dimanche 5 février 2012

Comment parler des lieux où l'on n'a pas été ? de Pierre Bayard


Si vous pensez, en lisant ce lire, pouvoir ensuite rivaliser avec vos amis de retour d'un voyage au Mexique, c'est raté. Vous ne pourrez pas briller en échangeant vos points de vue sur Mexico, capitale où vous n'avez jamais mis les pieds, sauf si vous vous êtes énormément documenté avant et que vos interlocuteurs demeurent polis ou prêts à plonger dans vos délires.
Non, ici, on a affaire à un essai de type universitaire mais lisible car plein d'humour et pas trop bourré de termes savants. Il vous faudra uniquement appréhender le terme "atopique", qui n'est pas ici une allergie, mais le concept d'espace littéraire et artistique d'une oeuvre dont on étudier la perméabilité des frontières entre réalité et fiction. (Enfin, j'espère avoir bien compris...). Pour faire simple, l'auteur nous parle de tous ces écrivains, considérés comme grands voyageurs mais qui ne sont, pour la plupart, jamais sortis de chez eux.
Et, ils sont assez nombreux. Ainsi, Marco Polo, dont les récits de ses voyages en Chine ont fait rêver des générations, n'est jamais allé au delà de Constantinople, inventant ses récits pour plaire à sa fiancée. Pierre Bayard multiplie les exemples : Chateaubriand décrit des régions des Etats Unis qu'il n'a jamais foulées, Blaise Cendrars n'a jamais effectué le trajet fondateur de son oeuvre, c'est à dire son voyage en transsibérien de Moscou à Vladivostock. Margaret Mead, la célèbre anthropologue, n'a jamais observé les moeurs sexuelles des habitants des îles Samoa, se contentant de rapporter les récits débridés d'informatrices pas vraiment scientifiques de formation mais débordantes d'imagination.
En multipliant les exemples, l'auteur nous balade dans des contrées littéraires où se mêlent imaginaire, histoire et psychanalyse. C'est relativement facile à lire et on apprend, mine de rien, une foule de choses
car l'auteur n'est pas avare de partage de connaissances, qualité suffisamment rare dans ce genre d'ouvrage pour être soulignée.
Pour conclure, je retiendrai le portrait de cet écrivain allemand, Karl May (1842-1912), grand classique dans son pays pour ses romans d'aventures dans le Far West où il n'avait jamais posé le moindre orteil. Son imagination lui a fait représenter une réalité de la conquête de l'Ouest américain et du massacre des indiens très éloignée des concepts colonialistes de l'époque ou des récits de ceux qui étaient sur place. Le succès de ses écrits imposa petit à petit de nouveaux stéréotypes dans l'inconscient des lecteurs, modifiant ainsi la représentation que les américains et les européens se faisaient des indiens. Jolie histoire, symbole de tous ces voyageurs casaniers, qui par leur imagination, ont permis à, nous lecteur de rêver mais aussi de mieux rencontrer les autres.
Ce concentré d'érudition joyeuse (154 pages) sur des mensonges sublimés par la littérature est une lecture stimulante et que je conseille vivement.

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