"A Juliette" est le journal d'une mère dont la fille s'est suicidée à 14 ans.
Que rajouter sur cette terrible épreuve de la vie ? A priori rien. On lit...
Sauf que ce récit va rencontrer des lecteurs qui, pour certains, chercheront une voix en rapport avec les épreuves qu'ils traversent, d'autres un peu par hasard. Evidemment, le lecteur compatira, suivra cette mère passant de l'incompréhension à l'effroi, se débattant dans les filets noirs du deuil et de la lente reconstruction. Mais ce lecteur va se poser inévitablement des questions, essayer de comprendre ce geste qui défie la raison.
Le texte, nullement littéraire ( sur le même thème, il vaudra mieux se plonger dans le formidable roman de Sophie Daull "Camille mon envolée" ), se présente comme le récit brut sur plus d'une année de ce deuil si difficile à faire. Le ton adopté, nullement pleurnichard, tombe par contre facilement dans le rose bonbon, peuplant le récit que de gens bons, généreux, attentionnés, formidables, présents, chaleureux, ...
Et soudain, quasi dès les premières pages, derrière ce malheur, apparaît en filigrane une autre triste histoire, parfaite illustration de la chanson "Foule sentimentale" d'Alain Souchon ( 1995).
"Oh là, là , la vie en rose
La vie qu'on nous propose
Des quantités de choses
qui donnent envie d'autre chose..."
Oui, Juliette, 14 ans, s'est jetée sous un train. Ses parents, aisés et aimants, répondant à la perfection aux injonctions sociétales du moment, semblaient avoir tout bon depuis le début : Psychologue dès les 3 ans pour éradiquer les moindres petits problèmes, mise en évidence d'un très fort potentiel intellectuel ( il a suffi à un psy de voir une photo de Juliette pour repérer un QI hors norme), puis scolarité dans un collège privé ( payer, consommer pour la réussite et un futur réseau), piano, gymnastique, cours particuliers de math, vêtements de marque, Iphone à 12/13 ans, voyages, ...
" Le rose qu'on nous propose
D'avoir des quantités de choses
Qui donnent envie d'autres choses..."
Et puis une maman présente, aimante, bichonnante, plateau du petit déjeuner apporté au lit, chouettes SMS de Juliette depuis sa chambre pour qu'on vienne lui donner un bisou avant de s'endormir, ...
"Aïe, on nous fait croire
Que le bonheur c'est d'avoir,
De l'avoir plein nos armoires
Dérisions de nous dérisoires
Car..."
...Oui, Juliette était sentimentale, follement sentimentale, jusqu'à en mourir...
"Foule sentimentale
On a soif d'idéal
Attirée par les étoiles, les voiles,
Que des choses pas commerciales..."
Malgré tout ce bonheur apparent, la vie lui était insupportable. Soudain, dans cette jeune fille aussi belle qu'intelligente, surgit le poids de ce que nous impose insidieusement nos sociétés occidentales depuis des années.
"Il se dégage
De ces cartons d'emballage
Des gens lavés, hors d'usage..."
Juliette, inconsciemment, rejetait ce monde factice, médiocre, commercial, qui est désormais à l'intérieur de chacun de nous puisqu'il arrive même à s'insinuer dans les textes écrits et lus à l'église lors de ses obsèques, qui parleront d'Iphone, de connexion WIFI, ...
"On nous Claudia Schieffer
On nous Paul-Loup Sulitzer"
Pour ce témoignage, on changera les paroles et on chantera :
" On nous Patrick Poivre D'Arvor"
Oui, l'ancien présentateur TV, en plus d'une petite préface, hante le livre. Le soir de la mort de sa fille, l'auteure a écrit un petit mail à la star. Elle ne le connaissait pas, mais se souvenait qu'il avait vécu un malheur similaire. Une correspondance suivie en découlera...
On peut me sentir un brin circonspect face à ce témoignage, surtout par rapport à un texte encombré de cette guimauve narrative très contemporaine. Mais le récit, parce que sans trop de filtres, laisse apparaître en filigrane le portrait éclairant d'une famille d'aujourd'hui.
Et puis, il y a Juliette qui est au centre de l'ouvrage. Comment ne pas avoir une pensée pour elle, innocente victime de nos sociétés de vitrines et de bonheur standardisé ?
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