une personne au-delà des genres... Je vous sens interrogatif quant à cette dernière remarque,  je vois les culs bénis froncer le sourcil ( et sans doute avec raison, le roman devrait les défriser pas mal ) car le projet d'Emmanuel(le) Favier, au-delà de raconter une histoire palpitante,  est bien de nous interpeller sur le conditionnement  qu'impose une société sur les êtres, leur représentation pour le regard des autres et la sexualité qui en découle.
Oui le roman est ambitieux par rapport à son projet mais aussi par sa construction gonflée ( une héroïne, un héros, chassant l'autre ) qui parfois oblige le lecteur sur quelques pages à s'interroger ( mais qui est-ce ? Où est-on ? ) sans que jamais l'intérêt ne retombe ( d'où l'indication du début de se laisser porter).
Même si j'émettrai une légère réserve sur le montage de l'histoire, "Le courage qu'il faut aux rivières" signe l'entrée d'une auteure qu'il faudra suivre avec une extrême attention, car je sens qu'elle possède tous les atouts pour devenir une grande !


Moi aussi, j'ai un lynx à la maison ! 

2 commentaires:

  1. Merci pour votre oeil de lynx...je me le note.

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  2. On se laisse porter par le courant, emportée par les remous, caressée par la douceur des pages,à la dernière on se retourne pour voir la rivière et on se dit:quel roman!

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