"Les petits contretemps" est un livre piquant. Piquant dans le sens où chacune des trente-cinq nouvelles qui le compose se plante efficacement en vous et provoque un sentiment mélangé de plaisir et de douleur.
Ecrire une bonne nouvelle, surtout courte, nécessite à la fois talent et regard vif. Gaëlle Héaulme a tout cela avec, en plus, une qualité d'écriture, simple directe, qui dépeint en peu de mots un univers familier ou pas. On est tout de suite dans la tête du narrateur. Et nous serons tout à tour hospitalisée, enfermé dans un avion forcé d'amerrir, excédée par un mari trop longtemps supporté, glacée par l'humidité de la maison où nous gardons des enfants... Et chaque fois, nous nous trouvons au moment où il y a une étincelle qui peut ou fait tout basculer. On les connaît tous, ces moments de désespoir, de doute, d'agacement où l'on ne supporte plus ce robinet qui goutte alors qu'il aurait dû être réparé depuis bien longtemps, ces moments d'inattention où un enfant échappe à notre surveillance, ces souvenirs cruels qui soudain nous étreignent. il suffirait d'un rien pour que tout bascule, un geste, un objet tranchant, une envie de tout plaquer. Cela ne se produit généralement pas, heureusement ... mais chez Gaëlle Héaulme, oui !
Le quotidien des casseroles pas lavées, des enfants braillards, des voitures mal entretenues explose. Le personnage se trouve alors au bord du vide, s'interrogeant ou pas sur la nécessité de sauter. Le lecteur pourrait jubiler de ce passage à l'acte souvent rêvé, jamais réalisé, mais le plaisir éprouvé se brouille bien vite. Cette étincelle éclaire aussi tous nos minables petits arrangements de nos si mesquines petites vies.
C'est grinçant, un peu cruel, quelque fois absurde, souvent douloureux, comme ce quotidien que l'on affronte sans cesse. Ce livre est le miroir d'une réalité qui fait mal ou souffrir, la poussière que l'on cache sous le tapis, le bouton que l'on camoufle, le sourire qui essaye d'éluder la tristesse.
"Les petits contretemps" de Gaëlle Héaulme est à la fois tout ça mais aussi un voyage dans une multitudes d'univers ou vies, un regard original et pertinent et surtout un formidable moment de lecture.
En refermant son livre, on retournera chacun à nos vies faites de petites concessions, avec la confirmation que quelques petites nouvelles bien senties sont un formidable remède pour légitimer nos pensées inavouables.
PS : C'est le troisième livre de la collection "Qui vive" de chez Buchet-Chastel que je lis cette année. Je n'ai aucune accointance avec cette maison d'éditions (sans connivence,je vous rappelle) mais permettez moi de souligner la qualité de leur parutions qui chaque fois me ravissent... Pour rappel "La disparition du monde réel" de Marc Molk au mois de mars dernier, "Sauf les fleurs" de Nicolas Clément" cette rentrée et maintenant Gaëlle Héaulme m'ont tous les trois emballés, bien que forts différents.... Il existe chez cet éditeur des responsables qui ont un flair fantastique !
J'avais hâte de lire votre critique lorsque vous avez posté hier un billet pour annoncer sa publication prochaine. Et bien je ne suis pas déçue ! Votre critique me parle, j'y retrouve le livre que j'ai lu et une belle analyse. Merci
RépondreSupprimerBelle critique pour un beau livre. C'est vrai, c'est exactement ça, une sorte de Raymond Carver en jupons et à la française, le même talent pour épingler les grincements de porte ou les grincements de dents... Merci pour votre critique : ce n'est pas sans connivences en ce qui me concerne puisque j'avais de l'amitié pour Gaëlle Héaulme.
RépondreSupprimerElle vient d'avoir son dernier contretemps.
Faire connaitre son livre est le dernier hommage que l'on puisse lui rendre.