Je suis un bélier. J'habite le fin
fond de l'Islande, dans une vallée isolée et battue par les vents
venant du pôle. Mon berger est sympa. Il me bichonne, me protège,
me câline. En plus de me fournir tout un troupeau de brebis que
j'honore toujours avec succès, tous les ans,il me transporte dans
une salle des fêtes où, avec d'autres copains béliers, on nous
admire touit en se faisant tâter par une rude mais charmante
vétérinaire. Cette année encore, j'étais à côté de Sproti,
mon voisin de champ (mais des barbelés nous séparent). Si nos
bergers respectifs ne s'entendent pas du tout, voire se font la
gueule depuis la nuit des temps bien qu'ils soient frères, nous on
est rudement copains. Cette année, il semblerait qu'il ait gagné
cet horrible bout de bois dont je me demande bien à quoi il peut
bien servir. Son maître était super content, le mien beaucoup
moins, mais il m'a quand même donné quelques caresses
supplémentaires en me ramenant dans ma bergerie. Je l'ai cependant
entendu marmonner dans sa barbe des mots pas sympas. Il trouvait
injuste la victoire de mon copain.
Le lendemain, il s'est passé un drôle
de truc. Mon berger m'a sorti vite fait de mon abri pour m'enfermer
dans un petit enclos qu'il avait fabriqué à la hâte dans la cave
de sa maison. Heureusement, je n'étais pas seul, il a aussi amené
quelques unes de mes amies brebis. A peine arrivés, au-dessus de nos
têtes, on a entendu des coups secs et forts, accompagnés de cris de
de nos copines. Puis ce fut un long silence. Je me demande même si
je n'ai pas entendu sangloter mon berger....
Je suis resté de longues journées à
manger du foin dans ce petit espace. On se demandait ce qu'il pouvait
bien se passer au-dessus de nos têtes,... toutes ces visites, toutes
ces discussions et cette radio qui parfois fonctionnait au
maximum....
Puis, très longtemps après, on m'a
fait grimper dans une drôle de bétaillère avec des ailes. On m'a
enfermé dans le noir dans ce qu'un gars a appelé une soute. J'ai eu
peur et froid malgré ma laine d'hiver que l'on ne m'avait pas
tondue. Puis, j'ai revu le soleil ! Eclatant le soleil, surtout
qu'il était mêlé avec les éclairs de boîtes noires tenues par
des bergers habillés de la même couleur et qui criaient mon nom.
Avec moi, il y avait plein de gens et mon berger qui avait bien
changé. Rasé de près, avec un costume qui le faisait ressembler à
un pingouin ( il y en a en photo sur le calendrier que le facteur
apporte tous les ans et que mon maître place au dessous de mon box),
il était drôlement beau ! Il paraît que, dans cet endroit où
il y avait un tapis rouge, lui aussi a eu un prix, une histoire de
regard certain je crois...
L'autre soir, je suis allé dans une
grande bergerie, bizarrement aménagée avec des fauteuils rouges. Il
y avait une foule de personnes, peut être des vétérinaires car ils
étaient sacrément bien habillés, ils n'avaient ni salopettes, ni
bottes. Ils ont regardé un truc qui bougeait et où on me voyait. Il
ont un peu ri au début, puis ils se sont tus et pour finir certains
ont retenus quelques sanglots. En sortant, en troupeau, ils m'ont
caressé gentiment en me remerciant pour le joli film qu'ils venaient
de voir.
C'est quoi un joli film ?
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