jeudi 3 mars 2016

Juliette de Camille Jourdy


"Juliette", comme sa couverture semble le dire, paraît évoluer dans un monde actuel plutôt villageois, proche de la nature et autour d'une héroïne sage et jolie. Au premier degré, il n'y a aucun doute. Cette chronique des quelques jours que passe l'héroïne dans son village natal, ont le goût et la couleur des histoires simples. Juliette, ayant fui la province pour bosser dans la capitale, est assez mal dans sa peau. Hypocondriaque, anxieuse, elle traîne sa solitude en supportant le monde qui l'entoure. De retour dans sa famille à l'occasion de ce que l'on suppose de vacances "faute de mieux", elle retrouve chez son père sa chambre d'enfant et bien évidemment les fantômes d'un passé qui, comme chez beaucoup, possède des faits pas toujours digérés : une petite rivalité avec une soeur aînée, le divorce de ses parents. Rien de bien original, mais pour Juliette cette confrontation va, durant quelques jours, être l'occasion de puiser dans ses racines quelques forces nouvelles.
Avec un dessin coloré, aux apparences naïves, Camille Jourdy brosse avec une infinie tendresse le portrait de cette famille et de quelques autres. Elle prend le temps de les suivre, d'observer leur quotidien. Cette apparente nonchalance permet au lecteur de s'ancrer dans le récit  mais surtout de se laisser porter au gré des déambulations de Juliette sans aucun ennui. Camille Jourdy sait placer avec justesse un détail, une phrase qui, sous des airs de banalité, ont un pouvoir évocateur certain. Et puis, dans ce qui démarrait comme un roman graphique intimiste, vire petit à petit dans tout autre chose, assez difficile à définir. La délicatesse se trouve secouée par le vaudeville, l'apparente sagesse est ébouriffée par des personnages qui assument leurs envies, leurs désirs. Avec une précision d'horlogère, de grande styliste, l'auteure, sans que l'on s'en rende bien compte glisse dans son récit des éléments qui ailleurs auraient paru étranges alors qu'ici ils semblent normaux. On recueille un animal dans la rue ? C'est un caneton, pas un chaton ou un chiot ! La soeur assez gironde et menant une vie de ménagère assez planplan entre mari et enfants ? Coquine, elle  reçoit le jeudi, dans la serre de son jardin, un jeune amant qui vient déguiser en loup puis en fantôme !  Un homme qui est séduit par Juliette ? Il a droit à plusieurs pages où il reçoit habillé en femme ! Et tout passe sans l'ombre d'un froncement de sourcil !
Camille Jourdy, joue de la narration et de l'illustration avec une pertinence et une jovialité passionnantes. Son récit captive, son dessin accroche et est loin d'être aussi naïf qu'il veut bien le laisser paraître. L'ensemble donne un roman graphique à la justesse jubilatoire, miroir pas si déformé que ça de nos vies malgré (ou grâce) à cette façon absolument originale et délicieuse de pervertir un tout petit peu le récit en se moquant des clichés. Et malgré cela, il reste une émotion palpable, une impression de justesse  qui font de "Juliette" (sous titré : Les fantômes reviennent au printemps) du grand art !




2 commentaires:

  1. J'ai été touchée par le portrait de Juliette, son univers, sa vie... J'ai adoré les grains de folie semés entre les pages(et pas seulement des soucis!): une œuvre d'une grande sensibilité que l'on croque en une soirée. Un grand merci

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  2. Quant à l'adaptation de Rosalie Blum, j'ai passé un agréable moment.

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