Quand vous irez voir " Ma loute", parce que, oui, il faut avoir vu ce film, histoire de se faire une idée de ce que peut être la création dans le cinéma français au 21 ème siècle et ainsi savoir vers quel genre de spectateur vous tendez, le curieux épris de création et aimant être surpris ou le consommateur de pellicules ou banales ou tape à l'oeil, il vous faudra cependant faire table rase de certains éléments qui pollueraient la projection.
Tout d'abord, remisez l'image que vous pouvez avoir de Bruno Dumont le réalisateur ( si vous en avez une), cette figure assez radicale du 7ème art francophone, qui a pu vous agacer par son hyper réalisme glaçant, par ses interprètes amateurs exhibés parfois comme des phénomènes de foire ou par la suffisance de certaines de ses déclarations fleurant l'intello arrogant.
Il vous faudra peut être, comme moi, oublier "Le petit quinquin", cette série qui a brillé sur Arte il y a deux ans, certes annonciatrice de cette loute mais qui, à mes yeux, manquait de rythme et m'avait laissé comme un mauvais goût de malveillance à l'égard de ses interprètes traités comme de pauvres pantins débiles.
Chassez aussi de votre mémoire la bande annonce qui donne l'impression que nos stars bien aimées surjouent jusqu'à l'insupportable. Sorties de leur contexte, les quelques bouts de scènes présentées abondent dans ce sens alors que dans la réalité du film, cette interprétation touche au sublime.
On essaiera enfin d'occulter la promotion faite autour du dernier Dumont qui pourrait pâtir du syndrome " rentabilisons une production difficile d'accès mais plus gonflée et coûteuse qu'à l'habitude en propulsant tous azimuts articles dithyrambiques, interviews énamourées" . Il serait temps que les lanceurs de films s'aperçoivent que tout cela n'est pas toujours productif, surtout au moment de Cannes, les spectateurs commençant à connaître le cirque. Quand on a été échaudé plusieurs fois par des oeuvrettes dont la splendeur se résumait uniquement à l'extraordinaire faculté à squatter les médias, on regarde passer les bulldozers de la promo avec un oeil goguenard et l'on reste à la maison pour jouer à Candy Crush ou cultiver son jardin. Je me demande si, vieux réflexe de classe, le spectateur prolo n'a pas envie de se venger ce monde maquillé par l'Oréal, coiffé par Dessange et bijouté par Chopard qui ondule sur nos écrans de télé .... ce qui nous ramène d'ailleurs à "Ma loute ", la lutte des classes étant une des entrées possibles pour ce film qui en possède tellement.
Vous l'aurez sans doute compris, lavé de toute cette pollution sonore, visuelle et intellectuelle, vous devriez vivre une moment de cinéma rare et intense, car oui, vous laisserez de côté votre télé, votre play station ou le dernier Foenkinos et vous irez faire votre petit festival de Cannes personnel et participerez ainsi à un des événements du mois.
"Ma loute" est bien ce qu'on en dit : une oeuvre comique ET burlesque, avec un zest de polar. Mais c'est aussi la quintessence du cinéma de Bruno Dumont, une réflexion sur la partition riche/pauvre, sur l'universalité et le mystère de l'amour, sur le cinéma d'aujourd'hui ( et d'hier), sur le regard, sur la lumière, sur la folie, sur la vie, sur la mort, sur la terre, sur... Bon, vous l'aurez compris on trouve tout chez Dumont et surtout dans son dernier film, mille feuilles gourmands et splendide, intrigant et poétique, violent et intello, simple et drôle. Il suffit de se laisser porter par ces images inspirées aussi bien par la peinture de Courbet, de Magritte ( et d'autres) que par la lumière des plages du Nord ( ah pardon, Hauts de France dorénavant ! ) et par la démesure d'un scénario qui ne s'interdit rien pour mieux atteindre l'universel. Le mélange de tronches du Nord et de stars fonctionne admirablement bien. L'ambiguïté ressentie dans " Le petit quinquin " quant à l'utilisation d'amateurs au physique atypique est ainsi gommée. Vedettes ou non, tout le monde est filmé avec le même regard, n'occultant aucun défaut ou s'en servant pour les sublimer. Le choc des cultures, des castes a lieu. Tous deux assez dégénérés ( consanguins pour les bourgeois/stars, cannibales pour les pauvres/amateurs), leur représentation va jusqu'au grotesque. Les non professionnels déploient une fraîcheur et un naturel ahurissants, les pros se défoncent dans un numéro affolant (mention pour Juliette Binoche qui lâche tout et nous emporte dans un sommet délirant rarement atteint par une comédienne de cette envergure). Et le film avance, parfois un peu lentement, mais allant crescendo dans cette folie bien plus organisée qu'il n'y paraît. Rien n'a été laissé au hasard. En plus de l'image hyper travaillée, le son prend une part importante dans la réussite de l'ensemble. De l'emploi très circonscrit de la musique aux bruitages des personnages ( oui Luchini se déplace tout le temps avec des bruits de vêtements trop amidonnés qui craquent et l'inspecteur Machin grince à qui mieux mieux ), tout concourt à nous étonner, nous faire rire, voire nous émouvoir ou nous faire frémir. Et dans toute cette débauche folle furieuse, les métaphores sont nombreuses pour qui veut les saisir mais pas indispensables pour celui qui veut seulement se laisser aller à un moment ludique et merveilleux.
Et puis, il y a Billie. Billie, c'est sans doute la figure centrale du film, celle qui essaie d'établir un pont entre les deux mondes. C'est la fille ou le garçon (on ne saura jamais) consanguin(e) des bourgeois qui tombe amoureuse de ma loute, le fils des prolos du coin. Leur passion symbolise l'attirance et la violence de ces deux univers opposés, contraires. Pour moi métaphore du cinéma de Mr Dumont, Billie, par son côté double, symbolise ce balancement entre tragique et comique, cette interrogation ( entre autre) sur le beau et le laid que le réalisateur nous propose depuis longtemps et qui nous trouble tant. Pour incarner cette figure singulière, le réalisateur révèle à l'écran Raph, véritable déflagration cinématographique, une apparition comme il en arrive peu dans une année. Aussi beau en fille que belle en garçon, son regard bleu et magnétique, sa voix grave et sensuelle, son physique de rêve quelque soit son genre, il, elle, offre une interprétation parfaite qui donne à penser que nous le, la, reverrons très vite. ( Oui, même sur le net, Raph garde son ambiguïté).
Sans être exempt de petites longueurs, "Ma loute" mérite amplement sa sélection à Cannes en portant haut la créativité d'un cinéma français qui n'a décidément pas peur de sortir des sentiers battus. Jubilatoire car aussi drôlatique que mordant, ce dernier Dumont surprend, étonne et passionne tout spectateur un peu curieux et joueur; Avis aux amateurs !
J'en sors à l'instant, je suis séduite, conquise... Le sourire reste à nos lèvres longtemps après un si bon vent de folie, de "loute" des classes aussi. Excellent mille feuilles bien garni, je vais le savourer longtemps celui-ci! Merci. am
RépondreSupprimer