Ce n'est pas, à proprement parler, un nouveau livre d'Annie Ernaux. Il s'agit du texte d'une conférence donnée en octobre 2012, à Yvetot, lieu où l'auteure à passer la majeure partie de son enfance et qui sert de cadre à plusieurs de ses livres. Ce texte formidable, est complété de photos personnelles, d'une interview par Marguerite Cornier et d'une transcription des échanges qui ont eu lieu avec le public à la suite de la conférence. Ce qui au départ semble être un ouvrage pour les nombreux et fervents lecteurs d'Annie Ernaux, s'avère finalement une véritable invitation à se plonger dans ses nombreux écrits.
Quel plaisir de retrouver, même sur quelques courtes pages, l'intelligence et la clarté d'analyse de cette grande dame de la littérature française. Quelle émotion aussi de retrouver en quelques paragraphes, un condensé de son oeuvre, de ses combats pour une littérature pour les mots justes et sa conscience aigüe des classes sociales. Pour moi, ce fut aujourd'hui un moment intense.
Comme toujours, Annie Ernaux s'adresse à notre part intime. A la lecture de sa conférence à Yvetot, où finalement elle n'était jamais venue parler de ses livres, j'ai très souvent éprouvé le désir de partager tout de suite avec mon entourage mon enthousiasme pour tel ou tel paragraphe. J'ai donc lu à haute voix, ce passage sur le centre ville et le souvenir de collège autour de l'eau de Javel. Et chaque fois, ma voix s'est mise à trembloter. Je ne pouvais pas contenir l'émotion que les mots de l'auteur faisaient résonner en moi. Cette émotion que je percevais à la lecture mais que je pouvais contenir, n'a pas résisté au passage à l'oral, comme s'ils étaient l'expression profonde, personnelle et intime de mes sentiments. D'une histoire personnelle, elle en a fait une oeuvre à la portée universelle, avec les mots simples et clairs que seuls les grands écrivains sont capables d'écrire.
Je ne m'appesantirai pas plus, préférant vous livrer un extrait de sa conférence, mais sans oublier de vous recommander chaudement la lecture de "Retour à Yvetot", à la fois pierre magistrale supplémentaire mais aussi véritable introduction à l'oeuvre d'Annie Ernaux.
" Bien avant que le terme de "quartiers" ne devienne, dans la bouche des commentateurs politiques et médiatiques, synonymes de zones à la fois pauvres et dangereuses, évoquer un "quartier", dans mon enfance, c'était opposer celui-ci au centre-ville, en sous-entendre l'éloignement et, le plus souvent, la faiblesse des revenus de ses habitants. parfois la mauvaise réputation. (...) D'une manière générale, on se définissait par rapport au centre-ville. De celui-ci, pas plus aujourd'hui qu'hier, je ne saurais déterminer les contours et les limites, qui n'ont jamais existé matériellement mais n'en étaient pas moins réels dans le langage, puisqu'on disait "je vais en ville", "je monte en ville", voire "je vais à Yvetot" pour signifier qu'on allait sur le Mail ou rue du Calvaire (...) à la Poste ou à la Mairie. Une grande partie de ma famille, mes parents et moi, nous appartenions à la catégorie des gens qui disaient "je vais en ville", comme s'ils allaient sur un territoire qui n'était pas vraiment à eux, celui où il fallait être, de préférence, proprement habillé, bien coiffé, le territoire où, parce qu'on croise le plus de monde, on est le plus susceptible d'être jugé, évalué. Le territoire du regard des autres et donc, parfois, le territoire de la honte. "
Ces quelques mots ont un tel pouvoir d'évocation, que même en les recopiant, mon enfance est là, mais aussi ce même sentiment de honte que, jeune adulte j'ai parfois éprouvé...
Je me reconnais aussi beaucoup dans les écrits d'Annie Ernaux. Dans mon billet sur "La place", cette semaine, je n'ai pas pu tout dire, ça touche trop à l'intime...
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