dimanche 15 avril 2018

Le figurant de Didier Blonde

 

Nous sommes en février 1968. Le narrateur ( peut être l'auteur lui-même), encore étudiant, se balade à Paris, rue Caulaincourt dans le 18ème. Sans doute un peu rêveur ou distrait, il traverse involontairement le champ de la caméra d'un tournage de film, le " Baisers volés" de François Truffaut. Il se retrouve soudain plaqué contre un mur de façon assez violente par le réalisateur lui-même. De cette rencontre fortuite ne naîtra ni une amitié avec ce géant du cinéma français, ni un procès pour agression mais juste une opportunité pour débuter quelques figurations dans ce film et dans quelques autres. Quasi cinquante ans après, à l'âge où la nostalgie joue sa mélodie sournoise dans la tête de ceux pour qui la vie est bien entamée, le narrateur va revenir sur ce passé de figurant, se souvenir des quelques figures toujours anonymes, ces silhouettes fugitives jamais créditées dans un quelconque générique qu'il a croisées à cette époque et parfois aperçues dans quelques films, mais aussi d'une certaine Judith, jeune fille un peu mystérieuse avec qui il a bu un Orangina en arrière-plan du film de Truffaut. A partir d'archives, de photogrammes et de rencontres, il va partir à la recherche de ce passé aujourd'hui enfui mais dont il reste pour l'éternité d'infimes traces, dans des coins de pellicules.
En lisant "Le figurant" on pense tout de suite à Modiano, mais un Modiano dont le curseur interrogatif se rapproche un peu de nous, évoquant une période moins sombre que celle de l'occupation. Il y a chez Didier Blonde la même envie d'enquête à rebours autour d'un passé nostalgique, avec, pour moi, un plus par rapport à notre dernier Nobel : une écriture d'une extrême élégance qui allie une grande douceur narrative avec un sens du rythme et du récit qui tient son lecteur en haleine jusqu'au bout. Nous plongeons à sa suite dans les coulisses d'un film mythique mais on se laisse aussi porter par ce portrait bienveillant autour d'un groupe d'anonymes profitant de la lumière de tournages pour se constituer une sorte de célébrité parallèle connue d'un monde ultra restreint. Et au-delà de cette histoire très joliment romanesque, en plus de creuser le sillon du temps passé à jamais perdu, c'est également un subtil questionnement sur les traces que nos vies peuvent laisser, les empreintes d'un passage que l'on peut trouver au bord d'un écran, d'une photo ou accrochées dans les souvenirs d'inconnus croisés.
" Le figurant" nous donne bien sûr envie de revoir " Baisers volés", de traquer nous aussi la silhouette du jeune homme qu'il fut, du couple éphémère qu'il forma avec Judith à l'écran, de ressentir des émotions peut être oubliées mais restera sans doute un des romans de 2018 qui nous aura le plus touché.


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