samedi 25 août 2012

A perdre la raison de Joachim Lafosse



Bien qu'il soit bourré de qualités, "A perdre la raison" ne m'a pourtant pas emballé.
Inspiré librement d'un fait divers sordide, le film relate l'histoire d'un jeune couple qui s'aime, se marie et fait des enfants, quatre au total. Elle, est plutôt intelligente, prof en collège. Lui, d'origine marocaine, travaille comme assistant chez son père adoptif qui est médecin et chez qui toute la petite famille habite, profitant de ses largesses. Cette situation, pas vraiment confortable, va pousser petit à petit la jeune épouse dans une grave dépression et l'amener à commettre un acte abominable.
La caméra de Joachim Lafosse traque ses personnages en plans serrés, souvent avec une porte ou un bout de mur en amorce, permettant au spectateur de pénétrer dans leur intimité. C'est oppressant à souhait et petit à petit, la tension monte insidieusement. Les acteurs sont tous parfaits. Emilie Dequenne, tout le monde le dit et c'est vrai, est sidérante de justesse dans un rôle pas forcément valorisé et son morceau de bravoure dans la scène accompagnée de la chanson "Femmes, je vous aime" de Julien Clerc restera comme un des plans les plus forts de 2012.
Le propos sous-jacent du film m'a semblé être une dénonciation de l'emprise du mâle sur la femelle (ici deux mâles contre une malheureuse). Emilie Dequenne est présentée  comme une victime des hommes, se laissant inexorablement enfermer dans le désespoir et la négation de soi.
Seulement, trop, c'est trop ! Jamais elle n'a un moment de révolte contre son mari ni son beau-père. C'est étonnant de la part d'une personne qui a un certain niveau de langage, elle est prof de français ! Non, l'héroïne fait toujours profil bas. Et puis, il y a des détails qui empêchent l'adhésion au propos et notamment les robes de grossesse portées par l'héroïne (un mix gris anthracite entre la burqua et la robe de bonne soeur). Un détail me direz-vous mais, honnêtement qui de nos jours peut enfiler de telles horreurs ? Elle est peut être sous anti-dépresseurs mais, même au fin fond d'une boutique catho intégriste, on ne pourra pas en dégoter de semblables. Sans compter que, sans être enceinte, elle continue à les porter tout le film.
Dénoncer le machisme, OK, mais pourquoi la femme doit-elle être une gourde intégrale au look de nonne dépressive ? A forcer ainsi le trait, la dénonciation s'annule et le générique en rajoute une couche. Pourquoi le nom d'Emilie Dequenne n'apparaît-il qu'après ceux de ses deux partenaires masculins ? Avoir un prix d'interprétation à "un certain regard" et porter le film sur ses épaules ne suffit donc pas pour leur passer devant ?
Film intéressant et magnifiquement interprété mais plombé par un scénario et un personnage féminin un peu caricaturaux et dont la scène finale demeure, pour moi, assez incompréhensible.


3 commentaires:

  1. ah je me sens moins seule ! J'ai bien cru à un moment qu'on ne pouvait qu'aimer ce film et la boucler si on n'aimait pas :-)
    Merci de parler de dépression et non de folie.
    Et puis j'ai aussi remarqué les robes. Je me suis dit tiens encore un film qui nous explique que le personnage va mal comme si l'interprétation d'Emilie ne suffisait pas. En général dans les films il pleut quand tout tourne à la chianlis. Ici, il aurait dû pleuvoir tout le temps. D'ailleurs ne pleut-il pas des cordes lorsque Julien chante ???
    Je n'ai pas parlé non plus de Murielle qui ne rêve que de partir au Maroc alors que les marocains ne rêvent que de venir en France.
    Ni de la mère de Mounir, la seule à s'apercevoir que Murielle sombre mais qui, comme les hommes préfère fuir.
    S'acharner ainsi sur un personnage, c'est rare.

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  2. Mais Mounir aussi est sous emprise...
    Vous vous rendez compte qu'il a été adopté-acheté-volé ! Et il n'arrive qu'à être "reconnaissant". Il se soumet sans cesse au "père-beau-frère" qui est à toutes les places à la fois pour mieux étendre son emprise.
    Peut-on aimer le film ? Ce que l'on voit est dérangeant.
    En tout cas, c'est cliniquement juste.
    La fin : je vois une femme qui rend à leur pays (le Maroc ici) des enfants morts. Morts sans doute pour qu'ils échappent, eux, à la mort psychique.

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  3. J'aime bien votre explication du geste horrible de l'héroïne qui m'éclaire un peu.
    Ce que je ne dis pas plus haut, c'est que le film suscite par contre la discussion. Il brasse tellement de thèmes et de sujets de société sensibles qu'il finit par devenir vraiment intéressant. Ce n'est déjà pas si mal.

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