J'ai rarement, et même jamais lu un bande dessinée pareille. "Saison brune" est un véritable essai dessiné sur le réchauffement climatique et ses conséquences. C'est un gros pavé de 477 pages, pas forcément facile à lire (surtout au début) mais absolument passionnant et essentiel. Sa lecture ne laisse pas le lecteur indemne et, comme tout plaidoyer politique, il impose une réflexion comme rarement un album BD l'a fait.
Développé en six parties, "saison brune" s'empare du lecteur avec une présentation scientifique claire du réchauffement, partie formidablement vulgarisée mais quand même un peu austère (tout du moins pour moi qui ne suis pas un habitué de "sciences et vie"). Puis l'auteur s'attache à nous décrire les différents scénarios possibles de cette augmentation de la température due à l'augmentation toujours plus importante de la production humaine. Plusieurs hypothèses s'offrent à nous. Aucune n'est sûre tant les paramètres sont nombreux et les connaissances scientifiques balbutiantes sur certains sujets.
Passée cette mise en bouche scientifique, Philippe Squarzoni mixe les catastrophes inéluctables à venir avec ses propres interrogations personnelles. Nous avons déjà beaucoup saccagé la planète et son atmosphère, les premiers dérèglements se font sentir (fonte des glaciers, de l'Arctique, cyclones plus nombreux,...). Que faire ? A titre personnel, à un échelon national, international ? Qui produit le plus de substances nocives pour notre avenir ? Les transports? L'agriculture? L'industrie ? Les pays riches ?
Autant de questions qui amènent un constat déprimant. Nous sommes sur un bateau de luxe qui coule ou comme un parachutiste aguerri qui, tellement habitué à sauter, s'aperçoit un jour qu'il a oublié d'enfiler son parachute. La comparaison fait froid dans le dos mais résume presque la situation dans laquelle on est, sauf que notre chute durera au moins un siècle.
La dernière partie devient encore plus politique. Il est grand temps de faire quelque chose mais quoi? Nos sociétés capitalistes et libérales ne sont absolument pas prêtes à faire le moindre effort alors que la communauté scientifique exhorte à la réduction de notre consommation d'énergie. Mais qui dit réduction dit obligatoirement changement profond de notre organisation sociale et ça pas grand monde n'est prêt à sauter le pas surtout nos politiques totalement inféodés au pouvoir financier.L'album voudrait se conclure de façon optimiste, hélas, il ne le peut pas.
Difficile de résumer un tel livre, fourmillant de détails, d'informations. Cela ressemble quelquefois à un reportage d'Arte , avec ses spécialistes qui apportent avis et éclaircissements. Mais, c'est surtout un formidable pari réussi tant graphiquement, avec des planches d'une beauté à couper le souffle, un montage subtil d'images de pubs mises en contraste avec les plaidoyers de l'auteur ou des scientifiques que politiquement grâce à une énergique intelligence à essayer de prévenir d'une catastrophe imminente, niée par une alliance politico/médiatique.
S'il fallait que je retienne un passage, je garderai celui qui en 10 pages évoque l'ouragan Katrina qui s'est abattu sur la Nouvelle Orléans en 2005. L'horreur d'une catastrophe naturelle doublée du comportement abject des politiques de l'époque et un résumé implacable de ce qui nous attend probablement dans les décennies à venir. 10 planches chocs, denses, effrayantes qui mériteraient d'être lues dans tous les collèges lycées de France et publiées dans tous les journaux (on peut rêver).
Un album de salubrité publique qui faut lire toute affaire cessante. C'est publié chez Delcourt au prix de 29,95 euros ! Oui, je trouve ça un peu cher mais c'est hélas de nos jours le prix pour l'intelligence et la réflexion...
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