Premier constat, totalement personnel, " Marguerite et Julien " était tout à fait sa place à Cannes et n'avait pas à avoir des complexes dans une sélection en demi-teinte, mais mettant en valeur des cinéastes qui cherchaient (pas toujours de façon convaincante) de nouvelles façons de transposer leurs idées au cinéma.
Et le cinéma qui essaie de sortir des sentiers battus, il est bien dans ce film à la fois romantique, déglingué, vibrant, mal fichu, original et imprégné d'enfance. Sur la base d'un fait divers du 17ème siècle, restituant la passion incestueuse d'un frère et d'une soeur issus d'une noble famille normande, le récit prend très vite une allure de conte intemporel très agréable à l'oeil car bourré d'anachronismes. Cette singularité qui peut agacer certains spectateurs trop rationnels, se révèle pourtant une très belle idée de mise en scène, mettant ainsi en distance le sujet casse-gueule et délicat de l'inceste ( moins que dans "Peau d'âne" de Demy qui l'avait pas mal dilué avec son côté pop et chantant). Car, malgré les déclarations de Valérie Donzelli qui semble minimiser le sujet de l'inceste dans les interviews qu'elle donne, préférant parler de passion irrémédiable, c'est bien cela qui est au coeur du film et qui vaudra aux personnages ce tragique destin. Marguerite et Julien sont touchants, on les suit avec plaisir mais on n'arrive pas toutefois à se projeter en eux, tabou sociétal oblige. Ils sont à la fois de chair et de chiffon, marionnettes d'une histoire qui dépasse tout le monde et qui vivent à l'écran comme les héros d'un jeu inventé par des enfants. Cette part enfantine est prégnante dans le film, des petites filles dans un dortoir écoutant l'histoire comme des groupies( mauvaise idée abandonnée à mi-chemin) jusqu'à la façon de bouger, courir, sauter, sans beaucoup parler des deux comédiens donnant à cet inceste une part d'innocence qui là aussi peut déranger. Mais, Valérie Donzelli slalome ludiquement parmi les écueils d'un thème scabreux en imposant des images originales, décalées, comme l'immobilisme des personnages en début de scènes, ou une sorte de reportage photo pour symboliser la violence d'une arrestation. C'est en partie avec cette inventivité, cette désinvolture qu'elle surprend et accroche l'intérêt. L'image est accrocheuse, admirablement composée mais aussi chargée de références (inconscientes dixit Valérie D.) pour le plaisir des cinéphiles. J'ai parlé de Jacques Demy bien sûr pour les nombreuses références à "Peau d'âne" puisqu'en plus des hélicoptères, des fenêtres rouge vif du château, il se trouve qu'Anaïs Demoustier a le même âge que Deneuve lors du tournage du conte de Perrault. ( Il n'est pas certain que "Marguerite et Julien" ait la même importance dans sa carrière malgré sa vibrante prestation... ) Mais on y trouve aussi un pull qui rappelle fortement celui porté par Jean Marais dans "L'éternel retour" (pour la symbolique de la légende sans doute) ou la même vivacité de la comédienne principale dans les scènes du début qui rappelle toujours Deneuve mais dans "La vie de château " de Rappeneau.
Le film ne parvient pas tout à fait à convaincre à cause sans doute d'un trop plein d'idées pas toujours abouties ou faisant l'effet d'un enchaînement pas toujours harmonieux et cohérent. Mais Valérie Donzelli a de l'audace et de la sincérité. Elle s'est laissée aller sans peur (mais avec des reproches visiblement) et s'est permis de sortir des sujets formatés réalisés comme pour passer sur TF1 à 20h40. J'aime être surpris au cinéma et là, je l'ai été ! Même si pas totalement réussi, même si l'inceste y est traité de façon peu conventionnelle (mais pas de façon choquante), "Marguerite et Julien" a la grâce des films qui ne rentrent dans aucune case...et pour moi c'est une qualité qui vaut bien une sélection à Cannes et l'attention du public.
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