" A l'entrée du mas, le souvenir de votre soeur, enfant, dans un champ de tulipes mauves, chapeau de paille sur la tête, occupe les derniers mètres de votre ascension. Vous étiez des enfants gras, en polyester, heureux."
Ce court extrait de "La disparition du monde réel", le deuxième roman de Marc Molk, donne une bonne idée du contenu de l'ouvrage, transcription talentueuse et imagée d'un été où tout va se briser.
La première phrase, très picturale, est celle d'un artiste spécialisé dans la couleur des choses mais aussi des sentiments. C'est en peintre pointilliste qu'il nous fait pénétrer dans ce mas au bord de la Méditerranée. Par touches successives, il va observer des amis réunis là comme chaque été depuis une bonne dizaine d'années. Chacun des petits chapitres est comme une petite nouvelle, qui ajoutés les uns aux autres, finissent par représenter le tableau sans fard d'un groupe de bobos dont la belle apparence cache des doutes, des mensonges , des petits secrets, des non-dits. Au fil des pages, les couleurs solaires qui définissent le fond, s'assombrissent à mesure que le peintre affine les personnages au premier plan. Derrière la nonchalance de ce séjour estival, la peinture se craquelle déjà avant le coup de pinceau final.
Mais le peintre est aussi un sacré styliste qui croque ses contemporains avec tendresse certes, mais sans aucune indulgence, pourfendant les travers de notre époque. Son oeil aiguisé est à l'image de la deuxième phrase de l'extrait cité plus haut : " Vous étiez des enfants gras, en polyester, heureux." , un habile mélange de franc parler, de tendresse et de fashion. Qui en 2013 oserait encore avouer qu'il était un enfant gros ? A l'heure où les pédiatres font la chasse aux kilos dès le deuxième mois, déclarer avoir été un gamin gros ET heureux, est une faute de goût, une vérité qui fait presque aussi mal qu'un crime ou qu'un inceste. Et le mot "polyester", qui évoque pour moi ces sous-pulls moulants orange ou rouges que l'on portait dans les années 70/80, n'est-il pas le signe que notre auteur n'est pas du tout insensible à la mode ? D'ailleurs, le premier paragraphe du roman ne nous décrit-il pas le narrateur en polo R... L.... ? (Je ne cite pas la marque, ils n'ont pas voulu sponsoriser mon billet...)
Ce mélange savoureux des genres court tout au long des pages pour notre plus grand plaisir. Le roman est bien construit et surtout remarquablement écrit. J'en veux pour preuve cette longue scène de sexe, nichée au coeur du livre, loin des clichés érotiques éculés, compositions risibles de seins ronds refaits, de dentelle de Calais et de pâmoisons irréelles qui fleurissent dans la littérature actuelle. Ici, pas de chichis. La réalité prend le pas sur le fantasme, le déshabillage est loin du strip langoureux, les pensées de l'amant sont plus pratiques que sensuelles, le pénétration inévitablement et désagréablement caoutchouteuse. C'est précis, drôle, trivial et fort réussi, un quasi morceau d'anthologie ! Et ce n'est pas le seul ! Dans un genre plus profond, les deux lettres d'un amoureux éconduit sont des moments de grande émotion.
Toutefois l'auteur a tendance à céder au name-dropping et je n'ai pas la certitude que cette débauche de noms de plasticiens, d'artistes, de cinéastes, tous de vrais pointures, cache la moindre critique, même si, personnellement, j'ai souri perfidement en m'apercevant que des quarantenaires nantis ne parlaient jamais pour ne rien dire quand ils s'attablaient autour d'un verre, le soir, en été, et pouvaient entre autre, entre deux cacahuètes, évoquer Thom Mayne et sa beauté du désordre ( pour les ignares, il s'agit d'un architecte ...) comme si leur vie en dépendait. Bien sûr, c'est totalement raccord avec la psychologie des personnages mais un tout petit peu prétentieux à la longue.
Mais ne boudons pas notre plaisir, "La disparition du monde réel"est une friandise acidulée qui m'a procuré un vrai plaisir de lecture. L'auteur, comme un entomologiste des âmes, observe ses contemporains avec talent et causticité, tout en dressant, en creux, le portrait d'une société vacillante, au bord d'un gouffre dont elle a du mal à cerner les contours. Un joli livre narquois sur le désarroi d'un monde qui court à la faillite.
Ce livre sera en librairie le 7 mars prochain...
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