mardi 17 septembre 2019

Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma


Voici 3 raisons ( mais il pourrait y en avoir cent de plus) pour que vous couriez voir le magnifique nouveau film de Céline Sciamma.

1) C'est une vraie histoire d'amour.
Parce que l'amour n'est pas uniquement une question de sexe, de désir animal, mais une vraie rencontre entre deux êtres, les deux héroïnes de "Portrait de la jeune fille en feu"  vont certes connaître la passion physique mais aussi l'approche sensuelle composée de regards, d'échanges intellectuels qui vont voir se confronter deux libertés bien différentes. Celle de Marianne, maîtresse de sa vie et de son corps comme nous le montre une première scène, où, malgré ses jupons elle n'hésite pas à se jeter à l'eau pour récupérer ses outils de peintre. Nous saurons désormais que dans cette femme aux allures frêles et peut être timide, se cache une forte personnalité. Héloïse, ne manque pas de caractère mais ne possède que la liberté de pouvoir s'opposer avec fermeté à l'exécution de son portrait pour qu'un homme, loin de sa Bretagne natale, décide de l'épouser ...ou pas. La rencontre fera des étincelles car coule dans les veines de ces deux là la même fureur de vivre. Sans l'ombre d'une fioriture, captant le plus petit frémissement, le film nous parle d'un amour total, fiévreux, entier, fait de mots, de gestes, de caresses qu'une mise en scène magnifique rend sublime.

2) Le film, en plus d'être constamment d'une beauté plastique étourdissante, contient au moins 3 scènes, 3 plans qui sont sans doute les plus beaux, les plus forts que l'on ait vu depuis des lustres dans le cinéma français. 

Le film parlant aussi de peinture, de regard aurait pu essayer de copier tel ou tel peintre de son époque. Que nenni ( comme on devait dire à l'époque), il préfère créer sa propre esthétique, absolument magnifique (bravo à Claire Mathon, la directrice de la photo!), utilisant admirablement les décors sauvages de la côte bretonne autant que la lumière pâle des intérieurs. Une beauté n'arrivant jamais seule, cette joliesse n'empêche jamais Céline Sciamma de rester infiniment cinéaste et politique, suscitant avec finesse émotion et réflexion. En plus de donner une vraie visibilité à des amours lesbiennes ( sujet pas si courant que cela au cinéma), elle peut également nous interroger sur la représentation de la sexualité à l'écran avec un plan, certes assez rapide mais pas du tout anodin d'une pénétration ( je n'en dis pas plus, il surprend et donc amène la réflexion) ou nous proposer en une seule scène, avec douceur mais fermeté, son regard sur l'avortement, où un plan fort et intense, mélange une avorteuse, une jeune fille enceinte et un bébé.  Et puis, il y a pour moi, ce moment absolument magnifique, inspiré, celui des premiers regards qu'échangent les deux jeunes femmes, où un jeu de profils et de têtes tournées d'une force, d'une intensité et d'une beauté sans pareille nous éblouit autant qu'il lance avec vigueur le récit.  ( On en aperçoit un petit bout dans la bande annonce).

3) Noémie Merlant et Adèle Haenel. 

Si l'on savait déjà Adèle Haenel magnifique comédienne et même si on avait déjà repéré Noémie Merlant excellente dans des films passés un peu inaperçus ( "Les drapeaux de papier" et "Curiosa"), force est de reconnaître qu'ici elles confinent au sublime. La première confirme son statut d'immense actrice, la seconde, Noémie Merlant ( répétition volontaire pour que l'on grave son nom dans sa mémoire) s'impose, car elle porte  quand même le film sur ses épaules ( elle est quasiment de tous les plans) prouvant ainsi que désormais nous allons devoir compter sur elle !
Et puis, et puis, comme "Portrait de la jeune fille en feu" est vraiment un grand film, chacun y trouvera mille raisons de l'aimer ( les dialogues au cordeau, les vagues sur les rochers, l'intelligence du propos, l'émotion constante, ...). Et si vous n'êtes pas encore tent(é, ée)és , sachez que grâce à une dernière scène très forte en émotion, vous n'entendrez plus jamais de la même façon "L'été" des "4 saisons" de Vivaldi...


dimanche 15 septembre 2019

Une bête au paradis de Cécile Coulon


"Une bête au paradis" ne laisse personne indifférent. Certains adorent ( comme Le Monde qui lui a décerné son prix ), d'autres détestent ( si vous avez écouté "Le masque et la plume"...). Voici 3 éléments qui pourront faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre.

1) Cécile Coulon n'aime pas le rose. 

Dans un flot de littérature "qui fait du bien", où les éditeurs considèrent le livre comme un doudou ( et comme on achète facilement un  doudou...), Cécile Coulon est vraiment l'auteure qui nage à contre-courant. Tout dans ses récits est noir, sombre, les hommes, les femmes, les lieux, les situations, les âmes. Si des lueurs d'espoir apparaissent, elles ne seront que fugaces, autant le savoir. Dans sa dernière livraison, le mot "paradis" du titre ne renvoie absolument pas à un lieu magnifique vendu par des siècles de prosélytisme religieux, mais plus prosaïquement à une ferme perdue au bout d'un chemin, entourée d'animaux nombreux jonchant le sol de leurs excréments et peuplée d'êtres tourmentés, que la mort ou la violence ont marqué à jamais. Et la vie, cette chienne, se chargera de ne pas leur sortir la tête hors de l'eau... Ca démarre noir et ça finira noir, autant le savoir. Les dépressifs, les fans de belles photos sur Instagram, les adorateurs de Virginie Grimaldi et, cette saison, de Sorj Chalandon, détourneront les yeux.

2) Cécile Coulon aime la tragédie. 

Logique, nous sommes dans le noir... le tragique se tient en embuscade. Ici, on peut dire qu'il se déroule en trois actes. Un premier, long, qui prend le temps de bien imposer les personnages, de les ancrer dans une réalité campagnarde qu'une enfance tourmentée rend encore plus pénible. Puis un deuxième qui verra une courte éclaircie dans la noirceur de la vie de l'héroïne ( ironiquement?) prénommée Blanche pour se terminer par un troisième où la bête du titre surgira, bête symbolique, puisque tapie dans les corps et les esprits de ces êtres ruminants rancoeur, jalousie, cupidité, folie et vengeance, comme dans les vraies tragédies. Ce sentiment se trouve renforcé par le flou voulu quant à l'époque, assez indéterminée malgré quelques éléments rappelant une certaine contemporanéité, donnant à l'ensemble un caractère finalement très intemporel, visant à l'universel.

3) Cécile Coulon n'a pas peur des clichés. 

On le sait, dans les romans, les paysans sont des taiseux. Ils mangent leur soupe en silence et gardent leurs sentiments. Chez Cécile Coulon aussi !
Quand un roman se déroule dans une ferme, on n'échappe rarement à la tuerie du cochon. Chez Cécile Coulon aussi ( ici parallèle à un dépucelage, bonjour le symbole!) !
Quand une héroïne ( vivant dans une ferme, mais très jolie) tombe amoureuse, c'est d'un bel homme au physique plus qu'avantageux. Chez Cécile Coulon aussi !
Mais malgré ces clichés, la plume habile, inspirée sans doute par la noirceur, se joue facilement de ces écueils, arrive à ce que le lecteur oublie cela, entraîné par l'atmosphère, l'ambiance créées. Les personnages romanesques, les situations proposées, le décor que l'on imagine sans problème, les odeurs que l'on perçoit, hissent ce roman vers une sorte de tourne-page noir sacrément efficace, mais pas vers le grand roman intemporel.




mercredi 11 septembre 2019

Deux Moi de Cédric Klapisch


2 questions ( titre oblige) que l'on peut se poser sur "Deux Moi".

Le jeu de mots du titre trouve-t-il quelconque résonance dans le scénario? 

"Deux Moi" , "De Moi", "Deux Mois", les trois peuvent trouver leur place dans le film. 
"Deux Mois" tout d'abord, pas parce que l'histoire se déroule dans ce laps de temps mais plus sur la longueur que ressent le spectateur durant la projection. Ce n'est pas que l'on s'ennuie vraiment, mais l'histoire traîne pas mal, surtout que l'on devine la fin dès les premières minutes. On sent le temps passer lentement, malgré quelques apparitions tonitruantes de comédiens ( Pierre Niney, Eye Haïdara) venus donner du peps à cette chronique assez pâlichonne, à l'image des deux interprètes principaux, François Civil et Ana Girardot, bien mignons, mais aussi un peu fades ( bon, ok, ils sont dépressifs ...)
"De Moi" , car il est beaucoup question de soi, enfin de moi si l'on se place du point de vue des personnages. Et que je me sens seul(e), nul(le), portant la poisse. Et que je consulte un psy pour me raconter et arriver à la source du problème : la famille ( qui, une fois son sort réglé, verra de nouveau s'épanouir nos deux jolis trentenaires). 
"Deux Moi" rejoint pas mal le titre précédent, puisque Rémy et Mélanie, les deux gentils parisiens, sont deux solitudes qui, comme beaucoup de contemporains, tournent pas mal autour de leur nombril. La plupart des gens qu'ils rencontrent seront sur le même créneau...

Cédric Klapisch, comme dans "Chacun Cherche Son Chat" et "L'auberge Espagnole" se pose-t-il toujours avec autant d'acuité comme un fin observateur de son époque ? 

Puisque l'histoire traîne un peu, on a grandement le temps d'appréhender les thèmes évoqués dans le film. Comme nous sommes en 2019, on trouvera donc un regard sur les réseaux sociaux, la solitude urbaine, les applis de rencontres et au-delà, la vie sous un régime capitaliste. On y trouvera une nouvelle fois Paris (bien) filmé comme un personnage essentiel mais aussi des clins d'oeil à ses précédents films...
Cédric Klapisch continue donc à infuser sa sociologie et son regard sur une France des villes, perdue, souvent seule et en quête d'un bonheur qu'il faut voler à un quotidien morose, coincé entre un monde de plus en plus robotisé, en perte de sens et de réel. Mais dans son scénario plutôt nonchalant ( même s'il s'est acoquiné avec Santiago Amigorena, que l'on aperçoit dans le film et qui connaît une rentrée littéraire bien partie pour lui accorder un prix), les quelques annotations sur l'époque restent esquissées, voire proches du cliché. On sent que son film lorgne vers le feel good movie qui fait tellement de bien et tellement tendance. On ne nous épargnera pas les préceptes actuels des vendeurs de développement personnel : aime toi toi-même tu aimeras mieux les autres, tu pourras vivre ( enfin) un vrai amour, le bonheur est près de chez toi ( dans le film vraiment tout près), ouvre les yeux, ton coeur ( le film ne parle pas de chakras), fuis les écrans rien ne vaut le réel. 
Tout cela, sans toutefois tomber dans le rose bonbon absolu, reste quand même trop gentiment mignon ( oui, on même droit à des scènes craquantes avec chaton, comme quoi Mr Klapisch connaît bien son sujet), pas désagréable mais un poil paresseux. 




samedi 7 septembre 2019

Fête de famille de Cédric Kahn


Vous êtes invité à cette "Fête de famille", mais vous hésitez à vous rendre dans cette demeure familiale cossue, connaissant un peu trop le piège que ça peut être. Voici 3 éléments qui peuvent vous aider à prendre votre décision.

1) C'est un film de réalisateurS. 

Regardez la distribution, les rôles principaux sont tous joués par des réalisateurs : Emmanuelle Bercot, Vincent Macaigne, Laëtitia Colombani et Cédric Kahn. Seule Catherine Deneuve n'a rien réalisé ... C'est sans doute pour cela qu'elle a le seul rôle qui n'éructe pas, puisque la mère qu'elle interprète reste stoïque et accrochée à un repas joyeux. Le reste de la troupe s'énerve, s'écharpe, se lance des méchancetés dans cette sorte de "Festen" à la française ( on peut aussi penser à "Rois et Reines" ). Cependant, cette réunion de réalisateurs ne transparaît pas vraiment dans le résultat qui se classe dans cette frange milieu de gamme de films français dont on  se demande à qui ils s'adressent. La famille et ses névroses ont déjà beaucoup été labourées depuis la naissance du cinéma et cette fois-ci, faut bien l'avouer, malgré tous ces yeux avertis, le résultat ne restera pas dans les annales. 

2) Le scénario doit être très bon...

... si l'on en croit les récentes déclarations de Catherine Deneuve lors de l'une de ses innombrables interviews de promotion, puisqu'elle se plaignait que le cinéma français ne peaufinait pas assez les scenarii ( oui, à l'italienne, ça me permet d'éviter la répétition). Cela sous entend qu'elle ne participe que lorsqu'elle repère la crème de la crème.  Donc, ou elle a besoin de beaucoup tourner ou elle ne lit que des sous sous merdes. Celui de "Fête de famille",  même s'il respecte cette habituelle progression dans les révélations et dans l'horreur ( et jusqu'à la fin sur le mode qui manipule qui), on reste pantois devant cet évident déjà vu ailleurs mais en mode mal fichu.
Si vous avez du mal à mettre un sens à ce mot à la mode qu'est " bipolaire", foncez voir le film qui en est la parfaite illustration. Sous les platanes d'une belle demeure du Sud-Ouest, les scènes s'alternent systématiquement : une acide où l'on se dit des horreurs ( qui normalement rendraient tout de suite le moindre repas de famille orageux pour la journée) à une suivante où tout baigne dans la franche bonne humeur parce que la patriarche ( oui, c'est Deneuve!) dit : " Allez, hop, buvons ! " ou " On est bien là, non ? ". Peut être un effet de style voulu, osé mais qui ne fonctionne pas vraiment pour créer de la tension et surtout de la véracité. 
Très vite, nous regardons s'agiter ( ou pas) ce joli monde...

3) Les acteurs sont excellents ( leitmotiv de la promotion). 

C'est vrai que très vite nous en sommes réduits à contempler nos réalisateurs jouer les acteurs face à une Deneuve voulue impériale et trouble à force de bienveillance mais qui n'est pas loin de jouer les utilités. Laëtitia Colombani hérite du rôle ingrat de la gentille de service ( ça lui va comme un gant à l'image de sa littérature) et ne briguera pas une nomination aux Césars. Cédric Kahn a le physique du vrai mâle qui bouillonne de l'intérieur et le fait bien. Macaigne "macaigne". Reste Emmanuelle Bercot. On peut vraiment être impressionné par sa prestation allant de l'hystérique, à la folle, en passant par la mélancolique ou la nymphomane, mais on pourra trouver aussi que son rôle vraiment too much rend cette histoire encore plus improbable. 
  








jeudi 5 septembre 2019

Pourquoi les hommes fuient ? de Erwan Larher


3 éléments qui pourront vous permettre de savoir s'il vous faut fuir le nouveau roman d'Erwan Larher. 

L'histoire : 
Accrochez-vous aux rayons de votre bibliothèque, car nous frisons la grande originalité : une fille veut retrouver son père ! Au moins, du repos pour les neurones, on se glisse dans cette trame les yeux fermés ...heu...pas trop....faut découvrir quand même ce que l'auteur en fait de cette intrigue. Si l'on considère la fin de l'ouvrage ( rassurez-vous, je ne divulgache rien), pas grand chose. Mais là, je pointe d'emblée les deux points faibles de ce roman qui par ailleurs possède quelques qualités propres à intéresser un lecteur qui aimera se plonger à la suite d'une certaine Jane ( prononcez djène SVP). Jane est jeune, sa mère vient de quitter notre monde de brute sans beaucoup attrister sa fille unique qui a d'autres chats à fouetter, surtout des mecs à baiser ou à entourlouper. Au moins une héroïne qui prend sa vie en main et qui n'a pas froid aux yeux ! Un peu nombriliste, elle caracole dans la vie sans trop se soucier du monde extérieur pourtant en grève et en quasi révolution. Elle fonce, portable greffé dans sa main .... même si celui-ci l'intrigue pas mal quand ce salaud de Google ne veut pas lui donner les renseignements demandés...

Le style :

Assurément le point fort du livre. Avec un vocabulaire en parfaite adéquation avec l'âge de son héroïne ( un petite vingtaine), les phrases percutent, groovent ( c'est pas démodé ce terme ? ) , fusent, comme un Queneau actuel le ferait pour  mettre en scène une jeune adulte d'aujourd'hui. La quête au paternel devient alors pas mal hilarante et se dévore comme une bonne sitcom ( très bien dialoguée). On ne fuit donc pas puisque l'on se régale du franc parler et des pensées sans filtre de Jane.

Les personnages : 

Vous l'aurez compris, Jane occupe un très grande place dans le livre, tellement énorme que les autres protagonistes n'ont guère de place pour exister. Malgré cette présence totale, elle n'arrive pourtant pas à être totalement sympathique. Erwan Larher, s'il manie avec maestria la vanne et le clash peine un peu plus à faire exister la partie sensible ( bien camouflée derrière une assurance bravache) de son héroïne. Les quelques paragraphes un peu émotionnels manquent de brio, finissant par faire passer Jane pour une cyborg programmée pour un stand-up permanent ( ceux qui liront le roman comprendront le clin d'oeil) et l'empêche donc d'accéder à ce statut envié de personnage empathique.

Je résume : une histoire peu originale et aux seconds plans intrigants mais pas exploités : 0 point
Un style alerte et franchement addictif : 1 point
Des personnages loin d'être inintéressants mais pas trop fouillés : 0,5 point.
Note : 1,5/3. la moyenne donc ... A vous de voir selon votre humeur... Pour de la détente , c'est quand même de la bonne ! Mais n'en demandez pas plus. 

mercredi 4 septembre 2019

Liberté de Albert Serra


Voici au moins 3 conseils pour arriver à ne pas prendre la sortie avant la fin du nouveau film d'Albert Serra " Liberté". 

1) Relire Sade 
Ah, évidemment, c'est un premier obstacle, on peut ne pas être un(e) amateur(trice) du divin marquis. La (re)lecture du Justine ou de tout autre écrit sulfureux de ce cher Donatien Alphonse François, vous mettra un peu dans l'ambiance, tout du moins au niveau langage, car, même s'il y a peu de dialogues dans le film, un style très XVIIIème s'échappe des bouches souvent cramoisies des quelques personnages qui errent durant cette nuit libertine que nous propose le réalisateur espagnol. Bien sûr il y  aura aussi quelques fantaisies sexuelles ( souvent seulement évoquées), libertinage oblige, qui surtout vers la fin,  verseront dans l'ondinisme, la coprophagie, le plaisir et la jouissance dans la souffrance, mais c'est le propos du film puisque ces marquis et autres membres de la cour de Louis XVI, chassés hors de France, espèrent révolutionner leur temps trop puritain via les moeurs. ( Clin d'oeil à notre époque ? Allez savoir...). 

2) Admirer le travail sur l'image et le son. 

Dans une narration très très lente, où l'histoire n'a pas une grande importance, où l'on ne sait trop qui est qui, on peut d'emblée se raccrocher au superbe travail du directeur de la photographie Arthur Tort. Sa forêt au clair de lune, véritable personnage,  où se croisent chaises à porteurs, hommes aussi bien jeunes que vieux, aussi minces que gros, femmes plutôt toutes bien faites et ayant fugué du couvent voisin, accroche l'oeil. Dans un mélange de branches, de souches, de feuilles, au milieu de bruissements, gémissements, cris, un ballet un peu mystérieux ( et lent) prend forme. Ce lieu a l'avantage de voiler pas mal de choses, plaçant le spectateur dans un rôle de voyeur ( un peu comme certains des personnages dans le film). On devine plus qu'on ne voit, et quand la caméra s'arrête sur un corps dénudé que lutine un  autre corps ( ou plusieurs), on ne perçoit pas toujours de quelle partie il peut s'agir. Une lumière nimbe gracieusement l'ensemble donnant au film un côté belle oeuvre un tantinet perverse. Chaque plan ( fixe) peut être vu comme la toile d'un peintre maniériste mais coquin qui aurait croisé Sarah Moon. 

3) Prendre des nouvelles d'Helmut Berger. 

Je ne sais si l'acteur, longtemps amant de Luchino Visconti qui avait mis sa plastique en valeur, a encore un fan club. Pas certain non plus que son nom fasse encore courir les foules ( si tant est qu'il les ait fait courir un jour) mais sa réapparition perruquée et posée dans une chaise à porteur montre bien les ravages du temps. Ce ne sont pas les quelques mots prononcés en français, en italien ou en allemand ( oui, madame, il est trilingue !) qui permettront de juger de ses talents de comédiens. Quant à son personnage, dans la profondeur de cette nuit, il échappe à notre attention et l'on ne sait s'il finit mort dans une brouette, sodomisé par un comparse ou recherchant  désespérément une érection.

4) Avoir fait un pari. 

Vous êtes joueur, et vous voulez changer un peu de vos soirées tarot, billard ou qui suis-je ? Proposez le "Qui restera le dernier" ? La règle est simple. Appâtez vos amis avec le film d'Albert Serra, mettez en avant son interdiction aux moins de 16 ans ( avec scènes pouvant choquer même un spectateur averti) et bien sûr son côté sexe. Prenez vos places et installez-vous. Le gagnant sera celui qui restera dans la salle ou qui ne s'endormira pas. Le film étant à la fois, lent, très lent, très très lent, difficilement compréhensible, débutant par une scène dialoguée très gore et obscur comme une oeuvre ultra contemporaine, le pari sera difficile à gagner sauf si vous avez pris 8 expressos ou que vous avez suivi les 3 précédents conseils. Dans la séance où j'étais, 8 spectateurs au départ, 1 à l'arrivée pour admirer ce long plan de forêt superbement éclairé et au son de la seule musique ( stridulante) du film. Le pari est donc véritablement ardu et le vainqueur prendra le statut de héros. 
Mais de cette manière,  vous aurez vu l'oeuvre cinématographique la plus radicale, mal aimable et dérangeante du moment. Difficile d'aimer, mais difficile de rester insensible devant cette performance qui défie le spectateur. 




dimanche 1 septembre 2019

Les grands cerfs de Claudie Hunzinger


3 bonnes raisons pour avoir la curiosité de découvrir le dernier roman Claudie Hunzinger

1) Vous adorez l'autofiction.

Marguerite Duras, Hervé Guibert, Sophie Calle, Christine Angot, Alain Robbe-Grillet entre autres ont tous pratiqué l'autofiction pour le grand bonheur de beaucoup de lecteurs ( ou la moquerie de certains autres, mais on ne peut pas plaire à tout le monde). Cette forme romanesque, portée sur l'introspection, peut constituer une oeuvre ( Annie Ernaux) mais aussi être un procédé dont ce sont emparés beaucoup d'écrivain(e)s pour aborder des sujets très personnels voire intimes qu'ils voulaient mettre au grand jour dans un but de généralisation. Claudie Hunzinger s'inscrit plus dans une veine militante, sa vie passée dans une métairie du 17 ème siècle perdue dans les Vosges au milieu de la nature et de deux grandes bibliothèques fait d'elle une intellectuelle observatrice attentive de notre terre et des ses habitants, humains comme animaux et des dangers qui guettent chacun.

2) Vous aimez les animaux et le spécisme vous parle. 

Avec un tel titre, " Les grands cerfs" , vous sentez bien que vous roderez plus dans des forêts touffues que dans des zones urbaines polluées. Sur les pas de la narratrice, vous troquerez vos atours colorés et fluos de vos séances de jogging matinal pour une tenue nettement moins voyante, proche du camouflage militaire, pour partir à l'affût des grands cervidés qui peuplent vaille que vaille les bois avoisinants. En compagnie d'un photographe naturaliste, vous observerez, approcherez, connaîtrez tout de la vie des cerfs ( les plus grands mammifères de France) et de sa femelle la biche. Avec la même patience que Claudie Hunzinger, vous pénétrerez petit à petit dans un monde insoupçonné, où la beauté de leur vie naturelle deviendra très vite source de fascination, d'admiration, d'attachement. Et lorsque viendra le temps d'un comptage nocturne sous la lumière crue et insensible de phares de 4x4 puis celle de l'abattage de quelques bêtes en vue de protéger la forêt ( et surtout les deniers des sylviliculteurs), la prose sensible terriblement humaine, humaniste de l'auteur nous broie le coeur. Subtilement pédagogique ( on saura tout, tout, tout sur le cerf et sur les moyens pour arriver à l'approcher), indéniablement militant pour la cause animale ( mais jamais de façon manichéenne, bien au contraire), le roman parvient à nous emporter au-delà de tout pronostic ( je l'avoue, je ne pensais pas que je serai touché à ce point par ce récit). 

3) Vous aimez les auteurs qui apportent du sens et de l'intelligence. 

Bien plus que le  simple descriptif d'une femme allant à la rencontre d'une espèce animale, " Les grands cerfs" agrège beaucoup d'autres éléments qui rendent ce texte formidablement vivant, intelligent, poétique, stimulant. En autofictionnant des événements de sa vie, Claudie Hunzinger réfléchit, questionne, fait appel à d'autres auteurs, enquête, ne se contente jamais des faits bruts, fouille autant les talus, les bosquets que l'âme humaine des plus sensibles ( elle, son mari), de plus ambiguës ( celle du photographe) ou apparemment taillée d'un seul bloc ( les agents de l'ONF, les chasseurs). Sans jamais quitter des yeux les majestueux cervidés qui semblent percevoir le péril grandissant de leur existence, le roman, en se focalisant sur un espace vosgien assez limité, crie un appel vibrant à la protection, non pas d'une seule espèce mais de toute la vie, aussi bien humaine qu'animale. Un vrai et grand sujet !  


samedi 31 août 2019

Le roman des Goscinny de Catel


3 raisons qui expliquent la petite déception éprouvée après la lecture de cette biographie dessinée de René Goscinny.

1) La difficulté à rendre passionnant le parcours ( ici incomplet) de René Goscinny flagrante tout au long des pages. 
René Goscinny, sur le papier ...heu ...l'expression est datée...sur Wikipédia apparaît relativement romanesque : Naissance à Paris, enfance à Buenos Aires, passages nombreux par New-York, rencontres avec les grandes figures du début de la BD ( de Morris jusqu'aux créateurs de la revue MAD), petits boulots rigolos ou inattendus ( il a écrit le courrier du coeur du magazine féminin "Bonnes soirées"  très populaire dans les années 50), ascension lente mais inexorable vu son talent, vers les sommets du 9ème art, ... autant d'éléments qui pouvaient rendre le récit captivant, étonnant. Mais le dispositif mis en place, sensiblement le même que pour "Ainsi soit Benoîte Groult", jouant des rencontres de la dessinatrice avec la fille de René Goscinny comme elle décrivait celles qu'elle avait eu avec Benoîte, peine ici à donner de l'éclat, de la légèreté à ce qui devient très vite une succession de faits et de documents un peu pesante ou tout du moins guère originale. Certes nous avons un éclairage précis sur ce que fut la vie du célèbre scénariste avant le succès public voire un portrait des pionniers de la BD, mais sans retrouver l'humour, le regard (im)pertinent qui faisaient le sel de ses précédents ouvrages. On perçoit que la présence d'Anne Goscinny et la transcription des interviews de son père pèsent sur une narration proche de l'hagiographie. De plus, raconter un des maîtres de l'humour de la deuxième moitié du 20 ème siècle sans en faire, sans malice, sans drôlerie déçoit. Bien sûr Catel a un trait toujours ( voire de plus en plus ) plaisant et désormais un mode narratif mêlant présent amical et passé toujours intéressant, mais, cette fois-ci, la machine se grippe un peu, d'autant plus que cette biographie s'arrête étrangement lorsque Goscinny crée Astérix ( et le journal Pilote). Nous ne saurons rien de la suite ( à part son mariage et la naissance de sa fille), rien de l'homme à succès et du directeur de publication.

2) L'amitié de l'auteure avec la fille du célèbre scénariste dessert le récit. 

C'est une évidence la rencontre d'Anne Goscinny et de Catel fut un coup de foudre amical ( largement raconté dans le roman). Parfait et tant mieux pour elles et sans doute la raison pour laquelle la dessinatrice a relevé le défi de faire de René Goscinny le héros d'une BD alors qu'elle se dit uniquement intéressé par des portraits de femmes. Elle nous raconte donc l'homme, le père, le scénariste souvent par les yeux de sa fille, histoire de ne pas trop déroger à sa règle de portraits féminins. On ressent fortement que tout cela, sans doute par amitié, vire au tableau enthousiaste qui, au fil des pages, devient trop lisse. Et ce ne sont pas, vers la fin,  les planches d'une platitude absolue ( et où le lecteur se sent totalement écarté) des retrouvailles des maris, enfants et chiens des deux auteures qui arrangent l'ensemble, confirmant hélas l'amicale bienveillance qui enserre un peu trop visiblement cette biographie.

3) Et si Catel n'était vraiment faite que pour mettre en avant les femmes ? 

On peut le penser. Ce portrait laudateur de René Goscinny, aussi bien documenté soit-il, manque curieusement de nerf et de la vigueur un poil militante qui illuminait les autres biographies publiées précédemment par Catel. L'homme nous apparaît bien linéaire, un peu fade au final, malgré son parcours du Petit Nicolas à Astérix, de la création d'un magazine TV aux Etats-Unis à celle de Pilote ( Mâtin, quel journal !) . Quant à sa fille Anne, héroïne de planches vraiment réussies en introduction et en conclusion, jamais elle n'accède au statut d'héroïne, juste celui de l'adoratrice et de la gardienne du temple de l'image paternelle. C'est maigre pour en faire une femme réellement battante et trop peu pour que l'on retrouve la verve féministe de Catel. Dommage...







vendredi 30 août 2019

Les petits de Décembre de Kaouther Adimi


3 raisons qui peuvent vous amener à vous plonger dans la dernière livraison de Kaouther Adimi et qu'il faut examiner de plus près : 

J'ai adoré son précédent ouvrage ! 

Quand on a énormément apprécié le roman d'un auteur, force est de reconnaître que l'envie d'acheter, séance tenante, son suivant démange tout lecteur, même si dans un coin de sa tête il sait que la réussite n'est pas toujours deux fois de suite au rendez-vous. " Nos richesses", il y a deux saisons maintenant, avait séduit jurys divers et lecteurs. La vie d'Edmond Charlot et de sa petite librairie avait ému, touché, surtout qu'elle épousait subtilement autant l'histoire de l'Algérie coloniale puis indépendante que tout un pan de la littérature française. Ce succès attise les envies des éditeurs à voir leur ( ici)  jeune pouliche se remettre vite au turbin pour bénéficier de l'engouement encore frais d'un public toujours un peu curieux de voir ce que la suite va engendrer. Cette hâte se révèle souvent pas si bonne productrice que ça... "Les petits de Décembre" , joli titre, en est un bon exemple.

Ca parle de l'Algérie d'aujourd'hui. 

Exact ! Kaouther Adimi, reste dans un thème qu'elle connaît visiblement bien, l'Algérie. Comme dans son précédent récit, elle part d'un fait assez marquant ( ici, une friche au milieu d'un quartier qui sert de terrain de jeu à toute une bande d'enfants, est achetée par deux généraux afin d'y faire construire leurs maisons ) pour brosser au final le portrait actuel d'un pays gangréné par les très vieux militaires au pouvoir et d'une société sous surveillance et pas mal corrompue. De plein pied dans l'actualité, son roman tombe à pic pour qui voudrait connaître de façon un peu plus agréable qu'un article ou un reportage, la situation de ce pays. Si l'on prend le seul côté informatif, le pari est réussi. En plongeant le lecteur au coeur de ce quartier mélangé, nous approchons d'une réalité algérienne que l'on devinait mais qui ici se trouve joliment incarnée par les quelques personnages que nous y croisons ( de l'ancienne égérie de l'indépendance au franc-parler aux militaires à la retraite qui perçoivent l'impasse dans laquelle le pays est engagé).

Ca parle aussi de cette jeunesse qui risque de faire changer l'Algérie.

Certes, il y est question d'une bande d'enfants ( et de quelques grands ados ou jeunes adultes) qui se révolte contre ces généraux en luttant pour conserver leur terrain vague. Mais, c'est là où le roman pêche pas mal. De cette situation hautement symbolique, Kaouther Adimi n'en tire pas grand chose. Elle répète beaucoup la première altercation des généraux et de leur chauffeur avec les jeunes du quartier mais au final se sent bien plus à l'aise à décrire la situation politique et sociale de l'Algérie, elle bien tangible, s'attarde beaucoup avec les adultes mais n'arrive pas à hisser son récit vers le vrai romanesque que la situation appelait. La révolte tourne court littérairement ( je ne dis rien quant au résultat), l'auteure visiblement plus portée sur le reportage que le vrai récit. On reste sur notre faim et l'on ressent au final le petit côté un peu pédagogique de l'ensemble. Reste une tentative romanesque en demi-teinte... Mais il vaut mieux lire un Kaouther Adimi à demi réussi qu'un Sorj Chalandon complètement raté.






lundi 26 août 2019

Les minets de François Armanet


"J'ai pas peur des petits minets qui mangent leur Ronron au...drugstore"  chantait Jacques Dutronc au milieu des années Soixante. Mais diable pourquoi avoir peur des minets qui, vus de notre époque, semblaient être des jeunes hommes gringalets un peu fashions victimes ? Grossière erreur, être minet un peu avant 68, à Paris, au drugstore Publicis sur les Champs, c'était être rebelle. Oh, attention, pas de quoi faire trembler d'autres bandes de mauvais garçons, plus rocks, plus blousons noirs... mais juste une bourgeoisie du 8 ème ou du 16 ème dont ils étaient issus et dont ils massacraient les salons et les coutumes. C'est tout du moins ce que raconte François Armanet dans cette évocation d'un groupe de jeunes gens issus de familles fortunés et qui vont traîner leur mal être existentiel,d'abord au drugstore puis dans les facs nouvelles issues de mai 68. Intégrant la GP ( Gauche Prolétarienne), ils seront de tous les combats, de toutes les manifs, de tous les groupes même du MLF.
Le roman survole à la vitesse d'une Harley Davidson  lancée sur l'avenue des Champs Elysées déserte ces années d'avant et d'après les émeutes et les grèves de 68. On suit le parcours de trois jeunes hommes d'abord lycéens puis étudiants sans s'y attacher vraiment (seul le narrateur, plus timoré,  arrive à sortir du lot). Cette absence d'empathie vient de la construction du récit dont l'histoire paraît être uniquement pensée pour permettre d'y glisser le maximum de marques mythiques ou désormais vintages, d'événements marquants, de lieux symboliques de l'époque ( autant français qu'américains), de personnalités.  C'est un name droping quasi permanent. Si l'on a vécu dans ces années là, on sera être peut être sensible à cette multitude de madeleines lâchées sans retenue, sinon l'évocation risque de vous paraître indigeste. Reste, en filigrane seulement, l'évocation de l'effervescence d'une bourgeoisie en décadence qui saura tant bien que mal rebondir, même en abandonnant quelques compagnons sur le bord de la route. Un peu maigre ... 

mercredi 21 août 2019

Jour de courage de Brigitte Giraud

TROIS BONNES RAISONS DE LIRE UN DES TRES BONS ROMANS DE CETTE RENTREE:

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LE(S) THEME(S) :

Si le coming-out de Livio, 17 ans, lycéen curieux, passionné et épris de justice, reste bien évidemment le thème central de ce formidable roman, le texte brode autour d'autres motifs. On s'intéressera donc également à un médecin allemand du début du 20ème siècle, le docteur Magnus Hirschfeld, sujet d'un exposé que le jeune héros dévoile à ses camarades de classe. Outre le fait d'être juif, ce médecin se déclarant sexologue, osait orienter ses travaux sur l'égalité homme/femme mais aussi sur la défense des homosexuels. Ses importantes bibliothèques alimenteront les premiers autodafés nazis. En filigrane, apparaissent évidemment un portrait des adolescents actuels en mal de repères tout comme un certain suspens psychologique puisque nous savons dès les premiers paragraphes que Livio, suite à ce quasi aveu public de son homosexualité, a disparu... 

L'ECRITURE :

Le roman est court mais son écriture à la fois habile et concernée donne une ampleur considérable à l'ensemble. De ce huis-clos se déroulant dans une salle de classe d'un lycée, l'auteure parvient toutefois avec une aisance imparable, à nous faire voyager dans le temps ( l'Allemagne des années 1900/1930 ), rappelant sans aucune lourdeur des faits historiques ou biographiques et dans l'espace plus contemporain de la famille du jeune Livio ou de ces lieux de rendez-vous isolés avec son amie Camille, son amoureuse aux yeux de tous. L'auteure sait se faire tour à tour caustique, tendre, empathique, précise et surtout constamment passionnante, plaçant sans difficulté le lecteur dans la peau ô combien inconfortable de cet adolescent qui a décidé par le biais de la culture de révéler l'homme qu'il souhaite être aux yeux de tous. Derrière l'inconfort d'un passé très sombre pas si lointain et d'un présent toujours peu réjouissant pour qui essaie de vivre selon ses vrais désirs, Brigitte Giraud parvient avec éclat et délicatesse à faire émerger une lumière d'espoir, celle de jeunes hommes ou de jeunes filles, courageux et déterminés à croire encore en la puissance libératrice et salvatrice du verbe et de la culture. 

LE FOND ( parce que dans ce roman il y en a un !) :

Et même plusieurs fonds, autant psychologiques, historiques que politiques. Brigitte Giraud appuie où cela fait mal, l'encore homophobie qui continue, malgré les lois, à faire naître des bourreaux et donc des victimes, l'inculture galopante d'une société rivée sur des écrans et ayant aucune appétence à se poser,  prendre du recul et à regarder un passé pourtant porteur de réponses à des problèmes bien actuels ( montée d'une peste brune, nouveaux autodafés en Pologne notamment mais ailleurs aussi). Sans jamais prendre le chemin du didactisme, encore moins du bien-pensant ou de la guimauve, le roman charrie de multiples émotions, crée des passerelles de réflexion, tout cela sans jamais ennuyer. On referme ce roman, assez court, avec la sensation d'avoir rencontré un beau personnage et une auteure qui ne nous veut sincèrement que du bien, non pas pour nous avoir détendu mais enrichi ( en gros pas pris pour des quiches, ni produit un roman pour plaire à la critique tout en lorgnant sur un prix). 


mardi 20 août 2019

Une joie féroce de Sorj Chalandon

TROIS QUESTIONS QUE L'ON PEUT SE POSER AVANT DE SE RUER SUR :


Etre un des plus gros tirages de cette rentrée littéraire, est-ce un signe de qualité ? de succès annoncé ? d'espoir? 

Quand on s'appelle Sorj Chalandon et que depuis bientôt quinze on cumule succès critique comme public, l'évidence d'un gros tirage ( 50 000 exemplaires annoncés) ne se discute pas. Le public a adoré, avec raison,  "Retour à Killybegs" ou "Le quatrième mur" entre autres, et même si le précédent "Le jour d'avant" avant un peu marqué le pas, l'auteur est devenu au fil des ans une valeur sûre de l'édition. Donc beaucoup d'espoirs chez Grasset en ce mois d'août pour ce dernier ouvrage. Espoir que l'on se rue les yeux fermés ( attention toutefois de ne pas renverser la pile d'Amélie Nothomb, moins haute au fil des ans mais toujours présente), le nom incitant à l'achat mais espoir aussi que ce nouveau cru, d'inspiration moins autobiographique à priori, comblera les attentes de son lectorat. 

Sorj Chalandon peut-il, une fois, décevoir ses lecteurs ? 

Aucun auteur n'est à l'abri d'une baisse de régime, d'inspiration et possède ou possédera dans sa bibliographie des titres moins brillants. Hélas pour nous, pour lui, la cuvée 2019 Sorj Chalandon ne sera pas du tout mémorable. Son histoire de quarantenaire cancéreuse qui retrouvera du peps grâce à ses rencontres en séance de chimiothérapie et qui lui feront un peu oublier la maladie en fomentant un casse dans une bijouterie pâtine pas mal dans le déjà lu. Il a beau se mettre dans la peau d'une femme ( une petite performance ( assez ratée) qui devrait faire saliver François Busnel), jamais le récit ne prend son envol, alignant les passages obligés sans aucune originalité ni stylistique ( écriture plate ) ni romanesque. On a lu cela des centaines de fois, souvent en mieux et plus touchant. Je rassure ceux pour qui un récit sur le cancer est rédhibitoire, le grand sujet du roman n'est pas du tout celui-là, la maladie passant vite au second plan au profit de l'organisation d'un casse chez Boucheron et de sa réalisation. Nous sommes quasi dans le polar, sauf que, là aussi, Sorj Chalandon n'a pas vraiment la fibre roman noir, le tout se traînant pitoyablement jusqu'à un dénouement quasi gnangan. 

La sororité, nouveau filon pour booster la vente des livres ? 

La sororité ( lien de solidarité féminine), effet meetoo oblige, se trouve ces derniers temps le thème principal de beaucoup de romans, certains trustant la tête des ventes comme récemment "Les victorieuses" de Laëtitia Colombani après le tout aussi épouvantable "La tresse". Etrangement ces deux best-sellers sont des produits Grasset, éditeur du même Chalandon. Quand on découvre le récit assez improbable de " Une joie féroce", aux allures de téléfilm banal et peu inspiré, on pense soudain à une quelconque recette de cuisine maison dont on sait que les ingrédients flattent le goût d'un public à la recherche d'un roman facile à lire. Une petite panne d'inspiration ( que l'on espère passagère), un essai franchement pas réussi vers le polar, agrémenté par cette sauce bienveillante et désormais tarte à la crème de solidarité féminine donnent un roman mal fichu que l'on va vite oublier. N'est pas féministe qui veut. 

lundi 19 août 2019

Perdrix de Erwan Le Duc

TROIS QUESTIONS QUE VOUS VOUS POSEZ PEUT -ETRE SUR : 


"Perdrix" renouvelle-t-il la comédie française ? 

Régulièrement les critiques nous dégotent une comédie française qui, "explose le genre" ou " secoue le cocotier d'un cinéma trop formaté". Une des dernières fois que l'on nous a enjoint de foncer rire à gorge déployée dans une salle projetant une pépite de la sorte, ce fut pour " En liberté" de Pierre Salvadori, loin d'être un mauvais film mais qui souffrait d'un déséquilibre entre les deux interprètes principaux, Adèle Haenel s'était vu offrir un rôle de faire-valoir ponctué de dialogues plats ( rappelez-vous le nombre de scènes où pour toute réplique elle devait lancer une " Oh putain!"). 
Dans "Perdrix", ce qui étonne et accroche, ce n'est pas tant la rencontre de deux êtres que tout sépare ( ressort mille fois labouré par les comédies du monde entier) mais l'écrin dans lequel évoluent les protagonistes de cette histoire, gentiment décalée, frisant parfois l'absurde, n'évitant jamais la réflexion philosophique au détours d'un dialogue et mixant la drôlerie avec une certaine tristesse contemporaine. 
De là à renouveler le genre... c'est vite dit. Il est quand même difficile d'innover en ce moment. Mais dans un contexte mollasson ( et mercantile) qui aime flatter les bas instincts, "Perdrix" peut être fier de sa prestation et se hisse sans difficulté nettement au-dessus de la production habituelle. 

Swann Arlaud confirme-t-il son statut de meilleur acteur acquis aux derniers césars ? 

Affirmatif ! Après son interprétation aussi remarquée que fébrile dans le dernier Ozon ( "Grâce à Dieu"), ici, en gendarme calme et vaguement neurasthénique, il impose un peu plus sa silhouette de plus en plus attachante qui risque de devenir bientôt indispensable au cinéma français. Mais sa prestation ne serait peut être pas aussi convaincante s'il n'était pas entouré d'une brillante distribution où pétille Maud Wyler, faite pour la comédie et la répartie, mais aussi des seconds rôles impeccables ( car pas oubliés par un scénario généreux). Citons Fanny Ardant ( qui semble pour son âge avoir une belle foulée dans le cimetière ...mais le générique annonce une doublure...et comme cette course est sa seule cascade...), Nicolas Maury, impressionnant en passionné des vers de terre et Alexandre Steiger, totalement bluffant en policier lunaire. 

Erwan Le Duc devient-il un réalisateur à suivre ? 

Quand dans un premier film, on est capable de mélanger dialogues percutants, tristesse existentielle et naturistes révolutionnaires, on peut dire que ce garçon là possède un brin de folie et certainement un bel univers. Certes, "Perdrix" souffre de quelques longueurs, d'une envie de trop bien faire qui peut lui donner parfois un petit côté appliqué, mais qu'est-ce qu' c'est rafraîchissant et rassurant de voir une comédie romantique française qui ose sortir des sentiers battus, avec de bons dialogues et sans aucune vulgarité ( mais, oui, malgré la présence de naturistes, jamais ridicules, ni utilisés de façon égrillarde ou coquine). Pour tout cela et plein d'autres choses à découvrir dans ce film, on surveillera avec intérêt Erwan Le Duc !