lundi 6 janvier 2014

En finir avec Eddy Bellegueule d'Edouard Louis




Il se passe quelque chose de déroutant pour moi après la lecture de ce premier roman...
Je l''ai acheté le jour de sa sortie, attiré par le titre et par une quatrième de couverture qui mettait l'accent sur un thème porteur pour moi : la honte de sa famille, le récit d'une extraction sociale. On n'oubliait pas, bien sûr de mettre en avant le jeune âge de l'auteur, 21 ans, et son précédent essai sur Pierre Bourdieu. J'ai senti le disciple évidemment concerné par l'étude du déterminisme social mise en avant par le célèbre sociologue. Et quand en ouvrant le livre et j'ai vu la dédicace "Pour Didier Eribon", je me suis dit :"Voilà un jeune homme brillant, bien né, vraiment introduit dans le milieu littéraire parisien."
C'est donc avec ces données que j'ai entamé la lecture du destin de cet Eddy Bellegueule, pauvre enfant efféminé vivant dans un village picard au sein d'une famille du lumpenprolétariat. Cela démarre par un chapitre très prenant. Eddy est harcelé quotidiennement par deux élèves. Son côté décalé, trop féminin, le voue aux moqueries perpétuelles, à la discrimination et à une violence sourde qui trouve son paroxysme dans cette rencontre quasi ritualisée avec ses deux bourreaux, mélange de bêtise, de sadisme mais aussi de sado-masochisme. Puis le roman va égrener les souvenirs, sans trop se préoccuper de chronologie, au fil d'une évocation dense et sordide. Sa différence trop visible va le marginaliser d'une communauté villageoise au fonctionnement peu élaboré où toutes les pauvretés s'additionnent inexorablement. Vivant avec un père alcoolique et chômeur, une mère qui fait ce qu'elle peut dans un univers guère porteur et des frères et soeurs très portés sur la violence, le sexe et tous  prêts à reproduire par atavisme les comportements les plus primaires, Eddy n'a guère le choix que de prendre la fuite...
Après un démarrage réussi, le roman ensuite, m'a accroché mais cette accumulation de misère m'a un brin gêné, trouvant que l'auteur en faisait un peu trop dans le misérabilisme. Et puis, cette volonté de vouloir retraduire ce parler de la France très profonde manquait de naturel. J'ai pensé que l'auteur, pour moi parisien, ayant étudié dans les bonnes écoles de la capitale et fréquentant la crème de l'intelligentsia, avait quand même un peu de mal à se glisser dans la peau d'un chômeur aviné. Le roman était pas mal fichu, mais il manquait pour moi de sincérité....
Et puis, une fois refermé, je m'en suis allé voir sur le net qui était Edouard Louis.... Stupéfaction ! Dans une interview donné à la librairie Mollat de Bordeaux, il raconte que tout est vrai dans son roman, qu'Eddy Bellegueule c'est lui, et que ce sont ses vrais souvenirs... Donc ma lecture a été faussée par ma mauvaise interprétation d'informations et par mon manque de curiosité. Evidemment  sans rien connaître en amont, ce premier roman  révèle quelques défauts mais l'itinéraire d'Eddy, ce qu'il a vécu, enduré, force le respect et donne un tout autre relief au livre. Reste quand même cette posture d'écrivain assez inconfortable ressentie tout le long du récit...
Finalement, "En finir avec Eddy Bellegueule" est un récit prenant et émouvant sur un pauvre canard perdu dans un monde intolérant et fermé et dont l'envolée dans les hautes sphères de l'intelligence est l'exemple flagrant que quelques chanceux peuvent échapper au déterminisme de classe. Cependant, à cause d'une lecture biaisée, je pense que je suis passé à côté, je m'en excuse mais je suis certain d'une chose : c'est un livre hautement fréquentable et avec le recul, vraiment émouvant.


4 commentaires:

  1. Ce commentaire éveille la curiosité et suscite un certain intérêt. Mais apparemment, il vaut mieux lire ce livre quand on est en forme... Je vais peut-être attendre un peu pour le lire à l'orée du printemps...

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  2. ma première claque littéraire de l'année !

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  3. Vous trouverez peut-être un début d'explication de vos doutes ici :
    http://www.courrier-picard.fr/region/les-deux-visages-d-eddy-bellegueule-ia0b0n306422

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  4. Merci pour ce lien pour le moins intéressant....

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