Drôle de sujet pour un billet d'été mais la fausse couche a été souvent abordée dans les romans de ce début d'année. Il y a eu "Dieu surfe au pays basque" d'Harold Cobert (édité chez Héloïse d'Ormesson ) dont c'est le thème central du roman.
Pour les romans cités ci-dessous, la fausse couche n'était pas l'élément principal du livre mais souvent un moment éclairant pour définir un personnage. C'est aussi l'occasion pour les auteurs d'aborder la difficulté de parole au sein d'un couple face à un tel événement.
J'ai sélectionné trois passages extraits de trois livres marquants de l'année. Malgré cette thématique austère, n'hésitez pas à aller jeter un coup d'oeil à ces romans dont les morceaux ci-dessous donnent une bonne idée de l'écriture de l'auteur mais pas forcément de la tonalité générale de l'ouvrage.
Dans "La liste de mes envies" de Grégoire Delacourt chez Lattès, c'est Jocelyne, femme modeste, qui parle. Au début du livre, pour se présenter, elle dit : "Nous avons deux enfants. Trois en fait. un garçon, une fille et un cadavre." Puis, plus loin, elle raconte le cadavre.
"Une nuit, il m'a réveillée. Il était tout dur. Il était ivre, il pleurait. Alors, je l'ai accueilli en moi et cette nuit là Nadège s'est faufilée dans mon ventre et s'est noyée dans mes chairs et mon chagrin. Quand elle est sortie, huit mois plus tard, elle était bleue. Son coeur était muet. mais elle avait des ongles ravissants, des cils très longs, et je suis sûre qu'elle était jolie même si je n'ai jamais vu la couleur de ses yeux.
Le jour de la naissance de Nadège, qui fut aussi celui de sa mort, Jo a arrêté les bières. Il a cassé des choses dans notre cuisine. Il a crié. Il a dit que la vie était dégueulasse, que la vie était une pute, une putain de pute. Il a frappé sa poitrine, son front, son coeur et les murs. Il a dit c'est trop court la vie. C'est injuste. Faut en profiter bordel de merde parce qu'on n'a pas le temps ; mon bébé, il a ajouté en parlant de Nadège, ma petite fille, où es-tu ? Où es-tu ma puce ? Romain et Nadine ont filé apeurés dans leur chambre et Jo, ce jour là, a commencé à rêver aux belles choses qui rendent la vie plus douce et la douleur moins forte.... Il était triste."
Dans "Nos vies désaccordées" de Gaëlle Josse chez Autrement, c'est François pianiste à la renommée internationale qui parle. L'enfant à naître est trisomique :
" Nous avons pris ensemble la décision d'une interruption médicale de grossesse. Sophie était anéantie. Dans son ventre, l'enfant avait commencé à bouger. Je n'ai pas su dire ce qu'il fallait. quelques jours plus tard, nous étions attendus pour l'intervention. Sur place, j'ai réalisé qu'il s'agissait en fait de provoquer l'accouchement pour expulser le foetus. A une nuance près : nous ne le verrions pas, il disparaîtrait dans les déchets hospitaliers....
Elle était épuisée, d'une indescriptible tristesse, et moi, j'avais envie d'être ailleurs. De fermer cette sinistre parenthèse et de renouer le fil avec notre vie d'avant. Je tentai de la réconforter, de la faire sourire avec des anecdotes rapportées de Budapest...
Les soins hospitaliers se prolongèrent quelques jours, il fallut rencontrer un psychologue pour "nous aider à faire le deuil du bébé", puis Sophie rentra à la maison. Je ne savais pas s'il fallait acheter des fleurs ou non. Je m'étais abstenu. Je lui imposai des propos désastreux que je croyais réconfortants, nous aurions quantité d'autres bébés, il ne fallait pas s'arrêter à cet accident. Je n'étais pas allé jusqu'à dire "après la pluie, le beau temps", mais c'était bien la tonalité de mes paroles. Je croyais le plus difficile derrière nous.
Quelques jours plus tard, Sophie sortit dans la rue, entièrement nue, couverte de peinture rouge, en hurlant qu'on lui rende son bébé. "
Pour terminer, Marie-Sabine Roger dans "Bon rétablissement" aux éditions du Rouergue, fait parler Jean Pierre, ouvrier à la retraite, veuf de 64 ans.
" On avait bien tenté de fabriquer des mioches, elle et moi, rien à faire. Ou plutôt, rien à faire pour mener le travail jusqu'au bout. A la troisième fausse couche, Annie a baissé les bras. La différence entre nous deux, c'est que je n'avais pas eu de gamin, mais qu'elle en avait porté trois.
Je ne sais pas si c'est le fait d'être un homme, un crétin, ou les deux à la fois, je n'ai jamais pu considérer des foetus comme des enfants à part entière. Je commençais à peine à envisager le changement que ça allait faire dans ma vie que tout était déjà fini.
Rien n'a bougé dans mon ventre. Dans le sien, il y avait eu de petits frôlements.
Annie perdait ses bébés vers le quatrième mois. J'étais triste, bien sûr, mais pas bouleversé. Pour le premier, je me demande même si je ne me suis pas senti vaguement soulagé, cinq minutes. Un bambin entre nous, ça me faisait très peur. Je craignais de perdre ma liberté, de ne plus pouvoir faire tout ce que je voudrais. J'étais un imbécile égoïste, immature...
A la première fausse couche, je lui ai dit pour la consoler :
- Ce sera pour la prochaine fois.
A la seconde, je n'ai pa su quoi lui dire. Je l'ai écoutée pleurer dans la salle de bains, plusieurs soirs d'affilée, sans oser aller lui parler de peur de ne pas trouver les mots appropriés.
J'aurais mieux fait, quitte à dire une connerie. Une maladresse qui vient du coeur se pardonne plus volontiers qu'un silence confortable. "
Cette dernière phrase, belle et lucide, peut aussi être prise comme un beau conseil. Mais face à cette douleur, cette tristesse, cette blessure, trouver les mots, exprimer ses sentiments, tenir face à la vie qui continue malgré tout n'est pas chose aisée. Les proches sont là pour aider. Les livres peuvent aussi nous soutenir. Les auteurs ont souvent les mots pour exprimer l'indicible, pour nous faire réfléchir et progresser.
Pour les romans cités ci-dessous, la fausse couche n'était pas l'élément principal du livre mais souvent un moment éclairant pour définir un personnage. C'est aussi l'occasion pour les auteurs d'aborder la difficulté de parole au sein d'un couple face à un tel événement.
J'ai sélectionné trois passages extraits de trois livres marquants de l'année. Malgré cette thématique austère, n'hésitez pas à aller jeter un coup d'oeil à ces romans dont les morceaux ci-dessous donnent une bonne idée de l'écriture de l'auteur mais pas forcément de la tonalité générale de l'ouvrage.
"Une nuit, il m'a réveillée. Il était tout dur. Il était ivre, il pleurait. Alors, je l'ai accueilli en moi et cette nuit là Nadège s'est faufilée dans mon ventre et s'est noyée dans mes chairs et mon chagrin. Quand elle est sortie, huit mois plus tard, elle était bleue. Son coeur était muet. mais elle avait des ongles ravissants, des cils très longs, et je suis sûre qu'elle était jolie même si je n'ai jamais vu la couleur de ses yeux.
Le jour de la naissance de Nadège, qui fut aussi celui de sa mort, Jo a arrêté les bières. Il a cassé des choses dans notre cuisine. Il a crié. Il a dit que la vie était dégueulasse, que la vie était une pute, une putain de pute. Il a frappé sa poitrine, son front, son coeur et les murs. Il a dit c'est trop court la vie. C'est injuste. Faut en profiter bordel de merde parce qu'on n'a pas le temps ; mon bébé, il a ajouté en parlant de Nadège, ma petite fille, où es-tu ? Où es-tu ma puce ? Romain et Nadine ont filé apeurés dans leur chambre et Jo, ce jour là, a commencé à rêver aux belles choses qui rendent la vie plus douce et la douleur moins forte.... Il était triste."
Dans "Nos vies désaccordées" de Gaëlle Josse chez Autrement, c'est François pianiste à la renommée internationale qui parle. L'enfant à naître est trisomique :
" Nous avons pris ensemble la décision d'une interruption médicale de grossesse. Sophie était anéantie. Dans son ventre, l'enfant avait commencé à bouger. Je n'ai pas su dire ce qu'il fallait. quelques jours plus tard, nous étions attendus pour l'intervention. Sur place, j'ai réalisé qu'il s'agissait en fait de provoquer l'accouchement pour expulser le foetus. A une nuance près : nous ne le verrions pas, il disparaîtrait dans les déchets hospitaliers....
Elle était épuisée, d'une indescriptible tristesse, et moi, j'avais envie d'être ailleurs. De fermer cette sinistre parenthèse et de renouer le fil avec notre vie d'avant. Je tentai de la réconforter, de la faire sourire avec des anecdotes rapportées de Budapest...
Les soins hospitaliers se prolongèrent quelques jours, il fallut rencontrer un psychologue pour "nous aider à faire le deuil du bébé", puis Sophie rentra à la maison. Je ne savais pas s'il fallait acheter des fleurs ou non. Je m'étais abstenu. Je lui imposai des propos désastreux que je croyais réconfortants, nous aurions quantité d'autres bébés, il ne fallait pas s'arrêter à cet accident. Je n'étais pas allé jusqu'à dire "après la pluie, le beau temps", mais c'était bien la tonalité de mes paroles. Je croyais le plus difficile derrière nous.
Quelques jours plus tard, Sophie sortit dans la rue, entièrement nue, couverte de peinture rouge, en hurlant qu'on lui rende son bébé. "
Pour terminer, Marie-Sabine Roger dans "Bon rétablissement" aux éditions du Rouergue, fait parler Jean Pierre, ouvrier à la retraite, veuf de 64 ans.
" On avait bien tenté de fabriquer des mioches, elle et moi, rien à faire. Ou plutôt, rien à faire pour mener le travail jusqu'au bout. A la troisième fausse couche, Annie a baissé les bras. La différence entre nous deux, c'est que je n'avais pas eu de gamin, mais qu'elle en avait porté trois.
Je ne sais pas si c'est le fait d'être un homme, un crétin, ou les deux à la fois, je n'ai jamais pu considérer des foetus comme des enfants à part entière. Je commençais à peine à envisager le changement que ça allait faire dans ma vie que tout était déjà fini.
Rien n'a bougé dans mon ventre. Dans le sien, il y avait eu de petits frôlements.
Annie perdait ses bébés vers le quatrième mois. J'étais triste, bien sûr, mais pas bouleversé. Pour le premier, je me demande même si je ne me suis pas senti vaguement soulagé, cinq minutes. Un bambin entre nous, ça me faisait très peur. Je craignais de perdre ma liberté, de ne plus pouvoir faire tout ce que je voudrais. J'étais un imbécile égoïste, immature...
A la première fausse couche, je lui ai dit pour la consoler :
- Ce sera pour la prochaine fois.
A la seconde, je n'ai pa su quoi lui dire. Je l'ai écoutée pleurer dans la salle de bains, plusieurs soirs d'affilée, sans oser aller lui parler de peur de ne pas trouver les mots appropriés.
J'aurais mieux fait, quitte à dire une connerie. Une maladresse qui vient du coeur se pardonne plus volontiers qu'un silence confortable. "
Cette dernière phrase, belle et lucide, peut aussi être prise comme un beau conseil. Mais face à cette douleur, cette tristesse, cette blessure, trouver les mots, exprimer ses sentiments, tenir face à la vie qui continue malgré tout n'est pas chose aisée. Les proches sont là pour aider. Les livres peuvent aussi nous soutenir. Les auteurs ont souvent les mots pour exprimer l'indicible, pour nous faire réfléchir et progresser.
bonjour Pierre,
RépondreSupprimerce qui est intéressant dans les lignes que tu cites, est le fait que ce sont des hommes qui s'expriment, ils disent leur incapacité à dire, à consoler comme si la douleur était surtout féminine! à réfléchir